Turbulences,
expérience
en forme de journal, débutée
le 7 septembre 2001 Vents violents, Isabelle Dormion, 9 décembre 2006 Allant des Buttes Chaumont aux Gobelins en passant par la rue de Seine, il fallut éviter un pare-brise détaché d'une moto, les parapluies écartelés s'envolant dans des rues désertées, un foulard à ramages persans, une grosse femme tombant des nues, un pigeon à réaction, propulsé à plus de 110 à l'heure, une enseigne de tabac et une interdiction de fumer, un sac Tati au quadrillage passé, un slogan en carton du marché couvert, "5 pour un Euro; tu les a vus mes kakis?", et enfin les fines rayures détachées d'une colonne Buren au Palais Royal. Sous le porche du Louvre, un homme s'abrite de la tempête. Vêtu d'un épais manteau de lainage il tient une partition de Brahms. Il chante d'une étrange voix de haute-contre amplifiée par la voûte. Le dos appuyé à la colonnade, j'écoute le chant qui module les excès du jour. L'homme s'interrompt, il écoute sur un appareil sa voix enregistrée. Maîtrise. Dessous, Isabelle Dormion, 13 décembre 2006 C'est le jack-pot à la Butte-aux-Cailles. Le battant
du casier 39, situé dans le coin gauche du panneau des
vestiaires, régurgite un euro. Voilà donc une somme
destinée au jeu: tout miser sur la culture. Sans un kopeck.
Idiot. Peu rentable. Pervers. Un prêté pour un rendu.
Ce qui est à César, je le rends au hasard. De César
au bazar? Manquent 30 centimes pour acheter le Monde, 20 centimes
pour Libération du Baron Régnant. C'est facile
de braquer la vieille en maillot de bain renforcé, non,
j'avise un autre vioque qui ajuste au-dessus de moi, muni d'un
peigne au manche d'ivoire ancien ouvragé une calvitie
honteuse, ce sont, les deux, des proies faciles à faire
glisser sur le carrelage, mais bon, les enfants du mercredi s'en
chargeront plus à loisir, ils sont chez eux dans les cris
aquatiques et les plongeons en semaine. Discours sur méthode/pocket, Isabelle Dormion, 18 décembre 2006 Je ne crois pas que la femme soit susceptible de concevoir un projet plus inutile et plus inconsistant que de vouloir, en devisant de quelque discipline ou quelque science, échapper aux expertises et aux critiques, pensant rallier l'ensemble des lecteurs/ Le pouvoir méconnaît le peuple, ou par l'indifférence qu'il manifeste, ignore d'en noter les travers et reste aveugle aux tableaux qu'il déploie. Et si en dépit de tout l'on décrit le pouvoir qui nous gouverne, comme c'est, à tout coup, avec les égards qu'il ne mérite pas, le peuple n'obtient pas de cette peinture de quoi combler une attente manifeste et ne peut juger d'un état qu'il faut avoir habité pour en connaître les ridicules et les qualités, les beautés et les travers/ D'autre part, il va de soi que les femmes, par une foncière délicatesse, qui leur serait naturelle, une véracité atavique, n'accepteraient des portraits qui sont faits d'elles que les traits qui les flattent, où le miroir se montre complaisant. Elles résolvent la question d'une vérité relative en refusant toute critique. Les hommes, à plus forte raison, n'approuvent les polémiques et les critiques que lorsque la caricature vient brosser le portrait du voisin/ Je suis native de Boulogne sur Seine, fille d'un octogénaire désormais oublié de tous. Si, n'ayant pas suivi les conseils qui m'ordonnaient de me rallier aux chefferies disparates, feignant de méconnaître les intérêts qui les ont fait naître et les ambitions qui les propulsent, je me vois livrée seule aux errances des villes, j'en conçois des portraits véridiques issus de la seule observation: Le menteur Le turlupin *Les Tragiques: "Ceux qui de tels combats passèrent
dans les cieux Discours Univ/pocket (2), Isabelle Dormion, 21 décembre 2006 Avenue de Choisy un homme monte vers la station de métro vêtu de haillons. Un fou probable. Entre l'ascète, le fou et le moine il faut, le 21 décembre, l'expertise de l'historiographie (histrionique? pas toujours). Université Denis Diderot, rayon littérature, avenue de la Liberté, rayon crayons, mythes et fabliaux, avant d'être compilés en stratifications, feuilletons et mémoires multiples, les histoires sont racontées aux écoliers. C'est ce que nous faisons. Nous redisons aux petits enfants les contes avant que les prédateurs systématiques s'en emparent, dévoyant la lettre en expurgeant l'esprit. Avenue d'Ivry, le Triangle d'Or, les cultures se croisent sur le trottoir sans jamais se reconnaître, s'ignorant, partageant ensemble les mêmes fumées de monoxyde de carbone aux feux rouges devant le magasin Paris-Store. Les légendes, confondues aux rumeurs faciles des triades, hantent les lieux, traversent les logis, visitent les mânes, sortent purifiées par l'autel ancestral, s'envolent des fenêtres laissées ouvertes Tour Tokyo. Sur France-Culture, débat ce matin sur la sainteté, entre l'hagiographie, la biographie et l'histoire. Vérité, véracité, vraisemblance, faits, documents. Le dépouillement obsessionnel des reliquats de la mémoire, lettres, reliques, comptes-rendus, et minutes des greffes, viendrait donc constituer une méta-vérité? "Il ne met pas en question la vie des hommes". Affaire institutionnelle de validation s'apparentant à la croyance (en une sur-valeur épistémologique). "Je suis le commencement et la fin de tous les êtres, Le descellement des pierres. Violations. Violences. Leviers. Burins. Certains, et non des moindres utilisent tous les outillages, de la pince-monseigneur aux marteaux-piqueurs, avec des grands bruits allant jusqu'au vacarme, outrageant l'ouïe fine. Devant les pierres, de taille, dessillement.* *De dés- et ciller ancien français "coudre les paupières d'un oiseau de proie pour le dresser" XIIIe Siècle. Mis en scène, Isabelle Dormion, 5 janvier 2007 On entend aujourd'hui Todorov énoncer sans équivoque une banalité. La mise à mort organisée* d'un homme est barbare. C'est vrai. Le spectacle d'une mort dérobée par un téléphone est insupportable. Tous les tyrans devraient être relégués sur une île, propose Todorov. Le grand air, une alimentation pauvre en graisses, riche en phosphore avec un apport en zinc non négligeable, la tonte des moutons, un rouet actionné et le filage journalier de la laine, cette vie frugale loin des fastes d'un pouvoir corrupteur, la vie naturelle, agraire, monacale, méditative et virgilienne selon les sensibilités des tyrans endigués, cette abbaye de Thélème donnerait une structure revivifiante à ces condamnés perpétuels et pourrait susciter des controverses dignes d'intérêt. Arte aurait produit un documentaire digne du plus grand intérêt, filmé en noir et blanc avec des jours de tempête et les genêts inaltérables. "Joutes d'exil aux Açores". Choix d'une l'île parfaite. Casse-tête diplomatique. Qui veut la peste? La Corse? Les Corses ont déjà du bon tabac dans la tabatière. L'île d'Elbe? Chypre? Au Nord de l'Ile? On aurait pu entendre Saddam Hussein et le fantôme de Mobutu en grand Léopard s'entretenir ensemble de la meilleure façon de ramasser les salicornes et les conserver dans du vinaigre, avec ou sans estragon et quelques oignons-grelots croquant sous la dent. La fin avec ou sans Coran à la main. Plus édifiant, plus agreste que l'élimination des Kurdes aux gaz chimiques ou l'assassinat des opposants éviscérés dans la forêt? Qui aurait mieux jugé que ceux qui ont laissé faire les juges, ce jour de liesse et de deuil, notre dernier jour de l'année sous les guirlandes illuminées? Ce que ne dit pas Todorov, dans sa grande sapience, c'est l'inouï. "Je n'ai pas peur". Rien ne peut altérer, grandir ou caricaturer ce moment dont chaque détail de la scène manifeste l'insaisissable. La mort de Sadam Hussein est singulière: son visage, la voix, le regard, le calme qu'il ne peut avoir simulé. C'est par là qu'Allah est très grand et mystérieux son nom invoqué qui restitue à l'heure sa vérité. Tout le reste est bavardage. Les dernières paroles ne pourront donner lieu à un exécrable procès, ne pourront se réduire à la condamnation formelle, hypocrite, d'un porteur de portable, ne pourront être réduites à l'abjection des témoins et auteurs de la scène. Le courage à cet instant terrible est univoque, il dit ce que chacun a entendu "Est-ce là le courage des Arabes?". Surpris, l'homme sourit encore et disparaît de la scène. Celui qui regarde et filme va chercher "après quelques instants de confusion", précise le commentaire, sous l'appareillage coulissant le visage qu'avait à cet instant passé le condamné. * Marbre ou les mystères d'Italie, A. Pieyre de Mandiargues
