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Le sol ou l'asile, Isabelle Dormion, mail 3 Mai 2002 Une femme, la soixantaine, les bras
découverts, chemisier rose à manches courtes, chante*.
De retour en Algérie, lors d'un concert, un inconnu, à
la fin de la soirée, tire sa robe et lui fait un signe
éloquent: lame sous la gorge. A la caméra, des
deux mains frappées perpendiculairement, elle dit laconiquement
sa fuite en France, le deuxième exil, le retour, la défaite.
Plus de figuiers, plus de jardin, plus de fruits mangés
à peine cueillis. Lyon, les rues vides, "l'heure
du retour est venue, je pleure". Un pont. Rues désertes.
Pluie. Près de la Tour Tokyo, la rampe
d'accès vers le Centre de Sécurité Sociale
est empruntée par tous ceux qui se dirigent sur la dalle
des Olympiades. Coiffeurs asiatiques de la Galerie, accidentés
du travail à roulettes motorisées, dont une femme
handicapée, qui se poste à l'entrée, et
propose à tous les passants une documentation des Témoins
de Jéhovah, sans prosélytisme, le visage habité
par quelque songe étrange. Des camions de tournage sont
garés là depuis plusieurs jours. L'équipe
technique est discrète. *France 5: "Les Algériens
de Lyon", Jean-Bernard Andro Une amie me dit, non pas sa honte mais la peur, la terreur au ventre. Connaît la haine rampante, innommable. Ne savent pas ce qu'ils font? Est-ce possible? Comment y aller demain? Promptement. Ensuite, on rejoint les autres. Les autres, cette semaine, où étaient-ils? Quels autres? Les nôtres? Tous étaient sortis de leurs terriers, apeurés, aveuglés, glapissants au Trocadéro, Line Renaud main dans la main avec Rouget de Lisle, gorges déployées, réveillant de ces clameurs tardives Gainsbourg sous la terre patriotique. Que dit Simone Veil? La première, jadis, à vouloir barrer la route au borgne rondelet, ce maiîre fromager, histrion, renard et corbeau. La première à flairer le péril, alors que Le Pen n'atteignait pas encore un taux minimal aux élections. Elle n'est pas morte que je sache! Tous les autres reviennent, qu'on croyait en retraite. Giscard, impitoyable, avec ses tableaux, la France 12ème sur 15 à l'Europe, en très mauvais état, d'après lui, cancre, très loin du rattrapage. Il reprend exactement là où il l'avait laissé le dernier conseil des ministres avant Mitterrand : l'état de la France, l'état des lieux, notre propriété foncière, collective. Ce matin sur Europe 1, le Directeur d'une grande agence de publicité donne son avis sur les slogans politico-publicitaires. Les gens, dit-il, ne lisent pas les programmes pré-électoraux glissés dans les boîtes aux lettres. Ils n'y comprennent rien, dit-il, ils s'en moquent. Trop compliqué. Un bon slogan, à l'américaine. Une bonne association slogan-image. Prend les gens pour des débiloïdes profonds, irrécupérables, récupérés par n'importe quelle idée motrice, mobilisatrice. Les mots fédèrent. Moi, j'aime le mot "désormais" La fiction peut-elle rejoindre la réalité,
s'y coller, en altérer la lourde permanence? J'en ai eu,
dimanche 5 mai, la preuve tangible. Au moment précis,
où, sortant de l'ascenseur, j'enfournais dans la poche
droite de ma veste grise passeport et carte d'électrice,
j'aperçus, plantée avec un chien folâtre,
une femme rousse de taille moyenne, juchée sur des talons
aiguilles, jupe trop courte, veste cintrée, lunettes paysagistes
à effets miroitants, strass de star et montures pailletées,
tirant la laisse, Illustration modeste des expériences de ce journal prospectif. Quels effets? Quelles limites? Les mots, quel chemin font-ils? Un jour, m'apprêtant à
revoir le film de Jean Eustache "La maman et la putain",
j'entre dans un grand café du boulevard Montparnasse et
commande quelque chose en attendant l'heure de la séance.
Devant nous, Antoine Doinel, Jean-Pierre Léaud, seul,
plus vrai que nature, plus vrai, plus fictif que son personnage.
Passe une fille, qu'il reconnaît, il saute de sa chaise,
se cogne, sort, l'interpelle, agité, ironique, lui dit
deux mots, nous regarde, hausse les épaules et revient
prendre sa place derrière la petite table ronde, mine
sombre. Pour notre seul regard, un spectacle drôle et tragiquement
beau entre fiction et réalité. Peu de temps après,
la même scène dans le film. Un dimanche après-midi, il y
a quelques années, marchant dans Paris, je croise à
un feu rouge S.Beckett. Bousculades, entrechats, après
vous, je n'en ferai rien etc... en quelques fractions de secondes.
Regards. A ce moment précis, je me dis qu'il joue. Si
Beckett est tel que je sais qu'il est, il va tourner une fois
encore autour du Lion de Belfort, simplement pour signifier qu'il
a joué. J'ai tourné aussi. Lui aussi. J'avais raison.
Il était comme je le pensais, ni plus ni moins. Tragiquement,
gratuitement tournant en rond. Pour rien.Comme ça. Un samedi, il a très longtemps, permanence rue de Grenelle. Quelqu'un au téléphone. "C'est le Président". " Excusez-moi, Monsieur, le Président de quoi? ". "LE président!". Aurait dû répondre comme vous et moi, "... de la République". De quoi sont les pieds? demande le militaire au conscrit, brave soldat au front bas. L'objet de soins attentifs. Voilà une réponse intelligente. Quand on me demande de quoi je suis présidente je réponds fièrement, menton dressé, les yeux brillant de mille et un feux fichés dans les yeux ternes du vis-à-vis, jugulaire au menton, "de l'Association des guitaristes flamenquistes féminines de Vitry-sur-Seine, première classe!". Comme je suis aussi seule membre, je suis au moins tranquille de ce côté-là. Je ne réponds pas comme le roi fou de Pirandello. Les politiques se prennent pour eux-mêmes jusqu'à perdre toute identité, toute pensée, toute parole vraie. Parlent d'eux à la troisième personne. Je me souviens d'un, singulier, qui crachouillait ses discours en faisant grincer les lames du parquet. Il s'exerçait. A quoi? L'autre, Douste-Blazy, qui boude parce qu'il voulait être premier ministre ou rien! "Non, merci, finalement, je préfère rester à Toulouse", la belle ville rose, comme Claude Nougaro, sans le style, sans le swing, sans le rythme, sans les rimes, sans le talent, sans la vie, sans rien pour sauver du dépit narcissique, de la chute orgueilleuse, du néant. Personne au théâtre n'oserait dire de telles âneries. Le Pen, à propos d'Alliot-Marie, à la Défense: "J'ai toujours aimé les cantinières!". Ces luttes à mort de pur prestige. Comment s'habiller quand on a une telle fonction. Difficile. Talons hauts, talons plats, bottes, bleu-marine, gris-destroyer, un peu de blanc-linceul pour éclairer le visage, le rendre joyeux. Difficile. Ne pas trébucher. Attention aux marches. Attention aux terroristes. Ethnologue. Amie de R.Jaulin, qui voulait que je lui donne, (que je lui soumette?) l'ethnographie d'un Ministère, rigolade, pour qu'elle en fasse le meilleur usage, sans doute? Impubliable. Sourire, maquillage léger, et pas ce nouveau brushing, trop laqué, déjà blindé. Ne pas se prendre les pieds dans le tapis rouge. Arafat, Sharon, Bush. In "Le festin du commandeur"
de Mario Soldati - Poche: Le soir des élections, les cameras cherchent l'image. Pluie. Pare-brise. Sols brillants. Véhicules parcourant la ville. A moto, le parcours triste d'un livreur de pizza, sale temps dans les rues d'une ville trop connue, démystifiée par ses sens interdits, les raccourcis, les parcours initiés, le chemin le plus court d'un point à un autre, jusqu'à la République. Ce matin, nouveau tournage rue du Disque. Un étalage installé trop vite près de l'escalier roulant, en panne, entasse des pyramides d'oranges, des bâtons d'encens sur le trottoir, ces autels d'ancêtres placés d'ordinaire dans un coin des magasins asiatiques. Les figurants ont des habits élimés, minables, beaucoup moins élégants que ceux des vrais passants se pressant autour vers les magasins. Pressés, la petite foule obéit aux ordres. Escalader les marches trop hautes d'un escalier mécanique hors d'usage casse le mouvement d'une foule pressée, vaquant aux tâches ordinaires. L'exotisme est quotidien. Durians en vrac, oranges, liserons d'eau, toutes ces denrées, exposées en vrac en face des faux étalages avec ombrelles de papier déployées, comme dans une rubrique de décoration sont offerts à la caméra, à quelques mètres de là. Quel que soit l'angle choisi, les fruits et les légumes à profusion, réels, sont magnifiques, vraies denrées que les acheteurs asiatiques venus de l'Europe entière palpent, sentent, soupèsent, achètent. N'importe quelle image issue de cette réalité là, à quelques mètres du misérable décor, est belle. Je fais remarquer à l'une des assistantes que les associations chinoises refusent l'image d'eux, fausse, imposée dans les films. Ces clichés sont insultants. Elle rétorque que le cinéma japonais, effectivement, est très esthétique. Or, nous sommes ici en France dans un quartier habité par les chinois, les cambodgiens et les vietnamiens, et non par des Japonais. Porte-voix, agitation, frénésie de cow-boys hurleurs, cordons, cette façon d'occuper le terrain conquis non par l'image, non par le regard mais par ce pouvoir quasi délinquant d'une caméra. Les gens demandent: c'est la Télé? Qu'est-ce que c'est que ce bric à brac, ces trucs-là, mis n'importe comment? C'est une émission? C'est quoi? C'est Navarro? On ne peut pas passer? Il y aura du kung fu? Sur la Deux, l'annonce aux familles
de l'attentat de Karachi. Morts. Une femme, apprenant la mort
d'un proche, comme une bête hurle. Personne n'a coupé
cette image, personne au montage n'a demandé qu'on enlève
ce cri, horrible. Pourquoi les familles en deuil ne demandent-t-elles
pas que soit respectée leur peine, privée et qu'elle
ne soit pas montrée, livrée telle quelle, brute.
