MACHINES CELIBATAIRES
Systèmes
séparés de la vie
La pensée
organisée en chapelles, l'art, la mode, l'économie,
les marques, les multinationales, la fonction publique, les boîtes
de com', entre autres exemples, peuvent être considérés
comme de tels systèmes.
Ces systèmes se comportent comme des machines, fascinantes
certes, mais qui tournent par elles-mêmes, pour elles-mêmes
et en elles-mêmes. Elles portent au sein de leurs rouages
étincelants, couleur de vie en trompe-l'oeil, la mort
des choses enregistrées, pour toujours, sous leur forme
la plus parfaite, comme au cinéma, le mouvement continuel
crée l'illusion de la vie.
D'aucuns y voient la fin de l'art, c'est le sens caché
(?) d'un discours selon lequel tout a déjà été
fait, a déjà eu lieu, etc... Dérision,
fragmentation, répétition, font naître
un discours critique qui, au comble de l'aberration et du retournement,
finit par vanter la compilation aseptisée, estampillée
marchandise de haut niveau, muséo-momifiée -que
la mort est jolie!- au détriment de la chair et du vécu:
la vie c'est sale, ça pue, ça suinte, ça
grouille, ça colle, c'est laid, c'est kitsch, c'est pauvre,
bref, c'est pas tendance.
Au contraire
des systèmes-machines propres, débarrassés
de toute scorie, où tout ce qu'on a introduit est traçable,
stérilisé, où les pièces de fonctionnement
sont toutes interchangeables et la fiabilité comme l'hygiène
sont garantis. Ils tournent sous label hautement certifié,
reconnaissable par un logo dont l'image omniprésente vous
sourit et vous rassure. Les rouages en sont tous étroitement
dépendants, partant, aucune prise de responsabilité
intempestive n'est à craindre de leur part. Ils sont
régulièrement blanchis, lustrés, on soigne
leur apparence afin qu'on puisse les croire faits des métaux
les plus purs. La machine elle-même "s'exhibe sans
pudeur", comme le dit Jarry dans Le Surmâle,
elle se montre, se médiatise, met automatiquement en branle
d'autres machines branchées en série, connectées
en réseau, en flux tendu, en temps réel. Elle constitue
à elle seule un spectacle exaltant, dont chacun ne peut
qu'avoir envie de faire partie intégrante. Il faut "en
être" pour exister, quitte pour cela à s'effacer
dans ses entrailles, comme le héros de Bioy-Casares dans
L'invention de Morel.
Les Machines Célibataires , définies par Deleuze
et Guattari comme "surfaces d'enregistrement, corps sans
organes (...) l'essentiel est l'établissement d'une surface
enchantée d'inscription ou d'enregistrement qui s'attribue
toutes les forces productives et les organes de production, et
qui agit comme quasi-cause en leur communiquant le mouvement
apparent", sont organisées en arborescences multiples.
Les grands trusts
mondiaux, avec leurs marques et logos, leurs alliances et leurs
O.P.A, ne fonctionnent pas autrement. Les marques tendent le
plus possible à se déresponsabiliser de la production
par des réseaux de sous-traitants, qui "font le sale
boulot" en "délocalisation" dans des pays
pauvres. Ce qui leur permet de se consacrer totalement et à
grands frais, au dorage du blason, à l'entretien sur un
grand pied d'un staff adéquat et au réconfort des
actionnaires, tâches nobles s'il en fut. Tout cela allège
considérablement le bolide high tech que constitue une
grande marque, elle peut donc, avec une maniabilité accrue,
débarrassée le plus possible des facteurs humains
contraignants, se propulser à grande vitesse dans le ciel
des cotations boursières où elle scintillera médiatiquement.