dans "Le théâtre de la mort": Vertiges de l'amour, Isabelle Dormion, 9 janvier 2007 Riverains joyeux, nous avions chaque jour face à l'usine Panhard des surprises renouvelées. A l'aube, partant marcher par monts et par vaux, nous pouvions contempler les prototypes usinés, ahanant comme d'énormes coléoptères aux peintures sourdes d'une curieuse couleur neutre et guerrière. Plus loin, nous avions les cercles de pétanque réguliers, en bas, la sortie du foyer des travailleurs, à côté la caserne et l'exercice quotidien des rutilants pompiers, en face un beau débit de tabac, la fierté quotidienne des pulmoniques, pas loin, les sorties familiales en rang d'oignons des gens de l'armée, au coin notre constant gardener, plus portugais qu'atlante, Douvienlo, choux, tomates et lignes de chrysanthèmes offerts aux veuves de passage susceptibles de reprendre du service. Nous avions il y a peu un très bel environnement, sans compter le passage innombrable des voitures des Maréchaux, qui donnait à l'ensemble une belle animation et quelques rixes mémorables le samedi soir après boire. Depuis peu, une foule de gens inconnus, pour la plupart vêtus de sombre, tirant la tronche, munis à plus d'un titre, a débarqué d'un véhicule prétentiard à clochette. L'arrêt casse l'ambiance. On entend moins le flot animé des voitures. On n'arrive plus à bien capter l'arrivée des ambulances rapport aux écrasés du carrefour, vu la sortie du goûter des écoles du côté d'Ivry, face à la boulangerie, qui fait à titre de consolation les meilleurs financiers à plusieurs kilomètres à la ronde. Bref, si les Iraniens, peuple conquérant, avaient jadis les Tours du Silence, nous avons désormais, à côté de l'école primaire, une tour des désespérés. Née de la nuit, elle s'est érigée un beau matin, "travaillant dans la verticalité", surplombée d'une sorte de tourelle plongeoir, ressemblant à la fois à la partie extrême d'un mirador d'une zone totalitaire temporairement occupée (nous vaincrons) et au plongeoir, plutôt à la surface minimale de propulsion destinée aux suicides, les candidats pouvant être assurés d'être finis par le passage aplatissant et parfois réducteur des voitures boulevard Massena, avec les véhicules de la rue Nationale rejoignant l'axe plus loin, vers l'avenue de Choisy. La participation de la Ville de Paris à l'ensemble de ces oeuvres pour la partie Tram a coûté non pas 40000 euros, comme on pourrait l'escompter pour le plastique, les techniciens, les seize boulons et le petit cartel mais 4 millions, compte tenu du néant monumental aperçu quand on lorgne de ce point de vue-là, un concept abyssal désespérant. Les tours faisant face, trop hautes, n'avaient trouvé d'amateurs qu'obligés, les asiatiques de la première vague d'immigration, ceux qui n'avaient pas hésité à "travailler leur verticalité" après avoir travaillé une horizontalité de la mer et des boat people périlleux, les ont occupées les premiers pour peupler et animer le quartier d'une humanité qui nous honore. Que leurs ancêtres encensés nous protègent des oeuvres de Didier Fiuza-Faustino et de ses pompes insensées! Contrechant, Isabelle Dormion, 19 janvier 2007 Proche du boulevard des Maréchaux, il est assis là, indifférent aux bruits de la ville. Son âge? Peu importe. Il ne se soucie pas du temps qui passe. La pluie ne le dérange pas. Son regard le singularise. Il voit passer un à un les voisins du groupe, il pourrait les appeler doucement, il reconnaît leur voix, mais il n'a jamais songé à les fréquenter, connaissant pourtant l'âge des enfants et le prénom successif des animaux de compagnie, innombrables dans le secteur Italie. Son propre nom, il semble l'avoir oublié. Sa personnalité? Avec le jardinier, immobile Château des Rentiers, il partage une rue entière, jusqu'à la gare désaffectée. Il a vu s'opérer les changements sans en être ému. Il faudrait préciser qu'étranger à son propre destin, il avait le 12 septembre, des années auparavant décidé d'adopter un tout autre rythme, sans pour cela éviter d'assumer la charge quotidienne des menues corvées, ces mille obligations, le lot, mon Dieu, de tous et de chacun. Epouser la ville, s'accorder aux mouvements des foules, accompagner d'une marche conjointe l'hésitation d'un homme perdu entre les hauteurs de la Porte d'Ivry et les tunnels de Patay en contrebas, voilà son caractère, le laissant la plus grande partie du jour très attaché aux fluctuations météorologiques plus qu'à toute autre chose. En effet, le plateau déserté vers l'extrémité de l'Avenue de France permet au ciel de se déployer amplement vers l'Est. Mais Minc, les pieds ou les mains? Isabelle Dormion, 25 janvier 2007 Alain Minc si doux si charmant, ce matin sur la radio urticante France-Culture, présente son opuscule sur Keynes. A son sujet, les souvenirs reviennent en mémoire groupés: comment gérer l'intervention de l'Etat? Notes1971-1981 engrangées devenues réflexions. Différence entre l'intervention et l'excès d'état. Principe de(s) réalité(s) successive(s), déficit des utopies. Vérité(s) en politique. Valeur relative des Plans. Kant à toutes les sauces adapté. Heiddeger réutilisé prêt à l'emploi. Adéquation entre théorie et pratiques. Distorsion, catastrophes, échec. Progrès et faillites du progrès. Désenchantement du monde. Invention d'un univers. Sophistification. Pauvretés. Systèmes cohérents invalidés par des effets pervers non analysables, non prévisibles. John Meyard Keynes, raconte Alain Minc dans l'anecdote, avait
élaboré une psychologie rudimentaire à l'usage
de ses pairs en observant les mains, comme certains à
l'Assemblée, bidouillent une psychologie accréditée
-d'antichambre- en observant les distorsions mains-regard-bouche.
Ces gesticulations ne délivrent strictement rien, ou pas
grand chose, d'une très grande complexité de l'esprit,
sinon les connaissances acquises en technique de la communication.
L'esprit échapperait heureusement aux observations des
comportementalistes et aux ruminations bornées -du front
et du cervelas- des cognitivistes. On peut mentir sur le fond,
le front lisse, en toute candeur apparente, les mains innocentes.
Il existe un type de menteur fondamental. Jamais le coeur de
ce mensonge ne s'emballe. Dans "l'actuel match de foot"
électoral, précise Alain Minc, qui se lance la
tête la première sur le terrain glissant, qu'aurait
donc observé (des mains?!) l'économiste anglais?
Match de boxe, à la rigueur, ring, oui! les mains, oui!
mais avec les gants. Ce que le pied, objet, comme on sait, de
soins attentifs, ne prend pas, la main, outil de l'homme habile,
sait prendre: des gants. Bercy, l'abbé Pierre, pour tout ! *Tzvetan Todorov: "Mémoire du mal - Tentation
du bien - Enquête sur le siècle", Ed. Robert
Laffont 2000 Celui qui anéantit, Isabelle Dormion, 29 janvier 2007 Il porte sur tout un regard indifférent, va plus loin, plus vite, ailleurs, il marche d'un pas égal, il peut lui arriver de me devancer, si prenant par la rue de la Grange-aux-Belles, j'emprunte une fois de trop, la dernière, le passage des Terres-au-Curé. Si nous ne faisons pas la course, je ne sais pas courir si vite, il incite les autres au défi, pose, étalonne les bornes, quantifie et qualifie le parcours comme une épreuve d'obstacles à éliminer, il imposerait au lièvre la pondération, à la tortue la précipitation. C'est le forcené qui déambule en lui, il crèche on ne sait où, il pourrait se nommer Samuel, se ferait appeler par les uns Sam, par les autres, Huel, je ne sais pas mais, c'est certain, à la gare c'est toujours lui qui claque la porte au nez, écrase les pieds, broie les phalanges, c'est encore lui qui fait bégayer au jardin les enfants sortant de l'école. Un jour j'aurai sa peau. Il évide du regard l'objet de son attention. Il extirpe, aspire, dilue et recrache en deux temps trois mouvements. Longue habitude. Il aurait ce lundi même, par une matinée grise et morne, arraché l'affiche du concert que l'instrumentiste avait posée et collée, près du kiosque à journaux, c'est en effet le flûtiste lui-même, accompagné du joueur de luth portant les rouleaux, qui avant les premières lueurs du jour, juché sur une ancienne borne de pierre marquant l'accès à l'entrée cavalière, avait ainsi adressé l'invitation anonyme aux amateurs, les gens des parages. Un jour, un poinçon lui transpercera le flanc. Qu'il décolle une fois de plus rue Linné l'annonce des conférenciers botanistes du jardin alpin et c'en est fini de son éternel sourire goguenard, je le jure devant eux, tous témoins, sur la mémoire de Mendel. Inspiration Deleuze (et boite à rythme), Isabelle Dormion, 4 février 2007 Allant vers l'impressionnisme/Monet, il faut admettre l'évidence,
c'est Deleuze qui converse, que d'aucuns croyaient ci-devant
décédé le pauvre. Troisième travée
vers le fond de l'amphithéatre, une étudiante d'origine
lit 'Metro', le journal de tous les transports. Dans son sac
ouvert, une banane et deux tranches de pain sous cellophane 'les
chiffres du chômage', l'oeil gauche lit les titres, l'oreille
droite entend 'université populaire pour aristocrates',
rien de l'auberge espagnole, hormis le nom de Guattari. Accolé
au premier il se lit de gauche à droite comme: Moderato
cantabile, Tintin et Milou, la bourse et la vie, le lièvre
et la tortue, Lachenal et Ritter, Kif-Fif Bourrico, ici et là,
le doigt et la lune, Fanfan et la Tulipe, ceci et cela, Professeur
et Mérite, point et virgule, blanc et noir, fromage et
dessert, anarchie et transversallité et là, ô
phénoménologie, près du conduit d'aération,
que voir?: Si penser n 'exclut pas la mort, penser et choir La philosophie tourne en rond, c'est l'aveu à la Culture,
mortels nous vivons faibles et forts, perfectibles, vivants,
fallait-il le dire, nous l'avions pressenti ne voulant ni ouïr
ni que nennir par grande amabilité ne point faillir, il
fallait l'écrire plus tôt, nous l'avions su avant
que de naître, supputant, regardant en gésine les
fureurs de la vie attendues, les lenteurs de la mort déjà
entendues, toujours proscrite, nous l'avions vu dans ce ciel
qui nous interroge, nous l'avions cru inaltérable, et
demain , voyant le fleuve répondre, c'est là, vois-tu
qu'il fallait m'attendre? Sortant par les rues, je vois à la sortie du parking apparaître une échappée asilaire recouverte d'un chapeau cloche rose passé. Témoin de Jehovah, Mooniste, simple aliénée établie à son propre compte, scientologue habilitée, foldingue entrant dans la carrière, défroquée d'une cause perdue, mère Michel ayant perdu félin, vendeuse commissionnaire de tapis persans, fourgueuse d'encyclopédies, l'embarras du choix. Elle pose sur les voitures une petite carte de visite artisanale près du ticket de stationnement. Je retire le carton de mon pare-brise: «Prénom X, nom Y, psychanalyste». Racolage sur la voie publique? Son compte est bon. Trois secondes plus tard, juste à l'angle de la rue,
deux mecs, l'un, ciré jaune, l'autre, veston récupéré,
me tapent avant d'entrer à la Mie-de-pain mais rien dans
les mains encore moins dans les poches. Si je peux retourner
chez moi leur chercher de l'argent? Bien sûr, c'est à
deux pas. Ils m'attendent au coin de la rue. S'ils vont bouger?