Les attentats sont violents, certes, mais la violence acceptée
des images qui sont assénées sans réflexion,
sans lecture possible, insensées, est devenue insupportable.
Ce matin, très belle émission à la radio sur "l'exode allogène des fourmis". J'ai cru, dans un premier temps, à un excellent débat politique, mené pas un théoricien magistral, imprégné de Weber et de Tocqueville**. Les fourmis, avec leurs petites pattes, leurs petites antennes et leur détermination mystérieuse, mûes par quelque signal, quelque nécessité dynamique, quelque contingence supérieure, migrent et ne repartent plus du lieu où, en groupe, elles ont élu leur nouveau domicile. Pourvu qu'un anthropomorphe (hallogène), de type R. Chauvin ou un éthologue de type C. Lorenz ne nous tombe pas desssus à bras racourcis avec quelque nouvelle théorie migratoire. Entendu sur la deux, en ouverture du journal, par Pujadas, "les biscottes n'ont plus la cote", à propos des nouveaux boulangers-artisans. Pas mal, insolent, impertinent, pour un beau premier jour de conseil des ministres. "Un mot, Monsieur le Ministre? Oui, je suis le garde du corps de Madame Bachelot". Ils vont les faire cavaler, demain, les gens des médias. Ce ne sont pourtant pas leurs serviteurs. L'indépendance de la presse. On peut toujours rêver, élaborer des plans sur la comète: si, une fois pour toutes, ou une fois de temps en temps, les médias ne jouaient pas le jeu des politiques et les boycottaient, s'ils faisaient tous diversion, si, unanimement, ils parlaient d'autre chose, comme la déambulation lointaine des fourmis, on pourrait enfin entendre dans ce silence assourdissant quelque chose de ce qui n'est pas dit. Bref, revenons à nos observations,plus minutieuses, dégrossies, rapprochées, distanciées, microscopiques, loupes en mains, dans le jardinet joli du mois de mai. Du pachyderme, du bovin, du boeuf, de l'éléphant, non! Pas la place pour de belles fables aux morales contendantes: s'il est, aujourd'hui, vendredi, 13h22, un faux-bourdon suractivé et vrombissant, c'est notre premier ministre brachycéphale. Les dossiers, les problèmes, les nécessités, les impératifs, les missions, les devoirs, les pensums, les réalités, concrètement, il faut les prendre "à bras le corps" A bracadabra? * "Qu'est-ce que la raison? La
philosophie nous en donne des définitions savantes. Soyons
modestes, tenons-nous en au plus simple: il ne s'agit que de
la bête. La raison est la faculté qui rattache l'effet
à la cause, et dirige l'acte en le conformant aux exigences
de l'accidentel. Dans ces limites, l'animal est-il apte à
raisonner?" Dans "Essai d'introduction au projet
d'une métrique universelle"*, Jean Paulhan, grand
maître du langage, ordonne et prêche: "Fuyez
langage, il vous poursuit, poursuivez langage, il vous fuit".
*Les Cahiers du Nouveau Commerce - Supplément
au Numéro 58 - Paris, 1984 Comment reconnaître un anti-lacanien?
Comment le comparer judicieusement à un freudien, un kantien,
un sartrien? Jeune, j'ai déjà testé héroïquement
un heideggerien, ce fut une vaste sinécure, snob, très
drôle, pompier, il était en outre membre du Jockey-Club.
Ensuite, certaines d'entre nous parmi les plus vaillantes testèrent
qui, un lacanien de moyenne envergure, qui, un freudien de bonne
souche. Il savait si on le lui demandait ce que voulait dire
"Spaltung" sans sortir l'Assimil, ni de ses gonds. * A signaler, dans "Les Echos"
du 10-11 mai, un article de Jean Tournon, directeur de recherches
à la Fondation Nationale des Sciences Politiques: "La
propension technocratique" Est-ce d'avoir vu le soir "Trafic"
qui me valut le matin ceci : au moment même où je
passais de l'extérieur à l'intérieur du
métro, à l'aide d'un ticket de carte orange, d'un
titre normal, tribut mensuel au véhicule, je me fis coincer
en une fraction de seconde par les deux portes qui se resserrèrent
sur ma poitrine d'albâtre comme une mortelle tenaille.
Souffle coupé, je demandais aux suivants: "Mais bordel,
faites quelque chose, je suis coincée". "Soyez
posée et pondérée!" disait,déjà,
à mes Arrivant à destination, transportée
par cette grande chenille souterraine puante, un black monumental
m'offrit à la sortie un petit journal, appelé bien
à propos "métro". Je m'extasiai sur le
génie créatif des concepteurs d'une telle merveille.
Je pus, le temps de viser juste dans une poubelle, vérifier
l'orthographe de Kaurismaki (5ème sélection au
Festival de Cannes), vérifier l'augure d'un horoscope
consternhâtif "Vous pensez avoir la capacité
de transformer les sentiments des autres", je sentis gonfler
en moi cette impression, tempêtueuse, canaille, délinquante,
d'influencer les trois quarts de la planète -pouvoir quand
tu me tiens, je ne sens plus ma force-, constater qu'Armani s'habille
lui-même, il ne risque pas la faute de goût, c'est
ce que je me dis en écrivant des insanités tous
azimuts. Jaulin disait "calembredaines", je lui répondais
aussi sec: "Bigre!". Carambar, calembour, bedaine,
fredaines. Il disait aussi "carabistouilles" pour évoquer
les miasmes politico-putrides. C'est quelqu'un qui avait ce goût
ludique des mots précis, joint à l'usage des idées
justes. France Inter, par la voix suave de Jean-Pierre
Coffe, raconte la vie houleuse de l'escargot de Bourgogne. On
apprend de belles choses. Comment il est élevé,
comment avec ail et beurre, il est accommodé, comment
il se reproduit bien qu'hermaphrodite, dans quelles conditions
requises, humides, d'où il vient, son origine, de Bulgarie,
Turquie, jusqu'en Bourgogne. A pied? Epopées. Cinéma rose célavie. Fiction.Réalité. Blacks goudronnant une rue, à Sully-Morland. Camera. L'image capte sous la pluie, noirs sur noir, chaud et brillant. Je tiens un grand parapluie pour protéger la caméra. L'un d'entre eux ne veut pas que ce soit vu au "Journal", telévisé, sans doute. A dit à sa famille qu'il travaillait dans un grand hôtel. Portier. Ce n'est pas le but. DM lui parle en le filmant. Ce n'est pas l'objectif. Ils demandent tous "pour quoi faire?", pour savoir comment se font les choses, comment le travail se fait, comment les routes, les rues se font, sur lesquelles demain on marchera, sous la pluie, la nuit. Ils rigolent. Celui qui devait travailler dans un grand hôtel aimerait nous en dire plus sur son mensonge. On lui dit qu'on aurait fait la même chose. Ce n'est pas un mensonge. A peine une légère altération de la réalité. Fiction. Portier, ouvrir, fermer, ouvrir, bonjour Madame, un taxi? Oui, Madame, je prends le chien. Est-ce une vie? Surtout que personne là-bas ne le voit. Que personne ne sache. Invisible, anonyme, indigène, on ne voit que lui, triomphant, hilare, en sueur dans les fumerolles infernales. Interviewée par la Une sur les
démarches administratives d'une procuration, à
quelques jours du 21 avril, la cinéaste, cadrée
dans un angle intéressant, à contre-jour près
d'une fenêtre, à la Mairie du 13ème, énonce
clairement les difficultés, dissuasives, pour l'obtention
de cette fameuse procuration. C'est archaïque, précise-t-elle,
ça va coûter cher à certains candidats, elle
montre les formulaires, le système des envois recommandés
avec Accusé Réception. Elle argumente, clairement,
le préjudice Pour le documentariste Wiseman, nous avions fait une affiche d'un rhinocéros enfonçant une porte ouverte sur un mur de dentelles roses. On m'a dit: "Quand allez-vous enfin arrêter ça?". Ce journal. Les collages. Flamenco. Les trucs. Pour quoi faire? Savoir comment se font et défont les jours. Difficile d'arrêter le cours de la vie, qui sans nous, avec nous, indiscontinuement va son train d'enfer. Je reçois un e-mail : j'ai l'honneur de vous communiquer ma nouvelle adresse Internet, ça se communique, c'est ça qui se communique, l'honneur d'adresser ce qui se file, comme une MST. Accusé réception. OK, Bien reçu 5/5 nouvelle adresse. Et c'est ça, le progrès! Je préfère le pigeon iranien, bagué, courants et vents porteurs, qui revient exténué là où il doit retourner, message enroulé à la patte, huit mots sybillins d'un poème d'Hafez. Au festival de Cannes, une femme extravagante,
habillée tout en rose, capeline de star, hystérique,
fait son intéressante devant les caméras. Le présentateur
TV, d'abord indulgent, s'énerve, derrière les petites
lunettes de soleil rectangulaires. Faites quelque chose! Qu'on
la vire! Nuit à l'image. En trop. La vie en trop. Enlevez.
