Isabelle Dormion, Turbulences /12/ du 1er Octobre 2007 au 11 août
2008 Quel est le sujet de l'ethnologie? 1er octobre 2007 Expulsé récemment de l'Université par
la force publique, l'enseignement de l'ethnologie a disparu,
laissant sur le tapis le sujet, qui, si on en croit la rumeur,
est l'enchantement joli de nos loges et logis. Cherchons à
le traquer avant de songer à le saisir non en loges mais
en Logos. Il va de soi que la machine à café s'impose.
Faites l'expérience. Sortez, parcourez trois kilomètres
pour retrouver le café du coin où se dit l'essentiel
(rien ou pas grand chose «pour un lundi on fait aller»,
«passez le bonjour à Fernande», encore que),
boudez la cafétéria, privilégiez le zinc
(plastique, inox ou chic teck), décortiquez les sondages
et vous serez déniaisés. Qu'advient-il donc quand l'art sert d'alibi à un «terrain»
artificiellement semé de granules, de graines et d'oeuvres
d'art dans un champ social où il n'a pas sa place? Un
petit gazon où les différentes caisses que nous
dirions matricielles, font germer le projet, l'ébauche,
le synopsis, le dossier relié, la maquette, lui fournissent
la provende et l'humidité requises. La subvention pleut
comme une manne chiche que s'arrachent les différents
acteurs, artistes ou écrivains validés par un ou
deux ethnologues requis, le cinéaste et photographe ou
vidéaste talentueux qui viendront dans une même
geste harmonieuse, cuirassée, chorégraphiée,
simultanée, plurielle et jardinière, quoique singulière,
unifiée par un label narcissique qui le localise et l'identifie,
lui conférant une force d'impact commercial. Nécessité
faisant loi, il faire germer, étayer, arroser et faucher
le bénéfice. Nous proposons de définir le lieu où focaliser. Reste à localiser. Dressons une liste au pif, disons l'air du temps non seulement à la louche mais à la va comme j'te pousse, les commandes du FMI, le doberman (killer) qui tue l'enfant (girl) et roule ma poule! Non. Pas de ça chez nous. Bocal. Local. Mur. Berceau où naître. Trottoir
où mourir. Trois poussettes dans le 122. Porte bloquée.
Système coincé. Dysfonction. Dysfonctionnement.
Analyseur. La série «Urgence». L'urgence du
réel. Pour une théorie du lieu, 2 octobre 2007 L'étiage pédagogique ne doit pas être
une prothèse. Les manuels de communication construits
sur la base d'une approche cognitive des individus et des groupes
(plus de 7 personnes) imposent un diktat contestable. Les applications
des thérapies systémiques, les stratégies
transactionnelles dans un champ pédagogique sont-elles
souhaitables? * je rêve La lettre ou l'esprit, 23 octobre 2007 Enfants nous nous demandions où était «l'esprit
de sel»* ? *Acide muriatique, Chlorure d'hydrogène HCL que les alchimistes utilisaient jadis dans leur quête insensée de la pierre philosophale. Tragédies, 3 novembre 2007 Faut-il ou non envisager le meurtre comme hygiène de vie? Après avoir relu dans son intégralité Dostoïevski, Max Aub, le vénéneux Sade et quelques policiers, avec du genièvre du schnaps et du brandy derrière les fagots, le dernier film de Woody Allen, «Le rêve de Cassandre», relance la question qui m'était soumise: dois-je débarrasser l'égyptologie d'un certain individu que je ne peux nommer ici, pour des raisons évidentes, celles d'une toute relative discrétion. La réponse, insufflée par le film magnifique de Woody Allen, a fait battre mon cur MK2 à la vitesse d'un chute immédiate en enfer sans le moindre soupir. Les mains moites, chaque plan, chaque répartie, tous les mécanismes de cette horlogerie manichéenne m'ont susurré des idées criminelles qu'un long dimanche verra s'épanouir à loisir... On peut envisager la solution dite naturelle après un petit subterfuge: déshydratation, insolation, tempête de sable, perte d'orientation, perte absolue (au delà de Meidoum), errance, perte de conscience, bref, je ne parle pas de Guizeh, trop fréquenté par mille chameliers bavards et trop avides des ragots touristiques. Une solution élégante et pratique, le poison de type cardiovasculaire, gentiane, badiane, bouton d'or et petite fleur, valériane, que sais-je, revoyons les précis de botanique médicinale, à la portée des enfants et du jardinage automnal. Autre approche, qu'il faudrait laisser aux tordus dégénérés de l'espèce courante, obsessionnelle, la manipulation intrusive, l'exploitation d'un élément caché de la vie privée de l'individu en question. A-t-il un vice, une maîtresse, un penchant qu'il croit, le pauvre, répréhensible, une dette de jeu, une querelle ancienne, un dossier, un passé dans les oubliettes, une parentèle de la honte, une bigamie en proche banlieue, deux pièces cuisine, une lionne rugissant dans son garde-meuble, une tarentule, un aspic dans la boîte à gants, un excellent placement bancaire d'initié, une fortune mal acquise? Cette méthode exigerait ce minimum de sagacité, ce summum d'indiscrétion, ce labeur sordide. Cette approche est à laisser aux maniaques, à la l'investigation scientifique, légale, inquisitoriale, celle qui amoncelle les faits minuscules, tickets de métro, chanvre des cordes, bois dont sont faits les crimes et les humains et que taraudent les polices, virements aux Bahamas, lingeries déchirées, les multiples indices d'un réel répulsif et toujours rendu subalterne. Ici, les frères menuisent les pistolets dans l'étau, comme à la maison. Pas de numéro de série, c'est le message. Pièces uniques. Comment je vais vous le peaufiner, l'ouvrage! Voilà où mène la tragédie, à la vulgarité de l'argent facile, à la tentation des chaînes d'hotels et centres de chirurgie esthétique. On se vendrait pour ça. Pour deux fringues, une bagnole, des filles, la montre au Claridge et toute l'esbrouffe avec ses enjoliveurs. Une jolie méthode, c'est la démonstration du film, une méthode aquatique qui a fait ses preuves chez Alfred Hitchcok, celle du voilier, du bateau, de la nef, du passage dans l'autre monde. Avec «Le rêve de Cassandre», pas de moteur, pas de fuel, pas de mazout sur les plages, pas de bruit, pas de rames, petit temps, pas de tempête, pas trop de voilure, droit vers l'issue fatale. Le vent souffle où il veut. Je me souviens d'un naufrage familial dans un superbe bateau, celui-là gîtant dangereusement, la quille touchant le fond. L'avanie et l'avarie. J'avais plongé dans les vagues de la passe du Bec de Perroquet pour échapper au désastre, en toute indépendance. Avec un ciré, c'est une quasi noyade idiote. Ce bruit particulier des bois légers du roof, je l'ai entendu dans le film, le craquement sinistre de l'inéluctable fin, le malheur annoncé. Ce film, sans une once de psychologie à deux pence, sans complaisances, sans esthétisante nervosité, ample, moral sans leçon de moralité, est beau, impoli et sanglant comme l'antique. Les frères de sang, unis dans la tragédie. On y voit plus de style que d'abjection, sans le dandysme que l'humour parcimonieux distillerait. Mon frère, toi qui passes, si tu veux, je m'occuperai
donc de l'affaire sus-évoquée laisse-moi faire,
j'aurai bien d'autres idées expéditives, celles-là
irrémédiables et nous nous amuserons toujours en
chemin. Couleurs de l'identité? 12 novembre 2007 Grises et tronquées, les virtualités de second
Life. Les psychologues se pencheraient sur les avantages thérapeutiques
des expériences virtuelles: choix d'une autre identité,
pourquoi ne pas choisir la négritude ou l'autre sexe,
celui qu'on n'a pas? Pourquoi ventre saint bleu ne pas se vivre
petit, juif, noir, borgne lesté d'un pied bot, bègue,
pauvre et analphabète, issu de la DASS, heureusement sans
papiers, bientôt expulsé par Roissy? J'atteins ainsi
la notoriété. En me jetant du premier, voire du
deuxième étage, oui, je m'écrase au sol
mais enfin, faisons un rêve, j'accède post mortem,
ainsi que ma famille laissée au pays, à une reconnaissance
nominale, une citation. Trop tard diront les envieux. Il n'est
jamais trop tard pour exister Les avantages de la virtualité? L'anonymat.
Un comble pour ces nouveaux habitués en quête identitaire.
Je me vis blonde et pulpeuse alors que je suis une mémé
en toque d'astrakan que suit partout un teckel pelé comme
un piètre veau? Il se voit en George Clooney, marchant
à grandes enjambées sur les quais, courant presque
vers le bonheur lors d'une visite, corvée promotionnelle
d'une sortie de film à Paris ville Lumière. C'est
son droit. C'est Second Life. Ce n'est même pas une seconde
chance, si misérable le deuxième choix. Je rêve
de savoir confectionner au crochet un dessous de bouteille en
coton perlé, entre la ligne13 et Croix de Chavaux. L'ethnologie,
les voyages et la culture, les bouquins et la fréquentation
quotidienne des chefs d'oeuvres de l'art, les raretés
culturelles, l'argent, ne mènent à rien. Sur second
Life, le possible, l'impossible, mon rêve peut enfin exister:
comment mitonner un chou (un choix) farci et caramélisé.