La Mégamachine
Progrès,
ou "actualisation
illimitée du possible", ainsi définie par Gilbert HOTTOIS:
une mégamachine reliant entre elles des milliers d'autres
petites machines, qui font corps avec leurs machinistes
technoformés. Configuration de poupées gigognes
en "rhizome", l'Internet n'en est que l'un des derniers
avatars. Ce rhizome est un rêve pour celui qui voudrait
jouer au "Big Brother" et s'insinuer au plus profond
des esprits connectés, non pour satisfaire leurs désirs
mais pour les orienter selon la bonne tendance et les inféoder
à travers les images virtuelles, DVD ou télévisuelles,
au grand consensus du progrès inéluctable et
obligatoirement bon pour tous.*
Cette religion à extases cathodiques constitue
le vrai danger de la "mondialisation", pour employer
le mot à la mode, un danger sans commune mesure avec celui
que représenteraient sur le net toutes les prises de liberté
individuelles réunies, telles que semblent le craindre
les instances qui s'emploient à légiférer,
prétendant les protéger du cybercrime, contre les
individus et leurs libertés fondamentales. Un pas dans
le sens des interdits égale cent pas dans le sens de la
déresponsabilisation individuelle et de la perte de citoyenneté
massive: comble d'absurdité démontré magistralement
par les hackers qui, eux, ont l'imagination pour débusquer
les sites dangereux pour les libertés et la rapidité
pour les contrer avec des moyens aussi dérisoires qu'efficaces.
Car liberté
égale courage.
Il aura fallu
d'abord échapper à la fascination exercée
depuis le siècle dernier par la Mégamachine Progrès,
et retrouver une sorte de virginité dans le regard sur
la réalité dans laquelle nous baignons de manière
osmotique, que nous le voulions ou non, qu'elle soit matérialisée
ou virtuelle.
Transformer des espaces
réputés démocratiques en espaces de non-droit, c'est ce que s'emploient à faire
les grandes marques dans les zones géographiques, politiques,
technologiques, par elles colonisées sur toute la planète*.
Elles défendent la marque, non les individus qui la portent
à bout de bras et qui constituent leur fond de commerce.
Les grands procès en "droits d'auteur", les
polémiques sur le "libre de droits", tout cela
est détourné au profit des grands labels et au
détriment des auteurs dont ils ont acheté et dont
ils sont censés défendre la création en
la diffusant à travers des produits audiovisuels ou des
banques d'images, par exemple. Les marques s'estiment propriétaires
de tout ce sur quoi elles apposent leur label, comme un marquage
au fer rouge. Les auteurs sont traités comme le reste
du cheptel, les salariés et les sous-traitants qui fabriquent
les produits distribués. Au mieux, ils servent "la
cause" en tant que vedettes-hommes de paille, auquel cas
ils sont royalement entretenus car "porteurs de l'image"
au même titre que les publicitaires de haut niveau qui
fabriquent les logos et les rendent visibles partout, jusque
sur le consommateur qui a payé l'honneur de devenir homme-sandwich.
On achète des stylistes comme des footballeurs pour looker
les marques à haut niveau et décliner ensuite dans
tous les secteurs de produits la tendance mise en cahiers, en
apprêts, en fabrication, en modèles, en boutiques
franchisées ou en "espaces de marque" géants.
Les marques font et
défont les styles
en "mangeant"
au fur et à mesure ce qu'invente celui qu'on peut appeler
"l'homme de la rue", pour le lui reservir, digéré
et re-designé par "les hommes de l'art" reconnus.
Elles envahissent aussi l'espace de citoyenneté que constitue
l'espace urbain, où elles sont omniprésentes, et
plus seulement avec le pannaeu publicitaire classique. Elles
font l'information (voir "rumeurs") à travers
les émissions de télévision dont beaucoup
de "tuyaux tendance" ne sont que des publireportages.
Elles prétendent "lancer" les modes mais ces
modes sont les chevaux de Troie destinés à investir
tous les territoires de la culture, dans leurs tout derniers
retranchements, y compris les fissures où se blotissent
les créateurs indépendants, considérés
comme de la ressource de terrain, et dont on extrait les
idées comme on pille le territoire d'un "indigène"
pour en vendre les produits. Actuellement, par exemple, les arts
de la rue, tentatives pour l'art de restituer l'espace urbain
et la critique aux habitants, sont copiés et détournés
à grand renfort de moyens, tels qu'ils occupent massivement
cette niche. Et retirent toute visibilité à d'authentiques
contestations artistiques, sans moyens, qui pour le coup sembleront
"nulles". Ici les moyens mis en oeuvre pareront de
grandes qualités des fabrications-clones d'oeuvres d'art
dites "populaires" et emporteront l'adhésion.
