Isabelle Dormion, Turbulences /12/ du 1er Octobre 2007 au 11 août 2008

expérience en forme de journal, par Isabelle DORMION, dans le cadre de Paroles d'Indigènes* sur shukaba.org
Lire les Turbulences précédentes:
7 sept -28 Nov 01
TURBULUN / 4 déc 01-21 fév 02 TURBUL2
23 fév -29 av 02 TURBUL3 / 3 mai - 29 sept 02 TURBUL4
6 oct 02 - 5 fév 03 TURBUL 5 / 10 mars -22 août 03 TURBUL 6
3 sept 03 - 26 janv 04 TURBUL 7 / 2 fév - 6 déc 04 TURBUL 8
9 janvier - 28 novembre 2005
TURBUL 9 / 4 janv - 5 déc 2006 TURBUL 10
9 décembre 2006 - 30 septembre 2007
TURBUL 11


Quel est le sujet de l'ethnologie? 1er octobre 2007

Expulsé récemment de l'Université par la force publique, l'enseignement de l'ethnologie a disparu, laissant sur le tapis le sujet, qui, si on en croit la rumeur, est l'enchantement joli de nos loges et logis. Cherchons à le traquer avant de songer à le saisir non en loges mais en Logos.
Renaissant de ces cendres où sa fonction (inutilisable) l'a mis à gésir, pur déchet, il réapparaît ici et là par la force des choses. Une utilisation systématisée du propos devient par l'induction-production, produits et dérivés de l'exotique social. C'est ce qu'il advient quand est utilisée par des moyens civiques l'ethnographie des banlieues à des fins régulatrices qui n'honorent ni la fonction ni le sujet ni le lieu, mis ici à plat avant que d'être évidés. Les jours se suivent et se ressembleraient du lundi au vendredi sur un quai de métro. L'évidence -plus que l'évidage- d'une banalité à pleurer, doit être explorée. Il y a dans le vide de sens de quoi faire cogiter le sujet. Il y a dans l'évidence qui crève les yeux peu de place à l'avènement d'un sujet que l'aveuglement foudroierait.
L'ethnologie nuit qui serait d'abord inutile?
L'ethnographie serait congédiée d'une scène sociale où elle ne prendrait plus la place qui lui revient. Le sujet de l'ethnographie n'est pas l'objet de la sociologie -plaisanterie mise à part- et si le moindre doute venait perturber le débat, il suffit de lire quelque étude actuelle sur la vie commensale, la répartition des tâches domestiques au sein du couple hétérosexuel parisien des moins de trente cinq ans, pour être accablé. Rien de nouveau qui n'était déjà montré sous forme d'une mauvaise série américaine. Rien de nouveau qui n'était pas déjà représenté et servi tout les jours en boucle à des centaines de couples hétérosexuels mariés, pacsés ou non, entre vingt et trente-cinq ans, bilingues et ayant au moins un frère ou une soeur ou un chat dans un deux pièces (750 euros).

Il va de soi que la machine à café s'impose. Faites l'expérience. Sortez, parcourez trois kilomètres pour retrouver le café du coin où se dit l'essentiel (rien ou pas grand chose «pour un lundi on fait aller», «passez le bonjour à Fernande», encore que), boudez la cafétéria, privilégiez le zinc (plastique, inox ou chic teck), décortiquez les sondages et vous serez déniaisés.
L'ethnographie, celle de grand-mère et des nostalgies répertoriées, photos sépias et classifications muséoconservées, ne fera pas renaître Malinoswski. Il faut Griaule pour encourager la fonction, la fiction ethnographique avant d'aller somnoler au colloque sur la sémiotique cognitive dans le champ de l'anthropologie sociale autrichienne et filer à l'anglaise vers nos derniers grands voyageurs anglo-saxons, dégingandés et toujours fréquentables quoique disparus, décimés par l'abus de fièvres, de femmes, d'érudition blême et de longues insomnies alcoolisées. Passons.

Qu'advient-il donc quand l'art sert d'alibi à un «terrain» artificiellement semé de granules, de graines et d'oeuvres d'art dans un champ social où il n'a pas sa place? Un petit gazon où les différentes caisses que nous dirions matricielles, font germer le projet, l'ébauche, le synopsis, le dossier relié, la maquette, lui fournissent la provende et l'humidité requises. La subvention pleut comme une manne chiche que s'arrachent les différents acteurs, artistes ou écrivains validés par un ou deux ethnologues requis, le cinéaste et photographe ou vidéaste talentueux qui viendront dans une même geste harmonieuse, cuirassée, chorégraphiée, simultanée, plurielle et jardinière, quoique singulière, unifiée par un label narcissique qui le localise et l'identifie, lui conférant une force d'impact commercial. Nécessité faisant loi, il faire germer, étayer, arroser et faucher le bénéfice.
Ce bénéfice est symbolique. Il est symbolisé. C'est un trophée, c'est une sucette, c'est la gloire, c'est le Mérite, c'est la croix et la bannière où souffrent, triomphent et s'exposent les projets aboutis, les ébauches devenues «un truc, le livre, les films «du réel» qui tiennent la route et sont retenus par une commission spécialiste. Celle-ci représente, met en scène et rend lisible ou visible. Où est le sujet dans ce bazar, cette foire d'empoigne? Une chaise au CNRS reste encore la véritable sinécure où devant un ordinateur chercher un sujet qui tienne la route. C'est en ethnologie le terrain où crapahute le tous-terrains suant régurgitant l'Afrique par tous les pores de la peau révulsée. Il ne restait que Robert Jaulin pour s'en plaindre martyr et s'en réjouir, revenu de tout, revenant, trouver encore un lieu où courir en lièvre devant le sujet qui le suivait comme une ombre. Indien vaut mieux. Le sujet est dicté par la seule nécessité. Dans le cas de Jaulin, c'est la question de l'Islam interrogée avant l'heure dite. Le lieu? C'est l'écriture. Aussi simple qu'un topo sur la question.
Depuis peu les anthropologues renaissent en floraison. Ils s'ébattent au quai Branly. Leurs pas dans les traces. Ce n'est pas notre sujet.

Nous proposons de définir le lieu où focaliser. Reste à localiser. Dressons une liste au pif, disons l'air du temps non seulement à la louche mais à la va comme j'te pousse, les commandes du FMI, le doberman (killer) qui tue l'enfant (girl) et roule ma poule! Non. Pas de ça chez nous.

Bocal. Local. Mur. Berceau où naître. Trottoir où mourir. Trois poussettes dans le 122. Porte bloquée. Système coincé. Dysfonction. Dysfonctionnement. Analyseur. La série «Urgence». L'urgence du réel.
Piloris, pylones, prisons, potences, femmes pauvres iraniennes de surcroît, lapidées, femmes riches au moins iraniennes mais très exilées un peu jet set nez refait les seins aussi, télévision, bus cramé, hôtel brûlé, femmes brûlées soignées Pakistan par femmes dévouées France terre d'asile, les urgences imposent le sujet. L'urgence, Madame, n'est pas un lieu habitable.
Ethnographies d'un réel des séries américaines. La Birmanie, plus réelle, tu meurs, un Japonais, caméra au poing, camarade notre héros. Qui donc fermera tes paupières?
Local, poubelles, loges, galeries? Ecole, musée, Culture, culturel, médiation culturelle, Internet, rue du faubourg Saint-Honoré, métro Diable-Vauvert, rue d'Ulm, Banque? Total en Birmanie.
Localisons. Focalisons. Le réel n'attend pas une seule seconde.
Nous avons tout le temps à notre libre, entière disposition. Spacieux, qualitativement, avant que d'être topograhique et temporel.
Je viens de ne pas avoir vu un film. Pas le temps?
C'était le sujet. Pas vu pas pris. A quoi sert l'ethnologie?


Pour une théorie du lieu, 2 octobre 2007

L'étiage pédagogique ne doit pas être une prothèse. Les manuels de communication construits sur la base d'une approche cognitive des individus et des groupes (plus de 7 personnes) imposent un diktat contestable. Les applications des thérapies systémiques, les stratégies transactionnelles dans un champ pédagogique sont-elles souhaitables?
En 1995 j'ai pu mettre en place sur un groupe d'une douzaine de personnes, des informaticiens adultes préparant un diplôme de troisième cycle, dans le cadre d'un atelier, une anti-stratégie fondée sur la psychanalyse. Les écrits de Michel Tort, traducteur de Freud, ses travaux sur les débilités des tests mentaux et autres mesures de Q.I., les séminaires de Lacan, les conférences de Roland Barthes et de Michel Foucault ont participé à l'élaboration d'une pensée critique. Un viatique. Cette distance prise par rapport à l'institution, qui demande puis exige des élèves ou des étudiants le progrès en vue d'une performance, m'a permis de prendre une position tierce de contre-experte. C'est en qualité de non-qualifiée que j'ai pu établir une expérience, ouvrant un sentier, puis champ, un lieu. Il fallait sortir les informaticiens d'un jargon binaire, d'un blindage logique où la fonction les enfermait pour les aider à prendre conscience de leur environnement. Kafka chez Renault, tout en leur épargnant la lecture du «Château», plus étrange pour eux qu'inquiétant. En décrivant leur unité, le chef de service, le mur, le bureau, le staff, l'escalier, l'ascenseur, un inventaire topograhique à la Perec advenait. De cette description, certains passages, nouveaux romans, émergeaient du silence, cette langue de bois. La langue de bois est la peur de déplaire à l'institution plus qu'à celui qui institue, disons l'instituteur ou la maitresse et leurs évaluations requises à l'aune de l'exigence sociale, encore plus performative aujourd'hui. L'institution était pour ces informaticiens une somme d'individus, un agrégat indifférencié, «eux». Décrire Monsieur Duchmoll du service financier, décrire l'instituteur ou le professeur, suffisait. Il n'y a pas de trucage pédagogique. Feuille blanche, peur de la performance, peur d'écrire, peur de l'insuffisance, crainte du jugement de l'autre, peur de la peur, peur de l'affranchissement, peur du père ou terreur d'une mère dévorante, tout contribue à la paralysie. "Allez-y soyez libres" est une ineptie (voir plus haut Bateson et Paolo Alto, leur besogneuse tentative défaite par les neurosciences). Non merci, après vous! est la réponse la plus courante, qui nous oblige à la gesticulation et vous transforme en tyranneau gouroutisant rempli d'une qualité rare, cette suffisance vide, intelligente, perverse, proche de l'imbécillité absolue, ce défi : vas-y! comment je vais te les coacher ces nuls!
Le quinze octobre, d'emblée, je commencerai le cours*, cette imposture, en demandant aux étudiants de me décrire in situ, prenant le risque d'une destitution littérale, de la fonction pour une fiction tronche de cake. Je n'ai pas de place assignée dans l'institution, rien à perdre, cherchant et trouvant toujours la porte et le seuil entre le sas, le hall, le groupe et l'inconnu. L'inconnu n'est pas l'inconnaissable. Ce projet de description m'a été emprunté lundi par un emprunteur. Il n'en aura pas l'usage et pour cause, je le reprends aujourd'hui ici en relisant les entretiens de Herbert Gamper et Peter Handke**: «les choses de la vie quotidienne, jusque dans leurs plus petites ramifications, forment une unité - une unité très diverse, naturellement, puisque ce sont des choses différentes.»

* je rêve
**«Espaces intermédiaires», Christian Bourgois


La lettre ou l'esprit, 23 octobre 2007

Enfants nous nous demandions où était «l'esprit de sel»* ?
Nos expérimentations allaient jusqu'à concocter un dépôt douteux et grisâtre au fond d'un verre de vin auquel avait été ajouté du lait. Nous pensions voir s'échapper l'esprit du vin et la griserie divine de la lettre poétique. Erreur!
Sur les parois humides de la cave, en allant chercher les bûches, nous pouvions encore recueillir en remontant de la corvée, dans la paume laissée libre, un peu de salpêtre. Dans les ombres inconnues des profondeurs l'esprit n'apparaissait que sous la forme d'un gros moustique, un cousin attiré par la lampe.

Cherchant cette adresse si difficile dans une venelle banlieusarde, quelle ne fut pas ma surprise de rencontrer, sur le seuil d'une maison fermée, l'esprit en personne, prenant le soleil, le visage offert au vent, les yeux mi-clos, ayant déjà, dans la permanence, toute bénévole, d'un début d'après-midi sans histoires, conféré une sorte de calme grandeur à toutes ces choses si familières.

*Acide muriatique, Chlorure d'hydrogène HCL que les alchimistes utilisaient jadis dans leur quête insensée de la pierre philosophale.


Tragédies, 3 novembre 2007

Faut-il ou non envisager le meurtre comme hygiène de vie? Après avoir relu dans son intégralité Dostoïevski, Max Aub, le vénéneux Sade et quelques policiers, avec du genièvre du schnaps et du brandy derrière les fagots, le dernier film de Woody Allen, «Le rêve de Cassandre», relance la question qui m'était soumise: dois-je débarrasser l'égyptologie d'un certain individu que je ne peux nommer ici, pour des raisons évidentes, celles d'une toute relative discrétion. La réponse, insufflée par le film magnifique de Woody Allen, a fait battre mon cur MK2 à la vitesse d'un chute immédiate en enfer sans le moindre soupir. Les mains moites, chaque plan, chaque répartie, tous les mécanismes de cette horlogerie manichéenne m'ont susurré des idées criminelles qu'un long dimanche verra s'épanouir à loisir...

On peut envisager la solution dite naturelle après un petit subterfuge: déshydratation, insolation, tempête de sable, perte d'orientation, perte absolue (au delà de Meidoum), errance, perte de conscience, bref, je ne parle pas de Guizeh, trop fréquenté par mille chameliers bavards et trop avides des ragots touristiques.

Une solution élégante et pratique, le poison de type cardiovasculaire, gentiane, badiane, bouton d'or et petite fleur, valériane, que sais-je, revoyons les précis de botanique médicinale, à la portée des enfants et du jardinage automnal.

Autre approche, qu'il faudrait laisser aux tordus dégénérés de l'espèce courante, obsessionnelle, la manipulation intrusive, l'exploitation d'un élément caché de la vie privée de l'individu en question. A-t-il un vice, une maîtresse, un penchant qu'il croit, le pauvre, répréhensible, une dette de jeu, une querelle ancienne, un dossier, un passé dans les oubliettes, une parentèle de la honte, une bigamie en proche banlieue, deux pièces cuisine, une lionne rugissant dans son garde-meuble, une tarentule, un aspic dans la boîte à gants, un excellent placement bancaire d'initié, une fortune mal acquise? Cette méthode exigerait ce minimum de sagacité, ce summum d'indiscrétion, ce labeur sordide. Cette approche est à laisser aux maniaques, à la l'investigation scientifique, légale, inquisitoriale, celle qui amoncelle les faits minuscules, tickets de métro, chanvre des cordes, bois dont sont faits les crimes et les humains et que taraudent les polices, virements aux Bahamas, lingeries déchirées, les multiples indices d'un réel répulsif et toujours rendu subalterne.

Ici, les frères menuisent les pistolets dans l'étau, comme à la maison. Pas de numéro de série, c'est le message. Pièces uniques. Comment je vais vous le peaufiner, l'ouvrage! Voilà où mène la tragédie, à la vulgarité de l'argent facile, à la tentation des chaînes d'hotels et centres de chirurgie esthétique. On se vendrait pour ça. Pour deux fringues, une bagnole, des filles, la montre au Claridge et toute l'esbrouffe avec ses enjoliveurs.