Comment le déguster le cul calé sur un siège
ergonomique néo-médicalisé. Des tampons
de feutrine amortissent le bruit des pieds sur le carrelage (où
glissera le chou, (le choix) n'importe quoi mais disons-le tout
net!) Le monde ordinaire, exempté d'ordinateur, semble toujours receler assez de surprises pour nous sortir de l'ennui où le confinement en chambre insonorisée, virtuelle, pourrait nous scléroser. La rencontre fortuite de personnages réels dans une promenade banale entre la Fontaine Saint-Michel et le Métro Pyramide est génératrice de l'histoire la plus prosaïque, inénarrable, véridique et sans le moindre intérêt émotionnel ou narratif. L'exceptionnel de second life est hystérique: vous ne savez pas à qui vous parlez! Attendant le bus qui tardait à venir, un petit nabot
(à caractère asiatique) s'est assis à mes
côtés, bousculant une fois de plus mes habitudes,
il a sorti une petite brosse à dents, il a sorti son petit
appareil rose* assorti à son minuscule palais asiatique,
il l'a brossé sans hésiter puis dans un déclic
il m'a souri. Comme ça, c'est fait, ai-je minaudé,
toujours un mot aimable, et encore (que) dans la première
vie, j'aime ces pauvres que parfois le soir j'assassine. Blanc noir et gris, 26 novembre 2007 C'est bien là où le bât blesse: le nuancier,
(serait-ce un métier?), ferait défaut. «Je vous prierai d'obtempérer» : synonyme
de «sanctions s'ensuivent». Pour atténuer le noir, rien n'atténue le noir. Black is black. Let's Go! Nature morte. Trois pommes calibrées non par Cézanne,
mais par la norme agricole européenne. Ne plus transiger.
Aller là où il faut aller. Vite. Terne? Aucun objet. Ni plomb ni zinc. La poussière que le geste disperse Au gris des gris, aucune autre nécessité jamais
ne fera votre loi. Dictionnaire des synonymes (Nathan) : Nous sommes dans le noir : incohérence, confusion. Noir : crasseux. Ténébreux, couvert, diabolique, illégal, clandestin. Avoir peur du noir : n'en mener pas large (l'obscurité me file les jetons). Là il balise. Lieux des petites Folies, 10 décembre 2007 Les petites folies ordinaires restent à comptabiliser.
«Elle est folle!» est l'une des insultes familières
les plus utilisées dans la vie quotidienne. La folie se
banalise. Ces petites folies logent non seulement dans l'escalier
de la concierge mais dans l'esprit d'escalier. * Aucun rapport, un seuil est franchi, la France invite Kadhafi sur le perron. Lieux d'aisance, 21 décembre 2007 21 décembre, début d'après midi «le
mystère de la sexualité féminine»*.
Une moderne topographie confère à la Deux (télévisuelle,
ça va sans dire), à l'heure où les dames
et les demoiselles, les fameuses ménagères de moins
de cinquante ans, toujours gaillardes, rêvassent, (mais
ont-elles vraiment le temps de bailler aux corneilles?) une fonction
nouvelle: la hotte du Père Noël. Qu'y trouve-t-on
tout déballé par des petite vendeuses ad hoc et
fun, mèches colorisées et bouches toutes luisantes
de «lip gloss», dégoulinant d'une sexualité
démonstrative, gentillette, normée, communiquante,
conviviale, partagée, partageable, sociale, socialisante,
rose, pashmina, douceâtre, gestuelle, précise, corporelle,
indexée, indexicalisée, contextualisée,
expliquée, pédagogique, fadasse; désamorcée,
dénuée de toute image, réaliste, hygiénique,
aseptisée, localisée dans l'aisance, cette fosse. Que ce truc (la télévision) soit enfin devenu un vrai machin ne favorise pas vraiment l'exaltation des sens ni leur sublimation. On y voit un primat tenancier d'un sex shop avec une femme frigide que la patience (vertueuse) du conjoint aura réussi (bravo c'est un vrai boulot d'homme, une besogne, un devoir, un dû, une revendication) à sortir de la glaciation (point G, clitoris et trompes annexes), musardez, raisonnez trompettes on ne nous cache rien. On y voit une donzelle et deux fifilles, des dames emperlousées, empruntées, l'une timide, l'autre audacieuse et graveleuse, raconter à des millions de téléspectateurs leurs grands et petits mystères féminins de gynéco-sexologie, leurs misères et les ravissements cool d'alcôves Conforama. Une télévision sophrologique. La télévision, là, oui, bravo, n'a pas rechigné à la tâche, relayant, devançant, faisant et suivant, flattant l'opinion très en-dessous de la ceinture, aux pieds, par terre. On y est. Plus d'ombres propices. Pleins feux. Spots. Lumières. Allez-y, mettez la gomme, vous me relookez ça, la petite brune à mèche, devant, oui, du tact, du doigté, de la finesse, de la fausse candeur et vous faites grimper l'audimat aux moulures stuc d'un hôtel de charme faux luxe, copies Louis XV, dans la grande banlieue adultère. On y est. Mettez-vous donc à l'aise! Défaites-vous! Allez, pas de gêne entre nous. Que l'impudeur aille jusque là! Hier, Bigard au Vatican, flanqué de la mère de Carla Bruni; c'est le cauchemar non climatisé, c'est là, tout benoîtement, étalé. Aujourd'hui, les petits jouets, les sex toys dans la crèche de Noël, les réjouissances organisées, le coup du Bigard sacralisé, là, oui, c'est là, ce cynisme, cette idée, ce truc, ce machin, ce scoop; si Bigard prie dix fois par jour, où prend-t-il le temps de peaufiner ces chefs-d'oeuvres humoristiques, sommet de l'esprit français? Si tel est ce Dieu, des médias; réceptacle et spectacle des prières de Bigard, Dieu, pardonnez donc à Bethléem mon athéisme aujourd'hui. Le lieu des obscénités dans l'acquiescement obligatoire, dans l'ignominie banalisée et rose. Bigard reçu par Dieu. L'enfer. La vie en rose. * France 2 14h, «Toute une histoire». Non, 3 janvier 2008 Pas de papouille zéro fête à la grenouille
pas de famille pas de bûche pas de voeux pas de veau pas
d'oeufs pas de gelée autant de moins cornichons baudruches
te monte pas le bourrichon. Par la bise venue par le froid répandu par la ville l'homme entendu. Faudrait-il toujours l'appeler le vent d'hiver? Délocaliser, 4 janvier 2008 Comme l'absurde proposition d'une installation de la ville
à la campagne, ce constat simpliste: la banlieue
à Paris et voilà le problème définitivement
réglé. Essayer n'est pas une mince sinécure. Archéologie et mythes fondateurs, 7 janvier 2008 Les représentations des mythes sur les vases peints
permettent de se figurer les héros, entre la réalité
historique et la légende véhiculée. Proches et lointains, 14 janvier 2008 «Peut-être l'art n'est-il qu'une tentative
prométhéenne de fixer ce qui, par un décret
des puissances suprêmes, doit être entraîné
et anéanti. Peut-être que Baudelaire croyait être
le plus haut témoignage que nous puissions donner de notre
dignité, apparaît-il au contraire à l'Etre
infini comme un effort dérisoire pour contrecarrer ses
desseins. L'oubli est la loi inéluctable contre laquelle
désespérément nous nous insurgeons.»* *François Mauriac «Nouveaux mémoires intérieurs» L'éloge de l'autre, 15 janvier 2008 L'autre, la grosse à poussette! Il ne faudrait pas
en parler. Où les mères pullulent et soudain, grandes
causes, petits effets, les enfants prolifèrent (statistiques
de l'INSEE) ou je ne sais plus où me mettre. Quand ce
n'est pas l'un c'est l'autre, s'il y en a un, il y a l'autre.