Non, ils restent là, c'est sûr. Promis? Oui, ils
jurent, je peux partir tranquille chercher mon portefeuille.
C'est sûr, la folle va les harponner dans mon dos, tant
mieux, ils n'ont pas l'air net, l'un russe, voire éthylique,
avec d'énormes problèmes de résilience,
d'addiction, de violence, des troubles identitaires, confusion,
hypothermie, insuffisance rénale, dénutrition,
cors aux pieds, déjection, caries dentaires, marginalisation,
puanteur diffuse, éjection, myopie non compensée,
psychose, récent veuvage, perte des repères, hallucinations,
il y a de la marge. Pour elle il y aurait du taf. Nouvelle cantilène, Isabelle Dormion, 10 février 2007 Parvenant vers les derniers mouillages, sa marche était
ralentie par le pavement devenu plus irrégulier à
cet endroit là, dépassé l'embranchement
du canal. Diversement sollicité, il consentait à
quelques haltes brèves, rendues nécessaires au
passage successif des sept ponts. Combien de fois les avait-il
revisités, c'est difficile à préciser. Les
aléas d'une occupation menée tambour battant l'obligent
encore, malgré une sourde opposition, venue très
récemment du plus profond des souvenir d'adolescence,
à parcourir à pied les itinéraires qui le
mèneront sans encombre du Pont de l'Alma aux Grands Moulins,
sans avoir à subir les bavardages excédés
de ses compagnons dans une voiture blindée perpétuellement
ralentie. Comment échapper à la Campagne? Isabelle Dormion, 26 février 2007 Il existe en Ville intra-muros d'excellentes occasions de stimuler à la fois l'intellect le plus exigeant, l'affect le plus réactif et la pulsion la plus dynamique, sans que le système cérébro-spinal, cardio-vasculaire ou andro-libido-dépendant ne subisse la moindre frustration suivie de stress préjudiciable à l'excellence des humeurs, au juste équilibre d'une santé parfaite, sans à-coup, surprise sondagière, chiffres démentiels, pourcentages fictifs, défections, volte-face, menuets, pugilats, soubresauts trop violents. La Maison de l'Escargot peut donc être visitée avec des enfants en bas âge, et même quelque nourrisson encore allaité -épargnant ainsi la dépense onéreuse, contestable en famille, d'une baby sitter estudiantine à domicile- ainsi qu'avec les grands vieillards du quatrième âge motorisés sur roulettes électriques, notre proche parentèle (et lointain cousinage inclus). Cette magnifique diffusion de gastéropodes farcis au beurre d'ail soutient une réputation flatteuse, sans la moindre faille auprès des gourmets les plus exigeants, d'une tradition qui remonterait aux hauteurs du Moyen-Age (tardif), si l'on considère le mélange d'une vingtaine de condiments brassés et pilonnés selon une recette gardée secrète et convoitée jusqu'à la Muraille de Chine, qui reste, pour nos gastéropodes, franciliens s'entend, à franchir (culinairement parlant). Plus d'un, sans exagération, pourra déceler la présence de la noix muscade et celle plus discrète, d'une évanescence de coriandre. Rien à dire sur la qualité, pérenne depuis plusieurs générations, hormis une légère baisse de production en 1792, que l'Histoire, peu s'en faut, excuse aisément, sans l'expliquer tout à fait. Rien à reprocher, l'accueil est fait par les ouvrières elles-mêmes, coiffées d'un petit couvre-chef de coton immaculé qui les fait ressembler à des hollandaises de sensibilité protestante, voire agricole, ceci au vu et au su de tous, la roseur des joues faisant créance, et feu de tout bois, cela va sans dire, nos militaires absous et nos sublimes pompiers de la caserne proche n'étant, pourquoi non, et pourquoi pas en ce début d'année prometteur, pas exclus de la visite, qui amusera sans distinction les tout petits et les (sacrénom de Dieu!) vieux des contrées proches et lointaines, ceci jusqu'à Etampes, qui bénéficie d'une magnifique collégiale, objet d'une autre intervention, par les fortifications qui font son histoire (autant que sa gloire). Comment survivre jusqu'au 22 avril ? Il existe non loin de la rue Fondary (siège principal de la Maison des Escargots) dont j'ai omis de préciser qu'il s'agit exclusivement d'animaux français et non d'espèces monopodes issues de l'ex-Yougoslavie par leur marche précaire en Europe, plusieurs édifices non dénués d'intérêt. Le premier, visible par tous, grands et personnes de taille réduite ou normale, depuis les quais, depuis le Trocadéro, depuis le Sacré Coeur, depuis Notre-Dame, est une tour métallique insolite, qui pour une somme modique, peut se gravir, la visite propulsant le visiteur à des sommets de vertige et de visibilité difficiles à imaginer d'en bas, aventure déconseillée par temps de brouillard soudain et par annonce météo défavorable (pluie ou bourrasque force 6), ce qui peut conduire à la toux, au rhume avéré ou bronchitique, aux embarras pulmonaires, à la chute suivie de fracture du col du fémur, compliquée d'une décalcification réactionnelle, à l'envol impromptu (raptus pneum(atic)ae animae). Comment distinguer ici d'ailleurs? Comment trier les informations? Isabelle Dormion, 2 mars 2007 Prendre quinze années sabbatiques en prévision
des travaux à mener, quotidiennement, le jour et la nuit.