L'indigène se voit forcé de s'approprier en l'achetant
sous label ce qu'on lui a pillé. Là, un pudique
anonymat des artistes-indigènes produira une illusion
de "spontanéité" complètement
maîtrisée et marketisée (voir rumeur-scénario
de complot). Ce type de mécénat récupérateur
est un des tops du moment, accomplissant le positionnement d'un
label comme "celui qui défend les artistes et la
culture" et force l'admiration par son modernisme "up
to date".
L'indigène n'a
pas de nom, pas de parole, pas de visibilité, pas de
revendication, pas d'espoir de rentabilité: il n'acquiert
d'utilité, de légitimité, de droit à
vivre, à définir et à parler, sur tout et
n'importe quoi, que lorsqu'il est estampillé par un label.
S'il refuse de se laisser labéliser, c'est le rejet dans
les marges de la non ou de la sous-culture, tolérée
dans des squats, ghettos qu'on peut vider à tout moment
comme un abcès.
Entre deux, le nomad's land des penseurs anonymes qui reçoivent
au courrier les nouvelles du monde traduites par des gens qui
ont des noms. Ces gens justement dont on "place" dans
les salons mondains ou au café littéraire, les
prénoms (comme s'ils étaient les seuls à
le porter), afin de laisser entendre une grande intimité
avec eux, les "people" (ironie du terme, qui désigne,
ainsi que la presse spécialisée qui leur est consacrée,
non les gens du peuple, mais uniquement ceux parmi eux qui ont
un nom). Cette activité salonnière a été
baptisée "name dropping", comme on pouvait
le lire dans Elle, parmi des recettes pour être "trendy"
en société.
En effet, à force de recevoir dans son salon ou sa chambre
tous ces "people" qui "s'expriment", disent
leur sentiment par petit écran interposé, ou de
trouver dans sa boîte à presse quotidienne leurs
missives, l'indigène les considère comme sa famille,
leur nom lui appartient, il l'utilise sans arrière-pensée
comme raccourci pour s'exprimer, en fait des adjectifs qualificatifs,
des rôles, les métaphorise. Ses cours de philo prolongés
par la lecture de la presse lui ont donné d'ailleurs des
pistes en ce sens: les "people" se citent abondamment
entre eux de cette façon, comptant sur l'érudition
événementielle du lecteur pour compléter
l'ellipse. Ceci ne manque pas de flatter l'indigène qui
reçoit "cinq sur cinq". Quelquefois même,
il souligne, il digère, il commente, il reste à
sa place, il sait qu'il n'a pas pour de vrai l'amitié
des people, il fait ça dans la marge.
Parole d'Indigène!
Turbulences journal ethnographique par Isabelle Dormion
Terminologie
des Rumeurs malignes, décryptage des mots médiatiques
"récurrents" dans les media, textes de critique
d'art ou buzz modeux.
& Litanie
de Base Lines,
une collection, rassemblée par May Livory au jour le jour
depuis 2001, des slogans de base des marques qui intègrent
à la publicité classique une contamination "douce",
anodine, à travers ces petites phrases bien ciselées
(des injonctions, des ordres?). En forme de conseils malins,
d'affirmations d'altruisme de la marque vis-à-vis de vous
(le client, le béotien, le consommateur), de son omniscience
à régler votre vie, la sécuriser, lui donner
tout son sel, son relief, son intérêt. Secrets de
beauté, de philosophie, de sagesse, de plaisir, d'épicurisme,
rendus quasi obligatoires pour tous d'une manière quasi
subliminale, car on ne les remarque même pas, alors que,
en les relisant bout à bout, on se rend compte qu'on les
"sait" par coeur! Pour exemple, tout le monde se souvient
de "Parce que je le vaux bien" ou de "Think different".
Si on se met à y prêter attention, l'effroi vous
prend de constater à quel point le marketing viral distillé
par la grande machine s'insinue dans nos imaginaires sans coup
férir. Pour s'en convaincre, il n'est que d'examiner ses
propres réactions face à ces phrases qui semblent
à première vue presque vides de sens, mais finalement
très lourdes de conséquences sur l'individu, ses
attentes, ses rêves de réalisation, ses ambitions,
ses projets de vie et sa vision de la société,
entre autres: Live the game - Entrez dans la légende -
Just do it - Fais-le! - "Espress yourself - Inventez-vous!