Un nouvel avenant collé aux parois du véhicule
(122) indique qu'en fonction de la (nouvelle) citoyenneté
2008, ce sentiment qui honore non seulement les uns, mais aussi
les autres, nos hôtes adorés, les poussettes (pas
plus de trois, voire quatre) doivent être repliées
en cas d'affluence. Replier la poussette d'un bras, tenir le
bébé (11 mois et demi) de l'autre. On regarde le
dessin collé à la paroi, incitateur. Tenir parka,
fenouils, carottes et couches entre les dents? Le 122, hormis
à l'heure exceptionnelle qui précède le
petit goûter des uns, correspondant à l'heure de
la sieste chez les autres (plus de 65 ans dans le Quatorzième
Arrondissement avant le rendez-vous chez le sino-endocrinologue-acupuncteur
remboursé par la SS), la sortie des écoles est
toujours soumise aux conditions impossibles de l'affluence, des
pressions, des coups dans les tibias et les autres rotules; conditions
dans lesquelles je n'ai vu jusqu'à ce jour qu'amabilités,
surenchères, assauts de politesse, connivences, petites
et grandes rigolades, quolibets et concours d'amicales moqueries,
échanges gracieux entre le conducteur, le conduit, le
conducteur et le transbahuté. Pas un seul éconduit,
sur ma mère la vérité. *Gehenne, l'enfer, c'est les autres de l'autre, d'une altérité plus sartrienne. Les Suisses aussi sont secs, 22 janvier 2008 La Cité des Arts devant la station fermée de
Pont-Marie accueille une exposition sur l'art Australien et
l'art aborigène dans ses vastes salles grandes ouvertes
sur le fleuve, la lumière dispensée des quais espacés. Je suis. * Géraldine Le Roux, anthropologue à l'EHESS
et à l'Université du Queensland L'éloge de soie, 29 janvier 2008 Les Olympiades abritent les galeries asiatiques où
se vendent les soieries et quelques miroitantes robes aux sept
couleurs d'un arc en ciel acrylique. Trompeur soleil du Levant. Bizarre, Bizarre, vous avez dit Bigard? 1er Février 2008 Le 9 septembre 2001, par
provocation, j'adressai à un éditorialiste du Nouvel
Observateur un substrat d'insanités sur l'ineffable Bigard,
qui, s'il n'appelait aucune réponse, faisait néanmoins
l'éloge de la ménagère de plus de cinquante
ans et le procès de toute vulgarité, y compris
dans les prétentions alambiquées des chroniqueurs,
les nôtres, à la distinction. Il y a dans la prétention
intellectuelle une vulgarité insupportable parce que masculine
et communément tolérée. Or ce qui est commun
est vulgaire. Ces gens sont vulgaires, je n'en voudrais pas chez
moi, qui ne prétends qu'à la paix dans mon salon
et au droit à la sélection. Je ne fréquente
que des voyous -c'est dire la difficulté d'une sélection
rendue de plus en plus ardue au delà du périphérique-
tous dotés d'une certaine distinction. La canaille des
salons! Quand les maîtres, nos mecs distingués en
ethnologie, nos cousins adorés, incestueux, notre tribu
au sang de navet, le village où nos mecs, nos cousins,
ceux de notre groupe dégénéré par
l'alcool et le désespoir, mes indiens sans cause, connaissant
les règles d'alliances et de mésalliances, nous
échangeaient, corps de rêves, minois jolis, nichons
fleuris peu Bovary, il ne manquait pas un loup de la horde pour
nous hurler à la pleine lune dans l'auditif la conduite
à tenir: lis Untel, relis Untel, va, vois Machin, cire-lui
les pompes, vas-y, et pourquoi pas -c'était implicite
ou délicatement suggéré- c'est un homme
merveilleux. *Bigardien : deux fois gardien du sens. Régalien? (Notes de nuit dimanche) 4 février 2008 Plutôt que de lire lundi toute la presse titillée et réactive à l'annonce du mariage élyséen, je préfère penser une idiotie, un pauvre lieu commun. La publication des bans n'a pas été faite en temps et en heures légales. La veille, ce mariage était prévisible. La stratégie est-elle cousue de fils blancs? Souhaitons aux épousailles le meilleur et basta! Hasta luego! Une croisière en Mer Egée! photos? Croisons les doigts! Quant à la simple petite robe blanche, la réquisition du maire (c'est lui qui le dit à qui veut l'entendre aux portes du palais) à domicile, l'usage privatif des lieux de la république, sans représentation, sans invitation symbolique, sans diplomates, sans diplomatie, sans rituels de la république, sans tenir compte des usage publics ni des usages privés, avec quelques photos volées, d'une vie privée, qu'en dire sinon que c'est une filmographie où le fantôme de Visconti n'aurait certainement pas été requis en voiture de fonction, ni même invité à l'office. Il l'aurait désertée sans y jeter un oeil. Ceci, jamais vu, n'impliquera aucun effet de sidération chez les contempteurs, nos contemporains et concitoyens. Curieux, c'est par Paul Celan et Martine Broda que j'avais remarqué, avantageuses, la taille et l'envergure, avantagées, des ailes icariennes prêtées par les dieux à Villepin songeur. Un ami polonais m'avait parlé de la traductrice de Celan, publié aux Cahiers du Nouveau Commerce et je m'étais abstenue de tout commentaire. Je ne peux m'empêcher aujourd'hui, mettant en rapport la sérénité de l'ex-insomniaque en échappée belle et la nervosité compulsive de notre actuel président pirandellien* de penser que l'albatros aurait non pas le dessus mais "gain de cause". Il semble encore convaincu, sur un plateau de télévision, des bienfaits du nectar et de l'ambroisie distillés au goutte à goutte et tous les jours recueillis. C'est étonnant, peu politique et suicidaire. La poésie ne sert rien ni personne. Elle n'est pas un état de grâce. Plus cruellement, elle ne pourrait se porter garante. C'est la force de sa faiblesse. Elle passe où rien n'est entendu. Les artifices de l'hexamètre! Tout est faux, bidouillé, chaque phonème à l'arraché, trafic, tout est usiné, nocturne, chaque sonnet fabriqué mot à mot à partir du néant pour survivre à l'humaine solitude. Personne ne convoque Rimbaud en colloque. Le Président Sarkozy, lui, voudrait faire ce qu'il dit, édicte ou ordonne, il usine le jour et réalise la nuit, il plie la réalité à sa propre loi dans une action qui le brisera sans qu'il puisse jamais décoller de la glèbe. Qu'il joue avec les symboles, c'est une autre affaire! Pour ce jeu risqué, il ne faudra pas quérir, en l'honorant, Edgar Morin, c'est insuffisant pour le crédit à venir s'il avait vraiment besoin d'une pseudo-caution intellectuelle. Il ne lui faudra pas rendre compte, il ne tient aucun compte, ni de la parole, ni de sa parole ni de la fidélité, ni des fidèles, ni du temps, ni des infidèles, ni de l'espace, ni du silence, ni des mensonges. Il est dans sa fonction, il l'agit, il l'agite, il ne la représente pas. Il est acteur, producteur, réalisateur et diffuseur de son propre scénario. C'est une fiction hyper-réaliste, à la fois étrange et inquiétante. Il n'a pas de scène à sa liaison comme à son divorce, comme à son remariage, il y a une violence de la représentation présidentielle et dans son trucage réaliste, il y a une forme d'ob-scénité. Curieux, le style littéraire des politiques, ils écrivent comme s'ils devaient égaler tout à la fois Marc-Aurèle et Jules Renard. Trop grand ou trop petit. *Henri IV, Pirandello Dur de la feuille, 20 février 2008 La mouche ne descelle ni le secret ni la bouche J'ai vu au Musée Cernuschi un oiseau en bois comme étaient faits les appelants Baie d'Authie Sons d'automne (Sonotone) Dame de l'Oronte, 25 février 2008 Voilà, toujours là, face au dieu de l'orage,
la dame en oraison. Face aux inepties plus qu'une seule lettre à
changer, l'inertie. Les inertes, mouvement ultra-actif
des rombières de l'ex Gauche prolétarienne. Mais
qu'est donc devenue Suzon et son poil au blason, toujours si
véloce? A la gare du Nord, l'arène et les gros camions Montoya. Les musiciens en bandes reprennent le train en jouant le même air de parade. Les fragments de papiers brûlés retombent jusqu'aux bordures des quais. Cette femme carrée, avançant sur les dallages comme une figure d'un jeu d'échec monumental. La tour avance. Sa fille, la tourelle sauteuse, fonce en diagonale vers un long type à rouflaquettes, chaussettes et tongs, tenant ce que je prends à tort pour un banjo américain. La pluie, les parapluies de toute la ville, dans un mouvement lent et coloré, la pluie attend puis accompagne le départ des musiciens. Un type pris pour un moine en surplis, erreur monumentale, c'est un visiteur en imperméable couturier dans une matière expérimentale du futur, une tentative, le recyclage des vieux sacs de la cimenterie voisine. Tous ces jambons au marché central, une armée charcutière, puis des fraises, puis des anguilles et des fleurs et des fruits de mer et des douceurs aux amandes et des pâtes de mandarine et des confiseries aux pignons. Je me souviens être allée seule et tôt vers Aranjuez, un jour, bien décidée à débusquer les autres secrets sans mystification, la marche rapide, celle du matin dans les allées du jardin. Qu'une seule fois les promesses d'une réunion ne soient pas tenues et c'est le monde qui s'effondre. Ils arrivent les uns après les autres, des dizaines, serrés dans l'uniforme de la fanfare, naturels. Chaque plan les montre tels qu'ils sont, ceux qui attendent que soit donné le départ. L'un d'eux ne parle pas. L'autre tient la anche entre les dents, ajustant les différentes parties de l'instrument dont le boîtier reste posé sur la Fontaine de Neptune. Quand le cortège s'ébranle, nous suivons en cadence, comme si nous étions toujours de la famille. Depuis le temps, personne ne s'étonne plus. La ciudad huele a Fallas*, 3 mars 2008 L'éventration des larges avenues vers la cité des Arts augure mal la sortie matinale. Que des hommes et leurs compagnes, venus de toute l'Europe, puissent boire et festoyer sans discontinuer, cela n'ajoute ri ne retranche rien au fait que les abords de l'auberge sont cauchemardesques. Résister, le dimanche désert, à cette impression d'avoir survécu au cataclysme après les pétarades et les explosions diverses, c'est rejoindre l'accalmie des lointains, nuages éclairés par l'espoir d'un retour imminent au bercail, au-delà des limites de la ville, moderne et désuète. Les dresseurs de dauphins, munis de sifflets à ultra
sons, athlètes dévoués à la cause
animale comme à l'amour des cirques bondés et populeux,
mènent un ballet pétillant, enfantin, optimiste,
turquoise, plouffant, piaffant, caracolant, synchronisé,
professionnel, poissonnier, répétitif, jeune, débilitant,
vieux, virevoltant, ils sont vêtus d'une combinaison qui
les protège dans cette eau glacée, montrant une
musculature sans faiblesse, une détermination sans faille,
un positivisme sans une seconde d'hésitation. Les dauphins
suivent le rythme, ils gobent en saut périlleux, sous
les applaudissements de la foule ravie et passive, les poissons
que les maîtres du ballet leur lancent comme récompense.