Une jolie méthode, c'est la démonstration du film, une méthode aquatique qui a fait ses preuves chez Alfred Hitchcok, celle du voilier, du bateau, de la nef, du passage dans l'autre monde. Avec «Le rêve de Cassandre», pas de moteur, pas de fuel, pas de mazout sur les plages, pas de bruit, pas de rames, petit temps, pas de tempête, pas trop de voilure, droit vers l'issue fatale. Le vent souffle où il veut. Je me souviens d'un naufrage familial dans un superbe bateau, celui-là gîtant dangereusement, la quille touchant le fond. L'avanie et l'avarie. J'avais plongé dans les vagues de la passe du Bec de Perroquet pour échapper au désastre, en toute indépendance. Avec un ciré, c'est une quasi noyade idiote. Ce bruit particulier des bois légers du roof, je l'ai entendu dans le film, le craquement sinistre de l'inéluctable fin, le malheur annoncé.

Ce film, sans une once de psychologie à deux pence, sans complaisances, sans esthétisante nervosité, ample, moral sans leçon de moralité, est beau, impoli et sanglant comme l'antique. Les frères de sang, unis dans la tragédie. On y voit plus de style que d'abjection, sans le dandysme que l'humour parcimonieux distillerait.

Mon frère, toi qui passes, si tu veux, je m'occuperai donc de l'affaire sus-évoquée laisse-moi faire, j'aurai bien d'autres idées expéditives, celles-là irrémédiables et nous nous amuserons toujours en chemin.


Couleurs de l'identité? 12 novembre 2007

Grises et tronquées, les virtualités de second Life. Les psychologues se pencheraient sur les avantages thérapeutiques des expériences virtuelles: choix d'une autre identité, pourquoi ne pas choisir la négritude ou l'autre sexe, celui qu'on n'a pas? Pourquoi ventre saint bleu ne pas se vivre petit, juif, noir, borgne lesté d'un pied bot, bègue, pauvre et analphabète, issu de la DASS, heureusement sans papiers, bientôt expulsé par Roissy? J'atteins ainsi la notoriété. En me jetant du premier, voire du deuxième étage, oui, je m'écrase au sol mais enfin, faisons un rêve, j'accède post mortem, ainsi que ma famille laissée au pays, à une reconnaissance nominale, une citation. Trop tard diront les envieux. Il n'est jamais trop tard pour exister
Pourquoi choisir une identité aussi convenue qu'un appel d'offre Meetic, ce produit culturel aseptisé nourri d'aventures, speed dating, et n'ayant peur de rien, gestionnaire dans une boite quelconque, une société fiduciaire, n'ayons pas peur des mots, pratiquant la gymnastique en salle et ne craignant pas l'ingestion dominicale de sushis et de bouillons d'algues assez gélatineuses pour une première rencontre au «Lotus Générique de la Bastille».

Les avantages de la virtualité? L'anonymat. Un comble pour ces nouveaux habitués en quête identitaire. Je me vis blonde et pulpeuse alors que je suis une mémé en toque d'astrakan que suit partout un teckel pelé comme un piètre veau? Il se voit en George Clooney, marchant à grandes enjambées sur les quais, courant presque vers le bonheur lors d'une visite, corvée promotionnelle d'une sortie de film à Paris ville Lumière. C'est son droit. C'est Second Life. Ce n'est même pas une seconde chance, si misérable le deuxième choix. Je rêve de savoir confectionner au crochet un dessous de bouteille en coton perlé, entre la ligne13 et Croix de Chavaux. L'ethnologie, les voyages et la culture, les bouquins et la fréquentation quotidienne des chefs d'oeuvres de l'art, les raretés culturelles, l'argent, ne mènent à rien. Sur second Life, le possible, l'impossible, mon rêve peut enfin exister: comment mitonner un chou (un choix) farci et caramélisé. Comment le déguster le cul calé sur un siège ergonomique néo-médicalisé. Des tampons de feutrine amortissent le bruit des pieds sur le carrelage (où glissera le chou, (le choix) n'importe quoi mais disons-le tout net!)
Mais (que) tombe la neige!
Dans une autre vie, Truffaut pouvait susciter un dératiseur catholique culbutant Bernadette Laffont sur le plancher, le faire vivre, entre la coulpe et l'ivresse, sous nos yeux ébahis. Dans Second Life, aucun rêve, aucun personnage, aucune fiction.
Les promoteurs (quel mot!) de Second Life prônent la liberté, le dépassement de la norme, la transgression, la levée de la censure, la fin des interdits. Ils confondraient l'imposture virtuelle et l'imagination. Pas d'apparition, aucune disparition. Un jeu à la fois contraignant, contraint et normé. Autres désirs, autres normes.

Le monde ordinaire, exempté d'ordinateur, semble toujours receler assez de surprises pour nous sortir de l'ennui où le confinement en chambre insonorisée, virtuelle, pourrait nous scléroser. La rencontre fortuite de personnages réels dans une promenade banale entre la Fontaine Saint-Michel et le Métro Pyramide est génératrice de l'histoire la plus prosaïque, inénarrable, véridique et sans le moindre intérêt émotionnel ou narratif. L'exceptionnel de second life est hystérique: vous ne savez pas à qui vous parlez!

Attendant le bus qui tardait à venir, un petit nabot (à caractère asiatique) s'est assis à mes côtés, bousculant une fois de plus mes habitudes, il a sorti une petite brosse à dents, il a sorti son petit appareil rose* assorti à son minuscule palais asiatique, il l'a brossé sans hésiter puis dans un déclic il m'a souri. Comme ça, c'est fait, ai-je minaudé, toujours un mot aimable, et encore (que) dans la première vie, j'aime ces pauvres que parfois le soir j'assassine.

(*) dentaire
aucun rapport, il faudrait relire Violette Leduc. C'est Michèle Causse qui m'y fait penser, elle raconte si drôlement les rendez-vous au restaurant, les engueulades, la trivialité.


Blanc noir et gris, 26 novembre 2007

C'est bien là où le bât blesse: le nuancier, (serait-ce un métier?), ferait défaut.
«Atténuer le noir» : synonyme* de «tempérer la noirceur» (?)
«Nature morte» : synonyme de «type sans vie» (?)
«se ficher en colère» : synonyme de «s'enfoncer dans l'ire» (?)

«Je vous prierai d'obtempérer» : synonyme de «sanctions s'ensuivent».
C'est là ou je voudrais en venir. Entre la prière de pure forme, l'ordre, la soumission exigible et la punition, individuelle ou sociale, les nuances viennent à manquer.

Pour atténuer le noir, rien n'atténue le noir. Black is black. Let's Go!

Nature morte. Trois pommes calibrées non par Cézanne, mais par la norme agricole européenne. Ne plus transiger. Aller là où il faut aller. Vite.
Se foutre en rogne. Est-ce nécessaire? Est-ce bien utile? Serait-ce efficace? Jusqu'à péter les plombs, rompre les amarres, disjoncter, risquer la rupture d'anévrisme et compagnie? Grève de la faim? Pourquoi? Efficace? Les causes manqueraient? Pourquoi faudrait-il chercher les motifs de colère au risque de les trouver chemin faisant. L'autisme ne présenterait pas que des inconvénients. Je n'ai pas vu la grève, qui n'a rien changé à ma façon de vivre, allant à pied sec d'un point à l'autre, par les ruelles et les avenues, détestant ces nouveaux vélos ingambes, beigeasses, ceux qu'on loue, ignorant les voitures et les taxis, méprisant les véhicules et les conduites intérieures aux vitres occultées, n'appréciant en ville comme à la campagne que le
1) sourd martèlement du cheval au pas, gris pommelé, sol humide
2) cheveux poivre et sel d'un homme qu'un autre jour j'aurais croisé (ou) que l'incurie d'un tiers aurait laissé à lui-même.
3) lumineuse et grise, l'indifférence nuancée du détachement, la gaieté désarmée d'une journée pluvieuse.

Terne? Aucun objet. Ni plomb ni zinc.

La poussière que le geste disperse
Par l'air retenue

Au gris des gris, aucune autre nécessité jamais ne fera votre loi.
Moins d'ironie.
A mes gris amaigris
Je dédie l'ode.

Dictionnaire des synonymes (Nathan) : Nous sommes dans le noir : incohérence, confusion. Noir : crasseux. Ténébreux, couvert, diabolique, illégal, clandestin. Avoir peur du noir : n'en mener pas large (l'obscurité me file les jetons). Là il balise.


Lieux des petites Folies, 10 décembre 2007

Les petites folies ordinaires restent à comptabiliser. «Elle est folle!» est l'une des insultes familières les plus utilisées dans la vie quotidienne. La folie se banalise. Ces petites folies logent non seulement dans l'escalier de la concierge mais dans l'esprit d'escalier.
L'esprit de l'escalier tient à la topographie des paliers. Nos perrons et vestibules, ouvragés et grillagés d'interphones ne laissent plus à ce fantôme de nos dernières minuscules libertés l'espace ni le temps de s'y glisser.
Les petites folies sont de type caractériel. Que l'une trépigne, chouine, larmoie, guerroie, aille et venge la gente entière, qu'elle s'apitoie, renonce, sombre en mélancolie, meugle, l'autre gît en pâmoison d'amour, tombe en déraison, brode, broie, que l'une s'ébroue, branle, braie, brise, trépigne en désespoir, s'asperge d'eaux parfumées, néglige son corps, affûte ses lames ou lime ses griffes, qu'elle claque le fric et flanque la trouille, file les foies, qu'elle souscrive aux cons colossaux, s'inscrive en faux, trahisse, s'active et se soumette, se démultiplie, se perde en vain don d'elle, non, les petites folies, les nervosités, ces impatiences de jeunes filles et ces virevoltes de rombières, ces éternelles complaisances ménagères, cette liste harassante des vices et défauts n'en fera pas une complainte*.

Telle est devenue la norme que l'escalier ne peut plus abriter qu'indifférence acrimonieuse, parcimonieuse et désormais comptabilisée. La petite folie n'a plus la moindre aisance aux entournures, j'entends par là de plis d'aisance, ce qui limite aux grandes folies les gesticulations spectaculaires de nos archaïques et somptueuses cinglées. Les petites folies ordinaires se tiennent sur un modeste agenda trimestriel à couverture de plastique grené genre fausse peau de chagrin, géré comme un porte-feuille d'actionnaire.

Nous avons gravi rue de Rivoli l'escalier adéquat où peut venir se loger raison et mille menues déraisons, dont l'esprit d'escalier, celui qui exige au moins deux marches à gravir. Cette spéculation ne va pas sans un changement intellectuel entre la première et la deuxième marche. Que dire si l'escalier en comporte trente. Que de perspectives, que de fuites, que d'escapades enchanteresses, que d'idées mobiles entre la cinquième et la douzième, que de fantaisies, combien de folies! Autant de caps en vue, autant de capitaines.
Nous allons établir une échelle de ces variations de l'humeur, nous allons les légitimer sans nous donner la peine de les justifier, nous conviendrons de les anticiper pour les excuser et nous les localiserons en les invitant à demeure.*

Toute femme digne de ce nom aura désormais le droit (et le devoir) de changer de menu entre le premier et le second étage, de tromper son époux entre le troisième et le septième ciel, de résilier son abonnement annuel imaginaire, elle pourra appeler les pompiers si l'incendie se propage là, nager dans la mauvaise foi, plonger pour dix piges, laisser tout à vau-l'eau, suivre sa nature, bâcler ses devoirs, mépriser les tâches ménagères, adorer le turbin, aduler ce grand crétin, lui peaufiner une virile vanité, elle pourra (et devra?) laisser s'amonceler la poussière dans les encoignures, oublier le pain, claquer le fric ou le donner à qui bon lui semble, taper du pied, hurler à la lune, bailler aux corneilles, vouloir contrôler le facteur et le multi-factoriel, en faire des tonnes, se foutre de tout, rêver tout haut, mépriser la richesse, épouser par intérêt, protéger le mendiant, cogner le veuf, changer d'avis, panser le veuf et nourrir l'orphelin, aimer et comprendre l'assassin, l'abject maniaque ou le braqueur sublime.

Et qu'enfin soit donnée aux petites folies de l'ordinaire une plus ample mesure.

* Aucun rapport, un seuil est franchi, la France invite Kadhafi sur le perron.


Lieux d'aisance, 21 décembre 2007

21 décembre, début d'après midi «le mystère de la sexualité féminine»*. Une moderne topographie confère à la Deux (télévisuelle, ça va sans dire), à l'heure où les dames et les demoiselles, les fameuses ménagères de moins de cinquante ans, toujours gaillardes, rêvassent, (mais ont-elles vraiment le temps de bailler aux corneilles?) une fonction nouvelle: la hotte du Père Noël. Qu'y trouve-t-on tout déballé par des petite vendeuses ad hoc et fun, mèches colorisées et bouches toutes luisantes de «lip gloss», dégoulinant d'une sexualité démonstrative, gentillette, normée, communiquante, conviviale, partagée, partageable, sociale, socialisante, rose, pashmina, douceâtre, gestuelle, précise, corporelle, indexée, indexicalisée, contextualisée, expliquée, pédagogique, fadasse; désamorcée, dénuée de toute image, réaliste, hygiénique, aseptisée, localisée dans l'aisance, cette fosse.
Sont alignées les invitées sur le plateau, celles, jeunes qui viennent de franchir le pas, elles ont connu le loup, d'autres, plus âgées, les pauvres, qui ont passé une vie entière dans l'ignorance, attendant d'un ahuri éjaculateur précoce ou brutus simplex la Fameuse révélation qui aurait pu les consacrer femme à part entière, leur Mystère béant à l'écran la révèle à l'aise. Il n'y a dans ce sexe ouvert et médiatique strictement rien à voir. Circulez. L'érotisme est ailleurs.

Que ce truc (la télévision) soit enfin devenu un vrai machin ne favorise pas vraiment l'exaltation des sens ni leur sublimation. On y voit un primat tenancier d'un sex shop avec une femme frigide que la patience (vertueuse) du conjoint aura réussi (bravo c'est un vrai boulot d'homme, une besogne, un devoir, un dû, une revendication) à sortir de la glaciation (point G, clitoris et trompes annexes), musardez, raisonnez trompettes on ne nous cache rien. On y voit une donzelle et deux fifilles, des dames emperlousées, empruntées, l'une timide, l'autre audacieuse et graveleuse, raconter à des millions de téléspectateurs leurs grands et petits mystères féminins de gynéco-sexologie, leurs misères et les ravissements cool d'alcôves Conforama. Une télévision sophrologique. La télévision, là, oui, bravo, n'a pas rechigné à la tâche, relayant, devançant, faisant et suivant, flattant l'opinion très en-dessous de la ceinture, aux pieds, par terre. On y est. Plus d'ombres propices. Pleins feux. Spots. Lumières. Allez-y, mettez la gomme, vous me relookez ça, la petite brune à mèche, devant, oui, du tact, du doigté, de la finesse, de la fausse candeur et vous faites grimper l'audimat aux moulures stuc d'un hôtel de charme faux luxe, copies Louis XV, dans la grande banlieue adultère.

On y est. Mettez-vous donc à l'aise! Défaites-vous! Allez, pas de gêne entre nous. Que l'impudeur aille jusque là! Hier, Bigard au Vatican, flanqué de la mère de Carla Bruni; c'est le cauchemar non climatisé, c'est là, tout benoîtement, étalé. Aujourd'hui, les petits jouets, les sex toys dans la crèche de Noël, les réjouissances organisées, le coup du Bigard sacralisé, là, oui, c'est là, ce cynisme, cette idée, ce truc, ce machin, ce scoop; si Bigard prie dix fois par jour, où prend-t-il le temps de peaufiner ces chefs-d'oeuvres humoristiques, sommet de l'esprit français? Si tel est ce Dieu, des médias; réceptacle et spectacle des prières de Bigard, Dieu, pardonnez donc à Bethléem mon athéisme aujourd'hui. Le lieu des obscénités dans l'acquiescement obligatoire, dans l'ignominie banalisée et rose. Bigard reçu par Dieu. L'enfer. La vie en rose.

* France 2 ­ 14h, «Toute une histoire».