- Choose Freedom - J'ai toujours envie d'aller aux Galeries -
Connecting people - Partez sans payer - Vous le valez bien -
Jouez avec vos émotions -
Autant d'injonctions dont le caractère péremptoire
vous prend en défaut si vous ne vous y conformez pas.
Des impératifs qui placent une exigence globale de vie
individuelle, à la fois au-delà des capacités
ou des compétences de la personne moyenne, et en-deçà
de ses aspirations profondes. Une lecture qui laisse un arrière-goût
de malaise indéfinissable derrière le sourire qu'elle
suscite parfois, car il y a des trouvailles et même quelquefois
de jolies choses, des tournures bien venues ou des idées
très justes. Accompagnant de leurs formules lapidaires
nos "actes d'achat", nos peurs, nos tristesses, nos
culpabilités sur le bien-fondé de nos décisions
face à l'avenir, à la sécurité des
nôtres, confortant notre cupidité, nos lâchetés,
notre besoin de reconnaissance, ou stimulant nos penchants égocentriques,
ces "petites phrases" sous-titrent en permanence notre
vie quotidienne pour en faire le film parfait dont nous serions
les héros.
Label,
banque de données et droit d'auteur
Lorsqu'il
se rebiffe, l'indigène déclenche le rouleau compresseur:
à lui de résister seul des années durant
au large consensus qui veut que le respect du créateur,
et le "droit d'auteur", seul mode de rémunération
inhérent au statut d'auteur tel que légalement
conçu actuellement, soit à la fois reconnu et constamment
bafoué, impunément, par ceux-là même
qui l'exploitent et devraient le faire respecter.
Personne n'est
resté insensible aux énormes profits générés
par le nouvel Eldorado que constituent les banques
de données ou les sociétés d'auteurs
(il faut savoir qu'un auteur ne peut toucher de droits de l'audiovisuel
s'il ne fait pas partie d'une société d'auteurs,
laquelle redistribue à ses adhérents le pactole
versé sans aucune transparence ni compte à rendre).
Abusées par l'expression "libre de droits"
employée pour leur publicité par les banques d'images,
alors que seuls certains des droits sont compris dans le prix
du cédérom, de petites sociétés ou
services de communication intégrés répugnent
à recourir à des créateurs indépendants,
pensant "se faire avoir" s'ils paient des droits. Certains
vont parfois jusqu'à prétendre acheter la création
comme "des pommes de terre qu'on mange ou qu'on met dans
son tiroir et qu'on utilise quand on en a besoin et qu'on vend
comme bon nous semble" (dixit un directeur du groupe
Marie-Claire Album en 90 lors d'une réunion de concertation
en expertise). C'est une des conséquences de la naissance
des grandes banques d'images, qui diffusent mondialement
sous la forme de cédéroms et de catalogues téléchargeables
sur Internet, des images prêtes à l'emploi.
Tout groupe de
presse constitue des archives au fil des ans, avec les documents
publiés et les reportages photographiques complets parmi
lesquels les rédactions ont choisi quelques vues pour
une parution initiale. Et, une chose en entraînant une
autre, ce groupe peut exploiter ses archives comme une banque
de données dans un système classique de reventes.
Tout dépend alors du système d'indexation et de
gestion de cette "banque", s'il respecte ou non, en
totalité ou en partie, le droit d'auteur et le copyright,
et selon quelle législation (en effet les lois ne sont
pas les mêmes pour tous les pays). La mise en archives
n'est pas expressément signalée aux auteurs, ils
reçoivent, au mieux, des fiches de revente avec chèque
ou virement du montant de leurs droits calculés selon
la méthodologie et la base de rémunération
en usage dans le groupe en question. Les auteurs n'ont la plupart
du temps pas accès aux données, encore moins la
possibilité de vérifier, modifier ou de supprimer
celles les concernant.
Le pot de terre contre le pot de fer, un exemple: des
créateurs peuvent ainsi se retrouver sans le savoir, dans
une situation d'exclusivité non consentie de revente de
leurs droits par un groupe de presse. Plus grave, cette revente
se fera sans mention de nom d'auteur et sans contrepartie financière
si par exemple les oeuvres ne sont répertoriées
que sous le nom du photographe qui en a fait la reproduction.