Micalet n° 941 - 22 de febrero de 2008 - Semanal
gratuito de ocio y actualidad «Valencia huele a Fallas» L'énorme norme, 27 mars 2008 C'est au passage du bac que je revis le Normand que j'avais
croisé un jour, le monde est vraiment petit, et c'est
hier, au quai d'Alma-Marceau en partance pour une croisière
fluviale d'une heure avec quelques Huns et des Wisigoths d'origine. Banderole et banderilles, 8 avril 2008 Les villes où les gens du Nord vivent souvent entre les brumes et les effluves de betterave s'appellent Berck-sur-Mer, Etaples, Abbeville, Rue, Rang-du-Fliers, Arcq, Chocques et pour en établir une nomenclature exhaustive, il faut partir de bon matin et parcourir la côte par temps sec, les collines de Danes et le cours de l'Authie dans la lumière crue des premiers jours d'avril. C'est le moment. Découvrir les villages et lieux-dits de l'intérieur? Une vie n'y suffirait pas. Sainte-Cécile, Camiers? C'est Pialat interprétant Bernanos qui aura fait découvrir les déserts hantés par les vents: l'arrogance s'y érige contre l'humilié qu'elle bafoue. Les cristalleries ont été fermées. Les aciéries n'existent plus. Les mines de nos aïeux ont laissé des monticules herbeux qui serviront bientôt de pistes de ski aux enfants des écoles, les derniers côtres ratissent les fonds plats pour les derniers pêcheurs que ne nourrissent plus les dernières limandes soles, les quelques carrelets et les raies qui se vendront bientôt à l'étalage au prix du caviar iranien. Les ornithologues amateurs en groupies de nos menus échassiers déambulent sur les longues grèves boueuses devenues très écologiques. Combien de hutteux avaient avant eux entretenu sans en tirer le moindre bénéfice ni la plus petite once de prestige ces antiques passages, les nouveaux chemins venteux, les allées obligées de la tendance, ces "parcours de santé", désormais damés. Où sont donc allés nos faits d'armes buissonniers? Vendus à l'encan. Consommés, exemplaires, comme les berlingots berckois de la rue Carnot, piétonnière et commune, rendue vénale par d'inévitables festivals d'une promiscuité commerciale qui n'est qu'artifice. Un poissonnier de la rue de l'Impératrice (Eugénie) avait eu l'excellente idée d'installer des tables et de proposer des carrelets en caudières. Les gens du Nord ne se consomment pas en dessert, la gaufre d'un exotisme un peu chti, frites et populace ravie des beffrois. Rétifs et pudiques, généreux et sensibles comme les autres, comme chacun, celui de l'Ouest, l'autre de l'Est ou plus, le lointain d'Outre-Mer. Contre qui porter plainte? Contre la bêtise. Incitation à la haine, exclusion hexagonale étalée, ceux d'ici contre ceux d'à côté, ceux de chez nous contre les autres, le Chinois (ce Belge de l'autre frontière) ou le Tibétain (ce Tintinesque d'ailleurs, ratatiné et safran) faudrait-il en outre, à l'heure sacro-sainte de la communion masculine dans un stade, supporter l'odieux, l'ordinaire de la méchanceté cheap et tueuse. Assassinons les faiseurs de banderoles (des chômeurs, des retraités, des handicapés, des sans-logis, des Rmistes? des gens du Sud? des partisans de Galabru*?) prenons leurs empreintes digitales, leurs traces ADN, traquons-les, pourfendons, pendons-les en toute mansuétude, jugeons et pas une once de pitié, lapidons-les, écorchons-les vifs, écartelons-les, brûlons, laminons, à l'heure sacro-sainte de la digestion, celle de la gentillesse nécessaire, du sourire ergonomique et des bons sentiments obligés. S'il faut un film sur les gens du Sud, thym, farigoulette et fougasses pagnolesques pour déployer de nouvelles imbécillités* en étendards de douze mètres, faisons un match Guédiguian-Dany Boon au parc des Princes et voyons qui des deux gagnera les suffrages, l'unanimité et les plus belles banderoles à la saison des endives. *au JT de la 2, il nous est précisé que tous du PSG perturbateur ne sont pas des «marginaux», ils sont «insérés socialement», et l'un est «même ingénieur en informatique». Vestons et vestales, 11 avril 2008 Le diplomate chinois éteint le flambeau d'un coup sec.
On s'agite. Le diplomate chinois lève les bras, fronce
les sourcils, fait virevolter le bâton blanc de l'ordre
requis, ordonne, régule, sévit, se fâche,
gronde, s'implique, s'applique, règle toute la circulation,
il faut le dire, de main de maître, autoritaire, mais non,
avec maestria, magistralement, de façon didactique. La
courtoisie diplomatique n'exclut pas la fermeté, cirons
les pompes, allons-y, la fermeté de bon aloi. Merci, monsieur,
de nous apprendre la circulation, l'ordre, et comment tenir tout
ça, la racaille, avec deux trois tanks bien placés
entre Beaubourg, la place Tian Amnen et la rue de Rivoli, sans
faire le détail. Mèdes alors! 19 avril 2008 A l'heure nocturne où les visiteurs désertent
les salles immenses, la Pyramide du Louvre, la mienne,
nous a, tous les jours, restitué Babel et Babylone dans
la fatigue et la solitude. Combien de fois faudrait-il arpenter
ces lieux familiers pour que le détail soit rendu visible
et que tout l'ensemble revive. Quelque chose est là, revenant
des temps révolus, qui palpite et parle. On voit. La main,
celle du tributaire qui présente au vainqueur la maquette
d'une forteresse en signe de reddition, elle porte un pouce trop
long, dont l'articulation ne peut vraisemblablement tenir, en
le pinçant comme un crabe, le gage, une petite construction
crénelée. Le nom de l'artiste? Peu importe! Des
traces ocres et rouges, subsistent sur la fresque sculptée,
ferrugineuses, animales (pourpres) ou végétales. Ce nègre-là **Mot dont le h sans aucune aspiration, s'il appelle, s'il exige au bahut la faute d'ortographe, ridiculise plus le présomptueux ou le cuistre qui la fustige que le fautif qui l'engage. Mettre une seule lettre en gage: l'innocence ou l'ignorance, soluble, conjointe, «absolverait» et pourquoi, ce cancre-là, ne pas l'absoudre. Non, la faute, orthographique, reste une erreur, plus pour le lecteur que pour celui qui la commet, ne la voyant pas. Il faut la souligner de rouge. Faire mieux, édifier, oeuvrer, penser lundi à corriger les coquilles, les rimes foireuses d'un rap catéchumène (à rien). Sorbonne cassé stylo, 21 avril 2008 A l'instant roulent les tambours, sur le parvis jacassent
et passent ceux qui sont là, que la pluie dans la nuit
lave, temps de chien, sur planches les derniers mots du mort
hurlés. *Naze, sur l'île d'Amami-Hoshima Vis-à-vis, 23 avril 2008 La femme, je ne la connaissais que de vue, avant d'accéder
par hasard au quai, très anciennement, un chignon remonté
sur le sommet du crâne et des yeux bridés. Quand
elle barbotte à plat ventre sur les grosses bulles, aujourd'hui,
tant d'années sont passées, c'est un progrès
phénoménal, elle n'a pas hésité une
seconde à partager le bouillon avec les connaissances
faciles du petit bassin. L'autre, c'est la grand-mère
assidue en maillot bleu ciel sans armature, bonnet bleu-roi d'une
ancienne enfant de Marie, cent ans de neuvaines, autant d'oublis,
pas de rémission, une vie d'enfer confiné, le paradis
au mérite, et toujours pataugeant à deux brasses,
toujours rétive, la petite fille bleuie. Elle s'enfuit
cherchant l'escalier. Et cette femme, la première citée,
je n'avais jamais vu qu'elle était un peu attardée
ou pré-sénile en activité hyper-kinésique
accompagnée. Compter les bulles, s'en réjouir,
avec ou sans mon approbation, en faire un calcul rigoureux, sans
tenir compte de mes applaudissements sous-marins, encore une,
encore une, à moins d'être pape je pensais hier
comme je le devine aujourd'hui, il faudrait lui accorder au moins
cet état, la sagesse de l'eau immédiate, ça