Coupez ça. La vie, coupez. Taisez-vous. Silence. Coupez Requise il y a peu de temps pour décrypter les cantilènes raps, j'ai constaté que les rimes taillées au cordeau, travaillées au dico, chaque mot, chaque phonème, chaque syllabe donnaient lieu à un travail considérable, sur table, une oeuvre d'écriture, très éloignée de l'idée de violence primitive, primaire, imposée à priori et reçu à posteriori par ce ventre mou de l'opinion consensuelle. Queneau sans Gallimard. M'ont appris quelque chose. Un tour d'avance, non dans la fuite, mais dans la fugue. Un tour d'avance, talonnés par leur adversaire culturel de classe. Plus rapides que la musique, les mecs. Samedi, sur l'ancienne voie ferrée
de la petite ceinture, un groupe de graffeurs peignait les murs
proches de la gare de triage de Bercy. De l'autre côté,
l'ancienne gare de Charenton, celle des bus pour l'Espagne et
le Portugal. Le tracé, le graphisme, les harmonies de
bleu, gris et violet rose, étaient, dans la canicule,
dispensés de tout commentaires esthético-déconnatifs.
Trop chaud. Lumière blanche. Torses nus. J'avais soif.
Mirages sur la voie désertique, herbes chiches, pas un
souffle, tension, je siffle mon cheval dans la torpeur postméridienne.
"Cités oubliées". Gens oubliés.
Lieux entre la ville et autre chose. Plus loin, des enfants d'une
dizaine d'années, dont deux vigiles prêts à
donner l'alerte, faisaient brûler des cageots. Plus haut,
sur la passerelle surplombant le petit jardin ouvrier, autre
école, autres murs, un groupe de scouts chantait sans
entrain, mené par un chef plein d'allant, l'arrière-garde
poussée par deux grosses filles en jupes culottes de toile
beige surmontées de fanions verts et orange. D'autres, choisis pour leur goût
des sensations fortes, leur curiosité et un zèle
tout expérimental, martial, ont chanté la Marseillaise
devant Chirac. L'occasion pour les parents d'apprendre les paroles
une fois pour toutes. Evocation d'encres violettes dans des encriers
de porcelaine, honte d'avoir par procuration citoyenne, poussé
l'enfant vers d'étranges, larges, avenues, celles des
Champs Elysées, vers d'insolites sensations. Lang, curieux,
posait des questions à tous, à chacune, se poussant
du coude "Nous entrerons dans la carrière".
Là, c'est moi, tu vois, c'est moi, je cours, j'ai failli
tomber sur l'autre de devant. Elle avait les chaussures de sa
mère, une taille au dessus. Debout depuis quatre heures
du matin. L'Armée, c'est ça. La Patrie, c'est ça.
Le Débarquement, on doit chanter? Non, pas cette fois,
le 6 juin, c'est l'anniversaire de ton papa, Happy Birthday,
une montre Dupont, ça suffira, et une génoise aux
framboises avec quelques frezhias, un doigt de champagne. *Saint Denis le Céphalophore,
le Saint de ceux qui n'ont plus toute leur tête, des oublieux,
des distraits, des migraineux. Le meurtre à l'arme blanche d'une
jeune fille de quinze ans à l'heure de la promenade par
l'un de ses amis, irréprochable, si calme, si gentil,
si voisin, alimente aujourd'hui les chroniques. Le sang a coulé,
la jeune fille a vu la mort glacée l'envahir peu à
peu : ça s'appelle encore l'agonie et c'est une sorte
de travail. Il faut partir, dans les meilleures conditions possibles,
sinon les pires. Après viennent les larmes, les fleurs
blanches, le tombeau, les larmes encore, le deuil. Comment se
nomme celui qui, envahi par une pulsion meutrière, passe
à l'acte? Un criminel. Imputer à la télévision
le passage à l'acte, aux images violentes, l'origine du
geste, c'est un peu léger. Demain, enfermement pour ces
jeunes, fragiles, qui en se cherchant trouvent un autre, qu'ils
ne reconnaissent pas. C'est la définition de l'aliéné.
Un autre. Ouf. Zarb. Naze. Etranger. Habité par un esprit,
dans d'autres cultures. Mu par un diable, s'ils sont légions.
On va supputer la préméditation, qui n'enlèvera
pas au geste sa folie dévastatrice. Chez moi, dans ma
cour, un tel geste est arrivé, poignard dans le coeur,
jalousie à vingt ans. Tous les gens, unanimes ont appelé
le geste "accident". Le coup est parti tout seul. Il
n'a rien senti. Il est mort sans se rendre compte. Un autre jeune
de ma cour, lui, plus chanceux, a glissé sur le ballast
à Massena. Happé par le TGV. Une si belle mort,
dit la famille, en jouant, ils se poussaient, c'était
pour rire. Quai verglacé. Il n'a eu le temps de rien.
Un jeu. Qui a dit que l'adolescence était le plus bel
âge? Niaiseries. La vie devant soi, Nike, Go-Sport, Porshe
à 150, je l'ai vue folle, un samedi, rue Nationale, la
belle affaire, pas toujours réjouissante, la mort en jeu,
jamais dite. Plus d'initiation, plus de défi, pas de confrontations,
pas d'occasion de se mesurer à la peur, l'angoisse, le
vide, la nuit, la souffrance, la patience, l'endurance, la force,
la faiblesse, le froid, le feu, la faim, la soif. Adolescence
sans confrontation. Banalités. Vie banale. Prennent une
arme, prennent ou perdent la vie. Un souffle et l'agonie. De
notre temps, vodka et roulette russe, on savait rire. Escalades
de précipices. Machines volantes qui nous envoyèrent
rompus à l'hosto. Coups et blessures. Injures données,
échangées, vengées ou pardonnées.
Limites franchies. Trangressions en tous genres. Angoisses mortelles.
Régressions. Morts en Solex. Armes trouvées dans
les blockaus, restaurées, essayées avec succès.
Amours impossibles. Amours interdites. Je me souviens d'un type
de bonne famille contraint de se suicider après un scandale.
"C'est très délicat" disait l'entourage.
Fils de salauds. Celui qui n'avait pas d'assez bons résultats
en Math Sup. Tête éclatée avec fusil de chasse.
Encore un accident. Fils de salauds. Pas rose tous les jours.
Nous en avions, je m'en souviens, des faits divers, un nombre
considérable. On pourrait faire un mémorial, un
grand mur de la Honte, une vraie Repentance de la Connerie Parentale
Chronique, des fleurs blanches en brassées, en gerbes,
à la jeunesse, mille couronnes et des millions de bouquets,
un autre monument symétrique, aussi, de la Connerie Juvénile
Aiguë, acnéïque, Acmée, une vraie Gouvernance
Adulte Durable, sans compter les virages pris à cent "à
l'heure où l'aube blanchit la campagne" et assombrit
la mémoire. Une bonne dizaine des amis ainsi partis trop
tôt, dont la disparition n'a soulevé aucun débat
de société. Des kyrielles d'anorexiques. Elles
n'ont pourtant pas regardé Scream, ces diaphanes. Certaines
meurent. D'autres essayent n'importe quoi, héroïne,
bouffée délirante, Sainte-Anne. Ensuite grandes
visionnaires mystiques ou petites obsessionnelles laveuses de
mains à perpète sous psychotropes. Une qui saute
du quatrière étage. Elle a glissé? demande
l'innocente. Non, elle a voulu mourir, sans savoir ce que c'est.
Elle ne sait d'ailleurs toujours pas. Elle a réussi. On
ne saura jamais ce qu'elle en a pensé. Au bahut antique où je vivais, il y avait une fille qui avait un curieux nom, redondant, Brigitte Brigeois, ou Claudette Claudius, avec des joues couperosées, des espérances, un bon jeu de jambes au tennis du Touquet, un père notaire, une mère au rire équestre et chapeau assorti. Un beau matin, passant devant moi pour aller vers l'estrade déclamer le Songe d'Athalie. "C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit, ma mère Jézabel devant moi s'est montrée, comme au jour de sa mort pompeusement parée. Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté; même elle avait encore cet éclat emprunté dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, pour réparer des ans l'irréparable outrage. Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi", ni une ni deux, je lui flanquai mon compas dans les fesses. Hurlements! Surprise. Stupeurs! Je n'ai jamais regretté ce geste non-gidien, prémédité, froidement, justicier, en tout sadisme mesuré et concocté. Elle avait deux frères, l'un grand réussisseur en Droit, déjà futur notaire à 10 ans, qui portait toujours, moralement, comme introjecté, un noeud papillon, en toutes circonstances. L'autre frère, Francis, laissait sa braguette ouverte à l'heure du petit déjeuner et je déclinais poliment les tasses de chocolat crémeux et les autres viennoiseries chaudes qu'on nous servait gentiment avec des pincettes en argent. * "- Abner : De quel crime un enfant
peut-il être capable? Ce lundi de juin, quelle date sommes-nous?