Prévoir un dictionnaire grec, latin, français,
anglais, esperanto. Comment jeter les informations? Sans crier gare, régurgiter l'affaire. Choisir les lieux de la commodité. Journal, maison d'édition, loge, galerie, n'importe où sévit la culture, celle qui, indigeste, ne sustente ni n'éclaire, celle qui, pétrifiée, alourdit l'esprit, l'encalamine, le bisturgue et l'extrapollue, le pervertit et le distrait, le disqualifie et l'énerve, l'emphatise et le gâche, le cuculise et l'apathise, le fourvoie et l'abaisse, le paralyse et le séduit, le bazarde et le réduit, l'égare et le divertit, le vide et le remplit, l'exsude et le gave, l'excise et le grave, l'excuse, l'incise (et le zest?). Comment recevoir l'information? Sans prévenir, en infléchir l'inéluctable cours. Déjeter le courant. L'information dispensée indiscontinument en jets torrentiels exige une sélection. C'est trier, là, rendu nécessaire. Après un premier examen bienveillant et neutre, où le sujet/passif -ce qui est logiquement inepte, un sujet n'est jamais passif: est sujet celui qui prend la parole au besoin en l'arrachant- absorbe n'importe quoi n'importe où, derrière un pupitre un docteur jacte à n'en plus finir, suant d'une complaisance illimitée, trémolos modulés, se gargarisant de ceci ou de cela, esthétique et sémiotique (où manquerait le problème n°1, l'éradication de toute pensée critique à l'université), relations tronquées, time is Monet, entre marchand d'art et artiste, enfonçage de portes béantes et autres courants d'air. Comment déjeter le courant des informations? Couper la source. Sourde oreille. Faire l'imbécile. Facile. Suivre pente naturelle. Douceurs de l'idiotie atavique. Surenchère. 10 kilos de patates germées? OK, donnez m'en le quintal (Suivre mot à mot les émissions parlementaires. Prise de notes. Tout noter. Suivre des cours d'histoire de l'art n'importe où, tout noter, gestes, paroles, plaisanteries, propos de couloirs, couleurs du PQ). Au dernier moment larguer le bazar sur le pourvoyeur qui vous a fourni ce truc innommable. Dire que c'est inutilisable. Le répéter. Souligner l'affaire. Préciser. Donner des exemples. Surligner. Insister. Clamer qu'il s'agit de fausse monnaie, l'échange n'a plus cours. Inflation. Monnaie de singe pour abrutis et primates. Partir en courant. Délestage des patates gelées ou germées, pourries, vérolées, en chips, gargarinées, au choix. Comment s'informer? Simple exercice. Cinq minutes suffisent. Choisir. Ne pas. Pas de campagne publicitaire. Pas de JT. Pas France-Culture le matin. Pas de Métro. Autisme simulé. Refus. Pas de nouveautés. Pas vu le dernier film. Pas ententu Untel. Pas au courant. Pas au parfum. Mauvaise foi. Mentir. Pas vu «plus belle la vie». Pas vu le dernier David Lynch. Pas entendu dernière broutille, dernier ragot, dernier scandale, dernier cri, dernière affaire. Ecouter l'avis de tous et de chacun au salon de coiffure du coin. Comment dire? Ce matin, entendu à la radio Marc Tessier, le phoenix
des hôtes de nos futaies enchantées, contrôleur
des petits et grands futés, dire qu'il faudrait envisager
de professionnaliser Internet, dans l'hypothèse où
la presse se verrait placée devant une nouvelle problématique,
numérique. La façon de présenter le débat,
sous forme d'un monologue péremptoire, affûte les
oreilles. Cauchemar? Rêve? Songes creux? Chimères? Assujettis?
Bridés? Censurés? Aucune communication. Comment entendre? Et le zoo d'Anvers? Isabelle Dormion, lundi 13 mars 2007 Trouvant dans une édition ancienne une missive autographe ainsi qu'une vue de Bruxelles l'année 1929*, j'étais sur le point de reposer sur la pointe des pieds l'exemplaire dans les rayonnages. A quoi bon encombrer davantage les planches surchargées d'une bibliothèque? Pourquoi s'attacher ainsi aux fantômes des lettres calligraphiées d'encres si noires, aux pigments si denses que le papier l'a absorbé dans son épaisseur. La page suivante maculée de poussière porte au verso l'envoi, voyelles appliquées du vieil écolier, qui d'une lettre à l'audace déliée, me fait un signe. Feuilleter avant de les relire ces éditions illustrées d'annotations souvent indignées, parfois paraphraseuses, les polémiques solitaires en chambre, ces commentaires d'un autre âge.** *"Place de la Bourse la nuit", aquarelle de Wolfgang
Tritt ... Suite, 16 mars 2007: Papier pur Velin. Non. L'édition ne porte aucune mention
de la qualité alfa des papiers. Les Imprimeries Paillard
situées dans la Somme (Abbeville) ne précisent
rien. 3 mai 1929* Les fausses évidences de la communication moderne occultent aujourd'hui même toute idée "récipiendaire". Une réception donnée à l'usage des initiés, cheminant seuls dans la ville. C'est bien peu probable. Ce qui aurait disparu? Il faudrait le rechercher. Et moi, l'assidue en l'incessante perte ... Suite des cahiers, Isabelle Dormion, 22 mars 2007 Il peut arriver que la main habituée à l'indifférence
tactile retrouve le stylo de porphyre à plume d'or et
le tracé calligraphié d'une page noircie. Il peut
s'ensuivre d'autres habitudes retrouvées, celles d'un
carnet rempli, de papiers traversés d'annotations, de
tickets de métro couverts de glyphes indécrpyptables,
memoranda spontanés des lieux et places violentés
par les bourrasques et les gifles glacées. Rue des Chantres, une main a tracé «ici vous êtes nulle part», dans l'hypothèse où le surplis du dernier enfant de la manécanterie voisine aurait disparu au coin de la rue. Aucune récrimination à ce jour inaugurant la nouvelle saison sinon que le mot 'campagne' évoque le furieux besoin d'aller se dégourdir les jambes assez loin d'ici, dans ville d'eaux polonaise, où se languir en fulminant au milieu des rhumatisants aigus et les diabétiques frontaliers du dernier âge. Il faudra chercher les cartes, choisir les horaires, dresser les plans de fuite, tracer les tangentes, supputer les surprises météorologiques, retrouver les jumelles, le répertoire ornithologique, sélectionner l'indispensable du surplus, tout en trop. Trouvé dans la revue des deux Mondes, automne 56, une
curieuse lettre de Thomas Mann sollicitant la légion d'honneur,
qui m'a fait descendre de la Montagne magique son oeuvre au Goulag,
première planche de sapin d'une bibliothèque ayant
ses quartiers et ses caveaux, ses oubliettes et ses tabernacles
-la nuit, que des disputes de fond, des querelles d'idées
et des injures de voisinage- il devra frayer avec les abécédaires
et les guides pratiques de la culture du thym et du laurier rose
en appartement, "une conduite plus efficace du rucher"
en couverture cartonnée et "Les recommandations d'une
bonne respiration de Hatha-yoga" selon Kreiz et Karl-Arthur
Wistmuth Ass (Genève Library). Cher Maître et Ami , Comment échapper à l'étiquetage?, Isabelle Dormion, 29 mars 2007 Chromolithographie Il y aurait dans les plaisirs de la conversation 'à
bâtons rompus' une vétusté conférée
à l'esprit des nuances, un détachement d'un autre
âge, le temps rompu d'un café stimulant au Procope.
Ce loisir bientôt réduit à l'état
de fantôme des libertés évanouies, il faut
une émeute gare du Nord pour me décider à
mettre ici l'incidence d'une banale contrariété
ferroviaire subie la semaine dernière: Il va sans dire que le désir d'envoyer paître sans rhétorique, à la seule force du poing, tous les préposés guichetiers suspicieux, grincheux, insultants et autres uniformes aveugles et sourds, allait avec ce constat terrible: l'impossibilité pour un Rmiste de s'acheter un titre de transport, la fréquentation courante de gens ne pouvant ni déjeuner ni s'acheter, surtout parmi les étudiants, le strict nécessaire -un carnet de tickets- obligeant à considérer les transports obligatoires d'un lieu à un autre comme un luxe ahurissant, le paiement d'un seul ticket comme une gageure et les contradictions d'un système libéral en période pré-électorale comme l'énigme embobinée du noeud gordien. Que faire? Rien! Il va sans dire que le recours à la violence n'est pas toujours une sinécure, mais d'autre part, que le discours non dénué d'un certain gongorisme cultivé en chambre aux murs recouverts de plaques de liège est agaçant, qui ne mène à rien, hors la ficelle que l'on déroule et qui du dédale où s'égarent les sophismes intellectuels nous sauve de la confusion comme de la brutalité. Non un recours mais un record. Concluons sèchement. Je n'aime pas les mots "coeur
de cible", "invitée spéciale", "revendication
identitaire", "s'approprier" etc. Et ce matin,
entendu «les Français se passionnent pour cette
campagne». Comment? Quels Français? Qui parle? L'électorat?
Qui, paradoxalement, nous pousserait à l'incivisme? Une
stratégie aussi offensive, démagogique, vulgaire,
à l'abattage, moderne, globale, directe, coachée,
thème-de-La-Nation, t'aimes le drapeau, sécuritaire,
contradictoire, méjevouzécompris: éradiquons
la violence, éradiquons le tabac, éradiquons les
cons, éradiquons la vieillesse des vieux, éradiquons
les vilains, les verrues, les verrats, éradiquons la gabegie,
éradiquons les gratuits, sauvons la presse ultime, éradiquons
l'alcoolisme, la puanteur des sans-abris, éradiquons l'alcoolisme
mondain, éradiquons l'indigence affective, la dégénérescence,
la débilité irréductible, l'avidité
illimitée! Pensons justement, gentiment, suavement, Hulotement,
angéliquement? Moralement? Cyniquement? Concrètement?
Idéalement? Idéologiquement? Globalement? Hexagonalement?
Ni trop? Ni trop peu? Comment dire? Commando? Pardon? Gare du
Nord.Vous dites? Qui sera notre grand éradiqueur de cible,
le sauveur attentiste? Comment prendre congé, Isabelle Dormion, 6 avril 2007 A la veille des vacances scolaires, les coutumes autant que
les us imposent aux familles comme aux célibataires les
plus endurcis du cuir un départ en vacances, imminent.