n'est pas donné à tout le monde en partage. Sofa und Sofia, l'Autre Valparaiso, 27 avril 2008 «Mona» d'Ivry, d'Issy à Palaiseau, un chemin partagé pour le comprendre un autre jour, le long de la Seine de Choisy à Masséna, voir ça, l'écluse, les retenues, les bassins de décantation, le canal de dérivation, considérer l'amour des rives: les tours, la fatigue, ciels, l'autre fatigue, camions, la fatigue tierce, route, boulevards, sentiers, premier soleil, escaliers, passerelles, port autonome, la mort de soif. Le quai Jules Guesde n'en finirait pas pour moi si tout allait à vau-l'eau. Au milieu, après l'écluse, les femmes en groupe silencieux cuisent les aliments sur un feu de bois flottés. J'avais vu les mêmes près d'un pont, les mêmes dans une ville basse inondée, colmatant les brèches du domicile à la main, l'une tenant la marmite où l'autre avait préparé le plâtre qu'elle touillait comme ce matin la farine et l'eau. Une petite fille tient son frère prisonnier près du fleuve, le menaçant d'un pistolet de plastique bleu-vert sur la tempe, je lui fais signe de tirer, elle rit, qu'on en finisse, un peu de rouge sang, corps et coeurs denses des pensées ténues, après-demain, orange et carmin découlent. Entrepôts des bétons gris plus loin, le port autonome, des gardiens et les deux organisateurs de séminaires et réunions, gens sapés de marine qu'on mène en croisière blanche. Les couleurs viennent seulement avant l'étourdissement, une légère inquiétude. Sortir du périph, traverser, retrouver les traces, les miennes, toujours les miennes, tant que nous portent encore les jambes, et m'endormir seulement abrutie. Xylophone, 5 mai 2008 Hier Lucien Jeunesse est mort à l'âge où
les vieux passent. Avec l'entorse futile qui entravera les pas,
la semaine est là qui se charge de trois cataclysmes grandioses
dont l'un d'origine volcanique. La mer inonde la Birmanie, entraînant
tout sur son passage. Quelle conscience garder d'un univers trop
vaste pour même se risquer à le percevoir? Le concevoir,
impossible. Notre monde est minuscule, fenêtre ouverte
de la maison fermée, «le jeu des milles francs»
et le carillon accompagne les quatre notes de M. Lependu. Sonnant
sur l'instrument, elles ponctuent les mille et une questions
apprises dans l'encyclopédie des rayonnages. - Allo? un lac ou une retenue d'eau? Pourquoi un ballon décoré
de Batman? Prouvez-le! Pourquoi dégonflé? Vous
y étiez? *J. H. Fabre «Scènes de la vie des Insectes» - Nelson Editeurs, avec un portrait à la plume de E. Heber Thomson A signe où quai, 12 mai 2008 De Javel aux Invalides sur un seul pied valide et pas un
chat place Fontenoy, alors que l'entrée fluorescente
bleue annonçait trois-cent-soixante-dix-neuf nageurs dans
le grand et petit bassin, trois-cent-cinquante à oublier
dans la poussière de la ville. Dans l'angle près
du mur du fossé, arrivent portés par le vent l'odeur
des chevaux et le cri des oiseaux amplifié par leur tournoiement
dans les écuries. Près de l'Unesco, un touriste
affalé habillé d'orange vif, aucune pensée
vive, le ciel d'été immobile en tiendrait lieu. "Obvier", 15 mai 2008 C'est la première fois que j'écris ce mot qui n'aurait pas du trouver une utilité, une fonction avant longtemps, un verbe qui n'a jamais servi, pas de circonstances obviables, l'usage strict des termes simples. Manières, maniérisme. Deux mots plus loin, reportée à l'«ocarina», j'y pensais avant que sonne l'Angelus, lisant dans le plus grand désordre, sans en saisir un traître mot, Le camp de Wallenstein, de Schiller, obviant à des chimères qui depuis des nuits d'insomnie, ne quittent plus le matelas, la paillasse du premier dragon comme de la dernière arquebusière. Voulant, mais en vain, prendre du champ, et pourquoi de la hauteur (?), idiote où va la chute? à l'eau que mon cruchon y gît- Je trouve déserté le petit oratoire méridien de Saint Jean le Théologien. Les élèves de l'école d'horticulture sortent en parlant assez bas pour ne pas troubler le bavardage d'un gardien vers les portes entrouvertes, plus bas à l'ombre de la voûte. Les voitures, des semi-remorques font demi-tour, là, à l'angle, une maison de la nature et de l'oiseau, des boutures, des greffes, quelques pédagogues glabres, les serres, des alignements de pots, et la mémoire des orphelins d'Auteuil collationnée par la dame Galliera. Revenons-y, «la récompense est passagère», le deuxième cuirassier chante : «Allons, camarades, à cheval! à cheval! Courons dans les batailles, en pleine liberté ; C'est là que l'homme vaut quelque chose, C'est là qu'il peut monter s'il a du coeur. Là, personne ne peut se faire remplacer, Il faut que chacun paie de sa personne». Trompette fifres ocarina : oui, journées obtuses et silence précèdent tonalités majeures, les mots sont là, en ordre alphabétique, soldats. Dans la ville, 19 mai 2008 Trois des piliers angulaires de la Grande Halle, d'une
hauteur de douze mètres, encastrés dans les pierres
de fondation, simplement posées sur le sol marécageux
me semblaient de guingois. N'était-ce pas plutôt
le vertige d'un jeûne prolongé? Lorsqu'une heure plus tard, nappes repliées, la joute
put commencer (entre les commensaux et combattants) on nous demanda
de nous placer à la première ligne d'effort et
devant mon hésitation, ma réticence, puis mon refus
poli, on exigea un arbitrage qui ne pouvait être ajourné
sans risque. Les feux n'étaient pas encore éteints
du côté des mangeurs à écharpe de
soie purpurine, ils gardaient les braises derrière, et
les chefs de choeur n'avaient pas l'air de plaisanter avec le
règlement d'associations à but non lucratif, certes,
mais obéissant à de très ancestrales coutumes
appelées dans la région qui les opposait aujourd'hui
en cette lutte des vieux «donner la dernière voix
de salut».* *J'avais toujours pensé, selon l'antique traduction espagnole «Al salud», «donner la voix au salut» mais une fois de plus j'avais tort. Vue : l'après-midi à la campagne sur le livre d'or, 26 mai 2008 «S'il m'avait dit que je retrouverais un jour, le 22, un vrai visage et je parle de ça en toute désinvolture, je n'aurais pas pu l'entendre, pas un de ces mots, ni 'visage', ni 'vrai'. C'est ainsi que mentent les mots qui nous défigurent. Pourtant tout avait commencé tôt, un an, deux ans à peine, une voie ferrée à Mervan, les rails rouillés, les planches empilées, et l'envie de quitter tout ça, bois et scies, deux ans, les jambes nous portent à peine, franchir le pont qui allait de l'autre côté de la nationale, portant un petit pot d'acier inoxydable. Petite, je voulais partir dès le réveil sans m'encombrer de toute la parentèle bavarde, longer le tunnel, éviter les voitures en me plaquant immortelle contre le mur de brique ocre et gagner la ferme où la crémière allait, j'en étais certaine, remplir le récipient de crème fraîche, en assez grande quantité pour soutenir mes pas pendant tout le voyage. Il me disait que c'était impossible, à un âge aussi précoce, de parcourir seule d'aussi grandes distances sans qu'un adulte, un voisin, un proche, un marchand ambulant, ne puisse remarquer sur la route une enfant rendue seule aussi loin, près des pêcheurs de truite, pas des braconniers sans vergogne, non, ceux qui peuvent rester silencieux, attentifs au seul sifflement du fil lancé d'une berge à l'autre. Si à l'époque, prédatrice et chasseresse sans pitié, j'avais pu vivre de mes prises, pigeonneaux, ou bientôt leurs hérissons rôtis, je ne serais jamais au grand jamais rentrée à la maison, la baraque ordinaire des scieries, aujourd'hui c'est chose entendue, quand ce n'est pas un lièvre, c'est une poule, et s'il suffit de lui tordre le cou, je ne vois pas pourquoi, non, dit-il, pas les poules, pas les truites, pas les lapins, pas les perdrix, un chevreuil tu te contentes de le toiser de haut en bas, et encore tu t'y reprends à deux fois!, vas-y et ne cille pas. Moralité, avec eux tous, avant les arches, mais je m'ennuie à un tel point de non-retour! Non, ce n'est pas ça. Ils m'ennuient, j'en ai des crampes dans les machoires, une véritable torture, aux mains les articulations blanches, aux oreilles le froid de la surdité feinte, toute seule il faut toujours s'occuper de tout, à essuyer la vitre, un coup de chiffon, scier la bûche, émietter les feuilles de tabac et passé Issy, je peux voir la différence, les vieilles femmes se tiennent toutes à carreau, elles montent et descendent toute la sainte journée, portant des chaussures beiges hideuses, élastiques sans lacets, des sans-gêne, l'une pour le lait, l'autre pour le pain, quand ce n'est pas pour faire «acte de présence». Est-ce que moi, d'une génération plus jeune, je pourrai sans surseoir faire acte de présence, par la limite d'un âge atteint? Non, Il ose le