Non, 3 janvier 2008

Pas de papouille zéro fête à la grenouille pas de famille pas de bûche pas de voeux pas de veau pas d'oeufs pas de gelée autant de moins cornichons baudruches te monte pas le bourrichon.
Plus c'est plus c'est plus c'est gras le lard en pot c'est gascon.
Pas de grâces pas d'aimables dindons pas de chapes de plomb pas de scrogneugneu pas de vieux pas de jeunes pas de bébés pas de bavoirs.
Pas de morts pas de vivants pas de morts-vivants pas de nés la nouvelle année.
Pas de sapin, pas de gratin repasseront pour la farandole.
Pas de schnaps ni de bouzouki pas d'osmose des nonosses aucun molleton.
Pas la dinde pas si petit le bigorneau pas le tourteau pas les douze pas les huîtres pas le fruit pas la mer.
Pas tâta pas Mimi pas le chapeau pointu, pas à tu pas à toi.

Par la bise venue par le froid répandu par la ville l'homme entendu.

Faudrait-il toujours l'appeler le vent d'hiver?


Délocaliser, 4 janvier 2008

Comme l'absurde proposition d'une installation de la ville à la campagne, ce constat simpliste: la banlieue à Paris et voilà le problème définitivement réglé. Essayer n'est pas une mince sinécure.
Prélever un échantillonnage et le transbahuter dans le 16ème, le 8ème, le 7ème, le 6ème, le 17ème (arrondissements). Transbahuter signifie retirer ponctuellement du «bahut» et mettre en route. Trans signifie à travers. Traverser. Prendre des chemins de traverse. Ne signifie pas, dans ce contexte, tergiverser.

Prenons ceux de là-bas, de la banlieue et emmenons-les ici. Ceux-d'ici, impossible de les emmener là-bas, ils préfèrent ici. On pourrait les comprendre. J'ai essayé en vain. Ceux d'ici, les emmener visiter les hauteurs de Montreuil, de Fontenay, de L'Haÿ-les-Roses, son air pur, ses curiosités, son mur, ses roseraies, ses vérandas, ses lutins et ses nains de jardins pavillonnaires. Personne au rendez-vous. A Vitry, le musée nouveau bien achalandé en pièces nouvelles d'art contemporain peut attirer artificiellement de nouveaux visiteurs venu d'Intra-Muros. Les hauteurs de Montreuil, hormis l'argument spécifique de la hauteur et de la distance nécessaires en toute chose pour que soit bien considérée la chose en question, n'attire pas foule et pour mieux dire, personne. Ne pas attirer foule ne signifie pas enfoncer des portes ouvertes. Si cela signifie ouvrir une porte béante (hermétiquement close), enfoncer une évidence, ouvrons l'huisserie, poussons, forçons les verrous, avançons ailleurs et plus loin, avant que soit retombée la poussière de nos chaussures? En délocalisant l'échantillon, en le transportant, nous ne déplaçons pas la question, nous la soulevons pour ainsi dire à main nue pour que ceux du dehors deviennent, le temps d'un transport, ceux du dedans (intra muros).

Leurs impressions? Là-bas, c'est vraiment autre chose. C'est différent. On ne peut comparer. C'est incomparable. On dirait une ville étrangère, aux pavés anciens. La vue du fleuve est magnifique. On peut s'y promener. On peut emmener des amis. Les parents aimeraient. Je kiffe. C'est un florilège rimbaldien. Je marche pas je rêve.
Leur montrer, à tous, à chacun du groupe, le passage et le prix de l'octroi de Paris au Musée Carnavalet, c'est leur montrer l'histoire du passage, la chute des fortifications et l'histoire des pouvoirs et des libertés arrachées. Qui leur aurait jamais dit que ces libertés leur auraient été un beau jour concédées, discutées et refusées puisqu'elles vont de soi. Plus précisément, elles viennent d'eux, du tréfonds véridique d'une parole qui dit : «eux ce sont eux, et nous c'est nous». Eux, ce sont ceux de là-bas (installés en terrain conquis depuis toujours, chaque table de facto occupée, chaque chaise, toutes les places gardées d'une cafétéria d'un grand musée du Rond-Point des Champs Elysées), qui sont ici partout à l'aise, partout chez eux ad vitam, partout en terrain conquis d'avance. Ce terrain conquis d'avance va de soi qui revalorise une banlieue en termes de propriétaire foncier (charmant pavillon 2 niveaux, véranda, possibilités aménagement d'un atelier, agrément d'un jardin ouvrier).

Que transbahuter la banlieue dans le 6ème n'aille pas de soi, c'est une évidence et comme telle, difficile à démontrer si l'on refuse de considérer comme un paramètre du modus vivendi le prix d'un seul ticket de métro jusqu'à Paris, sans compter le retour en banlieue (nécessaire et souvent obligatoire).


Archéologie et mythes fondateurs, 7 janvier 2008

Les représentations des mythes sur les vases peints permettent de se figurer les héros, entre la réalité historique et la légende véhiculée.
Les épopées, récits de hauts faits guerriers, comme celui d'Achille dans l'Illiade ou d'Ulysse dans l'Odyssée, ont été racontés par des chanteurs, des aèdes inspirés par les Muses, filles de mémoire.
La mémoire historique de la Grèce se retrouve donc véhiculée par le récit littéraire et poétique oral et l'aboutissement en est l'oeuvre d'Homère (750 ans av. JC) qui augure la littérature en Occident.
On peut chercher et trouver les liens qui sont tissés entre la poésie, la rhapsodie, le théâtre, la littérature et les faits historiques les plus précis, datés scientifiquement. Ces liens existants et tangibles, sont partout visibles et consultables par tous les citoyens aujourd'hui dans les musées, ouverts à la curiosité des chercheurs. Le premier, a été créé à Alexandrie, en Egypte, par les grecs, dans une bibliothèque qui est un lieu culturel et scientifique et déjà moderne dans son esprit systématique. Il trie, rassemble, classe et analyse en opérant des rapports culturels de causes à effets.
Il n'est pas un élément de la vie quotidienne (ethnographie) qui ne soit relevé par les artistes grecs sur les amphores, les vases, les coupes, les cratères. Ainsi on verra dessinée et peinte dans ses moindres détails la technique des arts de la guerre post-homérique pratiqués par les phalanges hoplites, où chaque citoyen athénien participe à la défense de la cité: l'armement se compose d'un heaume, d'un corset, de jambières, d'une lance haute et d'une épée courte. Le soldat est protégé par un bouclier rond à double poignée interne en bronze, bois ou cuir (fresque peinte sur un vase protocorinthien, trouvé villa Giulia, à Rome, en 640 av.JC). Les Hoplites sont soudés les uns aux autres par un serment qui les lie à la défense de la communauté en armes, réglementée par l'égalité et les devoirs de chacun, dressée en phalanges par la discipline guerrière à défendre la cohésion de la politique athénienne, par et pour le peuple.
Ainsi les rapports entre la représentation artistique et la vérité historique sont-ils étroits. Les analyses faites des documents et parchemins, avant de livrer une évocation poétique, une impression vague et subjective des temps depuis longtemps révolus, permettent de révéler de façon précise, souvent par une datation chimique des éléments matériels qui composent le document, les conditions politiques, économiques et culturelles des mythes des légendes et des histoires qui ont fondé les différentes civilisations.


Proches et lointains, 14 janvier 2008

«Peut-être l'art n'est-il qu'une tentative prométhéenne de fixer ce qui, par un décret des puissances suprêmes, doit être entraîné et anéanti. Peut-être que Baudelaire croyait être le plus haut témoignage que nous puissions donner de notre dignité, apparaît-il au contraire à l'Etre infini comme un effort dérisoire pour contrecarrer ses desseins. L'oubli est la loi inéluctable contre laquelle désespérément nous nous insurgeons.»*
Que subsiste toujours un lieu idéalisé d'une enfance perdue contribue à nous maintenir dans l'illusion de retrouvailles toujours ajournées. La nécessité nous impose d'une récréation, le loisir d'un transport rendant artificiellement vacants, transbahutés une heure durant, les jeunes gens et les filles accompagnés. Deux d'entre elles, malgré le bruit, les portes refermées et le couinement métropolitain des signaux, s'endorment, la main posée sur la vitre du véhicule trépidant. La première tentait, déjà à Nation la lecture diagonale, énervée, à très grande vitesse, d'un long article de René Girard**. «Souviens-toi!», c'est l'ordre édicté par la rapidité du transport obligatoire. N'oublie rien de la fatigue non pas désespérée mais désenchantée des étudiants à qui nous tenons compagnie, les yeux fermés entre Miromesnil et Iéna. Que resterait-il à leur offrir sinon le seul luxe qu'il nous reste, le temps concédé. La parcimonie est désormais une règle ambiante.
Un jour à Bayeux, la côte n'est plus si loin, une heure à Saint-Germain-en-Laye, quinze minutes de retard et jamais rien de plus. Une grippe diplomatique, les soins dentaires indispensables, un père retrouvé, autant de prétextes pour suspendre dans le refuge et le retrait l'obligation où la contrainte sociale nous enserre. Une soustraction plus qu'une distraction ou pire un vol de temps, ce délit absurde et insolite, le temps d'une clope cachée ou pourquoi pas, d'une tasse de thé! Se soustraire, temporairement ou définitivement, par la maladie, l'échec ou la mort à l'implacable exigence sociale, notre quotidienne folie, est souvent pour certains d'entre eux, si proches encore des étés de l'enfance qui perdure en eux, la seule issue, dont l'élégance silencieuse et solitaire me glace d'effroi.

*François Mauriac «Nouveaux mémoires intérieurs»
**René Girard «Les signes apocalyptiques du monde moderne» dans «Le Monde des religions» janv-fév 2008 (n°27)


L'éloge de l'autre, 15 janvier 2008

L'autre, la grosse à poussette! Il ne faudrait pas en parler. Où les mères pullulent et soudain, grandes causes, petits effets, les enfants prolifèrent (statistiques de l'INSEE) ou je ne sais plus où me mettre. Quand ce n'est pas l'un c'est l'autre, s'il y en a un, il y a l'autre. Un nouvel avenant collé aux parois du véhicule (122) indique qu'en fonction de la (nouvelle) citoyenneté 2008, ce sentiment qui honore non seulement les uns, mais aussi les autres, nos hôtes adorés, les poussettes (pas plus de trois, voire quatre) doivent être repliées en cas d'affluence. Replier la poussette d'un bras, tenir le bébé (11 mois et demi) de l'autre. On regarde le dessin collé à la paroi, incitateur. Tenir parka, fenouils, carottes et couches entre les dents? Le 122, hormis à l'heure exceptionnelle qui précède le petit goûter des uns, correspondant à l'heure de la sieste chez les autres (plus de 65 ans dans le Quatorzième Arrondissement avant le rendez-vous chez le sino-endocrinologue-acupuncteur remboursé par la SS), la sortie des écoles est toujours soumise aux conditions impossibles de l'affluence, des pressions, des coups dans les tibias et les autres rotules; conditions dans lesquelles je n'ai vu jusqu'à ce jour qu'amabilités, surenchères, assauts de politesse, connivences, petites et grandes rigolades, quolibets et concours d'amicales moqueries, échanges gracieux entre le conducteur, le conduit, le conducteur et le transbahuté. Pas un seul éconduit, sur ma mère la vérité.
Que le transport soit le media, le transbahutage, le lieu (Logos) m'avantage. J'y suis contrainte, allant par exemple de la rue du Faubourg Saint-Honoré (Soldes chez Machin) au Marché de Saint-Denis Basilique (ses grand rois illustres et ses fameux pauvres). J'ai vu le tout petit coeur du minuscule dernier roi confit comme un pruneau et ramené au Lieu de la royauté. A deux pas du parvis, enfin parvenue aux lieux d'une humanité plus relative, à relater, les manants ramassant pour l'écuelle les fanes de fenouil à terre à la fin du marché, jointes aux branches de céleri (fan club du pauvre).
Ce véhicule, lieu captif, permet, en position passive/active, d'observer tout ce qui se passe et qui lasse, la prolifération des poussettes, la priorité des poussettes, la haine des poussettes, la multitude des poussettes, la sympathie inhérente, manifeste, obligée, accordée aux millions de bébés véhiculés, l'obligation d'un seul sourire dispensé par la magnanimité d'un caprice (mon sourire et je hais tous ces bébés) quand il ne faut pas hisser le véhicule (la poussette) dans le véhicule (le transbahut) ce (fameux) moyen, le 122, d'une locomotion obligatoire, durant ce temps perdu du transport, mais, ma Mère! combien de millions de secondes?
Où dois-je en venir? Nulle part, au sens strict (stricto sensu). Fuyons! Gagnons l'Espagne par l'Andorre. Allons-y pendant qu'il est encore temps, je connais un passage par Travesserras. Vivons enfin de notre pêche. Mangeons là sur le pouce à l'escabèche ou pendant la saison, faisons la fiesta pas trop loin d'Ibiza (presto!).
Dimanche, les poussettes étaient rentrées, laissant la place au (fameux) mendiant-bouffon de type libanais, celui qui fait tant rigoler, il pourrait, pourquoi pas, être Iranien, pourquoi lui, celui qui exploite la rame, la barre médiane, qui l'escalade, qui la chevauche, pirouette rythmique, virevolte, sautille, atterrit dans le tempo, saute, s'envole, triple saut périlleux, repoussant aux lundis, jours de l'achat des couches, les poussettes, les multiples grosses mamans silencieuses (baby blues), celles qui barrent le passage, celles qui occultent, celles qui gênent*, les hôtes, mes autres, les miens, les miennes. (Demain faire l'éloge).

*Gehenne, l'enfer, c'est les autres de l'autre, d'une altérité plus sartrienne.


Les Suisses aussi sont secs, 22 janvier 2008

La Cité des Arts devant la station fermée de Pont-Marie accueille une exposition sur l'art Australien et l'art aborigène dans ses vastes salles grandes ouvertes sur le fleuve, la lumière dispensée des quais espacés.
Le petit groupe d'étudiants qui se sont joints à la visite fait face à la commissaire* dans un jeu de miroirs à plusieurs facettes. Complexes et simple focale. On y va. On regarde. Dehors, le vent et la pluie en rafales. Les jeunes, dépourvus du moindre préjugé en matière artistique, enfoncent un à un tous les poncifs au marteau piqueur. On approuve. La commissaire applaudit et surenchérit. On avance. Face à eux, les oeuvres, photos, sables, coquillages, peintures aborigènes vendues autour du monde entier la peau-des-fesses, face à eux, en eux, coule une parole étrange et familière. Là, en lettres lumineuses, Alien, l'autre étrangeté. Ici la violence est partout, que l'on désarme, dans ces portraits dévisagés, qui sont ces hommes? des australopithèques, ces repris de justices? que des racailles? demande le garçon. Ces blazes, t'as vu, mais dis-moi, les yeux, la tronche, patibulaire, pas si suisse que ça.
Et nous aussi sec de dégoiser, l'art premier, le dernier de la classe, et vas-y et c'est beau, et là, pourquoi cette veste, une vêture d'éboueur avec des perles des îles, et les petits points et les codes et les symboles et ceci et cela, et les Belges et Tintin et la Culture et la médiation jusqu'au moment où l'un d'entre nous cherchant, on le comprend, l'issue de secours au second étage, aurait déclenché l'alarme, distrayant tout le cercle enchanté de la conférencière.
Je priai les ancêtres

(Edmond Campion, le saint, équarri martyr,
Ascendant, du bûcher renais des cendres, dis-moi tu,
Toi le valeureux, sois avec moi,
Astre des temps révolus,
Eau limpide des âmes,
Source des larmes, mon salut, ma mémoire,
Exemple des coeurs, clé des âmes, intercède en ma faveur, accorde que je te tutoie, ordonne et fais, protège l'innocent, Stridences célestes,
Edmond-Tonton toi t'as tout! fais et dis que l'alarme ne soit pas reliée au commissariat!)