Après le premier tour des élections législatives,
frais pour la saison. Ciel gris, indéterminé, rétif.
Demi-col roulé sous une veste chaude, sombre. Retour du
refoulé, ou début de dégénérescence
cérébrale? Difficile à dire. Où ai-je
déjà vu tous ces gens? Déjà vécu
ça. Passé lointain. Zones floues. Permanences de
cauchemar gris*. L'un en ballotage avec un autre. Serrés.
Sensation demi hallucinée d'avoir déjà rencontré
ailleurs ces figures fantômatiques en costard qui se hâtent
excitées vers la Chambre des Députés. Où
Donc? Ces voix, où les ai-je entendues? Pénible. *"Le Héron" Vassili
Axionov Actes Sud p.69: Une universitaire revient des îles
grecques. Mykonos, que des boutiques de colliers, l'île
du "Grand bleu", Amorgos? Je lui demande, Paros? Antiparos?
Non, le Grand Bleu. "Deux pointes avancées, qui dressent
face à face leurs falaises abruptes, rejettent au-dehors
les colères du vent et de la grande houle; au dedans,
les rameurs peuvent abandonner leur vaisseau sans amarre, sitôt
qu'ils ont atteint la ligne du mouillage. A la tête du
port, un olivier s'éploie." L'île était-elle
encore en fleurs? Violence des images. Toujours la Deux.
Trois minutes, chronomètre. Peu recommandé par
le corps médical. Durand a des lunettes noires qu'il tient
à la main, dont il va rompre les branches, une chemise
blanche, un décor plus sombre, plus sérieux, plus
débatteur. Spécialistes de la jeunesse, spécialistes
réalisateurs, manque le CNRS, spécialité
icono-logie, manquent les CRS, les spécialistes en urbanités
jeunes. On remâche les mêmes clichés. La violence
des images crée la violence des petits enfants, les nôtres. Et la violence molle? Personne n'en dit rien. Un gros consensus digérant. On n'a pas fini. On commence. Violence du réel. Qu'on enlève ces musiques environnantes, ces parfums environnants, ces gracieusetés urbaines qui commencent à nous irriter. Même la sculpture de Dubuffet à Vitry, qui ressemble à une grosse giclée prolétaire de dentifirce Signal des années 75, a été refaite, replâtrée, repeinte, avec la fraîcheur mentholée de ses vingt ans révolus. Sinistre. A Jussieu, l'espèce de grosse médaille en béton-chocolat, trouée au milieu, zéro pointé, est refaite, poncée, blanchie à neuf, dans une semaine, de l'eau en jaillira, faisant frémir et grimper nos âmes au zénith. Violences. Il est question de supprimer le petit jardin alpin botanique du Jardin des Plantes, l'unique refuge après la mosquée et ses orangers. Que faire? Que dire? Violences blanches. Je ne peux pas aller pleurnicher sur les marches de la Très Grande Bibliothèque, ça glisse, on tombe, on a peur, il n'y a personne, il n'y a pas un café, pas une âme qui vive, personne, si une croissanterie ignoble et Truffaut, le grand plantier-buisssonnier pour résidentiels-secondaires, le magasin qui ne sait même pas vendre un arrosoir à un client primaire de bonne volonté jardinière. Ils n'ont pas d'arrosoirs. Violences atones. *Odyssée, Chant XIII - trad.
Victor Berard , Librairie Armand Collin Paris 1956 Vu dans le métro, sur une affiche
RATP/Culture: la poésie, par Claudie Haigneré,
cosmonaute, Ministre de la Recherche, "c'est comme un voyage
en apesanteur." Si Mme Haigneré allunissait, elle
daignerait nous en créer de plus allunissantes. J'ai vu place Saint Sulpice un poète de cent ans d'âge, dans une petite cahute en bois peint en vert sombre, une petite isba précaire, démontable. Tolstoï lui aussi se croyait immortel. Devant l'église, des enfants jouent au foot en ignorant qu'à trois mètres de là, une pléïade de poètes, des milliers d'alexandrins, des vers libres en pagaille, des traductions rares, des opuscules à foison, des cahiers rares et des livres minces par milliers se disputent les honneurs de présentoirs peu achalandés. On voit passer des personnages, des messieurs, la mine sérieuse feignant de ne pas regarder les livres, marchant en crabes, furtifs, verres progressifs, tenue de demi-saison, feignant de ne pas reconnaître les gens qu'ils n'ont plus envie de croiser depuis belle lurette. Tout, y compris le temps maussade, est dissuasif. La poésie est grillée. Certaines femmes ressemblent à des chanteuses lyriques à jupes longues, frangées, d'un âge dépassé. Certaines d'entre elles espèrent la pluie, pour que quelque chose arrive. Comme il pleut! diront-elles enfin. Acheté un beau livre de V. Segalen
chez Fata Morgana* En marge de la poésie, des slammeurs
sautent sur un banc et scandent les mots. Encore une chance que
psychotrope rime avec héliotrope. Dictionnaire des rimes. A la dernière minute, au pas de charge, une joute, chronométrée. Je note tout ce qui cogne. Ils enfourchent le banc comme une monture au galop. La distance, dit l'un, le baraqué, un brun, tu vois, c'est ça le plus dur. La copine en bas résille, plus Marlène que jadis, glisse de l'un à l'autre, silencieuse et ravie. L'un des slammeurs, troisième cycle d'anthropologie, méfiant, sagace, une rame d'avance, l'oeil à tout, l'oreille aux aguets, c'est pour quoi? Son avocat? Déjà? Et dans ton dos, tu vois ce qui se passe, face de cake contextuel, quand tu jactes et vitupères si juste, tu marques un but? Derrière eux, l'habitacle triste des dévotes de Maurice Carême, faces de. Intensité agressive. A peine le temps de noter des bribes de phrases. Les vestales de Carême fulminent. L'une, de rage, aspire un vrai yaourt à 0%, fruits des bois entiers. L'autre, tailleur bleu excédé, empile les invendus dans les caisses en lattes. "Nos bulles du pape soufflées
par le vent de nos histoires aux traînées honnies.
Un bouillonnement sensible harmonise l'arrivée des antipodes
aux portes de nos souhaits. Une paralysie ambulatoire précède
les déprocessions de nos enterrements calcinés.
C'est à chaque moment l'heure de ma mise en terre. Les
conduits caverneux de nos grâces bêchées nous
poussent vers de nouvelles possibilités -l'infinité
des options- (rayé), la guerre d'une comète où
s'étirent des galaxies entières. Un prince au royaume
ravagé par une peste -possédée- (rayé)
porcine, oui la vie assassine ce n'est pas une surprise quand
la vie a une cible son bras ne tremble pas quand elle vise -et
alors tout s'annule- les mots se brisent, c'est comme après
les (illisible) typhons(?). Rien ne bouge."* Gay pride, curieux ces gens, juchés
comme à Nice, sans le mimosa, certains en costume, démasqués,
sérieux et coincés comme des papes, d'autres en
paillettes, sexe en drapeau, les nounours de Cologne, bedaine
et poils au poitrail, les gays chrétiens, auréoles
de carton doré et suavités, les énormes
seins siliconés, tout un arsenal de cuirs et piercings,
une cohorte surréaliste, les préservatifs Manix,
des maillots moulants, des filles aux visages durs, certaines
quinquagénaires des poitrails triomphants, un bébé
en rose, présenté comme un Saint Sacrement. Le
père, frêle, le tient élevé devant
moi, le présente, félicitations, belle pièce,
deux danseurs lui font une ovation dansante, pink aussi, bisous,
une ronde gentille, la maman, mais est-ce la mère, rien
ne le dit, sauf la poussette, démontre aussi quelque chose,
ostensiblement, difficile à saisir, dans un défi
irascible sans adresse définie. Une exhibition devant
des gens bienveillants, indulgents, souriants, certains désirant
seulement passer du Boulevard Saint Germain au Boulevard Saint
Michel et vice-versa pour des motifs purement déambulatoires
et citadins. Je reçois un coup de béquille d'un
vieux traverseur de rue hétéro, je reçois
ensuite les mamelles d'une maghrébine -résolument
contre tout ça, c'est une honte- dans le nez, elle est
en jaune canari, ils sont malades, regardez comme ils sont moches,
ils sont fêlés, coup de seins, regardez, c'est un
scandale! Elle ne perd pas une seconde du défilé,
indignée, ravie, vertueuse, voyeuse, disant sa triple
répulsion au téléphone à son interlocuteur
domestique qui la somme de rentrer au bercail. Devant moi, une
musulmane pakistanaise en foulard, flanquée de son mari,
tenant un enfant d'un an dans les bras, rit aux éclats,
elle adore tout ça, elle n'a jamais rien vu de tel, elle
est aux anges, l'enfant hurle, les oreilles, dis-je, attention,
sourd, techno, hardos, sourdingue, pericoloso, décibels
à mort, take care, baisse définitive de l'acuité
auditive, sono d'enfer, enfance en péril, Unicef. Elle
se marre. I know, I know, et des boulettes de kleenex dans les
conduits auriculaires, lui sussuré-je? Vous ne pourriez-pas
faire ça? I know, I know, elle rigole encore plus. Si
les musulmanes voilées s'y mettent aussi, c'est à
désespérer de la dégénerescence.