dire, non! Et la voix muerait? la soprano du Grossglockner, atteignant l'âge où franchement, coursant une poule ou devançant un lièvre, on ne va pas mégoter, l'entourage ne rechigne pas si c'est à rôtir après l'avoir plumé et roussi les petits duvets tranquillement, écorché la viande sur l'aire sans voiture. J'en ai vu une signer un registre, une autre, à la maison d'Armande Bejard, signer un livre d'or, à peine avait-elle le dos tourné, j'attendais, la tête comme d'habitude, pourquoi pas un feutre mou pendant ce temps-là, un foulard, un serre-tête, ce qu'une femme peut se mettre sur le crâne, un petit fichu de cretonne pour apparaître à la fenêtre, une calotte, moi, des mèches coiffées et blondies au fer rouge, pourquoi pas se scarifier, non, neutre, sans le visage, invisible et cachée près du pressoir, c'est peut-être indigne mais après tout, la désinvolture, c'est chose très nouvelle après Issy, et passé le pont, j'ai vu la réalité. Quand je parle de celle qui a mis ça en plein jour, chapeau, je prétends que ce n'est pas la rôdeuse coutumière, c'est l'autre, la récente caissière, l'anguleuse, celle qui travaille pour la maison. C'est vrai que gâchée par le métier ou blasée, peu sensible «aux charmes désuets des lieux, elle se contrefout de la tourelle chargée d'histoire et de nostalgie passéiste c'est un pléonasme», elle a repéré plus bas «vers le chemin de fer un poulailler, mangeaille ou plume, l'affaire est sérieuse, elle attend la tombée du jour et Couic: suivez mon regard», et elle raconte ça sur le cahier des doléances et autres impressions livré aux visiteurs, «moi j'adore Molière, Armande, non!», elle donne son opinion, oui, frivole, c'est elle encore qui le dit, à côté d'un livret du Conseil Régional, un fascicule de conseils aux curieux de randonnées architecturales, voyez sa gare, ou l''Art nouveau, Arp, quand je dis ça, art d'Arp, l'autre déjà, à peine le connais-je, à tu à toi, il me rétorque, les crocs sortis sous la moustache, narquois et «mais enfin occupe-toi plutôt de tes poules, pendant ce temps-là tu ne joues pas le tango, tu as combien de volailles pour aujourd'hui?». C'est un fait que je rapporte bien le gibier mais les clapiers, non, pas trop, je n'ai pas été habituée assez tôt ou mal entraînée. Poser les collets, je laisserais ça plutôt à ceux du plateau. C'est facile à dire mais à cinq heures vingt il pleuvait des cordes en bonne et due forme et elles s'étaient toutes cachées à la queue leu-leu dans leur casemate grand style Louvois, même la petite blanche, planquée dans ce poulailler historié, 1685, l'escalier rend à la philosophie d'Aristote ses marches à suivre, un sens délivré à demeure, si c'est ça, je repasserai vers l'orangerie, je vois mieux la nuit et pas un chat, je pouvais toujours attendre là trempée des pieds à la tête, oui, je te répète, j'ai un alibi à la campagne, la volaille, pas de scrupule et après ça le déluge.» Matinée dans la ville trépidante, 9 juin 2008 Allant de la ville aux abords des champs et des bois, la rame dépose les voyageurs en bordure des quais de Seine, alors que le ballon «Air pur» s'envole quelques dizaines de mètres, souvent amarré au sol. Certains quittent l'agitation du marché central pour rejoindre une troisième personne plus loin.* Dans l'angle du tramway, près de la porte automatisée, un jeune homme de type dostoïevskyen, dévisage une jeune fille d'apparence woolfienne, adossée à l'autre panneau de séparation, il se met à trembler, il tombe, heurte la marche d'accès et convulse en quelques minutes. Le temps d'arrêter le véhicule et de demander le médecin de l'assistance, il perd connaissance. Les voyageurs restent assis, téléphonant pour annoncer à leurs proches ou leurs employeurs éloignés le retard dont ils sont disent-ils, chacun et de tous, l'otage le plus éperdus. Plus tard, vers la Poterne des Peupliers, les pompiers en activité font entendre la sirène, ils ont déployé le carnet de bord, consignant les identités et les faits, alors que la tête du convulsé, ayant quitté le giron de la jeune fille oublieuse de la promenade à d'autres phares, a repris une activité nerveuse presque normale. Si la langue n'a pas été avalée, c'est déjà ça. Elle, la langue, décline l'identité, «je suis un habitué du signal d'alarme»,bravo! dit la bouche qui hésite, il, l'organe locutoire achoppe sur les mots qui ne viennent plus dans l'ordre. Face à lui, un pompier de la rame, celui qui hors service, jeune, beau, robuste, d'excellent conseil, sportif, avisé, drôle, en parfaite santé, tant physique que morale, lui qui refusait de transporter le malade sur la voie de circulation où les voitures auraient pu le tronçonner sans délai, ce jeune homme, à la Cité Universitaire, saute du tramway, suivi de la jeune fille, qui d'un bref signe de tête et souriant, salue le jeune homme, victime d'une "indisposition heureusement sans gravité". A l'entrepôt de la cimenterie Lafarge, derrière les bétonneuses alignées, un homme, chapeau haut-de-forme et queue de pie, traversant la passerelle d'un bateau qui reçoit toute une noce, va promener un labrador cérémonieux sur le chemin longeant le courant du fleuve. *«C'étaient deux bons amis qui se connaissaient depuis longtemps. Le rat des champs, ménager de son bien, vivait chichement, de manière cependant qu'il se mettait en frais quand il lui venait un ami» Horace Satires II, 6. Fraises du bois, 23 juin 2008 Nous étions tapies derrière l'étalage, mes soeurs et moi, les barquettes offertes aux chalands, autant de soiffards que les premiers jours de l'été révulsaient, quand je vis passer longiligne et méthodiquement coiffé, un certain Dunoyer de Segonzac. Tiens donc, me dis-je en tapinois, ça fait des lustres au nouveau Commerce et l'art devant soi a encore des beaux jours d'expiation en nombre suffisant. Quand le lendemain j'arrivais enfin à la station, l'avenue présentait la configuration d'un décor de far-west à l'heure de la sieste et un autre jour, je serais tout aussi bien revenue sur mes pas en quatrième vitesse, remontant dans le train, sans compter sur une forme nouvelle de détermination poussant à cheminer dans la campagne hors de mes propres battues. Dans la boulangerie une vieille femme m'offrit une voiture pour aller là où allait conduire la logique singulière de l'histoire, se trompant dans le nom des tableaux. Je tenais avec le pouce et l'index une vignette trouvée dans une plaque ancienne de chocolat Menier, une cabane, l'embarcadère, et c'est bien là sur l'image, Cythère à trois pas d'ici, à portée de fusil. Il y avait sur les bas-côtés, semblant attendre un signal, deux hommes de grande taille, lestés de sacs à dos, comme toujours prêts pour la diligence. «N'est-ce pas plutôt là-bas, disait la femme, que vous pourriez voir votre curiosité, de l'autre côté de la colline, rive droite, je ne me souviens plus». Elle avait posé le pain chaud derrière et j'avais déjà faim. Au virage, je peux l'assommer de la main gauche et me tirer avec le meilleur quignon cuit. Si elle n'avait pas, comme tous les débuts de semaine, un rendez-vous médical qui devait occuper une grande partie de la journée, elle serait volontiers venue avec moi, renonçant à l'idée de la maladie. Elle aurait retardé l'heure du déjeuner, elle l'aurait pris ailleurs, de l'autre côté de l'axe communal et bientôt dépassée l'autre gare. C'est encore elle qui dit «Nous aurions pu pousser jusque là-bas après le café, il y a, je crois, quelques tableaux à Bourg-la-Reine, mais celui que vous cherchez est bien à Oxford?». Et dans le ton de la voix, c'était une invitation au dépassement de la boulangerie. C'est l'abandon, provisoirement, pour elle, des radiolologistes régionaux de cette zone fortement boisée dont l'humidité peut-être est préjudiciable aux articulations, à moins que la boulangerie soit la seule sortie autorisée par les conseils des médecins de cette bourgade charmante. «Peu importe, j'ai largement le temps et je vais trouver, et même s'il fallait marcher dans ce sens-là, ce n'est pas ma rive et le lundi il n'y a pas âme qui vive jusqu'aux abords des étangs de Ville d'Avray.» J'oublie parfois tout ce qui importe, huit jours dans l'année