La menace n'est pas à prendre à la légère.
L'arrivée importe peu. Le départ fait date. Le
choix de la destination est trop souvent aléatoire, laissé
à l'estimation, à l'appréciation, à
l'approbation totale d'autrui. Qui a déjà osé
dire le mardi suivant les fêtes de Pâques: «Gilbert,
(René), (Fanfan), (Piloux) ou (Fleuron), (c'est mon époux)
et moi, nous sommes allés camper dans la forêt de
Sénart, c'était, comment dire, vas-y, toi, dis
leur, sublime au petit matin les faons en quinconce venaient
se gorger des jeunes pousses de la bambouseraie la plus proche
et Fleuron (tu le connais!) s'en donnait à coeur joie.
Des photos je ne te dis pas! Regarde, là, c'est moi, à
côté: le museau de la biche, oui leur mère,
aux trois faons, oui, un zoom latéral, et là, parfaitement,
tu l'as deviné, c'est une coupe assez nette d'un chêne
de justice, un vestige, des siècles! Saint Louis en personne,
la foudre tomba en son temps ou peu s'en fallut, sur l'arbre,
oui, le souverain trouva là une nouvelle preuve, encore
une, superfétatoire s'il en est, de l'existence de Dieu,
il fut laissé complètement stoned mais sain et
sauf, quant au manant qu'il jugeait tout marri genoux en terre
en ce jour maudit pour l'assassinat d'un orfèvre d'Amsterdam,
la légende dit qu'il fut réduit à l'état
de cendres, de la taille d'un mégot de la Havane.»
Près de la Gare d'Abbeville, l'anglais est sorti du roof, son bateau à quai le long du canal, il porte sous le bras quelque chose d'ovale, la tête d'une victime (une femme, une fiancée?) récemment décoiffée à Trafalgar Square, le ballon fétiche d'une partie de rugby gagnée par son père contre l'Australie il y a de ça plusieurs décennies, avant le troisième pontage, un baluchon de chemises propres à repasser, c'est difficile à deviner, une coloquinte destinée à décorer le buffet de l'Hôtel «Franchise-Associés», je ne sais pas. Quelques mètres plus loin, devant le monument commémoratif du Chevalier de la Barre*, érigé à sortie de la ville par le Prolétariat en 1907, un homme fait réchauffer une boîte de haricot de mouton sur quelques flammes, les bûches d'un bois clair -la coupe récente d'un tronc de peuplier des berges- retenues par quelques pavés d'une chaussée ancienne. La passerelle qui enjambe la gare aux boiseries récemment peinturlurées de bleu mignard laisse voleter bruyamment l'essaim des collégiens qu'attend longtemps le car régional, mal stationné sur le parking en travaux. Le buffet de la gare est désaffecté, le Grand Hôtel, portant aux murs les vestiges des stars d'un groupe hilare et black, un quartet jazz triomphant de Paris à Londres, est gardé par un doberman mité aux jointures, léchant les carrelages polychromiques d'une splendeur décatie. Le carton d'emballage d'une machine à sous, trop rutilante pour être chevauchée, est traîné par une fillette, jusque dans l'arrière-cour, derrière la véranda qui servait de salle de repos après le service. Près d'un jardin ouvrier, une femme sur un transat pliable crochète avec le fil écru d'une énorme bobine un interminable surplis, qu'elle appelle un «cache» de télévision. Que faut-il couvrir? L'événement? L'homme, lui, pêche où il peut, dix mètres plus loin, dans le canal, à deux pas de la halle «Total discount des chaussures, définitif». Lémure, touj(o)urs? La vendeuse assise à la porte fermée prend son heure de pause, frites et compagnie. Le restaurant du coin en briques rouges et volets blancs, a été repris par des frères maghrébins, couscous à toute heure. L'anglais, combien de bords, a du absorber une demi-bouteille de Cahors avant d'oser l'impensable recel. 27°. Pourrait-on mettre l'oeuf de Pâques dans le Frigidaire? C'est pour son amie, originaire d'un bled sinistre près de Canterbury. *Le Chevalier de la Barre a été exécuté
le 7 juillet 1766 pour avoir refusé de saluer une procession. Les contradictions éclairées, Isabelle Dormion, 19 avril 2007 «Intérêt supérieur à la nation, que de forfaits on commet en ton nom»* La rumeur publique n'a pas encore enterré tous les
morts que la politique a tués. Après de Broglie,
Boulin, dont la presse reprend invariablement les miettes d'enquêtes
bâclées, tronquées et sabotées, est
exhumé des non-lieux ministériels que la mémoire
de sa fille, Antigone appliquée de la rue de Grenelle,
tente encore de forcer. Elle espère voir surgir des sous-bois
d'improbables témoins, depuis trente ans disséminés
dans la nature, alors qu'il serait pour elle symboliquement plus
réparateur d'obtenir une sorte de "pardon" collectif,
comme on sait si bien les dispenser dans la nation, un "regret"
tardif et anonyme, commun, d'un état qui n'a de folie
que dans ces crimes que la raison n'absout pas. La fille de Robert
Boulin ne verra sortir des sous-bois, caché près
d'un étang boueux, aucun témoin que la peur aurait
pu faire taire. S'il n'y avait rien d'autre à révéler
que ce qui est montré au grand jour, à 8 heures
du matin, qui se lit à livre ouvert. S'il n'y avait pas
d'autre vérité dans les falsifications démontées
par la presse depuis tant d'années? Il suffit de regarder
cette photo publiée, le visage tuméfié du
ministre, la trace des liens sur le poignet, la confusion, les
organes prélevés et les bocaux volés, les
dernières preuves effacées pour comprendre "l'intérêt
supérieur" d'une telle disparition. Il n'y aura pas
d'autre témoin. La concierge de la rue de Grenelle, qui
pouvait attester des entrées et sorties du cabinet de
la rue de Grenelle, le 29 octobre 1979 et le 30 octobre, le matin,
avant que le planton n'assure son service, est partie à
la retraite. Le papier à lettres? L'original a disparu.
Le ruban de la machine. Tout a disparu. Que les fouineurs patentés
des journaux se mobilisent aujourd'hui, c'est assez courageux
mais pas très téméraire, à l'heure
qu'il est. Trop tard. Rouvrir un dossier? En vertu de quel principe?
Si Robert Boulin avait détenu quelque dossier compromettant
gardé en ses coffres, arme dissuasive du Ministère
des Finances (Elf?) et qu'il s'apprêtait à en négocier
le contenu, en vertu de quelle vérité, de quelle
qualité post-mortem, extra-lucide, faudrait-il éclairer
les sous-bois morbides où le ministre a été
traîné et exécuté, dans l'ignominie
et le scandale politico-financier. Il a bien été
abattu selon une logique crapuleuse, dans le style, contre-signé,
des bandits de sous-bois affairistes. * Georges Elgozy dans «Le paradoxe des technocrates» - Denoël Très polie, culturalité, Isabelle Dormion, 26 mai 2007 (mis en ligne au retour d'Outre-Manche de la web-concierge, le 1er mai) Aujourd'hui, le matin, le 25, les rues de banlieue avant les
élections de mai embaument encore en avril le seringa,
le lilas et les troënes. Là-bas*, larrons ou baronnie, Isabelle Dormion, 3 mai 2007 Les allées des morts restent encore fréquentables.
On y jaspine peu. On y trouve, sauf la controverse du merle moqueur,
tout le calme revivifiant, les politiques y ont enfin le bec
cloué, les fieffés notoires y fréquentent
le meilleur monde possible, le pin** surplombe un petit banc
planté là par A.Varda et c'est bien le seul lieu
où les gisants de bonne compagnie l'emporteraient tous
au Paradis. Sens, Isabelle Dormion, 7 mai 2007 Au confluent des deux fleuves, la route de Pont-sur-Yonne,
petite ville (jumelée avec Morbach), vers Senneville grimpe
jusqu'au prieuré de Saint-Martin. Les bâtiments
sont en travaux. La bétonneuse, actionnée par un
grand black, est reliée par un long fil à l'immense
salle conventuelle. L'homme, aux habits maculés de plâtre,
indique en contrebas le sentier qui prolonge la construction
soulignée de quelques arbres fruitiers. Ce qu'on voit, ce qu'on ne voit pas, Isabelle Dormion, 8 mai 2007 «Vous ne verrez pas Nicolas Sarkozy dans les images
qui vont suivre». On écoute. On regarde. Rien à
voir. On circule. Le jacuzzi de Zola, Isabelle Dormion,13 mai 2007 Que le nouveau président -élu mais non intronisé,
non «passé» par la «passation des pouvoirs»,
par ce relais 4 fois 100 mètres, 5 fois un an (365 jours
ouvrés), sans coach, tout seul au starting block, sans
maître- se refasse une santé dans un minuscule jacuzzi,
tout compte fait, ça ne choque pas grand monde sauf les
grincheux. Ne boudons pas notre plaisir. Gardons à gauche
la critique pour d'autres excès. Soixante mètres
de long, ce «Paloma» nickel, ce no-man-lands, c'est
déjà un indice sémantique de paix mondiale
à venir, l'oiseau blanc de très bon augure. Nous
l'aurions vu, l'impétrant, plongeant dans la Mer Méditérranée
et la pourfendant d'un crawl stylé, purement atlantiste,
comme Mao en d'autres temps, éradiquant seul en Chine
les Moustiques et les intellectuels, nous aurions tous été
inquiets. Là, non, pas moi. Le Grand Timonier traversa
le fleuve à l'aide de ses seuls triceps contre les courants
adverses, soulevant l'enthousiasme des foules en déifiant
les pouvoirs -comment dirait-on?- conférés? absolus? *Allègre en commission de travail sur l'Enseignement
c'est le dégraissage complet du pachyderme néolithique,
la privatisation de l'université, appelée «autonomie
budgétaire», des contrats dans informatique et un
ordinateur pour chacun, pour relancer la bécane en passant
des contrats Allègre avec le monde de l'entreprise. Concepts et métaphores, Isabelle Dormion,16 mai 2007 Qu'un sarkoziste avoué, «anthropologue froid»,
c'est son métier sinon son état (un sacerdoce?