On ne s'indignerait plus? Un gros flic en civil, en imper, tient
le carrefour, débonnaire. Le char des malades du Sida,
plus personne ne rigole, on voit passer la Peste du moyen âge
en meute horrible, pitié, pas ça, éloignez
ce calice, please! Or les politiques ne pensent pas, ils
agissent. On entend à tours de bras, à tours de
manivelles la chansonnette déjà remâchée,
et rabâchée, la ritournelle à quatre temps,
concret, action, oeuvre, réalité, vérité,
positif, union. Raffarin ose dire que la politique est la vérité.
N'importe quel spécialiste du langage connaît les
leurres et les mensonges de la parole poitevine, réthorique,
qui commence à se dévoiler, dans ses arrogances
chafouines. En évoquant d'une façon aussi cuistre
sa probable intelligence, il n'y a pas de plus grande volupté
à être pris pour un idiot par un imbécile,
le Premier Ministre montre non sa modestie mais la véritable
idée qu'il a de lui, celle d'une supériorité
faite d'une ambition démesurée, choyée,
cultivée, frustrée et jugulée pendant des
années et qui trouve sa mesure dans cet aveu, lors de
sa nomination "ça donne le vertige". Ce qui
donne le vertige, c'est l'idée d'avoir atteint un sommet,
d'y être installé, dans les hauteurs vertigineuses.
Un homme qui travaille, les pieds sur terre, un artisan du réel,
un commis, un missionnaire, un serviteur besogneux de l'Etat
n'a pas le vertige. Il soupèse les difficultés,
innombrables, il jauge les obstacles, élevés, les
surmonte ou non. Comme il l'avoue, il aime les stratégies
du pouvoir mais il dit aussi qu'il choisit le terrain, les gens-d'en-bas
(nous? ces gens-là?), le concret, le réel. Que
croire? La vérité. C'est un fait, indubitable -pics,
aiguilles et sommets- qu'il est au pouvoir, cette nomination
à L'un des politiques croisés à l'époque croyait que "Le nouveau Commerce", ouvrage posé régulièrement à la parution dans un tiroir, était un livre de marketing. Il a fallu le décès d'André Dalmas et une double page dans le Monde pour que l'un d'eux réagisse. N'a considéré que la double page, épaté. Jamais lu une seule page, ni même deux lignes, ni Starobinski, ni Artaud, ni T.S.Eliot. Rien. Détestent la poésie. Ne lisent pas, ou peu. Attali lisait tout. Orsena attendait le service de presse du Nouveau Commerce. Les autres, pas le temps. Toubon, un peu, curieux, sa femme, oui, de ci-delà, courant les galeries. Chirac a un liseur-résumeur à demeure. Qu'on ne dise pas que Raffarin est un intellectuel, c'est une insulte aux libraires. Certes, il est le genre d'homme rieur et blagueur qui peut citer Jules Renard, Courteline de mémoire ou Alphonse Allais pour amuser la galerie à l'apéritif. Il imite aussi très bien Jonnhy. Halliday, timide, venait nous voir, c'est vrai, bonjour mademoiselle, ou au revoir monsieur, c'est tout ce qu'il disait, les yeux assez lynxueux, pommettes acérées. Plaisanteries de vrp, je l'ai perçu, ce premier ministre, comme un beau-frère calamiteux, joyeux, machiste, inévitable, ce qu'il est devenu. Il est là, sans aucun doute, dans sa massive affirmation, (sa force tranquille?), charentaise et poitevine. C'est lui qui le dit. Qu'a-t-il donc fait, avec les oiseaux, les chasseurs, sitôt nommé? Changé la date. C'est ça la haute politique? Le choix, régalien, régressif. * "Tuez moi, sinon vous êtes
un assassin!" Ce sont les derniers mots écrits de
Kafka demandant l'euthanasie à son médecin, dans
un humour atroce et paradoxal. Qu'ingurgite donc tant Debré,
Président de l'Assemblée Nationale, en catimini,
à 19h23, avant sa brève prestation estivale? A
peine chaussées mes souples pantoufles du retour au pays
qu'elles se transforment illico en claquettes trépidantes.
La vastitude des paysages cévenols a vite fait oublier
la platitude des lieux dits communs, d'un crétinisme hautement
alpin. A peine pressé le bouton infernal du Journal de
la 2, j'entends, comme dans un songe creux et abscons, dont j'aurais
égaré les clefs dans les brouissailles maquisardes,
cet ancien ministre de l'Intérieur, anonner d'une voix
lente et sentencieuse, hachée, fragmentée -Picon
, Suze, Pastis ou Dubonnet?- : "il ne faut pas dire prisonnier
mais détenu". Le prisonnier* est l'habitant occasionnel
ou perpétuel d'une prison, le détenu est quant
à lui, contraint à la prison, c'est-à-dire
qu'il est obligé par les forces de l'ordre public, en
stricte application de la loi, pour pénaliser une quelconque
infraction, à vivre, limité dans ses actions et
contrôlé dans ses gestes, ponctuellement ou ad vitam
aeternam, dans un lieu dit carcéral. Fermé à
double tour. Bouclé. Bonnet blanc et blanc bonnet. *"Trois grands pendards vinrent
à l'étourdie *Malheurs d'un prisonnier *"Aux yeux des prisonniers, le
fer changea de face" in "Les fers" Agrippa d'Aubigné Les entrepôts de Bercy, rasés pour les besoins niveleurs de la vie moderne, gardent un vingtaine d'ormes témoins, quelques énormes tonneaux, dodus fétiches, les vestiges archéologiques des rails briqués à l'Ajax ammoniaqué dans quelques fragments de rares pavés authentiques passés à l'encaustique plastifiée, parfumés au crottin de cheval pour parfaire la nostalgie. Le reste est occupé par une faune dominicale qui déambule avant la séance de cinéma vers les salles multipliées et géantes. Tout est convivial, paraît-il. Les badauds peuvent s'attabler en masses réparties à des saladeries, des croissanteries, des grignoteries et quelques buvettes aseptisées servant, luxe inouï, du vin, dans, je n'en crois pas mes sens abusés, des vrais verres ballon, montés sur des vrais pieds. Plus loin, au-delà des ponts aux parcours néo-japonisants qui enjambent les fausses mares délaissées même par d'inavouables bestioles, d'abjectes drosophiles mutantes, une main potagère a planté des choux.montés haut et jouxtant dix plans de fenouil en graines, ils sont du plus noble effet végétal. On se croirait dans une revue de salle d'attente, chez mon dentiste lui-même, qui officie encore et toujours à Daumesnil, masqué. Ce préambule en lourds pavements
d'époque pour extirper à la racine la manie botanique
qui prolifère, ce danger irrépréssible,
chiendent des années nouvelles, le paysagiste déguisé
avec une néo-moustache derrière laquelle il planque
son cynique savoir-faire, multi-récidiviste, opérationnel,
un tablier bleu du métier, des faux sabots rassurants,
des gants opérationnels qu'on dirait de boxeur-chirurgien-euthanasieur,
et des paisibles bésicles en demi-lune qui lui confèrent
une aura de niaiserie philosophique capable de susciter la confiance
terrienne qui persiste, micro-résiduelle, dans nos fibres
citadines dévitalisées. Rien n'est plus anodin
que ce professionnel de l'espace vital, le nôtre, ce reste
d'oxygène grapillé chichement. Il officie chez
nous. Je l'ai vu dans ce qu'il reste du jardin, au bas de l'escalier,
en tenue de camouflage, une serviette de cuir à la main,
l'air d'un inspecteur des impôts surpris dans un sex-shop.
C'était un paysagiste professionnel, mandaté. Simple
visite de routine. Les élagueurs étaient passés.
Il comptait les souches restantes et les beaux moignons au carré.
Beau temps me dit-il en tapinois. Quels cons, lui répondis-je
sobrement. Où sont les ramages d'antan? Il avisa une pie
qui, perchée sur le muret de la venelle mitoyenne, cherchait
sa progéniture et croyait déceler chez ce fonctionnaire
un reste, un zeste d'humanité, un petit geste à
son égard, un soupir, un simple regard, un remords, que
sais-je, un souvenir, presqu'un regret. Le nid, par terre, les
oisillons, trépassés, les branches, broyées,
les feuilles, éparpillées, les arbustes, décimés,
les buissons furtifs où s'embrassaient hier encore ravis,
en pamoison, où s'enlaçaient des dizaines d'adolescents,
anéantis, rasés, débroussaillés,
les massifs, applatis, le tamaris, l'orphelin assoiffé
du Neguev. Plus rien. Deux trois trucs symétriques, plantés
comme des appliques en fer forgé, droits, rigides, nets
et rasés comme les dessous de bras, les aisselles clean
et désodorisées de contractuelles municipales,
désormais flambeaux érigés du renouveau
civique naturel durable. PS : Une petite fille me demande pour
ses devoirs de vacances, de lui expliquer le futur antérieur.
Le mot antérieur, apposé au mot futur, antagoniste,
la trouble. S'il n'y avait que ça, grammaire, conjugaison
et sens des mots pour troubler les innocents! Il y a les faits.
Passé simple. Passé composé. Qu'y aura-t'il
en Irak quand Bush, notre grand maître-paysagiste, aura
tout élagué, tout rasé, tout nivelé,
quand tout sera enfin devenu normal à ses yeux tout-puissants.