sur les talus et certains carrefours à midi désertés, les fraises des bois sont là secrètement, dans le creux de la main j'en aurais hier tenu juste quelques unes. Insignifiances, 4 juillet 2008 Allant sur le parvis de l'hôtel de ville clamer sa joie de revoir Ingrid Betancourt, Jack Lang, joyeusement serreur de jeunes paluches et tout ébaubi d'un dénouement festif et citoyen, après la fête de la musique et avant le14 juillet, donne le ton. Pas d'arrière pensée, de la vraie joie, du sautillement rythmé, de l'hystérie collectée, des fanfares et des trompettes d'apparat, pas une ombre, pas une faute de goût, aucune réticence, de l'unanimité, des accents de sincérités conjointes et disparates, des authentiques embrassades, de l'accord nationalisé et sans aucune publicité, pas d'étalage déplacé, des enfants grandis, des larmes de la véritable émotion, de la virile vérité émue et demain palpable, papale, pas de redondance, pas de partition, pas de répétitions, pas de prétérition, enfin voilà la libération, toujours préférable à la liberté : ne dure qu'un moment, quelques instants dans une carlingue. Plus de deux secondes, ça lasse. Loin de moi l'idée que trop d'Ingrid nuit à Betancourt, loin de moi le soupçon que les câlins et des retrouvailles inter-générationnelles puissent être mis en scène par la seule complaisance mais je n'aimerais pas que ma mère, qui n'est pas une ancienne ni même une future reine de beauté mais qui sait cuisiner un boeuf Strogonoff, vienne me faire des bisous chargés de larmes publiques sur un tarmac. Dans notre famille, une franche bourrade dans les côtelettes est l'expression de la plus extrême affection, jugée ostentatoire devant un tiers. Une véritable interrogation me taraude, nocturne : ce bob militarisé que notre otage adorable ôta devant la foule était-il anti-balles? Servait-il à tenir les cheveux, à maintenir les pensées, à juguler les sentiments, à différer le moment où se déverserait le trop-plein du manque, la détention jour après jour, ceinture et mâchoires serrées. Une deuxième question : Carla va-t-elle devenir l'amie numéro un de notre héroïne, iront-elles en villégiature, va-t-elle chanter la chanson de l'Espace Possible, avec de forts accents houellebecquiens, un accompagnement latino, Sarkozy va-t-il donner cette femme résistante comme un modèle du courage domestique, capable de faire un moule de Marianne, un buste supra-national, supplantant le meilleur profil de Catherine Deneuve, à chaque mairie du royaume? Une troisième question, la grande résistante va-t-elle écrire assez vite le Livre de la détention jour après jour, que tous réclament avant l'automne et qui aura le prix Nobel de la Jungle pour sa véracité et la force prégnante de sa haute tenue sublime. Quatrième question, à ce jour, l'insignifiance menace-t-elle le moindre de nos gestes, la moindre de nos paroles, la plus petite parcelle de vérité? Essayant dans les forêts proches les conditions optimales de la survie en solitaire, j'étais assise près d'un chêne (si c'est vrai, Saint Louis jadis le vit croître) quand je détectai une groseille sauvage, de la taille d'une goutte de sang. Plus loin deux jeunes gens descendent une allée à vive allure, la fille houspille l'autre, glapissante, le faciès et les mollets d'une orthophoniste stagiaire, qu'une flèche en plein coeur pourrait, si l'entraînement se poursuit à l'heure dite, juste abattre en plein déval. Petite pause à la source. Jaspine. Suppute. Pianote sur les troncs d'arbres. Jauge l'écorce et froisse la chênaie. Tâte les pneus de l'autre vélo, les regonfle, les dégonfle, soupire, aspire, respire la chlorophylle la bague au doigt. Au milieu de la clairière, la jeune femme sort un mètre pliable de charpentier et après avoir couché son (propre) vélo dans l'herbe, toise son compagnon des bois, des eaux et des forêts (réunis) à partir de la plante des pieds. L'éternel est féminin. Grande surface, 9 juillet 2008 Il y avait devant les eaux le pêcheur captif, celui qui pour rien au monde ne bougerait d'ici avant la fin de la journée, quand bien même la terre tremblerait, et de l'autre côté, scrutant la surface, son anti-matière, le non-pêcheur actif, plus de cent-vingt kilos dans des vêtements sombres, spéculant sur les non-prises des cinq cannes alignées que seul le grand vent d'hier bougeait encore. Un gentleman farmer à la mèche lisse semblait attendre plus loin le passage de grands chiens en meute appelés dans le désordre par leur nom, dont un petit fox terrier, un glandeur de la race trottinante qui fermait la marche tout en sautillant vers les glands ou les menus papiers, comme toujours la truffe fourvoyée dans la garrigue d'autres séjours italiens. C'est beaucoup plus tard que ma colombe virginale vint s'installer, à égale distance du contemplateur des appâts et des leurres argentés. L'oiseau, le mien à prix d'or, pensait à tort le gros homme, ne bougeait pas d'un cil ni d'une plume. Il fixait les eaux, ignorant les petites miettes de vieux cake laissés par la horde des enfants de passage avant le récent coup de vent, il négligeait les petits cailloux dont certains auraient pu cacher quelque graine oubliée, il sondait la rive opposée sans même bouger une seule patte et l'homme lui fit un petit signe ambigu, à la fois pour l'attirer, le déterminer ou très près ou assez loin de lui, le décourager et le mettre franchement au défi de s'envoler dans les trois secondes. Il n'avait jamais vu un oiseau aussi obstiné dans la contemplation herméneutique des pêcheurs, aussi indépendant des contingences, aussi blanc, le bec aussi immobile devant lui, jusqu'au moment où la colombe, si c'en est une, fit quelques pas francs vers lui, s'éloignant de la ligne médiane imaginaire qui départageait le terre-plein où nous étions posés sans bouger. Derrière nous, des corneilles ou deux corbeaux fermaient symétriques le quadrilatère et qu'une seule voiture des pompiers de service hulule derrière la cabane fermée, c'en était fini des figures géométriques avec intégration de tiers médians et autres petites fantaisies diagonales. Je parlai à la colombe dans un langage classique, passif, facile et silencieux et en deux secondes, elle avait rejoint mon camp, pour changer d'avis sans accord préalable et se replacer aussi sec près du filet, redonnant l'avantage au grand gros charbonnier sombre, toujours maître chez lui, c'est ce qu'il sembla dire en éternuant trois fois, chassant l'oiseau vers les longs bancs de la colline verte. Leurs tombes et la fatigue, 14 juillet 2008 - Je n'avais jamais vu le cimetière de l'autre côté, arrivant par la forêt pour boire là où les familles emplissent les vases de fleurs, arrosent les plantes, rafraîchissent la mémoire des disparus de longue date. Isolées par un grillage, comme les prisonniers de Bois d'Arcy quand on arrive par les arbres et les buissons aux murs d'enceinte, les cris des détenus amplifiés par le silence de la nature, les tombes inaccessibles, et je préfère renoncer à me désaltérer plutôt que de faire le tour par le chemin du haut, une sorte d'impolitesse aux morts surpris dans le calme été, sous leur autre aspect, proche d'une souche ensoleillée où je peux m'assoir et me reposer en attendant les visiteurs de la Toussaint. - Echappé de Verrières, derrière un tennis, un homme de taille moyenne imite les cris du loup en prenant la seconde bifurcation. Trois solutions, répondre en langage-loup et croiser les chemins en loucedé, imiter l'agneau furtif et tracer sans perdre une seconde ou mère-grand, normale et marchant sans hâte? Je choisis un arbre d'envergure pour me cacher le temps que l'homme de Verrières-les-Buissons reprenne sa course folle en moulinant les bras, imitant au tournant les hélicoptères qui zèbreraient le ciel de Villacoublay. - Cette femme, devant l'habit, qui me demande à plusieurs reprises «vous les voyez de quelle couleur, les boutons, vous?». Grenat. «Ah, moi je les voyais marron». «Et ceux-là, vous les voyez comment?» Violine. «Moi je les voyais gris souris». «Et ceux-là?» Turquoise. Elle les veut, les bleus, et d'autres, aigue-marine, elle les arrache du tissu, un à un. Je lui demande si elle est