une ascèse?) comme il se définit, soit invité
ou convoqué sur une radio culturelle un jour d'intronisation
pour «réfléchir», avant l'heure, l'imagerie
des pouvoirs, cela pourrait faire sourire et donner à
réfléchir. Neutralité, distance, rigueur
critique? Digicodes et clés culturelles ou pourquoi enfoncer des portes ouvertes? Isabelle Dormion, 20 mai 2007 A propos de Culture, je voulais juste rappeler quelques dates:
le 19 mai, 1000 musées en France sont ouverts la nuit.
Le musée de Vitry, le Mac-Val, musée d'art contemporain,
lieu de pédagogie interactive et de médiation,
vient d'ouvrir ses portes de l'autre côté du périphérique.
Le jour de l'ouverture, l'accès était gratuit,
ouvert aux habitants de Vitry qui s'y sont rendus nombreux. Son
ambition aujourd'hui est de faire venir à Vitry les visiteurs
du centre de Paris. Le ministère de la culture a été
créé par le Général de Gaulle en
1959. La maison de la culture d'Amiens était inaugurée
par son ministre André Malraux il y a quarante ans. Elle
est offerte au public dans un souci de démocratisation
des arts des lettres, réservés aux élites.
La culture n'est pas seulement un concept, c'est une charge d'état,
un lieu, un ministère, c'est une administration. La culture
serait «administrée» comme derniers soins
palliatifs à la fracture, elle recréerait le tissu
social. Elle a un coût, elle dispose d'un budget. Si l'on
cherche sur Google le mot culture, on tombe sur le site du ministère:
culture.fr. On peut consulter le portail. La culture est aussi
un marché. C'est un produit. C'est un consumérisme.
C'est un commerce. On dit "l'industrie du cinéma".
La culture a un coût pour l'Etat comme pour le citoyen.
De cet abrégé historique, je ne garderai que la curiosité. Les mérites des collectionneurs et des voyageurs sont le désir de la connaissance, le courage, l'étude, l'audace de la découverte, la générosité et le partage des "curiosités" scientifiques et artistiques. Sans volonté de connaître, il est difficile d'apprendre. Sans code, impossible d'accéder. Il peut y avoir des portes fermées, celles des entrées sélectives. Il peut y avoir des portes ouvertes, que l'on enfonce en pure perte. Il faudrait donc une pédagogie ouvrant un accès direct à la culture dans son excellence, une immersion sans autre intermédiaire qu'un médiateur. Il est possible d'enseigner à n'importe quel public, de classe préparatoire ou sortant de ZEP, la structure narrative, l'ellipse, la métonymie, le style, le déroulement linéaire d'un récit en étudiant sur place non des mangas ou des BD mais la tapisserie de Bayeux. On peut étudier dans notre propre culture, en France, la notion universelle d''engineering' au couvent des Cordeliers. On y expose actuellement Léonard de Vinci dans sa passion, «comprendre et créer». On y prend la mesure de l'ingéniosité, du génie et de la technologie dans un seul et même temps, historique, actuel. Surtout, on s'y amuse. Les machines ont été réalisées en bois. On lit les écrits de Vinci dans ses codex où il affirme simplement que l'expérience jamais ne fait défaut. Il ne faut se reprocher que l'ignorance. On peut étudier au Louvre, ou à l'IMA, avec l'aide d'un physicien, un astrolabe ou un sextan. On peut voir les premières cartes des géographes sur les quais. C'est accessible, facile et souvent gratuit. On peut étudier Buffon et la botanique au jardin Alpin
(et le travail fait par l'ethno-linguiste-botaniste Haudricourt),
le jardin des Plantes est simplement ouvert tous les matins.
Il suffit de susciter la curiosité sans autre sésame.
Il faudrait donc briser les cadenas, donner les clefs, ouvrir
les portes, enfoncer celles qui sont ouvertes et souvent refermées
(les préjugés de castes, doublement déniés
par les élites ), ouvrir les esprits à la curiosité,
autoriser et susciter l'audace d'une prise de parole. Les codes
culturels qui ouvrent les accès gardés et réservés
de l'excellence ne se transmettent pas aussi facilement qu'on
veut bien le dire. Il y aurait une forme pervertie et très
communément admise de rétention des savoirs que
je stigmatiserais en parlant non du contenu ni de la méthode
de la transmission pédagogique mais du "ton d'une
certaine condescendance", cette forme courante et maniérée
"d'exaspération contenue" rendue insupportable
aux étudiants qui l'ont un jour subie. Tout le monde a
subi ça. Cynique, Isabelle Dormion, 31 mai 2007 L'Unesco* arborait quelques chiffres accrochés aux
branchages de courbes croissantes selon une vitesse V opposant
les vents du Nord à l'harmattan et les gens du Nord à
ceux du Sud**. Je laisse chacun chercher les chiffres s'il le
souhaite, à l'occasion des longs week-end en famille.
Ces données sont instructives mais elles font froid dans
le dos. La Chine, ça va, merci. L'Afrique? Très
bien, dans les lointains de l'exotisme. Sur les transparents
exposés au public, les courbes de Gauss***, commentées
d'un ton égal, neutre et bienveillant par les conférenciers
démographes, tout est limpide****. *22 mai 2007 Démographie - de l'explosion à
l'implosion Aux marches de la poésie Avant - première, Isabelle Dormion 14 juin 2007 Les nouveaux modes de communications éludent parfois - souvent - toujours - de temps en temps - jamais (rayer l'inutile ^ ¨ ' ) l'accent* Couple et couplet : Aux marches du palais *faudrait-il le déplorer? (refrain) Dénoncer l'énonciation, Isabelle Dormion, 18 juin 2007 (f) Dimanche soir, second tour des élections, l'informé (l'électeur) ayant (déjà) voté apprend, confidence pour confidence*, formulée paupières baissées, mais les yeux dans les yeux d'une autre félonne, la France, sur le mode d'une énonciation publique, sur une chaîne publique, dans un contexte politico-people de village indien tous nus, de type hexagonal pour tout dire assez boxon et fanfreluches: «Hollande et Royal c'est fini!». C'est une assertion. Non mais, si c'est pas triste?!, dis-je à la voisine sourde comme un pot. C'est clair! me répond-t-elle la larme à l'oeil en posant d'aplomb sa béquille. Avec qui elle est? demande-t-elle. Je lui dis. Ah ça alors dit-elle. Et lui? Je lui dis. J'aurais pas cru, elle est si fluette et elle a des narines de souriceau, vous êtes sûre? Il y a peu, deuxième tour des élections présidentielles
(l'informé), l'électeur, ayant déjà
voté, apprenait ceci, sur le mode d'une énonciation-people,
sur une chaîne nationale, dans un contexte domestique d'un
petit dimanche parisien, earl grey bas bêê broutilles
buns beans bovary juice et lemon curd: «la première
dame de France n'a pas voté». Lundi matin, madame Monsieur et le petit prince sont rentrés chez eux et m'ont serré la pince, après que Bush eût serré la louche, et tantôt qu'en Pologne ira la double pogne. Pour en finir, distinguer l'assertif du subjectif (n'a servi
à rien?) *La politique et moi c'est terminé Cool le Chinois! Isabelle Dormion, 29 juin 2007 Les guichets ne s'ouvrent plus comme dans les gares d'antan,
laissant apparaître un préposé, manches de
lustrine la mine désabusée. Je n'entendis pas la suite. Dans ma rangée, entre deux lignes de flotteurs lumineux, avant de poursuivre en apnée la brasse coulée, j'avisai un petit corps blême mais obstiné à bonnet de tissu blanc marqué "Go", fourvoyé dans le couloir à grande vitesse. Manifestement un débutant mal débrouillé à caractère asiatique, ouïgour du quartier des Olympiades, les yeux fendus sur le côté, protégés par de larges hublots translucides, essayant le travail musculaire de ses seuls bras, les jambes n'esquissant qu'un vague petit battement. La béquilleuse sexagénaire aux cheveux nus était repartie chercher son bonnet dans le hall d'entrée, toute honte bue, en fracturant la vitrine du distributeur avec le poing nu, protégé par une serviette de bain triple fil de marque courante, empochant en vrac les pièces de deux euros dans l'emballage. Quand j'arrivai au bout de la ligne en dos crawlé,
je ne vis pas tout de suite que j'avais assommé de la
paume gauche, musclée, le chinois grand débutant,
mais bon, c'est un début, je m'entraîne. Comment coulait-il? Isabelle Dormion, 2 juillet 2007 A pic. Il fallut un aller et retour pour que je le vis reprenant
ses esprits, accroché au rebord, un autre aller et retour
pour qu'il soit assis au surplomb du plongeoir, un autre aller
et retour pour croiser des yeux qui m'observaient, sans expression,
c'est ce que j'ose croire. Des petites jambes qui pendaient,
les lunettes "Adidas" à la main, vraiment pas
le très grand homme de nos rêves étranges.