En effet les oeuvres se trouvent classées dans de telles
archives sous diverses formes, exploitables conjointement ou
séparément grâce à un certain nombre
"d'entrées" dans la base de données:
reportage photo, rédactionnel, iconographie thématique,
catégories d'ouvrages, de techniques, de styles, shémas
de montage, patrons, diagrammes etc... De plus, ainsi fragmentées,
titrées, préparées, classées, les
oeuvres font partie d'un fond qui peut être du jour au
lendemain cédé globalement, par vente ou par regroupement,
à n'importe quelle entité possible.
Un auteur ne
peut donc découvrir la reproduction de ses oeuvres à
travers un tel système de reventes qu'au hasard, par exemple
en feuilletant un journal étranger lors d'un voyage, ou
un des albums thématiques édités en Angleterre
et traduits dans plusieurs langues et vendus partout au moment
des fêtes: c'est exactement ce qu'ont vécu May Livory
et Huguette Kirby, qui en tant que stylistes, ont travaillé
en free-lance une quinzaine d'années avec le groupe Marie-Claire
Album. Et elles ont connu face à ce groupe et aux instances
censées mettre bon ordre, des démêlés
véritablement rocambolesques pour faire reconnaître
les contrefaçons et faire valoir leurs droits. Au départ,
5 plaignantes dans un procès en droits d'auteur pour reproductions
illicites de leurs oeuvres, initialement créées
pour des parutions ponctuelles dans le titre 100 Idées
(défunt depuis), par le groupe, sur une période
de plus de 20 ans, sans autorisation ni mention du nom ni rémunération.
Première manche gagnée en 1989, mais abandon entre
temps de trois des plaignantes, poussées à "devenir
raisonnables" et à "faire table rase" pour
une somme dérisoire. Deuxième manche, gagnée
par les deux résistantes avec un nouvel avocat, en 96,
avec parution dans 3 journaux de la condamnation du groupe. Mais
la dernière tranche, suite à l'expertise, ne s'est
conclue qu'en 2001!
Le label est en train
de remplacer les auteurs
Cet exemple
vécu n'est là que pour stigmatiser le comportement
de type célibataire de nombreux organismes marchands
vivant de la création mais refusant de le reconnaître
à travers les auteurs. La polémique sur l'internet
et les différents symposiums sur ce sujet parleront en
l'air tant que le label fera la loi par dessus les lois, que
détenant les copyrights, il en gèrera les profits
et les défendra, s'il le faut, contre les auteurs eux-mêmes,
et ce par extension dans tous les domaines possibles. C'est le
label en tant que propriétaire qui fera l'actualité
par les grands procès en contrefaçon, tendant ainsi
à amalgamer sa cause à celle du droit d'auteur:
l'exploitant défend avant tout sa marque, qu'il a apposée
sur des copyrights, et son pré carré, il prétend
être le seul à exploiter cette mine (Voir l'actualité
brûlante et les débats législatifs européens
par rapport aux grands groupes agro alimentaires qui s'emparent
du vivant à travers des manipulations de labo pour le
breveter et en le revendant sous label, en détenir le
monopole mondial: exemple des semences que les agriculteurs "indigènes"
doivent acheter chaque année, sous peine d'être
accusés de contrefaçon, et aussi les problèmes
posés aux créateurs de contenu, aux journalistes
et aux états par les data sous label Google et autres
multinationales cotées en bourse aux profits colossaux).
L'essentiel pour
le label qui a constitué une telle banque de données
est donc de décourager les auteurs, au sens large, qu'un
précédent pourrait inciter à réclamer
la reconnaissance de leurs droits ou à exiger la transparence
dans leur gestion et leur répartition.
Le terme de
"droit d'auteur" est d'ailleurs devenu ambigu: il s'agit pourtant
simplement d'un mode de rétribution de l'auteur par un
diffuseur, rétribution progressive et au prorata prédéfini
des bénéfices générés par
les ventes, avec ou sans "avance sur droits" à
la commande des oeuvres. Ce contrat moral, financier et social
qui lie le "diffuseur" à "l'auteur"
est souvent et impunément bafoué, d'autant plus
facilement qu'il n'y a d'autre moyen pour l'auteur lésé
que le procès pour faire respecter le contrat. A part
quelques "best sellers", l'auteur en a rarement les
moyens, ou comme il s'agit le plus souvent de petites sommes,
il serait démesuré d'engager une procédure
pour les récupérer une à une.