Les Arts Premiers! à trois on se casse tous, sauve qui peut, Alien qui veut!

Je suis.

* Géraldine Le Roux, anthropologue à l'EHESS et à l'Université du Queensland


L'éloge de soie, 29 janvier 2008

Les Olympiades abritent les galeries asiatiques où se vendent les soieries et quelques miroitantes robes aux sept couleurs d'un arc en ciel acrylique. Trompeur soleil du Levant.
On ne parle jamais de soie, on s'en fout, mais plutôt de l'Autre, qui lui, luirait se levant tôt, lui, ne se gênerait pas -il s'appelle Eugène-, elle c'est Jennifer celle qui gêne et qui sait faire, pour marcher sur les pieds et si l'occasion s'y prête les piétiner de concert, l'un n'allant pas sans l'autre, les deux faisant la paire.

Ici le détail-blog de l'emploi du temps, sans le moindre intérêt, pour soi comme pour l'autre truie, Jennifer ou sa colocataire du même acabit au minois menu de rate grignoteuse, celle qui est capable de boulotter à elle seule, mine de rien, un câble électrique dans la journée.
-Jeudi dans la nuit, illustration des fables de la Fontaine, où je mis à profit l'enseignement qu'il me fit à Château-Thierry, l'autre fief où nul autre fieffé ne pourrait être admis sans être frappé par la foudre. Que faire du livre? Le punaiser au mur?
-Vendredi, travail théorique sur l'image et l'iconoclaste. En pure perte. Colles et ciseaux, les marques, la publicité. Duracell/Sarkozy c'est facile. De la colle, et on le met sur un bateau, mais on est dans la fiction et on y reste, là où coulerait toujours la rivière Yamuna, au Taj Mahal. Splendeurs et glacis des Images. Ils parlent d'auto-censure. Tout le monde rigole? Non. Rue Château des Rentiers, et c'est à deux pas, je vais aller voir sa tête. Au trader de la Société Générale, tout seul truqueur, voleur, trader/traître (?) en garde à vue devant tous désigné, puni ou coupable. Les journalistes. Tiens, j'y vais tout de suite et je vais au pain (littéralement) et au turbin de la banlieue.
-Vendredi après-midi, Je besogne. La médiation. Il faut relire Gombrowitcz , plus bourreau que victime, ça reste à voir. Les tantes culturelles, si pédagogues, défauts d'icelles. Incident à la Cité des Arts. L'hystérie des nantis. Raconter ça? Une amie m'exhorte: vas-y, écris le! une autre: envoie-le à Libé. Non! Cette femme que la peur et la haine défigurent! La décrire? Pourquoi? A quoi bon?
- Samedi. Oxford, Edmond Campion. Non, plutôt chercher en Irlande. Bibliothèque familiale, rien. Les bois de la baie d'Authie. Les soles brillantes, à peine sortie de la mer, juste grillées. Ces gens avalant des monticules de fruits de mer, s'en foutent plein la lampe, plats coûteux, bâfrent, les conversations, peu, pas un mot derrière moi, cliquetis des verres de vin blanc. Le regard baissé des époux, face à face, devant les algues, les huiîres et la glace. Cette odeur nauséabonde des rince-doigts au citron vert senteur synthétique des Caraïbes. Comment disent-ils, on se fait une petite fête? Quelque chose de classe. Chez Mado, la reine mère du maquereau et des bigorneaux. C'est le mot élégance qui me dégoûte. «Aux chiottes les velléités d'élégance!» aurait dit mon père, ce grand seigneur. La vérité ne pourrait être une posture, sa quête, souvent simple malentendu avant l'imposture.
- Au cimetière, la tombe d'un accordéoniste, celle d'un chasseur, perdrix et courlis frappées dans le marbre, le couple des Polonais et pourquoi donc Coco Belleux, là, juste recouvert de terre et plus loin, un jeune motocycliste dessiné dans la pierre en mouvement, frappé dans un virage un vendredi, ça n'en fait pas un ange.
- Le cimetière chinois, ceux qui sont tombés en 14-18, je les connais. Je ne connais rien. Terre close. Leurs noms.
- Cette émission de variétés, Energie, les jeunes, ce qu'ils osent, ce qu'ils craignent.
- Oser sans élégance. Les soldes en Angleterre, pratique, on y est en deux minutes. Détestation. Y aller là-dedans, l'achat. Les chaussures! L'argent. Le fric. Le pèze, son élégance, le pognon, son élégance. Pierre-Elie qui dit «tu devrais travailler ta foulée pour rattraper le bus!». Lui est dedans les pieds calés. Il regarde passer les vaches. Il reste dedans. Les pieds en sang? Victime. Non, ce n'est pas tout à fait ça. Dedans. Dehors. Les limites. Lignes de fuite.
- Ce film «Gone, Baby gone» dimanche, salle bondée, comment s'appelle la poupée de l'enfant retrouvé à la fin de la projection?
- Les images de la fourmi au microscope à balayage électronique. Ces yeux multiples sans cils me scrutent. Je n'avais jamais vu que le dos de la fourmi portait des minipoils. Avec tant de fardeaux portés, elle garde des poils inusables, ça m'épate. La cigale a le poil dans la main. Faudrait-il le regretter?
- Orfeu Negro, c'était si beau. Là, dans la pile, on trouve la partition. Do7. Sol7 ad libitum. Dans pleurnicher, il y a nicher, très lourd. Pleurnichons peu!
- Bon, la description de la fourmi. Commencer portrait de Jennifer pauvre salope, celle qui moralise par calcul, oui, portraits fictifs de vrais faux-culs.


Bizarre, Bizarre, vous avez dit Bigard? 1er Février 2008

Le 9 septembre 2001, par provocation, j'adressai à un éditorialiste du Nouvel Observateur un substrat d'insanités sur l'ineffable Bigard, qui, s'il n'appelait aucune réponse, faisait néanmoins l'éloge de la ménagère de plus de cinquante ans et le procès de toute vulgarité, y compris dans les prétentions alambiquées des chroniqueurs, les nôtres, à la distinction. Il y a dans la prétention intellectuelle une vulgarité insupportable parce que masculine et communément tolérée. Or ce qui est commun est vulgaire. Ces gens sont vulgaires, je n'en voudrais pas chez moi, qui ne prétends qu'à la paix dans mon salon et au droit à la sélection. Je ne fréquente que des voyous -c'est dire la difficulté d'une sélection rendue de plus en plus ardue au delà du périphérique- tous dotés d'une certaine distinction. La canaille des salons! Quand les maîtres, nos mecs distingués en ethnologie, nos cousins adorés, incestueux, notre tribu au sang de navet, le village où nos mecs, nos cousins, ceux de notre groupe dégénéré par l'alcool et le désespoir, mes indiens sans cause, connaissant les règles d'alliances et de mésalliances, nous échangeaient, corps de rêves, minois jolis, nichons fleuris peu Bovary, il ne manquait pas un loup de la horde pour nous hurler à la pleine lune dans l'auditif la conduite à tenir: lis Untel, relis Untel, va, vois Machin, cire-lui les pompes, vas-y, et pourquoi pas -c'était implicite ou délicatement suggéré- c'est un homme merveilleux.
Le seul à n'avoir pas chanté cette berceuse qui nous endormait à la lune ennuyeuse, c'est Robert Jaulin, esprit et mémoire des airs, avait une certaine distinction naturelle, il courait plus vite que l'indien et savait vivre comme il sut mourir, gaiement, sans bramer l'adieu aux siens comme aux chiens et sans faire le moindre embarras.
Aux nues il plut hier comme aujourd'hui.
Les autres sur la tête de ma mère tous racaille et compagnie sauf un (maquis caché).
Que signifie vulgus? Commun. Le peuple n'est pas vulgaire. La vulgarisation est vulgaire. Le banlieusard n'est pas vulgaire, la démagogie est vulgaire. Le bus 122 n'est pas vulgaire, le GPS est vulgaire. Il est préférable de s'énerver en vain contre la démagogie, c'est un argument, c'est une stratégie éditoriale, c'est aussi vain que de discréditer le GPS, la gestion du stress new-age, le culte du développement personnel, les soins esthétiques pour hommes, la lutte contre les trottoirs salis, c'est une cause entendue, la mégalomanie d'Armani. Il est préférable de s'indigner en vain, la bouche en cul de poule contre l'impossibilité de l'indignation pour que tout s'apaise à la maison.
Lisant Gala chez le coiffeur comme tout le monde, je tombe comme les autres tondus et coiffés, sur quelques pages sublimes: une actrice italienne, tenant une guitare page tant, souriant de profil page tant, et disant page tant «je sens que je ne suis pas prête» et ailleurs, en gros titre, quelque chose du genre «Alala! madouébeniget, mais quest-ce que je m'ennuie quand je suis contrainte et que je suis pas libre de chanter ma life». Va-t-elle obtenir ce taf, d'épouse c'est difficile à pronostiquer. Elle a une bonne tête, elle peut avoir des mecs bien, tous les beaux gosses, je ne lui veux aucun mal, mais qu'elle n'épouse pas n'importe qui. Elle a été distinguée parmi tant et tant d'autres à pourvoir, il lui faudrait désormais comme tout le monde distinguer ce qui est fun de ce qui est trash. Fun, c'est «j'ai testé pour vous Sarko, c'est vrai il ne sait même pas jouer aux échecs, tout compte fait, je préférais Fabius». Trash, c'est ce qui va lui arriver si elle se conduit comme Madame Coty. C'est horrible. Il lui faudrait apprendre le tricot, comme Britney Spears, Madame Coty et Madonna. Si elle tombe enceinte, il lui faudra attendre au moins huit mois la naissance du petit roi de Rome, ingurgiter de l'huile d'argan et le faire savoir par césarienne chez Ardisson. Elle ira à la télévision avec Mireille Dumas qui l'interrogera sur les bienfaits de l'huile d'argan et les merveilles du renoncement et de la lutte contre les vergetures. «Alors, Carla, heureuse?» On entendra ça. «Puis-je vous demander madame, avec votre respect, si votre mari est un authentique queutard comme ce fut dit par sa précédente et romanesque épouse dans la littérature en tête de gondole?». On est là-dedans, avec Tom Cruise en arrière-fond scientologue d'une pensée positive qui nettoie tout et la fumée des cigarettes et le pas-net, sans rémission possible. La personne italienne va-t-elle supporter les difficultés d'une charge rendue aussi difficile, les innombrables voyages contraignants à l'étranger, le jet lag qui donne des rides, les insupportables visites aux insupportables couturiers cyclothymiques, vitrine de la France, Paris merveilleuse Ville-Lumière, fille aînée de l'église, pionnière, intelligente, intellectuelle, tête chercheuse du monde, vendue à l'Arabie Saoudite, pactisant avec l'alibi du VRP commercial, moderne, vendue à l'encan, à la diplomatie définitivement bousillée malgré le docteur, aux réseaux démantelés, aux finances ébranlées, aux corporations détruites, vendant son patrimoine culturel aux plus offrants, détruisant, modernisant, globalisant l'idée même de culture, vendant, modernisant, harmonisant, anéantissant tout en un temps record d'une braderie éhontée. Pas le temps d'un soupir!
Mais que Bigard soit devenu l'étalon or du caca-boudin et de la distinction soldée en-dessous de la ceinture, la moutarde du 9 septembre 2001, celle qui a initié ce projet des turbulences, me remonte au nez de fureur. Les dernières préoccupations des ultimes journaux télévisé bigardiens*, comme on dit bourdivins et sacrénom de Bourdieu la prophylaxie des toilettes en maternelle et les difficultés intestinales de nos petits mimis scolarisés souffrant de "constipation chronique", celle de l'expertise médicale mandatée par le journalisme distingué à la télévision à une heure bénie que même l'ami Ricoré, le dernier des amis, le premier réveillé, toujours là et positif au soleil souriant comme Tom Cruise, aurait désertée.

*Bigardien : deux fois gardien du sens.
Disant à Montreuil le mot "stoïcisme", on crut à une maladie! (non transmissible)


Régalien?
(Notes de nuit dimanche) 4 février 2008

Plutôt que de lire lundi toute la presse titillée et réactive à l'annonce du mariage élyséen, je préfère penser une idiotie, un pauvre lieu commun. La publication des bans n'a pas été faite en temps et en heures légales. La veille, ce mariage était prévisible. La stratégie est-elle cousue de fils blancs? Souhaitons aux épousailles le meilleur et basta! Hasta luego! Une croisière en Mer Egée! photos? Croisons les doigts! Quant à la simple petite robe blanche, la réquisition du maire (c'est lui qui le dit à qui veut l'entendre aux portes du palais) à domicile, l'usage privatif des lieux de la république, sans représentation, sans invitation symbolique, sans diplomates, sans diplomatie, sans rituels de la république, sans tenir compte des usage publics ni des usages privés, avec quelques photos volées, d'une vie privée, qu'en dire sinon que c'est une filmographie où le fantôme de Visconti n'aurait certainement pas été requis en voiture de fonction, ni même invité à l'office. Il l'aurait désertée sans y jeter un oeil. Ceci, jamais vu, n'impliquera aucun effet de sidération chez les contempteurs, nos contemporains et concitoyens.

Curieux, c'est par Paul Celan et Martine Broda que j'avais remarqué, avantageuses, la taille et l'envergure, avantagées, des ailes icariennes prêtées par les dieux à Villepin songeur. Un ami polonais m'avait parlé de la traductrice de Celan, publié aux Cahiers du Nouveau Commerce et je m'étais abstenue de tout commentaire. Je ne peux m'empêcher aujourd'hui, mettant en rapport la sérénité de l'ex-insomniaque en échappée belle et la nervosité compulsive de notre actuel président pirandellien* ­ de penser que l'albatros aurait non pas le dessus mais "gain de cause". Il semble encore convaincu, sur un plateau de télévision, des bienfaits du nectar et de l'ambroisie distillés au goutte à goutte et tous les jours recueillis. C'est étonnant, peu politique et suicidaire. La poésie ne sert rien ni personne. Elle n'est pas un état de grâce. Plus cruellement, elle ne pourrait se porter garante. C'est la force de sa faiblesse. Elle passe où rien n'est entendu. Les artifices de l'hexamètre! Tout est faux, bidouillé, chaque phonème à l'arraché, trafic, tout est usiné, nocturne, chaque sonnet fabriqué mot à mot à partir du néant pour survivre à l'humaine solitude. Personne ne convoque Rimbaud en colloque.

Le Président Sarkozy, lui, voudrait faire ce qu'il dit, édicte ou ordonne, il usine le jour et réalise la nuit, il plie la réalité à sa propre loi dans une action qui le brisera sans qu'il puisse jamais décoller de la glèbe. Qu'il joue avec les symboles, c'est une autre affaire! Pour ce jeu risqué, il ne faudra pas quérir, en l'honorant, Edgar Morin, c'est insuffisant pour le crédit à venir s'il avait vraiment besoin d'une pseudo-caution intellectuelle. Il ne lui faudra pas rendre compte, il ne tient aucun compte, ni de la parole, ni de sa parole ni de la fidélité, ni des fidèles, ni du temps, ni des infidèles, ni de l'espace, ni du silence, ni des mensonges. Il est dans sa fonction, il l'agit, il l'agite, il ne la représente pas. Il est acteur, producteur, réalisateur et diffuseur de son propre scénario. C'est une fiction hyper-réaliste, à la fois étrange et inquiétante. Il n'a pas de scène à sa liaison comme à son divorce, comme à son remariage, il y a une violence de la représentation présidentielle et dans son trucage réaliste, il y a une forme d'ob-scénité.

Curieux, le style littéraire des politiques, ils écrivent comme s'ils devaient égaler tout à la fois Marc-Aurèle et Jules Renard. Trop grand ou trop petit.

*Henri IV, Pirandello


Dur de la feuille, 20 février 2008

La mouche ne descelle ni le secret ni la bouche
que dirais-tu, toi qui passes du vent qui parle?