daltonienne. Non, elle vient d'Iran. Et le vendeur, les yeux pers, qui me dit plus tard, «moi, je vous assure, une femme comme ça, je lui donne tous les boutons qu'elle veut, de toutes les couleurs, vous la connaissez personnellement?». Je lui parle d'une délégation, non pas iranienne mais syrienne, curieuse peuplade, officielle, très probablement, chargée des boutons et autres broutilles du même acabit dans la capitale en ce jour avant les cérémonies commémoratives. - Devant la maison de rêve, celle d'Hansel et Gretel à la lisière, des hurlements à n'en plus finir. «C'est toujours la même chose pour les plates-bandes, on dit que le travail est fini et non, non et non, il faut tout refaire, ton boulot, et là je dis halte, stop, la binette, tu peux te la carrer». Je regarde l'heure, je sors le crayon, prête à témoigner de l'heure du parricide dimanche13, j'attends derrière le réverbère, les cris s'amplifient, il faut rester calme, écrire, non seulement la hache tournoie, mais passe l'aspirateur à feuilles mortes, puis après les ustensiles, les récipients du jardinage printanier, les pots de terre, une vasque, quelques jarres, je note, 10h57 «l'issue fatale semble imminente (jambes engourdies)». Une heure plus tard, quand je reviens de la clairière enchantée, leur voiture, un break marine, est apprêtée pour les vacances, les volets sont fermés, le chien est couché à l'arrière, les allées sont ratissées, le panier plein de crudités pour le déjeuner, thermos à ras, trois bicyclettes arrimées sur le toit, et sur le trottoir, avec les bris de vases et les fragments d'une chaise longue, quelques barreaux, le cadre disloqué à la toile déchirée, il y a des livres dans un cageot, Pearl Buck en collection complète, «apprendre l'Américain en 10 leçons», la revue «Eureka»: «Tout sur la sexualité des septuagénaires», «Le divorce et les ruses du Fisc», «Les grands secrets de l'Egypte hermétique», «Faut-il avoir peur de la Wi-Fi?» et sur une feuille, pour les passants, en rouge: «Passants, la SCIENCE en revue à votre libre disposition». Trop vu, 3 août 2008 - Alors que j'allais voir sous la pluie fine le catalpa de Californie -les fleurs en étaient tombées depuis longtemps- les deux garçons assis sous l'auvent me hurlent quelque chose au passage. Admonestation. Avertissement. Pré-menace. Ne pas regarder «comme ça». Je demande comment? Comment pourrais-je regarder autrement qu'avec les deux seuls yeux à ma libre disposition? Ils tombent d'accord. Ils plaisantaient. Moi aussi. Je leur dis. C'est faux. Je ne plaisantais pas une seconde en passant dans le jardin déserté de l'été. J'allais sous l'arbre mélancolique, peu prometteur d'évasion et de voyages californiques. Je m'en éloigne. Ils me contraignent à l'itinéraire bis, par ce triste ruisselet dans lequel une balle de ping-pong fendue, maintenue par une branche cassée et bloquée par une pierre, cogne obstinée contre un silex, dans ce système d'horlogerie que je dis toute personnelle. - Alors que l'évènement, l'anniversaire advint ce jour et ce cadeau grandiose et minuscule, tombant du ciel exemplaire au moment opportun, je décidai, compte tenu des circonstances, dans la minute oraculaire, de me retirer de toute contrainte, de tout système tortionnaire et le lendemain même «prenais la retraite» comme la clé des champs ouverts. Au bureau du personnel, où j'entrai, jamais le mot personnel ne me parut plus juste, stupeur, «ce n'est pas possible, pas comme ça, pas de cette façon, pas si vite, pas du jour au lendemain, pas sans conséquence, pas sans calculs, pas sans tergiverser, pas sans commentaire, pas sans soupirs, pas avec ce ton, pas avec ces mots!». Quels mots? «Je pars dès aujourd'hui». Je les laisse à leurs calculs. Je signe l'arrêt, je n'écoute rien. - Alors que les vacances s'annoncent sous la chaleur et dans le déferlement des voitures jusqu'à la Méditerranée et les méduses, ce jour-là Christine Albanel inaugure le Musée Picasso. Elle est vêtue d'un tailleur blanc et d'un caraco orange, qui forme une sorte de petite modestie sous le plastron, un signal de nouveau départ culturel, allons-y! J'ai lu là-bas les numéros de Mallarmé sur la mode, pour chaque étoffe un mot trouvé trop ajusté. Deux natures mortes, de septembre 1946, d'un bleu-gris passé, dont l'une avec citron, ne pourraient pas justifier à elles seules, le voyage, sans la foule répandue dans la moindre ruelle d'Antibes. Comment peut-on se jeter d'une falaise alors que la vue par la fenêtre du palais est si belle, partielle, pas tout de la vue, pas toute la baie, sur la mer entière dans un ciel d'un bleu ou désespérant ou jubilatoire, pas le temps de la chute pour trouver le terme adéquat. - Alors qu'il a une barbe et s'adonne à la poésie, Karadzic est arrêté. Il rase la barbe. Comment peut-on passer de la psychiatrie, de l'entendement, à un autre registre, à grande échelle et se justifier, non pas auprès de la communauté internationale, mais à ses propres yeux. Mystère. Alors que je lis ça, perplexe, le passage de la poésie à autre chose, est-ce la folie, je fais un cauchemar. Franz Kafka me recherche, dans les broussailles, c'est une traque trafiquée artificiellement, c'est ce que je me dis, j'ai trouvé un mince, un seul indice de falsification et je me réfugie dans une sorte de marmite de sorcière, une cavité naturelle aux parois torsadées. Je remarque l'ancienneté du lieu, comme habité, je dis les mots «voilà pour moi un habitacle, je saute dedans», et je remarque en sautant comme d'une falaise, que c'est assez profond pour me rompre le cou dans la chute. Je me raccroche aux parois calcaires et je vois les yeux allongés de Kafka me regarder, objectivement n'est pas le mot, ce sont mes yeux et les siens, des yeux qui en ont trop vu? Comment est-ce possible? Incidences, 11 août 2008 - Si la rue vers la droite présente une légère déclivité, rien d'étonnant à ce que la voiture stationnée face au premier bloc d'immeubles, sans frein à main, emportée par sa masse, se mette seule en mouvement et pourtant de l'autre trottoir il me faut une fraction de seconde pour chercher sur le volant immobile les mains d'un nain invisible qui présiderait en bonne et due forme et les papiers en règle. - Si l'auto passe suivant la pente et les lois élémentaires de la physique -sans les mains du nain au feu rouge, le préjudice est incalculable en un dixième de seconde, si l'on évalue la force, l'angle, la vitesse des conducteurs lancés perpendiculairement rue de Tolbiac au carrefour. Il faut l'autre fraction, la dernière de la seconde pour traverser et maintenir le véhicule comme l'a appris le grand Maître des Eléphants tenus par l'auriculaire et celui du discret Maintien des Trucks pour les dames et leurs suivantes, dans d'autres vies de sagesse disparue. - Si l'épouse de l'homme arrivé de Carrefour avec caddy continue une seconde à braire aux oreilles de son mari «de quoi tu te mêles encore, appelle Police-Secours!», ne voulant pas qu'il maintienne de concert la tonne du break de la main gauche et téléphone de la droite, plus conjugale. Il dit poliment prenant l'affaire en mains avec la maestria des imbéciles d'août une fois de plus revenus des courses indemnes: «pourriez-vous encore bloquer seule pendant que je téléphone des deux mains?» I would prefer not. Plutôt la cueillette des mûres et bailler aux nues. Au propriétaire revenu confus, clés du véhicule en main, sobres ronds de jambes et menuet de la maréchaussée, «mais je vous en prie, c'est bien la moindre des choses». - Si les dahlias ont été cueillis et rassemblés en gerbe près du grand cèdre du Liban c'est par un enfant pas loin d'Issy, celui qui n'est pas parti et reviendrait là. - S'il fallait toujours établir entre les faits une relation de causalité, je ne bougerais plus d'un iota. Ce qui n'exclut pas la voie de conséquence, (qui se dirait ici) la voix des incidences, comme hasardeuse, hésitante, trébuchante, bégayante, analphabète et sans calcul possible, sans perte ni gain, aucun. Demain mieux jouer, et allant de plus en plus lentement, jouer vite. Impossible! lire la suite, Turbulences en cours sur TURBULENCES
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