Si malgré tout il se lance dans une procédure,
l'auteur passe vite pour un procédurier dont il faut se
méfier. Et comme il s'agit avant tout pour le label de
continuer à exploiter une mine qui rapporte, sa stratégie
consistera alors à "faire durer" par tous moyens
tels que rétention d'informations, tentative d'imputation
de la charge de preuve, témoignages invérifiables,
intimidation ou mauvaise foi. A telle fin que l'auteur, isolé,
lâché par ses confères professionnels, même
s'il gagne au final parce que son avocat s'est bien battu, ait
perdu son temps, son argent, sa réputation, son travail.
Le fin du fin consistant à parler des auteurs en général
comme de l'ennemi procédurier des entreprises. Travail
de sape qui réussit puisque les droits d'auteur sont de
plus en plus mal vus, perçus même parfois dans l'esprit
du public comme des entraves au développement en se faisant
attribuer "par transparence" tout ce qui est le fait
du label et de son monopole.
Au point que
lorsqu'on débat ces derniers temps de droit d'auteur,
le fait qu'on soit pour ou contre n'a que peu de sens. Et des
gens de bonne foi comme ceux de "Copyleft" qui veulent
jouer le partage et la gratuité sur le net se trompent
de cible. En effet les auteurs dans l'état actuel des
choses ne sont pas libres de donner ou de vendre des droits qui
leur sont confisqués par les groupes à stratégie
de profit. Ces groupes qui font l'actualité sur ce
sujet en se battant entre eux avec de grands moyens. Soit l'auteur
souscrit à un mode de fonctionnement qui a acquis force
de loi par l'usage en signant des contrats léonins,
ou il se fait laminer à l'usure et à la réputation
(mesures de rétorsion non officielles telle la liste rouge
ou le chantage à la "conciliation", pour en
revenir à notre exemple).
Un type de fonctionnement
qui ressemble fort à celui qui consiste pour les Supermarques,
comme les appelle Naomi Klein dans No Logo, à se débarrasser
de leur rôle social à travers des sous-traitants
délocalisés, laissant entendre que ce sont les
individus producteurs qui coûtent le plus cher et pénalisent
l'entreprise par leurs revendications exorbitantes, les empêchant
de réaliser les objectifs stratégiques fixés.
Ça vous a des relents de vieilles histoires de bouc émissaire,
et au fond, c'est toujours la même histoire de pouvoir,
d'argent, de conquête de nouveaux territoires, de colons
et d'esclavagisme.
Mais observer les rouages d'une machine dont on essaie de comprendre
les mécanismes et actualiser ses connaissances en la matière
n'a jamais fait de mal à personne. Qu'il est bon en tant
qu'être humain d'exercer son intelligence à autre
chose qu'à la consommation béate ou à la
confortation journalière d'un certain confort généré
par l'irresponsabilité! Et les conclusions de cette observation
sont loin d'être fatalistes: les mécanismes sont
réinventables à l'infini, l'énergie qui
les meut aussi, et inventer c'est amusant même si c'est
inutile: la surprise est toujours possible!
La mise en évidence
de ce phénomène n'est pas nouvelle en soi. Il a
déjà été largement étudié
et / ou évoqué en art et en littérature
par Marcel Duchamp, Jean Dubuffet, Georges Bataille, Franz Kafka,
Guy Debord, Gilles Deleuze, Andy Warhol et, on l'oublie trop
souvent, Charles Baudelaire parmi maint autre poète ou
critique d'art. Shukaba tente un "break" qui permette
de montrer que beaucoup, si ce n'est la plupart, des machines,
ne sont pas célibataires dans leur nature, et donc une
fois pour toutes, mais dans leur mode de fonctionnement. Ce n'est
donc qu'une question de rapports et de différentiels.