Un regard de noyé, faut-il toujours le préciser.
C'était bien ma paume gauche qui l'avait envoyé
au fond du bassin, noyade accidentelle c'est ce que l'autopsie
aurait pu dire mais bon. Ces yeux-là ne me parlent pas.
A peine concernée par la Chine et les Chinois. Est-ce
un crime? J'ai en tête d'autres pays (j'ai mes soucis)
et je sais farcir les samousas et les choux comme tout le monde.
Tous les jours bousculée à la caisse par les types
import-export tous azimuts achetant des brins de coriandre, la
citronnelle et les crevettes surgelées, autres serpents,
autres vipères, ça commence à porter sur
les nerfs, vengeons la ménagère. Homère en tas, Isabelle Dormion, 31 juillet 2007 Lundi à Saint-Michel, ce que la pluie n'a pas pu la
nuit déchirer, dissoudre et gâcher, je le trie et
range, le propose aux chalands sur le trottoir, en voyant au
coin de la rue en en éclair un visage ami. Ce que la pluie
n'a pu détruire, ce que la bêtise n'a pu anéantir,
c'est Homère : Rêveries andalouses, Isabelle Dormion, 19 Août 2007 Aux abords du poste frontière, passée l'enclave espagnole, se tenait une femme en uniforme à l'allure rigide, malgré un sourire éclatant et forcé par les contraintes de la situation dantesque. C'était Rachida Dati, l'oeil à tout, prête à l'action. Mes bagages étaient déposés, pour délasser mes épaules fatiguées par le voyage, en deçà de la zone étrangère et j'examinais attentivement le meilleur moyen de me rendre aux cascades, assez proches du tombeau du sage et loin de la ville étouffante. Près de la femme, une vaste poterie, une jarre de l'époque des Almoravides (me disais-je benoîtement) laissait passer la tête d'un homme las, un frère, planté là rien ne fleurira pensai-je encore, et symétriquement, un autre grand cénotaphe, contenant un certain personnage lassé de l'existence, comme mis en pot hors saison, mais passons, à peine avais-je remarqué ces deux récipients, des mémoriaux, des seaux sur les planches d'une scène limitée, que je vis la femme dégager mes sacs, les faire disparaître en les confisquant d'un brusque mouvement, assez masculin, mâchoires carrées, zygomatiques crispés par la tension ambiante. Comme je la prenais à part, «mais qu'avez-vous donc fait là, c'est illégal, les valises étaient en zone franche, vous n'avez pas le droit! je vais me plaindre», «qui parle de franchise? non seulement je n'ai rien vu, mais je n'ai rien pris.» Un café noir au coeur de la nuit arrêta la rêverie qui reprit avant l'aube dans son deuxième volet. Sans bagages, je devais rejoindre les quais, portant à
l'occasion une vieille femme au oeur fatigué, les bras
droits. «Je ferme les yeux, la marche sera plus légère!».
C'est elle qui proposait ça, et jamais je n'arriverais
à temps, la sirène du bateau appelant les derniers
voyageurs. Elle ressemblait, par les yeux, à une gisante
assagie, convaincue des bienfaits de la gaieté. Au bout
du rouleau mais souriante. J'avais envie de la déposer
dans un des caniveaux du port, renonçant ainsi à
mes devoirs élémentaires de portage, j'avais encore
une chance d'arriver avant que la passerelle soit relevée
et les deux enfants m'attendaient, déjà embarqués.
Le comité d'accueil avait bien vu l'une des fillettes, mais l'autre, me disait-on, était l'Enfant à l'état de Nature. Alors que je m'apprêtais à discuter la question en termes polémiques et selon Diderot, la vanité de l'entreprise m'apparut clairement et je me tus (assez longtemps). Je voyais devant moi un ami qui attendait, c'est Sébastien, me disais-je, en effet, il portait des flèches fichées gracieusement ça et là dans la poitrine et il tentait de m'indiquer le lieu où devait nous être servie une légère (mais luxueuse) collation. Il me poussait, m'indiquant les marches à gravir malgré la mauvaise volonté évidente. Nous n'étions désignés que pour l'animation. Il avait (en effet) les cheveux décolorés, était-ce l'effet de la croisière ou l'écran lumineux, placé à proximité. «A l'occasion » et je commençai alors à parler, sortant de ma poche le quignon de pain. HLM et châteaux en Espagne, Isabelle Dormion, 1er septembre 2007 Pourquoi chez nous ce dénigrement de chaque instant, cette mauvaise humeur contre tous et chacun, contre tout. Il suffit de mettre le pied une fraction de seconde sur le tarmac français pour déjà fulminer : Aude Ancelin, oublieuse ou partiale, délibérée, dans un article du Nouvel Observateur sur les complaisances des écrivains courtisans des pouvoirs, n'a pas mentionné Marguerite Duras et ses afféteries élyséennes dans le «Nouveau Journal». Dernier jour estival, le prurit reprend, qui nous agace du matin au soir en lisant untel ou cherchant en vain entre les colonnes unetelle, morte, ou pire, confite en honneurs et dévotions, déjà en livres de poche démarqués. En Espagne, où il n'y avait rien à lire, hormis
ce qu'on apportait alors à l'auberge, on peut encore trouver
à la «Celestina», cette librairie où
veille dans la soirée animée de la rue qui s'éternise,
un homme, buste penché, sur la gauche en descendant vers
les jardins là-bas, de quoi reprendre souffle quand l'oxygène
vient à manquer. Le reste ressemble, à Tolède,
comme à Cordoue, à d'anciennes caves ou géoles
de l'Inquisition réhabilitées par d'habiles
travaux de maçonneries modernisantes, en de jeunes débits
de vin et taps up to date, world music, habitués polyglottes
dégingandés, pierres apparentes, sous-sols sablonneux,
panneaux luminescents, flacons d'huile stylisés, jeunesses
sautillantes, aimables à gogo, mèches gominées,
en noir asexué, oreilles polyglottes, langues d'iguanes,
et on ne peut plus rêver, aux pieds qui scandent les rythmes
synthé, des chaussures collées en Chine et vendues
nada. Dans le filet devant moi quelqu'un a laissé un magazine
gratuit qui évite désormais au voyageur ordinaire
de confondre Calderon avec l'autre. Celui là «no
le gusta mantequilla de cahueta». Pédagogique, précis,
agréé, il nous demande «por qué tenemos
cosquillas? Plus chatouilles, dans ce contexte, que démangeaisons».
Nous en avons parce nous avons, souvent, parfois, nous, humains,
des terminaisons nerveuses. Certains oui, d'autres non, ceux
qui restent de marbre quand la climatisation diffuse une odeur
synthétique ulcérante de citron ou de tomate almodovarienne,
ça fait tousser, éternuer, ça explose les
alvéoles pulmonaires et ça mène à
l'ulcération chronique. Deux émissions sur les conditions de travail des saisonniers, pas d'eau, vingt cinq euros par jour, pas de toît pour la famille, sous l'image «comment peut-on supporter ça?» et «qui les aide?». Ailleurs, c'est terminé. Dans les rues hautes de Tolède, j'achetai une lame. Au musée Picasso de Malaga, une exposition, raréfiée,
sur le contexte dans lequel l'artiste créait ses petites
pièces nègres. Quelques sculptures prêtées
par le Musée Branly, c'est très chic, noir, blanc,
vide, ce contraste, c'est climatisé et dans le jardin,
si on commande un simple café pour prendre l'air, la fille
agacée oublie la tasse, le sucre, la cuillère et
le café. Nada. Lectures rapides : La jardinière de l'Oronte et d'ailleurs, 5 septembre 2007 Les méthodes permettant de lire en diagonale des textes sans saveur ni fond ne manquent pas de bravoure. Elles donnent à tout un chacal de quoi se mettre sous les crocs. Non qu'il s'agisse d'une escroquerie c'est souvent croquignolet, quignon, quiche et plutôt présomptueux, vulgaire. On apprend à zapper, surligner (stabiloter), extraire du contexte, capter, tronquer, surfer sans assimiler, on oublie les lenteurs somptueuses d'une lecture oisive, ce luxe délictueux. Nous avons une belle jardinière, une voyageuse, la
première dame de France. «La cage a beau être
couverte de peintures et d'ornements, l'oiseau cherche des yeux
une ouverture»**. Elle n'a de compte à rendre à
personne entend-t-on. On appelle jardinière à la
fois la fonction de jardinage et la potiche -contenant qu'elle
entend haut et fort, ni contrainte, ni forcée, ne pas
être- enfin le pot, la poterie, le récipient, la
jarre, qui contient la terre et la plante. Celle-ci est la belle
jardinière (tenant en contention), parcourant la terre
et maintenant le premier monsieur de Paris et de France en cohésion.