Nettoyer, débroussailler? Quand il aura enfin fini le
travail de son père? Futur antérieur. Les incertitudes
d'une anticipation. Première page du Figaro, entraperçue
sur une table basse, près des saucisses de coktail et
les boudins créoles, dimanche10 août, "Bruxelles remboursera le Viagra aux fonctionnaires
européens". Just a little
joke? demande en anglais ma mère en piquant les en-cas
d'une main implacablement précise. La bandaison, ça
ne se commande pas, ni se recommande, mais c'est remboursable
à priori et désormais. Ils se sont réunis
en commission pour discuter des pré-séniles de
l'Europe, ceux que nous avons tous mandatés avec gravité.
Certains n'assurent pas. Au mois d'août. Période
creuse. Passera inaperçu. Ni vu ni connu. Mesure prise
en loucedé. Incroyable! Provocation! Fausse dépêche
de l'AFP! Désinformation?... "Six
pillules par mois et dans des conditions draconiennes." Non seulement le salaire des ministres augmentera
de 70% mais les contribuables paieront les minables et radines
frasques des députés, sélectionnés
pour leur handicap et leur difficultés érectiles.
De la pénétration! Des noms! Nous voulons des noms!
Qui l'a molle? Du haut du beffroi! Qui! Au son du tocsin! Qu'on
nous dise toute la vérité! Qui? Nous ne la leur
lâcherons pas! Des Aveux! Nous voulons enfin au Parlement
de Bruxelles des éjaculats assurés et nominés!
Des spermatozoïdes grouillant en pagaille! Des ébats
comptés, de la conjugalité normale, du marivaudage
claironné, de la transparence, hebdomadaire, du ridicule,
de l'institutionnel en alcôve! Nous voulons en outre des
réassurances de procréation dans la pérénité
parlementaire! Nous voulons que les fonctionnaires européens
dont les coïts remboursés, réguliers, vérifiés
et comptablisés (6 par mois) nous donnent avec précision
les probabilités d'une descendance de députés
européens non par cooptation mais par copulation garantie
et assistée. Des chiffres! A bas la branlette de Bruges
à Bruxelles! Des graphes! Des comptes! Des résultats!
Du terrain! Une semaine par mois! D'où nous vient cette
nouvelle impudence? Ce déballage intempestif? Cette sexualité
en famille pour dégénérés et voyeurs?
Ces glauqueries sans frontières? Ces histoires de beaufs
avachis? Ces sécheresses, ces à peu-près,
ces pannes, ces pseudo-pénis, ces tentatives, ces hormones
en chute, ces approximations, ces faiblesses, ces caleçonnades
interlopes de vieilleries salaces en conclaves, ces carences
de pouvoir, ces virilités de gnomes? Edgar Faure, au secours!
Donnez-nous de la mâle assurance, nous voulons de la testostérone,
de la vraie, de la belle, de la fraîche, de l'homme indemne,
du gagnant, du meilleur, de l'olympique, du véritable
Tapie, des corps caverneux abondamment, sainement, irrigués.
Enfin, qui remboursera le traitement substitutif hormonal de
Madame la Ministre de la Défense, la nôtre, française?
Pourquoi ceci et pas cela? Qui remboursera les oestrogènes
de Madame Bachelot, ménopausante assermentée, porte-parole
encore avenante, grande gueule et grande commise en l'Etat? Nous
l'exigeons. Les précarités de l'andropause, débat
consensuel. Ils titubent, ils chancellent, ils choient, ils l'avouent.
Nous voulons, nous, ménagères inféodées,
contribuables, participantes, lucides, votantes, anonymes, interactives,
la parité absolue dans l'abjection et la vulgarité
sans vergogne, publique, européenne, tonitruante, imposée. Dimanche10 août,18 heures, rue
du Château des Rentiers, rue calme comme l'Avenue ensoleillée
du Lac à Lausanne. Devant un grand ensemble des années1950,
en face de la piscine, un groupe de jeunes bavarde près
de la loge en attendant l'autre. Une voiture de police en vadrouille
lâche les vigiles, des gardiens de la paix en question,
nerveux, très inoccupés, comme en manque. Je demande
à la cantonade ce qui se passe. Rien, Madame, circulez,
rien à voir. Je note sur mon carnet: "rien à
voir". La femme a t-elle une âme? Poids
exact de son âme? Est-elle une personne? Cette personne
est-elle reconnue? A-t'elle des droits? Des prérogatives?
Peut-elle les revendiquer? Si elle n'est ni vue ni, reconnue,
ni entendue, ni perçue, comment peut-elle vivre ou survivre? Un journaliste tunisien m'affirmait que dans son pays, les seules femmes libres étaient les prostituées. Il n'y a qu'un homme pour dire de telles choses. Une marocaine et deux algériennes, non accompagnées, indépendantes, vivant en France, vont ensemble dans le Sud marocain, torride. Seules, disent-elles, elles font ce qu'elles veulent, elles ne se débrouillent pas si mal, personne pour les embêter. Célibataires. Voudraient pourtant trouver un type. Boîtes, cocktails, techno, danses. Un mec bien. Un type intelligent? Cherchent jusque dans les dunes désertées un compagnon qui les sortira de cette solitude sans finalité et cette liberté revendiquée, contradictoire. Le corps. Hammam. Poncer. Herbes millénaires. Argiles. L'adoucir, l'assouplir. Parfumer d'ambre. Epilation. Argiles et masques. Eaux, bassins et fontaines. Bois chauffant les eaux lustrales. Des heures entières. Qui va loin chercher le bois? Dans le rif caillouteux, la lumière est si vive qu'on voit à peine sous le fagot trop lourd la silhouette voilée qui le porte, marchant sous le masque noir qui dissimule la bouche. Les yeux voient. Ma mère, dit l'une, est analphabète,
huit enfants. "Tu prends tes lentilles, tu mets ta coriandre
ciselée, tu mets ton poivre" Doit-on vraiment pour que le confort d'un homme soit garanti, multi culturellement, sacrifier l'âme de la femme? Si on admet qu'elle n'en a pas, on ne mutile rien. Retournons en arrière. Soyons cohérents. Pas d'âme, mille ans en arrière. La femme n'a qu'un corps, chez nous, revendiqué pour la jouissance dans son avènement, là-bas, poncé pour une utilisation optimale garantie. Le sexe d'une femme, dit l'un, doit être lisse comme l'oeuf. * Ce qui m'indispose, en fait, depuis
longtemps, chez Elisabeth Badinter, ce n'est pas qu'elle assène
des inepties en tout cynisme, c'est qu'elle arbore un chignon
signé Carita. C'est à mon regard sévère
une faute culturelle, un aveu, une insulte à l'intelligence
supposée qu'elle s'octroie, dévoyée et pervertie
dans l'espace public. Dans l'enquête publiée cette
semaine par le Nouvel Observateur, E.Badinter persiste et signe.
Les femmes restent libres de se prostituer, puisque dit-elle,
on peut même (accepter) de modifier (le corps), l'échanger
et même le torturer dans des pratiques extrêmes telles
que le sadomasochisme. Sophismes. Si nous partons du principe
que tout est admissible donc tolérable, peut-on aussi
admettre la lapidation des femmes adultères, à
plus forte raison celle des prostituées, et dans la foulée,
une centaine de bons petits coups de fouet dans les geoles iraniennes,
qui font partie de l'arsenal S. M admis et revendiqué
par cette dame. N'oublions pas qu'elle est écrivain et
philosophe. Ceci ne prémunit malheureusement pas contre
l'erreur de raisonnement. Pourquoi le journal a-t-il mis les
photos des participantes au débat pour ou contre la prohibition?
On y voit trop de choses. Les corps, les visages, les regards,
les attitudes, les crispations, parlent d'eux-mêmes. Madame
de Panafieu, brushing irréprochable, tenant son menton
et sa tempe du pouce et du majeur érigés doctement:
c'est un indice de réflexion. C'est une pause. Elle, ce
qui la contrarie, c'est de voir tapiner les dames, les hétaïres
ou péripatéticiennes, ça la chagrine, ça
offense son regard. "Cachez ce sein que je ne saurais voir".
Si elle ne les voyait pas ça irait mieux. Elle n'aime
pas glisser sur des préservatifs usagés. Mauvaise
chute et c'est le col du fémur tout niqué. On la
comprend, elle pense que la fille pourrait être son enfant
ou sa nièce. Moi je ne crois pas que sa fille ou sa nièce
pourraient se prostituer. Dans la logique de sa démonstration,
c'est une ennemie sournoise des femmes, inféodée
à la politique faite, érigée par les hommes:
il faut bien des prostituées puisqu'on ne peut pas empêcher
la prostitution. Heureusement, mon enfant et ma nièce
sont à jamais préservées, par leur statut
social de ce genre de saloperie, mais pour les autres, il faut
tolérer. Jusqu'où? on ne sait pas. De toute façon,
Panafieu ne veut rien voir, donc ne rien savoir. Puisquelle ne
voit rien et ne sait rien, pourquoi dévoile-t'elle si
naïvement le fond de sa pensée, foncièrement
hypocrite et formellement maladroite? Quand la morale et la politique
créent une ligue de vertu, on peut s'attendre à
toutes les aberrations, tous les excès, à toutes
les répressions sauvant les apparences, sauvegardant les
intérêts, incapables de régler le fond mafieux
du problème à sa source par un contrôle judicieux,
implacable, des flux d'argent et de leur blanchiment. Premier Conseil des Ministres. Surprises.