Les Machines Célibataires fonctionnent au courant alternatif
attirance-répulsion... Nous pouvons en conclure qu'il
est toujours possible de rendre inscriptible une surface d'enregistrement,
de rendre ses organes sensibles au corps, de remettre le contact
avec l'affect, "d'inverser la vapeur" grâce à
quelque élément. Il peut même suffire d'ajouter
ou de retirer un petit quelque chose, un "je-ne-sais-quoi"
judicieusement choisi. C'est cette recherche "futile"
que mène Shukaba, tâche à la fois rude et
dérisoire, mais lorsqu'on se sent écrasé,
le moindre petit bras de levier est bon à prendre. May
Livory, 2000
Droit d'auteur et artistes plasticiens: la gratuité
Actu
ARCHIVES
Intervention de May Livory au cyber Sénat, fête
de l'Internet 1999: A
toute liberté son poids de courage
Ceux qui s'occupent de l'art éclipsent ceux qui le
font: où il est question du "métier"
d'artiste, du marché de l'art et de la gestion de l'art
en France, qui ressemble fort dans son fonctionnement à
une machine de type célibataire, constat par Katerine
LOUINEAU: Arts plastiques accaparés et plasticiens
tutellisés...
Bibliographie
machines célibataires
BAUDELAIRE, Charles:
Oeuvres complètes (2 tomes), La Pléïade, Gallimard,
Paris.
* p. 580 Tome II: L'idée du progrès, "
ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté
sans garantie de la nature (...) Qui veut y voir clair dans l'histoire
doit avant tout éteindre ce fanal perfide".
Et p. 581: "Si les denrées sont aujourd'hui de meilleure
qualité et à meilleur marché qu'elles n'étaient
hier, c'est dans l'ordre matériel un progrès incontestable.
Mais, où est, je vous prie, la garantie du progrès
pour le lendemain? Car les disciples des philosophes de la vapeur
et des allumettes chimiques l'entendent ainsi: le progrès
ne leur apparaît que sous la forme d'une série indéfinie.
Où est cette garantie? Elle n'existe, dis-je, que dans
votre crédulité et votre fatuité. (...)
Transportée dans l'ordre de l'imagination, l'idée
du progrès (il y a eu des audacieux et des enragés
de la logique qui ont tenté de le faire) se dresse avec
une absurdité gigantesque, une grotesquerie qui monte
jusqu'à l'épouvantable. (...) L'artiste ne relève
que de lui-même. Il meurt sans enfants. (...) Il en est
de même des nations qui cultivent les arts de l'imagination
avec joie et succès. La prospérité actuelle
n'est garantie que pour un temps, hélas, bien court. (...)
La vitalité se déplace, elle va visiter d'autres
races."
JARRY, Alfred
: Le Surmâle, paru init. Revue Blanche, 1920, n° 108
éd Mille et Une Nuits, Paris, Mai 1996.
BIOY CASARES
Adolfo: L'INVENTION DE MOREL
TIBBON Michel, DES AUTOMATES AUX CHIMERES, Enquête sur
la mécanisation du vivant, Thèse d'Etat, Paris
Sorbonne, 1991.
LATOUCHE Serge, LA MEGAMACHINE, Paris, La Découverte,
coll. Recherche, 1995.
Collectif : Catalogue bilingue français / allemand édité
par Alfieri à l'occasion de l'exposition "JUNGGESELLENMASCHINEN-LES
MACHINES CELIBATAIRES" aux Arts Décoratifs en 1976
à Paris, présentée également à
Berne, Venise, Bruxelles, Düsseldorf, musée de L'Homme
et de L'Industrie au Creusot, à Malmö, Amsterdam
et Vienne), dirgé par Jean CLAIR et Harald SZEEMANN, avec
entre autres auteurs: Michel CARROUGES, Marc LE BOT, Bazon BROCK,
Michel de Certau, Peter Gorsen, Gilbert LASCAULT, Jean-François
LYOTARD, Günther METKEN, Alain MONTESSE, RDRIZZANI, Arturo
SCHWARTZ, Michel SERRES. L'exposition par elle-même constituait
une sorte de labyrinthe où les oeuvres pouvaient être
vues comme formant un "cycle sur les différentes
façons de mourir (Todesarten)" expression d'Ingeborg
BACHMANN reprise par Michel de CERTEAU, qui, à propos
du "Graphe peint sur verre de Duchamp", y voit la dissémination
du sujet (l'image du spectateur devant la vitre-miroir): "...
malgré la dérisoire fusion que lui promet cette
transparence..."