Il faut tenir, soutenir, maintenir. Contenir pour tenir. La distance?
On verra plus tard. A propos, je relis Chomsky en lecture rapide. Good. *poésie citée par Barrès Triple buse, Isabelle Dormion, 12 septembre 2007 Sur les rives du Guadalquivir, j'attendais l'heure propice. Pas de car avant la fin de l'après-midi. Là, près de l'eau, le collier blanc d'un canard pilet derrière quelques herbes, il patrouille aux alentours jusqu'aux carillons des vêpres, dans la chaleur et cette lumière éclatante. Crénom, déjà les premiers repos des vols migratoires? En banlieue parisienne, assise silencieuse sur une souche de la première forêt des environs, il faut attendre le dernier passages bruissant du ramasseur de champignons pour apercevoir la buse se laissant dériver en vols circulaires, portée par le vent d'Est. L'un d'eux défroisse un sac Tati. Des kilos de ceps et de bolets qu'il faudrait ramasser et pouvoir manger en longues tablées. Et si c'était vraiment la fin de l'été? Aucun rapport, cherchant la buse, je tombe sur une variante de la famille de pycnonotidés, le fameux bulbul (celui dont le corps est tâché de rouge, jaune ou blanc) se distinguant des bandes bruyantes au plumage assez terne et disons le sans zambage, plus commun (120 espèces de passereaux).* Bref, c'est à 9h 30 sans un bruit (que) se pointe l'ornithologue, (que) appareil photo en bandoulière, (que) énorme zoom, moustaches à la Vincenot, un petit crayon à la main, veste forestière, cro(que)nots Go-sports à bandes aératives, semelles spongiformes, mais je n'ai pas que je sache donné rendez-vous à la chasse. Il donne une conférence d'une vingtaine de minutes bénévoles sur les opportunités de l'observation, les courants chauds ascendants, les flux migratoires, les premiers début août, si tôt my God! Les petits yeux perçants de certains volatiles, les bruyantes manifestations des vététistes en hordes, le malélevage des petits des humanoïdes à oreillettes occultées voire forcloses, les ravages des cueilleurs de champignons autoroutistes venus de Paris à l'aube, les avantages incontestés du crayon taillé petit et mis en poche promptement, les déplacements silencieux des rapaces nocturnes et cette intelligence supposée qu'on prête complaisamment à la chevêche commune, Athene noctua, qui se sa clairvoyance ferait de tout et de rien mystère comme toi et moi si hellénistiques loustics. Pour mettre un terme à cette logorrhée ostentatoire, je lui fais remarquer qu'il suffit de s'asseoir en silence le matin dans un bois pour avoir la chance d'observer in situ l'ornithologue des broussailles et des broutilles, l'hôte exclusif, propriétaire des bois, des airs, des terres, des bruyères, des étangs et des feuilles de peupliers, bénéficiant, sous son ramage, de petits pavillons d'oreilles, faits, derrière les cartilages, de petites touffes de plumes. A cette heure, il s'ébroue, tapote la mousse, sait à merveille faire glisser le vent sous les plumes qui légèrement réactives, enflent et le portent, le temps d'un soupir, en accorte hâbleur lourdement pédagogique devenant, de la famille des Trucmuches, l'inévitable Raseux Orthoductans des Classes Propé, me transformant en Spingbock (artiodactyle de la famille des Moyens Bovidés*) dont chacun sait que les bonds soudains, pattes raidies et tête baissée, cornes en lyre, peuvent être élastiques, rapides, automatiques, inopinés, défensifs (voire violents). Une heure plus tard, se pointait la troisième buse les mains dans les poches. Enclyclopédie des animaux - à l'usage des enfants du pays (France Loisirs1980) Sans titre, lundi, Isabelle Dormion, 17 septembre 2007 Le documentaire de Sandrine Bonnaire sur sa soeur pychotique remet sur la scène les débats archaïques et renouvelables de l'antipsychiatrie. Régression des savoirs? Camisoles chimiques. La réalisatrice pose une nouvelle fois dans un contexte moderne, déshumanisé et hypertechnologique la question d'une médecine misérabiliste et démunie, où le courage des personnels soignants, pour la plupart des infirmières surmenées et des médecins désarmés dont l'abnégation est sans limites, permet parfois à un patient de sortir de la nuit où sa folie l'enferme. Le commentaire de Bernard Kouchner sur les limites de la diplomatie qu'il propose de repousser le plus loin possible vient contredire, dans la même phrase, la deuxième proposition, l'éventualité d'une frappe, à laquelle il faudrait (en même temps) se préparer. Une stratégie dilatoire et schizophrène, malgré l'évidente bonne foi du diplomate. Le caractère horripilant des pontifiantes semonces de Philippe Val à propos de tout. Que sait-il de notre colossale ignorance? Personne dans la confusion actuelle n'est capable de tout comprendre d'un monde qu'il faut perpétuellement décrypter, analyser et commenter sans marquer le temps de la perplexité. Toujours une idée, une réaction, un avis, une trouvaille, une indignation, un paradoxe, toujours un engagement d'une parole réactive, une munition toujours engagée dans le canon. La feuille d'automne en mi saison, personne n'en parle plus, qui bientôt sur la chaussée glissante fera avec les marrons, et choir et se briser les cols fémoraux de plus de glandouilleuses du troisième âge banlieusard qu'il y a d'arbres plantés à Saint-Denis Basilique. Une nouvelle secrétaire d'état est contre le test ADN. J'ai oublié le patronyme, ne gardant que son peusdo des tags, NPNS. Est-elle pour les applications de la biométrie? Voui or not? Peut-elle s'exprimer moins nique ta race? Elle dit la thune. Moi mon père à Bethune/ laisse béton/ j'suis pas Vuitton. Une autre, aussi sympathique, soutient de son indignation gaffeuse les expulsions d'Aubervilliers. Tant de confondante sincérité émeut qui ne pourrait cependant faire croire à une virginité intellectuelle proche de l'innocence. La rentrée ou les joies fragiles de la flânerie. Seul l'oeil rêve Etoiles filantes*, Isabelle Dormion, 24 septembre 2007 Fréderic Mitterand ce matin sur France Culture dresse
un inventaire: les attributs antiques -jusqu'à la modernité
solaire de Monica Bellucci- des stars. Il faut ce qu'il faut,
des seins quand il y en a, il en faut, les hanches où
le temps d'une valse ou d'un tango, reposer les mains entre deux
soupirs. Greta Garbo est une star, la femme aux bijoux, celle
qui les ensorcelle, non. La femme aux bijoux appartient aux domaines
de la quincaillerie onirique, gouailleuse, des trottoirs, elle
est réaliste ou vendeuse de songes de seconde main au
Bon Marché. Le coin cuisine, le réel, la sentimentalité,
n'ensorcellent pas. Remugles et graillons d'un lyrisme cheap,
l'amôôôur et le beuglant. Brigitte Bardot,
oui, telle qu'en criques et Madrague elle les croqua tous en
digne fille des eaux et de la gente masculine, et mère-grand
de la gente animalière. Après le «Mépris». Curieusement, et par défaut, dans cette émission matinale, évoquant le travail d'Edgar Morin sur les stars, le personnage éminemment Gary Grant, pratiquant l'ellipse, décalé, en costume de rigueur, adéquat, la star était l'invité précédent, Villepin. *sans transition, la tombe de Jane Bowles est à Malaga.
Paul Bowles? lui, à Tanger? nous l'avons, toutes, très
peu lu. L'objet de la sociologie, Isabelle Dormion, 30 septembre 2007 Aujourd'hui, sur la même radio, la suite des «stars».
Edgar Morin, entouré d'un aréopage ad hoc, explique
comment il en est venu là où il est arrivé,
non seulement haut (verticalement) mais loin (horizontalement)
au statut de star de la sociologie en passant par le marxisme
qui était le point de départ d'un triangle isocèle
vers un zénith de la recherche rigoureuse et de la vérité
absolues. Les témoignages se succèdent, fermes,
laudateurs, sobres, superlatifs, objectifs, dithyrambiques (mais
sans aucune flagornerie), entrecoupés par quelques (rares)
minutes d'archives où Sophia Loren, une grande actrice
italienne, à qui un journaliste demande quel est le secret
de sa gaieté répond sans rire «le secret
c'est de n'être pas triste, comme ça il y en a toujours
un qui peut remonter le moral de l'autre (Carlo Ponti)». *pourquoi pas chez un antiquaire où l'on trouve sans
difficulté une pointe de flèche en silex, une poterie,
que chacun pourrait acheter, s'il voulait, humain, quelque objet
à considérer. à suivre, les dernières Turbulences retour accueil Shukaba |