Comme ils sont hâlés. La Réunion! Jamais
je ne l'ai été comme ça, comme jamais je
n'ai été festivalière à Toulon. Et
on appelle ça avoir un destin! Certains maîtrisent
tout, les commentaires mondains sur Mondrian ou Morandi, le débouchage
d'une bouteille de Moët et Chandon, la découpe en
filets de fines soles meunière, le triple saut périlleux
arrière, la connaissance dans le texte de l'oeuvre théologique
de Sidi Brahim, déjà fortement influencé
par Averoes, la bisexualité épanouie et nomade,
la varape familiale en Haute-Savoie avec K-Way roulés
à la taille, l'art d'élaguer un orme, la fabrication
d'une note de synthèse, le déminage zéro-mort
d'un conflit social, le détartrage intégral d'une
Laden. Etonnement. Pas encore de remaniement. On aurait pu remanier
Sarkozy, son hyperkinesthésie galopante compulsive cachant
peut-être une dépression larvée et compensable,
une angoisse sourde, la peur du lendemain ou la terreur de l'avenir
incertain, voire socialement précaire. Bref je m'attendais
presque, communiquée sporadiquement par messages sereins
et serinés, à ce que, par exemple, pour pimenter
agréablement la rentrée qui s'annonce parsemée
d'embûches, d'ennuis, de maints tracas, constellée
d'épines buissonneuses, Raffarin nomme Brigitte Bardot,
VF, Secrétaire d'Etat à La Condition féminine.
Tranquille et aux animaux réunis. Pourquoi? Parce que
Brigitte a rencontré de Gaulle et Jean Gabin, et que ce
sont deux conditions nécessaires et suffisantes pour inscrire
son existence dans la pérénnité et la fidélité
aux valeurs durables du passé. Brigitte Bardot était
à l'époque une Vraie-Femme à part entière,
ce qui en fait une spécialiste de choix, une fine connaisseuse
du terrain et des hommes, une pragmatique de la chose, et en
outre, elle aime les animaux, dont la condition est identique
à celle de certaines femmes. Qui aime les bêtes
et défend le lapin et le lynx contre la rapacités
du foureur de luxe doit pouvoir défendre avec une conviction
identique ses concitoyennes, qui comme nous l'avons admis avant-hier
et une fois pour toutes, n'ont pas une seule petite particule
d'âme, pas un iota, et certaines une vie de chien. Il suffit
pour s'en convaincre de suivre attentivement le débat
et les mesures parlementaires prises actuellement en Europe sur
la prostitution féminine et sa répression. Les souvenirs pulvérisés
en nuages télévisuels du11 septembre sont déjà
diffusés avec l'accompagnement sonore et musical d'une
laideur telle qu'elle n'honore pas les morts. God bless America.
Le maire dans les décombres. L'ahurissement post traumatique.
Pourquoi tant de haine? Un an après, photos scannées, nickel, d'hommes et
de femmes souriants en famille, fantômes dont le deuil
est impossible. Pas de corps, pas de cendres, rien, particules
d'ADN dans l'horreur. Afin que l'intensité atteigne avant
la date fatidique son point d'acmée, il conviendrait,
éthiquement, symétriquement, que les anthropologues,
soucieux de rendre compte de l'APRES-catastrophe, étudiant
les incidences dans la vie quotidienne des Américains
depuis un an, se soient aussi rendus en Irak, observant la vie
quotidienne des Irakiens, pendant un an, sans nourriture ni médicaments,
enfants mourant comme des mouches, photos des familles souriant
en groupe, AVANT l'intervention salubre de Bush. Qui viendra
ensuite pleurer sur les décombres et les familles démembrées,
photos aux sourires déchirés? Sang
d'ici et sang d'ailleurs, mêmes
larmes et même désolation? Non, c'est un fait. Vengeance.
Le crime du11 septembre ne restera pas impuni, c'est le message
asséné par les Etats Unis, qui appellent aujourd'hui
la France et la Grande-Bretagne à se rallier à
son panache étoilé et belliqueux. Embarras. Comment
ne pas répondre, afin que le Proche et le Moyen Orient
ne s'embrasent pas en chaîne? Comment temporiser? Est-ce
encore possible? Durand un an après, Durand, navrant,
le même, lunettes, les mêmes, aux montures rouges,
le même protocole, les mêmes gens, d'avant le11 septembre.
Les impétrants sont filmés dans un décor
qui évoque une salle de photocopie dans un bureau d'assureur,
anonyme. Derrière leur crâne d'un volume assez ovoïde,
le globe orange d'un soleil couchant. Est-ce le crépuscule
de la littérature? Oui, sussure Sollers, à la tête
cucurbitacéenne, ronronnant et minaudant, faisant sa rombière,
comme machouillant quelque antique loukoum offert par Loti avant-hier
à la Corne d'Or avec Pacha-Tours. Depuis toujours il agace
le chaland, la chalande. Aujourd'hui, il ne fréquente
plus que les grands de ce monde, à titre posthume, La
Fontaine, Montaigne en son cabinet du Sud-Ouest, les autres l'appelant
au téléphone d'outre-tombe chaque matin, prenant
des nouvelles de sa santé et s'inquiétant du pouls
de la littérature. Tout va mal, l'ignorance progresse,
inexorable, les neurones se raréfient, l'oxygène
manque, la culture aussi, la France est débile, l'avenir
sombre, le métier se perd, un mot chasse l'autre, le vent
l'emporte, mépris des contemporains, mépris et
dédain, autosatisfaction, suffisance miaulante, ronronnements,
le poussah retourne à son vieux sofa, à ses îles,
self-insulaire, son pouf et ses couvertures de vétustes
cachemires brodés et mités, en plissant les yeux
et lissant quelques poils qu'il perd, ternes et chiches l'un
après l'autre. Tonsure monacale d'une réclame de
fromage. L'ascétisme consumériste pour gogos époustouflés
des lettres et annexes, Porte de Versailles. En face, la beauté
triomphante d'un éphèbe frais émoulu, déjà
vieilli, prématurément dégoûté
d'un succès littéraire que, présomptueux,
il anticipe, appelle de ses voeux et rejette avec une identique
coquetterie de jeune siamois roué du sérail, chez
POL, encore, jongle, désinvolte, avec rien. Nous sommes
au coeur du rien, chez Vogue, un rien brillant, papiers glacés,
amusant, paradoxal, vaniteux, poseur, le rien bavard des salons
littéraires du siècle, devant des étagères
vides. Personne n'évoque Paulhan à Madagascar,
qui, de l'usage des mots, avec sa docte, ironique sagesse, faisait
merveilles. Le jeune siamois qu'on voudrait aux yeux pers part
demain vers Tananarive, vers d'autres rives, son ailleurs quasi
rimbaldien, non pour une mission humanitaire ou quelque aléatoire
trafic d'armes, mais dans une véritable, tangible, pragmatique,
solide promotion sociale. Directeur d'un centre culturel, ce
n'est pas tout à fait la lutte contre le choléra
ni les soutes d'Emmaüs. Les spécialistes sont régulièrement
sommés de délivrer la parole oraculaire à
la télévision ou la radio ou dans les colonnes
des journaux. Aucun débat sérieux ne peut obtenir
le label s'il n'a pas un sociologue à bacchantes descendant
doctement les marches du podium pour livrer l'avis, l'intime
conviction, le résumé éclairé ou
obscurci de ce qui vient d'être dit pêle mêle
par la plèbe. L'analyse ou la synthèse effectuée
à ce moment du "dernier mot", de la dernière
parole qui clôture le fouillis est essentielle. Elle signe,
confirme, conforme ou invalide toute tentative de parole participante,
celle des plébéiens. Il faut avoir vu au moins
une fois dans sa vie Delarue appeler l'expert, le pédo-psychiatre,
le juriste, le directeur de recherche au CNRS pontifier d'un
air définitif en zézayant quelques banalités.
C'était remarquable à l'hallucinante émission
"A tort à ou raison", sur la répression
ou le contrôle de la prostitution, menée par un
comique sinistre, le retour du refoulé, en goguette, menant
le débat comme le chef d'une fanfare créole dans
un département oublié d'un Océan de cauchemar. - Excusez-moi, c'est pour une rupture
sans larmes ni sang, un mot qui
rompt, tranchant:"Laissons
donc au seul hasard chère amie le soin de nous rencontrer
(désormais)". Larmes, coups et blessures, sang, commissariat,
main-courante, " Il m'a dit " DESORMAIS", vous
vous rendez-compte! A moi! " désormais!" et
"Chère amie ", à moi, lui, ce connard
de première!". Dourdan. Beau temps. Chute des glands. Assise sous un chêne, soleil au zénith, l'un se détache du chêne de la sagesse et de la justice et frappe l'occiput.. Eveil soudain de la conscience. Depuis cent ans j'attendais. Ainsi le bâton du maître éveille l'adepte endormie... L'union des Rationalistes a son siège
rue de l'Ecole Polytechnique. J'en suis fort aise. Ma cousine
est sa voisine. Aujourd'hui, dimanche matin, sur France Culture,
"le rôle de la presse et son objectivité".
Qu'en est-il de cette presse d'émotion, de sensation,
représentée par "Le monde", qui, pour
gagner un lectorat puisé dans la rue, selon l'Union des
Rationalistes, s'empare des plaintes déposées en
Justice et se substitue à l'institution dans le travail
d'enquête bâclée, ce qui vient à porter
préjudice aux personnes (certaine sommité universitaire,
non nommée?) ainsi mises au pilori et qui voient leur
réputation scientifique entachée des restes d'un
scandale dont la presse se gobergerait. De quoi s'agit-il? Il
faut écouter cinq minutes d'allusions ratiocinantes, d'un
ennui d'abord soporifique, puis assommant, d'une langue de bois
désuète et cérémonieuse, pour découvrir,
allusive, sans jamais qu'elle soit explicitée, l'affaire
d'une plainte en harcèlement sexuel déposée
par une étudiante contre son directeur de recherche. Pour
se justifier, l'enseignant incriminé déclare que
la limite entre l'admiration et l'énamoration est floue.