J'ai vu au Musée Cernuschi un oiseau en bois comme étaient faits les appelants Baie d'Authie 

Sons d'automne
L'autre femme sur l'étau avait lié les soies, une goutte de cire coule sur le bord de la sandale.
Et tu n'entendrais plus vers la mer le souffle de la flûte di?
Je ne te crois pas.

(Sonotone)
(La haute rame sur l'étang avait nié les lois, une goutte du Sire coule à mort, du scandale
Et tu n'étendrais plus vers l'amer le souffre? Dis c'est du pipeau?
Croix de bois.)


Dame de l'Oronte, 25 février 2008

Voilà, toujours là, face au dieu de l'orage, la dame en oraison.
Noter. Les yeux, les dessiner de mémoire, le nez, pas de bouche. Portage de l'agneau, la tête sacrificielle reposant sur l'épaule gauche.

Face aux inepties plus qu'une seule lettre à changer, l'inertie. Les inertes, mouvement ultra-actif des rombières de l'ex Gauche prolétarienne. Mais qu'est donc devenue Suzon et son poil au blason, toujours si véloce?
C'est le mot 'noter' qui s'impose auquel se joint une docte passivité, à contre-courant. Le seul mouvement mobiliserait toutes les forces pour n'être pas emportée. Flux des gens.

A la gare du Nord, l'arène et les gros camions Montoya. Les musiciens en bandes reprennent le train en jouant le même air de parade. Les fragments de papiers brûlés retombent jusqu'aux bordures des quais. Cette femme carrée, avançant sur les dallages comme une figure d'un jeu d'échec monumental. La tour avance. Sa fille, la tourelle sauteuse, fonce en diagonale vers un long type à rouflaquettes, chaussettes et tongs, tenant ce que je prends à tort pour un banjo américain.

La pluie, les parapluies de toute la ville, dans un mouvement lent et coloré, la pluie attend puis accompagne le départ des musiciens. Un type pris pour un moine en surplis, erreur monumentale, c'est un visiteur en imperméable couturier dans une matière expérimentale du futur, une tentative, le recyclage des vieux sacs de la cimenterie voisine.

Tous ces jambons au marché central, une armée charcutière, puis des fraises, puis des anguilles et des fleurs et des fruits de mer et des douceurs aux amandes et des pâtes de mandarine et des confiseries aux pignons.

Je me souviens être allée seule et tôt vers Aranjuez, un jour, bien décidée à débusquer les autres secrets sans mystification, la marche rapide, celle du matin dans les allées du jardin.

Qu'une seule fois les promesses d'une réunion ne soient pas tenues et c'est le monde qui s'effondre. Ils arrivent les uns après les autres, des dizaines, serrés dans l'uniforme de la fanfare, naturels. Chaque plan les montre tels qu'ils sont, ceux qui attendent que soit donné le départ. L'un d'eux ne parle pas. L'autre tient la anche entre les dents, ajustant les différentes parties de l'instrument dont le boîtier reste posé sur la Fontaine de Neptune.

Quand le cortège s'ébranle, nous suivons en cadence, comme si nous étions toujours de la famille. Depuis le temps, personne ne s'étonne plus.


La ciudad huele a Fallas*, 3 mars 2008

L'éventration des larges avenues vers la cité des Arts augure mal la sortie matinale. Que des hommes et leurs compagnes, venus de toute l'Europe, puissent boire et festoyer sans discontinuer, cela n'ajoute ri ne retranche rien au fait que les abords de l'auberge sont cauchemardesques. Résister, le dimanche désert, à cette impression d'avoir survécu au cataclysme après les pétarades et les explosions diverses, c'est rejoindre l'accalmie des lointains, nuages éclairés par l'espoir d'un retour imminent au bercail, au-delà des limites de la ville, moderne et désuète.

Les dresseurs de dauphins, munis de sifflets à ultra sons, athlètes dévoués à la cause animale comme à l'amour des cirques bondés et populeux, mènent un ballet pétillant, enfantin, optimiste, turquoise, plouffant, piaffant, caracolant, synchronisé, professionnel, poissonnier, répétitif, jeune, débilitant, vieux, virevoltant, ils sont vêtus d'une combinaison qui les protège dans cette eau glacée, montrant une musculature sans faiblesse, une détermination sans faille, un positivisme sans une seconde d'hésitation. Les dauphins suivent le rythme, ils gobent en saut périlleux, sous les applaudissements de la foule ravie et passive, les poissons que les maîtres du ballet leur lancent comme récompense.
Plus loin, dans l'excavation d'une nouvelle construction, un chien noir et blanc divague, rescapé d'autres âges, sans que personne de l'assistance ne puisse affirmer qu'il est ou non porteur de la rage. Il apparaît souhaitable, pour l'excellence d'un compte rendu à la ville et pour le bon déroulement, à jamais innocenté, par et pour le peuple, du ballet des gentils dauphins, qu'une menace plane, lointaine et proche, la rage venue du Maroc, les menaces terroristes, le coma éthylique pour les plus enragés des fêtards venus d'ailleurs. Ce serait un fait divers, qui savait que parmi les chiens, celui qui a transité jusqu'à Tarbes a mordu au flanc gauche un chien espagnol qui est là dans cette ville pétaradante, attendant à la sortie un dresseur de dauphin, ce superbe specimen, un sportman invincible dressé aux States, ce magnifique ami des bêtes de niveau international? Qui saura arrêter la menace qui plane, le chien, cette bête rageuse du Moyen-âge, narguant Pasteur sous notre nez, compromettant la beauté, la candeur, la sérénité, le bonheur, la joie, la paix, la fanfare, la parade, le défilé, la cathédrale et son parvis, les familles et les familiers, les visiteurs et leur visite.
Et c'est à toi que je m'adresse, vieille branche! Gaffe à dimanche!

Micalet n° 941 - 22 de febrero de 2008 - Semanal gratuito de ocio y actualidad «Valencia huele a Fallas»
- Valence sent les "Fallas" (fêtes de la ville)


L'énorme norme, 27 mars 2008

C'est au passage du bac que je revis le Normand que j'avais croisé un jour, le monde est vraiment petit, et c'est hier, au quai d'Alma-Marceau en partance pour une croisière fluviale d'une heure avec quelques Huns et des Wisigoths d'origine.
Ce Normand-là, nul ne le contesterait, n'est pas si anodin qu'il voudrait nous le faire croire. Il est d'un roux tirant sur le blond, le teint clair, les yeux fendus et d'un bleu franc (comme jamais n'eut la Manche qu'il traversa à la nage, sauvé de la noyade in extremis par le canot qui suivait la performance). Pure forfanterie. Désespoir sentimental. Lui, sportif? Il n'a pas tout-à-fait le profil. Il porte une vareuse en fibres ignifugées, peut-on savoir pourquoi, il n'est ni vraiment stupide ni complètement intelligent, je dirais en toute partialité qu'il est assimilé à tout l'environnement qu'il côtoie, forçant un peu son naturel. On ne peut parler d'intégration. Il ne se présente pas à nous disant je suis Daniel vous savez, celui que vous aviez un jour croisé entre la rive et l'autre, le temps d'un embarquement, le temps d'un feu passant au vert, le temps de supputer dans l'auberge de la rive opposée le nombre de couverts encore disponibles (à cette heure tardive d'un dimanche pascal).
Entre hier, jour de Pâques et le moment où j'évoque déjà son fantôme -les temps sont-ils de plus en plus hâtifs?- il ne s'est pas écoulé une dizaine d'heure sans effroi, que le voilà qui surgit, le Normand, et de la poche d'une vareuse triplement sécurisée, en prévoyance de cataclysmes inespérés, dépasse un léger branchage, les feuilles tendres (translucides) d'un peuplier. Où l'a-t-il déjà cueillie, lui par ailleurs si raisonnable, avant même que les premiers bourgeons chez nous, vers Ivry, éclatent enfin, c'est difficile à savoir.
Rien, dans le comportement de ce Normand-là, oserais-je dire le mien, non, ce serait trop ridicule, rien n'est vraiment normal. Son nom? Je ne sais pas.


Banderole et banderilles, 8 avril 2008

Les villes où les gens du Nord vivent souvent entre les brumes et les effluves de betterave s'appellent Berck-sur-Mer, Etaples, Abbeville, Rue, Rang-du-Fliers, Arcq, Chocques et pour en établir une nomenclature exhaustive, il faut partir de bon matin et parcourir la côte par temps sec, les collines de Danes et le cours de l'Authie dans la lumière crue des premiers jours d'avril. C'est le moment. Découvrir les villages et lieux-dits de l'intérieur? Une vie n'y suffirait pas. Sainte-Cécile, Camiers? C'est Pialat interprétant Bernanos qui aura fait découvrir les déserts hantés par les vents: l'arrogance s'y érige contre l'humilié qu'elle bafoue.
Les cristalleries ont été fermées. Les aciéries n'existent plus. Les mines de nos aïeux ont laissé des monticules herbeux qui serviront bientôt de pistes de ski aux enfants des écoles, les derniers côtres ratissent les fonds plats pour les derniers pêcheurs que ne nourrissent plus les dernières limandes soles, les quelques carrelets et les raies qui se vendront bientôt à l'étalage au prix du caviar iranien.
Les ornithologues amateurs en groupies de nos menus échassiers déambulent sur les longues grèves boueuses devenues très écologiques. Combien de hutteux avaient avant eux entretenu sans en tirer le moindre bénéfice ni la plus petite once de prestige ces antiques passages, les nouveaux chemins venteux, les allées obligées de la tendance, ces "parcours de santé", désormais damés.
Où sont donc allés nos faits d'armes buissonniers? Vendus à l'encan. Consommés, exemplaires, comme les berlingots berckois de la rue Carnot, piétonnière et commune, rendue vénale par d'inévitables festivals d'une promiscuité commerciale qui n'est qu'artifice. Un poissonnier de la rue de l'Impératrice (Eugénie) avait eu l'excellente idée d'installer des tables et de proposer des carrelets en caudières.
Les gens du Nord ne se consomment pas en dessert, la gaufre d'un exotisme un peu chti, frites et populace ravie des beffrois. Rétifs et pudiques, généreux et sensibles comme les autres, comme chacun, celui de l'Ouest, l'autre de l'Est ou plus, le lointain d'Outre-Mer.
Contre qui porter plainte? Contre la bêtise. Incitation à la haine, exclusion hexagonale étalée, ceux d'ici contre ceux d'à côté, ceux de chez nous contre les autres, le Chinois (ce Belge de l'autre frontière) ou le Tibétain (ce Tintinesque d'ailleurs, ratatiné et safran) faudrait-il en outre, à l'heure sacro-sainte de la communion masculine dans un stade, supporter l'odieux, l'ordinaire de la méchanceté cheap et tueuse.
Assassinons les faiseurs de banderoles (des chômeurs, des retraités, des handicapés, des sans-logis, des Rmistes? des gens du Sud? des partisans de Galabru*?) prenons leurs empreintes digitales, leurs traces ADN, traquons-les, pourfendons, pendons-les en toute mansuétude, jugeons et pas une once de pitié, lapidons-les, écorchons-les vifs, écartelons-les, brûlons, laminons, à l'heure sacro-sainte de la digestion, celle de la gentillesse nécessaire, du sourire ergonomique et des bons sentiments obligés.
S'il faut un film sur les gens du Sud, thym, farigoulette et fougasses pagnolesques pour déployer de nouvelles imbécillités* en étendards de douze mètres, faisons un match Guédiguian-Dany Boon au parc des Princes et voyons qui des deux gagnera les suffrages, l'unanimité et les plus belles banderoles à la saison des endives.

*au JT de la 2, il nous est précisé que tous du PSG perturbateur ne sont pas des «marginaux», ils sont «insérés socialement», et l'un est «même ingénieur en informatique».

Vestons et vestales, 11 avril 2008

Le diplomate chinois éteint le flambeau d'un coup sec. On s'agite. Le diplomate chinois lève les bras, fronce les sourcils, fait virevolter le bâton blanc de l'ordre requis, ordonne, régule, sévit, se fâche, gronde, s'implique, s'applique, règle toute la circulation, il faut le dire, de main de maître, autoritaire, mais non, avec maestria, magistralement, de façon didactique. La courtoisie diplomatique n'exclut pas la fermeté, cirons les pompes, allons-y, la fermeté de bon aloi. Merci, monsieur, de nous apprendre la circulation, l'ordre, et comment tenir tout ça, la racaille, avec deux trois tanks bien placés entre Beaubourg, la place Tian Amnen et la rue de Rivoli, sans faire le détail.
Moi, franchement, au premier degré du consumérisme, ce que j'aime le plus chez les chinois, c'est l'exotisme de pacotille, surtout «Intercontinental» et Paris-Store et le triangle d'Or et les ballerines en tissu noir, les fausses vestes mao et les petits éventaux, et ce n'est pas demain qu'il faudra exiger de moi le boycott d'opinion à domicile: comment supprimer ce qui constitue la base de l'alimentation rapide, zlluürpée entre deux rendez-vous: Tung-I Brand beef flavor, petits vermicelles de blé tendre, déshydratés, assaisonnés à l'huile de palme et glutamate aggloméré. En point 3 du mode d'emploi, «Serve yourself», encore heureux!, «pendant que votre repas soit chaud», et si et moi, et moi et moi, je le préfèrais tiède ou froid? Et vous appelez ça un repas? M'en passer? Et j'arrêterais le taï-chi? Et bouder Bouddha?
«Il y a une sorte de reconnaissance basse»*
D'autant plus que n'est pas à la flamme olympique qu'il faudra réchauffer les petites tambouilles de chez Tang, car c'est le Chinois lui-même qui l'éteignit. Plus de feu sacré. Comment fit-il? Il souffla? Il étouffa? Il pinça la mèche? Il tapota? Il y foutit de l'eau? Il aspergea? Il appela les pompiers des plus proches casernes? Il admonesta Douillet? Non. Douillet mesure dans les 2 mètres, à la louche. Je me suis même laissé dire qu'il était athlétique. D' où tint-il sa consigne d'éteinte? Directement de Pékin? D'un geste rageur, il coupe d'un coup le bec de gaz, ça c'est non seulement un geste de haute diplomatie, de grande philosophie et de sublime élégance mais aussi une mesure pragmatique de sagesse économique, exemplaire si l'on tient compte de la très forte hausse des carburants le même jour. Il montre à Douillet comment on éteint, comme ça, c'est simple, regardez Douillet, apprenez, une flamme grecque, on fait comme ça, on tourne le bouton. Et hop! Ce n'est pas si compliqué.
Hier, entre la rue de Tolbiac et l'avenue d'Ivry, j'ai failli me faire écraser par un Chinois très gentil mais trop pressé. J'ai su sourire au bon moment, j'ai pensé à un truc**, il est passé au rouge, et me voilà ici avec tous mes membres, indemne, encore cent ans de bonheur, cheminant sans bagage, imprégnée de Lao Tseu jusqu'à la moëlle.
Quand on évoque les grandes difficultés de traduction asiatiques, les efforts de compréhension mutuelle, hautement babélienne, et les petits ronds de jambe aux temps horribles des grands conflits, on en arrive à couvrir de louanges Roland Dumas, qui dans un numéro de ses charmes déployés, chattemines siamoises, modérateur de flamme, souffleur de vent, et paradoxalement intelligent, sage rallumeur d'allumettes sous le réverbère, car il sut à la télévision, reprendre du champ, de la hauteur, et tenir la distance olympienne. Il sut plisser les yeux à bon escient et sourire chinoisement comme personne. Un parfait Jésuite du Quai d'Orsay.
Etranges affaires étrangères.