Le prestige. Il jouit d'une certaine autorité. Il le dit.
L'universitaire (de haut niveau) porte en son corps enseignant
l'autorité, la dignité, l'honorabilité,
l'infaillibilité que lui accorde la science à son
corps défendant. Il ne dit pas énamoration. Il
ne dit rien. Il évoque le sérieux de la recherche,
le sérieux de la position universitaire, face à
rien, du vent, l'effet supposé du prestige séducteur
qui lui viendrait des dieux et des cieux. Le délit n'est
pas nommé. Le nom de la plaignante n'est pas énoncé.
Pendant l'émission, le mot "sexuel" n'est pas
prononcé "Fesses", encore moins. Ni "amour",
ni "coeur". Rien de tel. J'ai entendu François Hollande
dire "le Gouvernement de la "défaisance". *Graham Lock -Wittgenstein, philosohie,
logique, thérapeutique- Puf Il y a, rouge sur fond rouge, ardent, Jésus-Christ en chair et en os, visage émacié, yeux incandescents, verbe haut. Il annonce l'Apocalypse pour après demain. Face à lui, gris sur fond de bienveillance grise, un prêtre, qui visiblement, bénéficie des trésors de la méditation et des lueurs de la prière. Il en a vu d'autres. Il y a, déchaînée, la présidente de l'ADFI, dont les arguments ne parviennent ni à déstabiliser Jésus, ni à le mettre en colère. Le faux-prophète est démasqué par le Père Jacques Lefebvre, gris, qui semble avoir tout jugement à la patère. Il y a aussi Tapie, qui ne peut encore une fois résister à l'opportunité de se monter vulgaire. Il attaque Jésus, qui a posé son pied gauche, chaussé de boot en veau noir, sur une sorte de reposoir de studio, en aggloméré beige. Tapie stigmatise la marginalité, l'impuissance sociale du type aux charismes rouges, Jésus, le pauvre, mis en disponibilité, sans ressources, qui comme tout le monde "veut en croquer". On pense une seconde à la pomme, celle d'Adam lui-même, avant d'aller sur une autre chaîne et de passer à autre chose. Non, en croquer, comme "toucher", c'est le fric, toujours, comme tribut de la réussite sociale. Néo-Jésus ne semble, tout bien considéré, être motivé par l'argent. Il a oeuvré dans le marketing, dans la publicité, il dit "quelle est la fiche technique de Jésus, Monsieur, il y a 2000 ans?" Drôles de types et mes samousas brûlent aux pliures, c'est pas tout ça. Autre chaîne, Papon libéré. Débat serré. "N'y aurait-il pas une justice à deux vitesses?" Yes, indeed. On entend Schuller, revenu de bien des errances, qui a croisé Papon dans les géoles. Il l'a trouvé bien fatigué. Il témoigne donc en faveur de sa libération. C'est le comble. Quand on pense aux listes des chargements ferroviaires, aux documents, à la froide organisation, administrative, des convois, on se demande si un curieux masochisme, judéo-triomphant, s'exhibant de façon déplacée sur les écrans, n'habite pas ce jour-là Schuller. On ne peut croire à sa grandeur d'âme. Pénible. Un avocat, Maître Thierry Lévy plaide avec une verve passionnante et sincère. Aucune illusion sur la magistrature, la justice et la nature humaine. Pourtant, de ses paroles, véhémentes, irréprochables, se dégage une humanité rescapée, ce qui susbsisterait, les poutrelles auxquelles s'accrocher après une catastrophe humanitaire du monde moderne. Il évoque les jurys populaires, sans complaisance: "En quelques instants, le citoyen révolté devient un magistrat illégitime". Il singerait les défauts les plus criants des hommes de droit. Kouchner reprend en écho "Selon que vous serez puissant ou misérable, vous aurez une justice à deux vitesses", ce qui ne semble pas empêcher qui que ce soit de dormir, indifférent à tous et surtout à chacun. Mercredi soir, Mireille Dumas et la
répression de la prostitution Impossible de m'intéresser
au débat, glissant à la surface des maux.. Bâillements.
Les notes et les papiers, le stylo, tombent sur le parquet, plume
fichée droit dans le chêne. Je repère dans
les lames la plus petite perle d'un collier rompu par les locataires
précédents. Il faut une longue aiguille à
ravauder pour l'extraction. Pendant que je désincarne
la joaillerie, le débat se poursuit, véhément.
Il semble que La Panafiosa est là, toujours le même
motif, rebrodé, "qu'on les mette (les prostituées)
dans des lieux géographiquement définis".
Contrôle social. On aperçoit un trans très
sympathique, aussi gentil que ma crémière de l'impasse,
pourvoyeuse d'oeufs frais pondus par exemple rue de Tolbiac le
matin même. On peut croire aux venelles, derniers vestiges
verdoyants, aux derniers galinacés disparus. Lui, le trans
en cours de reconversion, se poudre les cuisses de paillettes
pour qu'ainsi dans la lumière des phares, chatoient, éphémères
les lucioles du désir noctambule. Là, quelques
secondes de rémission, quelques strass, éclats,
illusions perdues dans une séquence d'Almodovar. Puis
tout reprend, morne plaine, platitudes des sillons belges et
des lieux communs. Une pauvre mère de famille, qui pour
élever ses pauvres enfants, a du vendre son pauvre corps
flappi plus loin que Verdun, dans l'enfer plus vrai que le principe
de réalité. Elle a des lunettes et un accent. Elle
est restée dans le Nord. On montre sans démontrer.
On s'apitoie. Pour nourrir ses enfants, la pauvre. On aperçoit
les vitrines d'Amsterdam quand Brel n'y est plus, quand les marins
rentrent dormir, rompus, il n'y a plus rien à voir, malgré
l'exhibitionnisme de cette émission, délibérément
expressive. Les Eros centers et l'expression du conformisme allemand,
horribles. On voit aussi un pauvre client, déguisé,
qui n'a plus que sa chemise sur le dos: il a dépensé
des fortunes chez les dames de province, par timidité.
Impossible de pénaliser un type pareil, à marée
basse, à jeun. Personne ne lui a jamais souhaité,
de la vie, son anniversaire. Aucun câlin. Sa mère
était trop avare de tendresse. Il a des lunettes fumées
mais il est prodigue: 5000F une bouteille de champagne dans un
bar à filles, c'est cher, le pauvre. Il est un peu reconnaissable,
il a une fausse barbe, il ressemble à un héros
d'un film de J.P. Mocky, il ressemble à un autre, que
je vois partout, l'homme des villes et le marcheur déambulateur
universel. Un homme, banal, comme un autre. On ne peut Le premier Ministre, à plusieurs
reprises, oeil gris oblique, bouche soudain meurtrière,
au présentateur qui interrompt sa présentation
du budget, sa prestation télévisuelle:"Je
suis à votre disposition!". Sourire en lame de couteau.
Non pas "Je suis votre serviteur!", comme dans une
farce de Molière, parlent les domestiques impertinents
aux maîtres qu'ils méprisent. Mais "Enfin,
qu'est-ce à dire? Qu'on nous laisse parler, moi et ma
fonction Première!". Où donc est la bonhommie,
tape sur l'épaule de bistrot, fraternelle? Représentant
du pouvoir, se représentant, représentant de la
Chose Publique, tel qu'en lui même parlant de lui-même,
faisant son Raffarin comme il le dit sans rougir. Gentil? Rondelet,
ayant ses énergies? L'écran est ouvert, le son coupé.
Les crevettes grises viennent d'être jetées vivantes
dans le court bouillon, elles rosissent poivrées à
mort sans un cri sans un râle tandis que sur l'autre scène,
une dame, l'animatrice de "c'est mon choix",
s'anime, déambule, tenant le micro comme une coupe de
vin mousseux. On lui voit, sur le buste, une veste sombre à
effet galbant, couvrant un sweet-pull obscur qui dépasse
les basques d'une dizaine de centimètres, sur des hanches
prolongées par deux jambes beiges à raies vertes
latérales aux bords estompés artisanalement, comme
une tenue de gendarme du Larzac avec petit effet de bergerie,
l'évocation d'un léger treillis de camouflage normatif.
Jusqu'où peut aller le conformisme? Le contraste entre
le haut, cuirassant, et le bas, étoffe mouvante et molassonne
est tel que le regard est contraint d'aller jusqu'aux pieds animés.
En effet le corps tient au sol grâce la loi de Newton et
à deux mules papales pointues, ultra-neuves, comme deux
sabots caprins et entêtés dont la semelle rétive
raclera et rayera le sol du studio avec acharnement jusqu'à
la nuit s'il le faut pour racler encore un point d'Audimat dans
la casserole Tout-public. L'absence de son, expérimentale,
laisse deviner que la présentatrice n'a pas pu encore
bénéficier, pour des raisons qui nous dépassent,
nous, téléspectateurs peu avertis des choses de
coulisses, des avantages syndicaux du relooking-total qu'elle
promeut et promet aux candidats. Avant-après, c'est son
job. |