*DLXXXIII Maximes et pensées, Chamfort ­ Collection «Incidences», Biographie par Guingené, Introduction d'Albert Camus(Monaco 1944).
**«Qui se dresse sur la pointe des pieds /ne tiendra pas longtemps debout », Traduction Liou Kia-Hway ­ préface d'Etiemble qui à ce propos, gravement, cite Queneau dans «les fleurs bleues», rare sachant parler de Lao-Tseu. On y préconise Stanislas Julien et son interprétation du Tao, du Vieux : «rares ceux qui me connaissent, précieux ceux qui me suivent (ou «m'imitent» ou l'interprétation de Julien : «ceux qui me comprennent sont bien rares. Je n'en suis que plus estimé»).


Mèdes alors! 19 avril 2008

A l'heure nocturne où les visiteurs désertent les salles immenses, la Pyramide du Louvre, la mienne, nous a, tous les jours, restitué Babel et Babylone dans la fatigue et la solitude. Combien de fois faudrait-il arpenter ces lieux familiers pour que le détail soit rendu visible et que tout l'ensemble revive. Quelque chose est là, revenant des temps révolus, qui palpite et parle. On voit. La main, celle du tributaire qui présente au vainqueur la maquette d'une forteresse en signe de reddition, elle porte un pouce trop long, dont l'articulation ne peut vraisemblablement tenir, en le pinçant comme un crabe, le gage, une petite construction crénelée. Le nom de l'artiste? Peu importe! Des traces ocres et rouges, subsistent sur la fresque sculptée, ferrugineuses, animales (pourpres) ou végétales.
L'essentiel n'est pas là, tout est silencieux, Césaire est mort, cent ans déjà au François et la vie va, je reste debout longtemps, seule, oubliant la vie ordinaire et les gens qui se rassemblent à la sortie ou rentrent (las) à la raison (sans aucune maison), (ou le contraire, peu s'en faut).
Plus loin, se presse une foule cultivée, bavarde, une majorité de femmes âgées décourageantes s'ennuient avant le dîner. On revient au Palais, le mien, on baille, où la cohorte vaincue* défile, profils ciselés des archers (non!) tenant les rênes ou les longes des coursiers apprêtés pour se rendre au festin où Sargon les a convoqués.
Dans les récits anciens, pas de glose ni de rhétorique**. Les hommes à terre, ceux que les assyriens en armes écrasent dans la poussière en les foulant (non, les foutant au sol) ne crient pas. Ce ne sont pas des suppliants. Ils ont été réduits, ils meurent, c'est tout.
*AO19918

Ce nègre-là
Celui que j'ai vu hier, le mien, n'était pas mort à la Croix de Chavaux. Il était long et droit, ni beau ni laid, comme toi, portant de la main droite un sac assez léger. Il avait hésité avant de comparer sur les affiches l'itinéraire des autobus. Je l'ai regardé. Il allait gravir, comme moi, la montée vers le cimetière jusqu'à Saint Just. Nouvelle France? Je ne sais pas. Une escouade de policiers l'immobilisent, le palpent des pieds jusqu'au col, cherchent l'arme ou les doses et toi, oui, je te parle, toi qui t'éloignes, je sais que pour moins que ça tu cognerais mon frère de sang mon frère de lait, et toi qui t'en es allé, tu n'es plus là pour le radotage.
Non, ne parle plus jamais à ceux qui ne t'ont pas entendu!

**Mot dont le h sans aucune aspiration, s'il appelle, s'il exige au bahut la faute d'ortographe, ridiculise plus le présomptueux ou le cuistre qui la fustige que le fautif qui l'engage. Mettre une seule lettre en gage: l'innocence ou l'ignorance, soluble, conjointe, «absolverait» et pourquoi, ce cancre-là, ne pas l'absoudre. Non, la faute, orthographique, reste une erreur, plus pour le lecteur que pour celui qui la commet, ne la voyant pas. Il faut la souligner de rouge. Faire mieux, édifier, oeuvrer, penser lundi à corriger les coquilles, les rimes foireuses d'un rap catéchumène (à rien).


Sorbonne cassé stylo, 21 avril 2008

A l'instant roulent les tambours, sur le parvis jacassent et passent ceux qui sont là, que la pluie dans la nuit lave, temps de chien, sur planches les derniers mots du mort hurlés.
Le mordant, rage au coeur et cheval de nos batailles, il a suffi d'un moment d'oubli où le miracle au prix coûtant Naze* du crayon fuse:
Deux mots blancs ébauchés, quatre foirés, carnet chinois vert, «invincible», «s'endort» ou «sable», «Senghor», «planches dressées», «fronton allez savoir», «Articulez!»
Et le Bic fuit, les encres coulent, poignets, ongles et phalanges, bras violets et jamais plus de deux mains bleues, jamais la peur incolore, peu de fleurs noires, fioriture à Paris ou condescendance, nos masques.
Tes mots sont nos leurres, noire ta cause ici sans domicile.
L'assignation, la citation, un malentendu, que je n'aurais pas lu à l'heure dite.
Foire d'empoigne. La tombe et nos Fédérés d'Outre-mer. Tous ils crèvent debout et meurent dans l'honneur, sans le silence ombragé.
Tu clamses, ils t'auront vite livré à demeure.
Ne me dites pas que tu là où tout s'est tu, ce brouhaha vous assommerait demain. Congédions les mots et qu'à la vitesse du son tracent ces flèches qui de tout bois feront nos armes

*Naze, sur l'île d'Amami-Hoshima


Vis-à-vis, 23 avril 2008

La femme, je ne la connaissais que de vue, avant d'accéder par hasard au quai, très anciennement, un chignon remonté sur le sommet du crâne et des yeux bridés. Quand elle barbotte à plat ventre sur les grosses bulles, aujourd'hui, tant d'années sont passées, c'est un progrès phénoménal, elle n'a pas hésité une seconde à partager le bouillon avec les connaissances faciles du petit bassin. L'autre, c'est la grand-mère assidue en maillot bleu ciel sans armature, bonnet bleu-roi d'une ancienne enfant de Marie, cent ans de neuvaines, autant d'oublis, pas de rémission, une vie d'enfer confiné, le paradis au mérite, et toujours pataugeant à deux brasses, toujours rétive, la petite fille bleuie. Elle s'enfuit cherchant l'escalier. Et cette femme, la première citée, je n'avais jamais vu qu'elle était un peu attardée ou pré-sénile en activité hyper-kinésique accompagnée. Compter les bulles, s'en réjouir, avec ou sans mon approbation, en faire un calcul rigoureux, sans tenir compte de mes applaudissements sous-marins, encore une, encore une, à moins d'être pape je pensais hier comme je le devine aujourd'hui, il faudrait lui accorder au moins cet état, la sagesse de l'eau immédiate, ça n'est pas donné à tout le monde en partage.
Bavardages de femme stérile, tout est factice, le temps de retrouver un chemin possible pour aller d'un point à l'autre sans vaticiner, je n'avais jamais vu, aussi petits, des timbres poste, ces trois auto-portraits de Rembrandt avec moustache scrutant dans la pénombre et la lumière le passage d'un visage à l'autre. Ce n'est pas dévisager, le mot, mais envisager.


Sofa und Sofia, l'Autre Valparaiso, 27 avril 2008
«Mona» d'Ivry, d'Issy à Palaiseau, un chemin partagé pour le comprendre un autre jour, le long de la Seine de Choisy à Masséna, voir ça, l'écluse, les retenues, les bassins de décantation, le canal de dérivation, considérer l'amour des rives: les tours, la fatigue, ciels, l'autre fatigue, camions, la fatigue tierce, route, boulevards, sentiers, premier soleil, escaliers, passerelles, port autonome, la mort de soif. Le quai Jules Guesde n'en finirait pas pour moi si tout allait à vau-l'eau.
Au milieu, après l'écluse, les femmes en groupe silencieux cuisent les aliments sur un feu de bois flottés. J'avais vu les mêmes près d'un pont, les mêmes dans une ville basse inondée, colmatant les brèches du domicile à la main, l'une tenant la marmite où l'autre avait préparé le plâtre qu'elle touillait comme ce matin la farine et l'eau. Une petite fille tient son frère prisonnier près du fleuve, le menaçant d'un pistolet de plastique bleu-vert sur la tempe, je lui fais signe de tirer, elle rit, qu'on en finisse, un peu de rouge sang, corps et coeurs denses des pensées ténues, après-demain, orange et carmin découlent. Entrepôts des bétons gris plus loin, le port autonome, des gardiens et les deux organisateurs de séminaires et réunions, gens sapés de marine qu'on mène en croisière blanche. Les couleurs viennent seulement avant l'étourdissement, une légère inquiétude.
Sortir du périph, traverser, retrouver les traces, les miennes, toujours les miennes, tant que nous portent encore les jambes, et m'endormir seulement abrutie.

Xylophone, 5 mai 2008

Hier Lucien Jeunesse est mort à l'âge où les vieux passent. Avec l'entorse futile qui entravera les pas, la semaine est là qui se charge de trois cataclysmes grandioses dont l'un d'origine volcanique. La mer inonde la Birmanie, entraînant tout sur son passage. Quelle conscience garder d'un univers trop vaste pour même se risquer à le percevoir? Le concevoir, impossible. Notre monde est minuscule, fenêtre ouverte de la maison fermée, «le jeu des milles francs» et le carillon accompagne les quatre notes de M. Lependu. Sonnant sur l'instrument, elles ponctuent les mille et une questions apprises dans l'encyclopédie des rayonnages.

- Quel est le nom savant du Sphex à ailes jaunes, celui qui «se livre solitaire à son industrie»?
-(Perdu!), non, Monsieur, vous y étiez presque, dommage, les Sphex paralysent «leurs éphipigères» et non l'inverse, allez ne pleurez pas, Madame, il gagnera la prochaine fois.
- Comment se résume la sapience de la femelle vert-luisante?
- (ouiiiii, c'est presque juste), vous reviendrez nous voir, je sais, c'est bête mais il aurait fallu préciser à nos fidèles auditeurs que les Lampyres usent de ce stratagème comme d'un phare, un miroir aux alouettes. Si la source est placée sous le ventre, il faut qu'elle se contorsionne et gagne en altitude pour vert-luire à loisir de mille ruses.
- Pourquoi tant de peine?
- Pour la beauté de la chose? Mais c'est idiot ce que vous dites et en plus ça n'engage que vous.*

- Que fait la mère Minotaure dans sa crypte larvothèque? Allez, il ne vous reste plus que trois secondes, réfléchissez.
Allez, vous y étiez presque, alors que le Minotaure Typhée mâle se tire fourbu et définitif après avoir fourni et fourbi la mouture, la femelle surveille les futurs rejetons dans la gangue de sable que les vermisseaux grignotent et digèrent jusqu'à la naissance à la lumière du jour.

- Allo? un lac ou une retenue d'eau? Pourquoi un ballon décoré de Batman? Prouvez-le! Pourquoi dégonflé? Vous y étiez?
- Une baudruche qu'un enfant taciturne aurait lancée de la rive opposée, vous y croyez, vous, à un lancer de150 mètres? Moi, oui.

*J. H. Fabre «Scènes de la vie des Insectes» - Nelson Editeurs, avec un portrait à la plume de E. Heber Thomson


A signe où quai, 12 mai 2008

De Javel aux Invalides sur un seul pied valide et pas un chat place Fontenoy, alors que l'entrée fluorescente bleue annonçait trois-cent-soixante-dix-neuf nageurs dans le grand et petit bassin, trois-cent-cinquante à oublier dans la poussière de la ville. Dans l'angle près du mur du fossé, arrivent portés par le vent l'odeur des chevaux et le cri des oiseaux amplifié par leur tournoiement dans les écuries. Près de l'Unesco, un touriste affalé habillé d'orange vif, aucune pensée vive, le ciel d'été immobile en tiendrait lieu.
Le 27 semble tourner remarquablement vite, pressé de terminer le délestage de La Tour-Maubourg ou d'écraser une vieille en fin de course. Il y a dans un angle -pas loin d'un certain marronnier jouxtant un cabinet juridique, c'est curieux cette expression «un avocat marron»- un hôtel de l'Empereur, des torchères stylisée en bronze. A la piscine, les enfants emportés dans les bras ne sont pas vraiment comptabilisés par le compteur de nageurs. Ils sont quatre-cent, tous inconnus, avec des bonnets identiques, à frétiller, festifs, dans l'eau de javel de la Pentecôte? Pas vu la colombe. Je m'abstiendrai de nage. Sur l'esplanade, les joueurs de pétanque, les bronzeuses par deux ou trois pour se (mieux) tenir aplaties sur l'herbe, les étrangers restés proches de Napoléon, quelques pétanquistes réservistes à visière de la 2ème BD. Cytises, seringas, lilas, polognias. Les sottises, c'est difficile à savoir! Tant de sagesse, le fatalisme des sept saisons, une dernière lumière à la fenêtre l'embrase. Dans le métro un gros arabe agressé par un gros américain d'équivalence pondérale, je les sépare par le milieu, sentencieuse, je les conduis, maussade, les boeufs, blafards, à la sortie, «allez, c'est bon, ça va comme ça». Le gros américain attend l'autre, une chemise couleur Guantanamo, à la sortie de l'ascenseur pour rediscuter franchement la question entre soi, comme à la maison, celle des minorités et mettre à plat, reconclure la journée après le soleil dans les gnons interculturels et l'hématome d'homme, encore en équilibre sur l'escalier roulant, «c'est l'enfant qui gênait le passage», la femme au gros me dit comme dans "Urgences", «its OK»! avec des yeux d'une dissuasion toute dénucléarisée, je regarde le noyau, l'engeance, les tenants et les aboutissants, les prunelles, l'avenir, les pupilles, les iris, les cils, le regard est délavé par l'oubli du minimum vital.


"Obvier", 15 mai 2008

C'est la première fois que j'écris ce mot qui n'aurait pas du trouver une utilité, une fonction avant longtemps, un verbe qui n'a jamais servi, pas de circonstances obviables, l'usage strict des termes simples. Manières, maniérisme. Deux mots plus loin, reportée à l'«ocarina», j'y pensais avant que sonne l'Angelus, lisant dans le plus grand désordre, sans en saisir un traître mot, Le camp de Wallenstein, de Schiller, obviant à des chimères qui depuis des nuits d'insomnie, ne quittent plus le matelas, la paillasse du premier dragon comme de la dernière arquebusière.
Voulant, mais en vain, prendre du champ, et pourquoi de la hauteur (?), idiote où va la chute? à l'eau que mon cruchon y gît- Je trouve déserté le petit oratoire méridien de Saint Jean le Théologien. Les élèves de l'école d'horticulture sortent en parlant assez bas pour ne pas troubler le bavardage d'un gardien vers les portes entrouvertes, plus bas à l'ombre de la voûte. Les voitures, des semi-remorques font demi-tour, là, à l'angle, une maison de la nature et de l'oiseau, des boutures, des greffes, quelques pédagogues glabres, les serres, des alignements de pots, et la mémoire des orphelins d'Auteuil collationnée par la dame Galliera.
Revenons-y, «la récompense est passagère», le deuxième cuirassier chante :
«Allons, camarades, à cheval! à cheval!
Courons dans les batailles, en pleine liberté ;
C'est là que l'homme vaut quelque chose,
C'est là qu'il peut monter s'il a du coeur.
Là, personne ne peut se faire remplacer,
Il faut que chacun paie de sa personne».
Trompette ­ fifres ­ ocarina : oui, journées obtuses et silence précèdent tonalités majeures, les mots sont là, en ordre alphabétique, soldats.

Dans la ville, 19 mai 2008

Trois des piliers angulaires de la Grande Halle, d'une hauteur de douze mètres, encastrés dans les pierres de fondation, simplement posées sur le sol marécageux me semblaient de guingois. N'était-ce pas plutôt le vertige d'un jeûne prolongé?
Le premier groupe des vieillards, reconnaissable à l'écharpe violette qui leur tenait le cou, avait sorti les victuailles des paniers et eux tous, une trentaine nés ici et prêts à mourir au pays, chacun très à l'aise, ne se privaient pas de comparer les canards et les poulets, échangeant volontiers le pilon contre l'aile en me souriant. Autant d'amabilité n'est pas chose courante parmi nous, étrangers et gens de passage. Combien de fois en ai-je vu, perclus de rhumatismes, se traîner par terre pour récupérer un bout de pain, un os, que sais-je? Certains se hissent sur la rambarde du pont pour un seul croûton moisi, au risque de se rompre le cou presque sans témoin. A qui aurais-je parlé? Qui se soucie un lundi de ceux qui combattent et chantent toujours pour et contre le pain?
Le deuxième groupe, plus nombreux, se tenait de l'autre côté de la place des lices, avant le début du combat. Parmi eux, un vieillard aveugle, celui qui allait nous étonner en disant parmi les premiers, le fameux chant de la révolte zoulou, il jouait gros, il n'économisait pas ses cordes vocales, il risquait de gagner le combat et d'être épargné un moment pour la route.
Ceux-là dînaient aussi -parmi eux un barbu, à égale distance de la ligne de combat, d'une chanteuse à double menton- de simples gnocchis frais qu'une des leurs avaient mis à réchauffer sur les braises sans le moindre signe de servilité. Préposée aux feux et collations depuis longtemps prises sur le pouce, elle ne soufflait ni n'attisait plus que ne l'exigeait la tâche. Les autres, à l'unanimité, lui avaient déléguée. Ils appelaient, dans la ville, cette haute responsabilité «tenir ça au chaud».

Lorsqu'une heure plus tard, nappes repliées, la joute put commencer (entre les commensaux et combattants) on nous demanda de nous placer à la première ligne d'effort et devant mon hésitation, ma réticence, puis mon refus poli, on exigea un arbitrage qui ne pouvait être ajourné sans risque. Les feux n'étaient pas encore éteints du côté des mangeurs à écharpe de soie purpurine, ils gardaient les braises derrière, et les chefs de choeur n'avaient pas l'air de plaisanter avec le règlement d'associations à but non lucratif, certes, mais obéissant à de très ancestrales coutumes appelées dans la région qui les opposait aujourd'hui en cette lutte des vieux «donner la dernière voix de salut».*
Cependant, c'est volontiers que j'accepte de témoigner. Placée à côté du jeune édile de la ville, j'écoutai les premiers chants de la seconde équipe, celle qui portait les écharpes d'un pourpre tirant pour certains d'entre eux, sur le cardinal. Mon attention restait entièrement mobilisée par les expressions distendues des anciens visages pour dire une révolte nouvelle.
Quand je vis le regard de l'aveugle se tendre vers la charpente du Moyen-âge, quel espace, quelle amplitude, cette attitude d'un nouveau-né devant l'éternité, je dus enfin joindre les mains pour accompagner les modulations vers l'issue du match. Ils allaient gagner, je m'en porte garante, parmi eux pas un tricheur, il donnait de la voix, seul puis avec les autres, obéissant aux ordres de l'estrade qui fixait et maintenait la ligne présente, bourdon sourd après stridulations de douze femmes à éjecter. Je peux, à peine éveillée, c'est dire la mémoire, me rappeler les paroles :
«Dans la troupe, ya pas de jambes de bois» alors que la deuxième partie disait en aparté vers l'une des colonnes restée penchée, cravachant ensemble les chevaux, ce que je mis au moins trente secondes à comprendre et répéter avec ceux du deuxième choeur: «en avant, en arrière, en avant, en arrière, côté, coller!»
Dans la ville bienvenues leurs paroles vives!

*J'avais toujours pensé, selon l'antique traduction espagnole «Al salud», «donner la voix au salut» mais une fois de plus j'avais tort.


Vue : l'après-midi à la campagne sur le livre d'or, 26 mai 2008
«S'il m'avait dit que je retrouverais un jour, le 22, un vrai visage et je parle de ça en toute désinvolture, je n'aurais pas pu l'entendre, pas un de ces mots, ni 'visage', ni 'vrai'. C'est ainsi que mentent les mots qui nous défigurent.

Pourtant tout avait commencé tôt, un an, deux ans à peine, une voie ferrée à Mervan, les rails rouillés, les planches empilées, et l'envie de quitter tout ça, bois et scies, deux ans, les jambes nous portent à peine, franchir le pont qui allait de l'autre côté de la nationale, portant un petit pot d'acier inoxydable. Petite, je voulais partir dès le réveil sans m'encombrer de toute la parentèle bavarde, longer le tunnel, éviter les voitures en me plaquant immortelle contre le mur de brique ocre et gagner la ferme où la crémière allait, j'en étais certaine, remplir le récipient de crème fraîche, en assez grande quantité pour soutenir mes pas pendant tout le voyage. Il me disait que c'était impossible, à un âge aussi précoce, de parcourir seule d'aussi grandes distances sans qu'un adulte, un voisin, un proche, un marchand ambulant, ne puisse remarquer sur la route une enfant rendue seule aussi loin, près des pêcheurs de truite, pas des braconniers sans vergogne, non, ceux qui peuvent rester silencieux, attentifs au seul sifflement du fil lancé d'une berge à l'autre. Si à l'époque, prédatrice et chasseresse sans pitié, j'avais pu vivre de mes prises, pigeonneaux, ou bientôt leurs hérissons rôtis, je ne serais jamais au grand jamais rentrée à la maison, la baraque ordinaire des scieries, aujourd'hui c'est chose entendue, quand ce n'est pas un lièvre, c'est une poule, et s'il suffit de lui tordre le cou, je ne vois pas pourquoi, non, dit-il, pas les poules, pas les truites, pas les lapins, pas les perdrix, un chevreuil tu te contentes de le toiser de haut en bas, et encore tu t'y reprends à deux fois!, vas-y et ne cille pas. Moralité, avec eux tous, avant les arches, mais je m'ennuie à un tel point de non-retour! Non, ce n'est pas ça. Ils m'ennuient, j'en ai des crampes dans les machoires, une véritable torture, aux mains les articulations blanches, aux oreilles le froid de la surdité feinte, toute seule il faut toujours s'occuper de tout, à essuyer la vitre, un coup de chiffon, scier la bûche, émietter les feuilles de tabac et passé Issy, je peux voir la différence, les vieilles femmes se tiennent toutes à carreau, elles montent et descendent toute la sainte journée, portant des chaussures beiges hideuses, élastiques sans lacets, des sans-gêne, l'une pour le lait, l'autre pour le pain, quand ce n'est pas pour faire «acte de présence». Est-ce que moi, d'une génération plus jeune, je pourrai sans surseoir faire acte de présence, par la limite d'un âge atteint? Non, Il ose le dire, non! Et la voix muerait? la soprano du Grossglockner, atteignant l'âge où franchement, coursant une poule ou devançant un lièvre, on ne va pas mégoter, l'entourage ne rechigne pas si c'est à rôtir après l'avoir plumé et roussi les petits duvets tranquillement, écorché la viande sur l'aire sans voiture. J'en ai vu une signer un registre, une autre, à la maison d'Armande Bejard, signer un livre d'or, à peine avait-elle le dos tourné, j'attendais, la tête comme d'habitude, pourquoi pas un feutre mou pendant ce temps-là, un foulard, un serre-tête, ce qu'une femme peut se mettre sur le crâne, un petit fichu de cretonne pour apparaître à la fenêtre, une calotte, moi, des mèches coiffées et blondies au fer rouge, pourquoi pas se scarifier, non, neutre, sans le visage, invisible et cachée près du pressoir, c'est peut-être indigne mais après tout, la désinvolture, c'est chose très nouvelle après Issy, et passé le pont, j'ai vu la réalité. Quand je parle de celle qui a mis ça en plein jour, chapeau, je prétends que ce n'est pas la rôdeuse coutumière, c'est l'autre, la récente caissière, l'anguleuse, celle qui travaille pour la maison. C'est vrai que gâchée par le métier ou blasée, peu sensible «aux charmes désuets des lieux, elle se contrefout de la tourelle chargée d'histoire et de
nostalgie passéiste c'est un pléonasme», elle a repéré plus bas «vers le chemin de fer un poulailler, mangeaille ou plume, l'affaire est sérieuse, elle attend la tombée du jour et Couic: suivez mon regard», et elle raconte ça sur le cahier des doléances et autres impressions livré aux visiteurs, «moi j'adore Molière, Armande, non!», elle donne son opinion, oui, frivole, c'est elle encore qui le dit, à côté d'un livret du Conseil Régional, un fascicule de conseils aux curieux de randonnées architecturales, voyez sa gare, ou l''Art nouveau, Arp, quand je dis ça, art d'Arp, l'autre déjà, à peine le connais-je, à tu à toi, il me rétorque, les crocs sortis sous la moustache, narquois et «mais enfin occupe-toi plutôt de tes poules, pendant ce temps-là tu ne joues pas le tango, tu as combien de volailles pour aujourd'hui?». C'est un fait que je rapporte bien le gibier mais les clapiers, non, pas trop, je n'ai pas été habituée assez tôt ou mal entraînée. Poser les collets, je laisserais ça plutôt à ceux du plateau.
C'est facile à dire mais à cinq heures vingt il pleuvait des cordes en bonne et due forme et elles s'étaient toutes cachées à la queue leu-leu dans leur casemate grand style Louvois, même la petite blanche, planquée dans ce poulailler historié, 1685, l'escalier rend à la philosophie d'Aristote ses marches à suivre, un sens délivré à demeure, si c'est ça, je repasserai vers l'orangerie, je vois mieux la nuit et pas un chat, je pouvais toujours attendre là trempée des pieds à la tête, oui, je te répète, j'ai un alibi à la campagne, la volaille, pas de scrupule et après ça le déluge.
»
Matinée dans la ville trépidante, 9 juin 2008

Allant de la ville aux abords des champs et des bois, la rame dépose les voyageurs en bordure des quais de Seine, alors que le ballon «Air pur» s'envole quelques dizaines de mètres, souvent amarré au sol. Certains quittent l'agitation du marché central pour rejoindre une troisième personne plus loin.*
Dans l'angle du tramway, près de la porte automatisée, un jeune homme de type dostoïevskyen, dévisage une jeune fille d'apparence woolfienne, adossée à l'autre panneau de séparation, il se met à trembler, il tombe, heurte la marche d'accès et convulse en quelques minutes. Le temps d'arrêter le véhicule et de demander le médecin de l'assistance, il perd connaissance. Les voyageurs restent assis, téléphonant pour annoncer à leurs proches ou leurs employeurs éloignés le retard dont ils sont disent-ils, chacun et de tous, l'otage le plus éperdus.
Plus tard, vers la Poterne des Peupliers, les pompiers en activité font entendre la sirène, ils ont déployé le carnet de bord, consignant les identités et les faits, alors que la tête du convulsé, ayant quitté le giron de la jeune fille oublieuse de la promenade à d'autres phares, a repris une activité nerveuse presque normale. Si la langue n'a pas été avalée, c'est déjà ça. Elle, la langue, décline l'identité, «je suis un habitué du signal d'alarme»,bravo! dit la bouche qui hésite, il, l'organe locutoire achoppe sur les mots qui ne viennent plus dans l'ordre. Face à lui, un pompier de la rame, celui qui hors service, jeune, beau, robuste, d'excellent conseil, sportif, avisé, drôle, en parfaite santé, tant physique que morale, lui qui refusait de transporter le malade sur la voie de circulation où les voitures auraient pu le tronçonner sans délai, ce jeune homme, à la Cité Universitaire, saute du tramway, suivi de la jeune fille, qui d'un bref signe de tête et souriant, salue le jeune homme, victime d'une "indisposition heureusement sans gravité".
A l'entrepôt de la cimenterie Lafarge, derrière les bétonneuses alignées, un homme, chapeau haut-de-forme et queue de pie, traversant la passerelle d'un bateau qui reçoit toute une noce, va promener un labrador cérémonieux sur le chemin longeant le courant du fleuve.

C'étaient deux bons amis qui se connaissaient depuis longtemps. Le rat des champs, ménager de son bien, vivait chichement, de manière cependant qu'il se mettait en frais quand il lui venait un ami» Horace ­ Satires II, 6.


Fraises du bois, 23 juin 2008

Nous étions tapies derrière l'étalage, mes soeurs et moi, les barquettes offertes aux chalands, autant de soiffards que les premiers jours de l'été révulsaient, quand je vis passer longiligne et méthodiquement coiffé, un certain Dunoyer de Segonzac. Tiens donc, me dis-je en tapinois, ça fait des lustres au nouveau Commerce et l'art devant soi a encore des beaux jours d'expiation en nombre suffisant.
Quand le lendemain j'arrivais enfin à la station, l'avenue présentait la configuration d'un décor de far-west à l'heure de la sieste et un autre jour, je serais tout aussi bien revenue sur mes pas en quatrième vitesse, remontant dans le train, sans compter sur une forme nouvelle de détermination poussant à cheminer dans la campagne hors de mes propres battues. Dans la boulangerie une vieille femme m'offrit une voiture pour aller là où allait conduire la logique singulière de l'histoire, se trompant dans le nom des tableaux. Je tenais avec le pouce et l'index une vignette trouvée dans une plaque ancienne de chocolat Menier, une cabane, l'embarcadère, et c'est bien là sur l'image, Cythère à trois pas d'ici, à portée de fusil. Il y avait sur les bas-côtés, semblant attendre un signal, deux hommes de grande taille, lestés de sacs à dos, comme toujours prêts pour la diligence.
«N'est-ce pas plutôt là-bas, disait la femme, que vous pourriez voir votre curiosité, de l'autre côté de la colline, rive droite, je ne me souviens plus». Elle avait posé le pain chaud derrière et j'avais déjà faim. Au virage, je peux l'assommer  de la main gauche et me tirer avec le meilleur quignon cuit. Si elle n'avait pas, comme tous les débuts de semaine, un rendez-vous médical qui devait occuper une grande partie de la journée, elle serait volontiers venue avec moi, renonçant à l'idée de la maladie. Elle aurait retardé l'heure du déjeuner, elle l'aurait pris ailleurs, de l'autre côté de l'axe communal et bientôt dépassée l'autre gare. C'est  encore elle qui dit «Nous aurions pu pousser jusque là-bas après le café, il y a, je crois, quelques tableaux à Bourg-la-Reine, mais celui que vous cherchez est bien à Oxford?». Et dans le ton de la voix, c'était une invitation au dépassement de la boulangerie. C'est l'abandon, provisoirement, pour elle, des radiolologistes régionaux de cette zone fortement boisée dont l'humidité peut-être est préjudiciable aux articulations, à moins que la boulangerie soit la seule sortie autorisée par les conseils des médecins de cette bourgade charmante. 
«Peu importe, j'ai  largement le temps et je vais trouver, et même s'il fallait marcher dans ce sens-là, ce n'est pas ma rive et le lundi il n'y a pas âme qui vive jusqu'aux abords des étangs de Ville d'Avray.»
J'oublie parfois tout ce qui importe, huit jours dans l'année sur les talus et certains carrefours à midi désertés, les fraises des bois sont là secrètement, dans le creux de la main j'en aurais hier tenu juste quelques unes.
Insignifiances, 4 juillet 2008

Allant sur le parvis de l'hôtel de ville clamer sa joie de revoir Ingrid Betancourt, Jack Lang, joyeusement serreur de jeunes paluches et tout ébaubi d'un dénouement festif et citoyen, après la fête de la musique et avant le14 juillet, donne le ton. Pas d'arrière pensée, de la vraie joie, du sautillement rythmé, de l'hystérie collectée, des fanfares et des trompettes d'apparat, pas une ombre, pas une faute de goût, aucune réticence, de l'unanimité, des accents de sincérités conjointes et disparates, des authentiques embrassades, de l'accord nationalisé et sans aucune publicité, pas d'étalage déplacé, des enfants grandis, des larmes de la véritable émotion, de la virile vérité émue et demain palpable, papale, pas de redondance, pas de partition, pas de répétitions, pas de prétérition, enfin voilà la libération, toujours préférable à la liberté : ne dure qu'un moment, quelques instants dans une carlingue. Plus de deux secondes, ça lasse. Loin de moi l'idée que trop d'Ingrid nuit à Betancourt, loin de moi le soupçon que les câlins et des retrouvailles inter-générationnelles puissent être mis en scène par la seule complaisance mais je n'aimerais pas que ma mère, qui n'est pas une ancienne ni même une future reine de beauté mais qui sait cuisiner un boeuf Strogonoff, vienne me faire des bisous chargés de larmes publiques sur un tarmac. Dans notre famille, une franche bourrade dans les côtelettes est l'expression de la plus extrême affection, jugée ostentatoire devant un tiers. Une véritable interrogation me taraude, nocturne : ce bob militarisé que notre otage adorable ôta devant la foule était-il anti-balles? Servait-il à tenir les cheveux, à maintenir les pensées, à juguler les sentiments, à différer le moment où se déverserait le trop-plein du manque, la détention jour après jour, ceinture et mâchoires serrées. Une deuxième question : Carla va-t-elle devenir l'amie numéro un de notre héroïne, iront-elles en villégiature, va-t-elle chanter la chanson de l'Espace Possible, avec de forts accents houellebecquiens, un accompagnement latino, Sarkozy va-t-il donner cette femme résistante comme un modèle du courage domestique, capable de faire un moule de Marianne, un buste supra-national, supplantant le meilleur profil de Catherine Deneuve, à chaque mairie du royaume? Une troisième question, la grande résistante va-t-elle écrire assez vite le Livre de la détention jour après jour, que tous réclament avant l'automne et qui aura le prix Nobel de la Jungle pour sa véracité et la force prégnante de sa haute tenue sublime.
Quatrième question, à ce jour, l'insignifiance menace-t-elle le moindre de nos gestes, la moindre de nos paroles, la plus petite parcelle de vérité?
Essayant dans les forêts proches les conditions optimales de la survie en solitaire, j'étais assise près d'un chêne (si c'est vrai, Saint Louis jadis le vit croître) quand je détectai une groseille sauvage, de la taille d'une goutte de sang. Plus loin deux jeunes gens descendent une allée à vive allure, la fille houspille l'autre, glapissante, le faciès et les mollets d'une orthophoniste stagiaire, qu'une flèche en plein coeur pourrait, si l'entraînement se poursuit à l'heure dite, juste abattre en plein déval. Petite pause à la source. Jaspine. Suppute. Pianote sur les troncs d'arbres. Jauge l'écorce et froisse la chênaie. Tâte les pneus de l'autre vélo, les regonfle, les dégonfle, soupire, aspire, respire la chlorophylle la bague au doigt. Au milieu de la clairière, la jeune femme sort un mètre pliable de charpentier et après avoir couché son (propre) vélo dans l'herbe, toise son compagnon des bois, des eaux et des forêts (réunis) à partir de la plante des pieds.
L'éternel est féminin.
Grande surface, 9 juillet 2008

Il y avait devant les eaux le pêcheur captif, celui qui pour rien au monde ne bougerait d'ici avant la fin de la journée, quand bien même la terre tremblerait, et de l'autre côté, scrutant la surface, son anti-matière, le non-pêcheur actif, plus de cent-vingt kilos dans des vêtements sombres, spéculant sur les non-prises des cinq cannes alignées que seul le grand vent d'hier bougeait encore. Un gentleman farmer à la mèche lisse semblait attendre plus loin le passage de grands chiens en meute appelés dans le désordre par leur nom, dont un petit fox terrier, un glandeur de la race trottinante qui fermait la marche tout en sautillant vers les glands ou les menus papiers, comme toujours la truffe fourvoyée dans la garrigue d'autres séjours italiens.
C'est beaucoup plus tard que ma colombe virginale vint s'installer, à égale distance du contemplateur des appâts et des  leurres argentés. L'oiseau, le mien à prix d'or, pensait à tort le gros homme, ne bougeait pas d'un cil ni d'une plume. Il fixait les eaux, ignorant les petites miettes de vieux cake laissés par la horde des enfants de passage avant le récent coup de vent, il négligeait les petits cailloux dont certains auraient pu cacher quelque graine oubliée, il sondait la rive opposée sans même  bouger une seule patte et l'homme lui fit un petit signe ambigu, à la fois pour l'attirer, le déterminer ou très près ou assez loin de lui, le décourager et le mettre franchement au défi de s'envoler dans les trois secondes. Il n'avait jamais vu un oiseau aussi obstiné dans la contemplation herméneutique des pêcheurs, aussi indépendant des contingences, aussi blanc, le bec aussi immobile devant lui, jusqu'au moment où la colombe, si c'en est une, fit quelques pas francs vers lui, s'éloignant de la ligne médiane imaginaire qui départageait le terre-plein où nous étions posés sans bouger. Derrière nous, des corneilles ou deux corbeaux fermaient symétriques le quadrilatère et qu'une seule voiture des pompiers de service hulule derrière la cabane fermée, c'en était fini des figures géométriques avec intégration de tiers médians et autres petites fantaisies diagonales.
Je parlai à la colombe dans un langage classique, passif, facile et silencieux et en deux secondes, elle avait rejoint mon camp, pour changer d'avis sans accord préalable et se replacer aussi sec près du filet, redonnant l'avantage au grand gros charbonnier sombre, toujours maître chez lui, c'est ce qu'il sembla dire en éternuant trois fois, chassant l'oiseau vers les longs bancs de la colline verte.
Leurs tombes et la fatigue, 14 juillet 2008

- Je n'avais jamais vu le cimetière de l'autre côté
, arrivant par la forêt pour boire là où les familles emplissent les vases de fleurs, arrosent les plantes, rafraîchissent la mémoire des disparus de longue date. Isolées par un grillage, comme les prisonniers de Bois d'Arcy quand on arrive par les arbres et les buissons aux murs d'enceinte, les cris des détenus amplifiés par le silence de la nature, les tombes inaccessibles, et je préfère renoncer à me désaltérer plutôt que de faire le tour par le chemin du haut, une sorte d'impolitesse aux morts surpris dans le calme été, sous leur autre aspect, proche d'une souche ensoleillée où je peux m'assoir et me reposer en attendant les visiteurs de la Toussaint.

- Echappé de Verrières, derrière un tennis, un homme de taille moyenne imite les cris du loup en prenant la seconde bifurcation. Trois solutions, répondre en langage-loup et croiser les chemins en loucedé, imiter l'agneau furtif et tracer sans perdre une seconde ou mère-grand, normale et marchant sans hâte? Je choisis un arbre d'envergure pour me cacher le temps que l'homme de Verrières-les-Buissons reprenne sa course folle en moulinant les bras, imitant au tournant les hélicoptères qui zèbreraient le ciel de Villacoublay.

- Cette femme, devant l'habit, qui me demande à plusieurs reprises «vous les voyez de quelle couleur, les boutons, vous?». Grenat. «Ah, moi je les voyais marron». «Et ceux-là, vous les voyez comment?» Violine. «Moi je les voyais gris souris». «Et ceux-là?» Turquoise. Elle les veut, les bleus, et d'autres, aigue-marine, elle les arrache du tissu, un à un. Je lui demande si elle est daltonienne. Non, elle vient d'Iran. Et le vendeur, les yeux pers, qui me dit plus tard, «moi, je vous assure, une femme comme ça, je lui donne tous les boutons qu'elle veut, de toutes les couleurs, vous la connaissez personnellement?». Je lui parle d'une délégation, non pas iranienne mais syrienne, curieuse peuplade, officielle, très probablement, chargée des boutons et autres broutilles du même acabit dans la capitale en ce jour avant les cérémonies commémoratives.

- Devant la maison de rêve, celle d'Hansel et Gretel à la lisière, des hurlements à n'en plus finir. «C'est toujours la même chose pour les plates-bandes, on dit que le travail est fini et non, non et non, il faut tout refaire, ton boulot, et là je dis halte, stop, la binette, tu peux te la carrer». Je regarde l'heure, je sors le crayon, prête à témoigner de l'heure du parricide dimanche13, j'attends derrière le réverbère, les cris s'amplifient, il faut rester calme, écrire, non seulement la hache tournoie, mais passe l'aspirateur à feuilles mortes, puis après les ustensiles, les récipients du jardinage printanier, les pots de terre, une vasque, quelques jarres, je note, 10h57 «l'issue fatale semble imminente (jambes engourdies)». Une heure plus tard, quand je reviens de la clairière enchantée, leur voiture, un break marine, est apprêtée pour les vacances, les volets sont fermés, le chien est couché à l'arrière, les allées sont ratissées, le panier plein de crudités pour le déjeuner, thermos à ras, trois bicyclettes arrimées sur le toit, et sur le trottoir, avec les bris de vases et les fragments d'une chaise longue, quelques barreaux, le cadre disloqué à la toile déchirée, il y a des livres dans un cageot, Pearl Buck en collection complète, «apprendre l'Américain en 10 leçons», la revue «Eureka»: «Tout sur la sexualité des septuagénaires», «Le divorce et les ruses du Fisc», «Les grands secrets de l'Egypte hermétique», «Faut-il avoir peur de la Wi-Fi?» et sur une feuille, pour les passants, en rouge: «Passants, la SCIENCE en revue à votre libre disposition».
Trop vu, 3 août 2008

- Alors que j'allais voir sous la pluie fine le catalpa de Californie -les fleurs en étaient tombées depuis longtemps- les deux garçons assis sous l'auvent me hurlent quelque chose au passage. Admonestation. Avertissement. Pré-menace. Ne pas regarder «comme ça». Je demande comment? Comment pourrais-je regarder autrement qu'avec les deux seuls yeux à ma libre disposition? Ils tombent d'accord. Ils plaisantaient. Moi aussi. Je leur dis. C'est faux. Je ne plaisantais pas une seconde en passant dans le jardin déserté de l'été. J'allais sous l'arbre mélancolique, peu prometteur d'évasion et de voyages californiques. Je m'en éloigne. Ils me contraignent à l'itinéraire bis, par ce triste ruisselet dans lequel une balle de ping-pong fendue, maintenue par une branche cassée et bloquée par une pierre, cogne obstinée contre un silex, dans ce système d'horlogerie que je dis toute personnelle.

- Alors que l'évènement, l'anniversaire advint ce jour et ce cadeau grandiose et minuscule, tombant du ciel exemplaire au moment opportun, je décidai, compte tenu des circonstances, dans la minute oraculaire, de me retirer de toute contrainte, de tout système tortionnaire et le lendemain même «prenais la retraite» comme la clé des champs ouverts. Au bureau du personnel, où j'entrai, jamais le mot personnel ne me parut plus juste, stupeur, «ce n'est pas possible, pas comme ça, pas de cette façon, pas si vite, pas du jour au lendemain, pas sans conséquence, pas sans calculs, pas sans tergiverser, pas sans commentaire, pas sans soupirs, pas avec ce ton, pas avec ces mots!». Quels mots? «Je pars dès aujourd'hui». Je les laisse à leurs calculs. Je signe l'arrêt, je n'écoute rien.

- Alors que les vacances s'annoncent sous la chaleur et dans le déferlement des voitures jusqu'à la Méditerranée et les méduses, ce jour-là Christine Albanel inaugure le Musée Picasso. Elle est vêtue d'un tailleur blanc et d'un caraco orange, qui forme une sorte de petite modestie sous le plastron, un signal de nouveau départ culturel, allons-y! J'ai lu là-bas les numéros de Mallarmé sur la mode, pour chaque étoffe un mot trouvé trop ajusté. Deux natures mortes, de septembre 1946, d'un bleu-gris passé, dont l'une avec citron, ne pourraient pas justifier à elles seules, le voyage, sans la foule répandue dans la moindre ruelle d'Antibes. Comment peut-on se jeter d'une falaise alors que la vue par la fenêtre du palais est si belle, partielle, pas tout de la vue, pas toute la baie, sur la mer entière dans un ciel d'un bleu ou désespérant ou jubilatoire, pas le temps de la chute pour trouver le terme adéquat.

- Alors qu'il a une barbe et s'adonne à la poésie, Karadzic est arrêté. Il rase la barbe. Comment peut-on passer de la psychiatrie, de l'entendement, à un autre registre, à grande échelle et se justifier, non pas auprès de la communauté internationale, mais à ses propres yeux. Mystère. Alors que je lis ça, perplexe, le passage de la poésie à autre chose, est-ce la folie, je fais un cauchemar. Franz Kafka me recherche, dans les broussailles, c'est une traque trafiquée artificiellement, c'est ce que je me dis, j'ai trouvé un mince, un seul indice de falsification et je me réfugie dans une sorte de marmite de sorcière, une cavité naturelle aux parois torsadées. Je remarque l'ancienneté du lieu, comme habité, je dis les mots «voilà pour moi un habitacle, je saute dedans», et je remarque en sautant comme d'une falaise, que c'est assez profond pour me rompre le cou dans la chute. Je me raccroche aux parois calcaires et je vois les yeux allongés de Kafka me regarder, objectivement n'est pas le mot, ce sont mes yeux et les siens, des yeux qui en ont trop vu?
Comment est-ce possible?

Incidences, 11 août 2008

- Si la rue vers la droite
présente une légère déclivité, rien d'étonnant à ce que la voiture stationnée face au premier bloc d'immeubles, sans frein à main, emportée par sa masse, se mette seule en mouvement et pourtant de l'autre trottoir il me faut une fraction de seconde pour chercher sur le volant immobile les mains d'un nain invisible qui présiderait en bonne et due forme et les papiers en règle.
- Si l'auto passe suivant la pente et les lois élémentaires de la physique -sans les mains du nain­ au feu rouge, le préjudice est incalculable en un dixième de seconde, si l'on évalue la force, l'angle, la vitesse des conducteurs lancés perpendiculairement rue de Tolbiac au carrefour. Il faut l'autre fraction, la dernière de la seconde pour traverser et maintenir le véhicule comme l'a appris le grand Maître des Eléphants tenus par l'auriculaire et celui du discret Maintien des Trucks pour les dames et leurs suivantes, dans d'autres vies de sagesse disparue.
- Si l'épouse de l'homme arrivé de Carrefour avec caddy continue une seconde à braire aux oreilles de son mari «de quoi tu te mêles encore, appelle Police-Secours!», ne voulant pas qu'il maintienne de concert la tonne du break de la main gauche et téléphone de la droite, plus conjugale. Il dit poliment prenant l'affaire en mains avec la maestria des imbéciles d'août une fois de plus revenus des courses indemnes: «pourriez-vous encore bloquer seule pendant que je téléphone des deux mains?» I would prefer not.
Plutôt la cueillette des mûres et bailler aux nues. Au propriétaire revenu confus, clés du véhicule en main, sobres ronds de jambes et menuet de la maréchaussée, «mais je vous en prie, c'est bien la moindre des choses».
- Si les dahlias ont été cueillis et rassemblés en gerbe près du grand cèdre du Liban c'est par un enfant pas loin d'Issy, celui qui n'est pas parti et reviendrait là.
- S'il fallait toujours établir entre les faits une relation de causalité, je ne bougerais plus d'un iota. Ce qui n'exclut pas la voie de conséquence, (qui se dirait ici) la voix des incidences, comme hasardeuse, hésitante, trébuchante, bégayante, analphabète et sans calcul possible, sans perte ni gain, aucun.
Demain mieux jouer, et allant de plus en plus lentement, jouer vite.
Impossible!


lire la suite, Turbulences en cours sur TURBULENCES


retour accueil Shukaba

"Sorties Papier", éditions Barde la Lézarde
*
à propos de Paroles d'Indigènes:
où on parle de label, de people et d'indigène Des Machines Célibataires
voir aussi l'étude Des Rumeurs & de la Tendance