Michel CARROUGES
dès 1948, consacre dans son livre LES MACHINES CELIBATAIRES
l'expression dont Marcel DUCHAMP est l'inventeur avec son Grand
Verre "qui fascine comme une sorte de grandiose pictogramme
ou hyéroglyphe représentant une scène capitale
et incompréhensible. Pour mieux comprendre, reportons-nous
au prototype le plus simple des machines célibataires.
on le reconnaît dans la célèbre formule de
LAUTREAMONT: "Il est beau... comme la rencontre fortuite
sur une table de dissection, d'une machine à coudre et
d'un parapluie!" (MALDOROR, Chant VI)... A la place
du lit d'amour qui est union et vie, la table de dissection exprime
la fonction spécifique de la machine célibataire
qui est solitude et mort".
DELEUZE Gilles.et GUATTARI F., Capitalisme et Schizophrénie,
L'ANTI-OEDIPE, Paris, éditions de Minuit, coll. Critique,
1972.
DEBORD Guy, LA SOCIETE DU SPECTACLE, 3° édition française,
Paris Gallimard par les soins de Jean-Jacques PAUVERT. (éd
originale, Buchet-Chastel, 1967, puis Champs Libres, 1971)
PETIT Pierre,
MOLINIER, UNE VIE D'ENFER, Paris Ramsay/ Jean-Jacques Pauvert,
1992.
LIVORY May, SHUKABA,
rumeurs et Costumes, Septentrion "Thèse à
la carte", Paris 1998, "Du remplacement de l'imaginaire
par des machines séparées de la vie dans les milieux
d'art et de mode en occident au XXeme siècle",
pages 96 à 123.
*KLEIN Naomi,
NO LOGO, La Tyrannie des Marques, édition française
Actes Sud, 2001
Sur son site Internet, des forums très fournis et toute
l'actualité touffue sur la mondialisation, les associations
et collectifs qui réagissent à la tyrannie des
marques et leur "branding": <http://www.nologo.com>
et The Shock doctrine, the rise of disaster capitalism,
Picador, 1ere édition New York juillet 2008 - www.naomiklein.org
Bibliographie droits d'auteur
SMIERS Joost:
"Plaidoyer pour l'abolition du droit d'auteur: La propriété
intellectuelle, c'est le vol!" Article paru dans Le Monde
Diplomatique Septembre 2001 -3- extraits:
"Les grands groupes culturels et d'information couvrent
toute la planète avec les satellites et les câbles.
Mais posséder les tuyaux de l'information du monde n'a
de sens que si l'on détient l'essentiel du contenu, dont
le copyright constitue la forme légale de propriété.
Nous assistons actuellement à une foire d'empoigne des
fusions dans le domaine de la culture, comme celle d'AOL et de
Time Warner. Cela risque d'aboutir à ce que, dans un futur
proche, seule une poignée de compagnies disposent des
droits de la propriété intellectuelle sur presque
toute la créatiuon artistique, passée et présente.
(...) Le concept autrefois favorable, de droits d'auteur, devient
ainsi un moyen de contrôle du bien commun intellectuel
et créatif par un petit nombre d'industries. (...) Les
quelques groupes dominant l'industrie culturelle ne diffusent
que les oeuvres artistiques ou de divertissement dont ils détiennent
les droits. (...)
conclusion: "Désormais, l'objectif devrait être
de créer un nouveau système qui garantisse aux
artistes des pays occidentaux et à ceux du tiers-monde
de meilleurs revenus, qui donne toute sa chance au débat
public sur la valeur de la création artistique, qui se
préoccupe de l'entretien du domaine public culturel, qui
brise le monopole des industries de la culture, vivant du système
de droits d'auteur."
SOULILLOU Jacques:
L'AUTEUR, MODE D'EMPLOI, l'Harmattan, Paris, 1999.
FARCHY Joëlle: travaux sur l'impact des nouvelles technologies
sur les modes de financement de la culture:
LA FIN DE L'EXCEPTION CULTURELLE, CNRS Editions, 1999
INTERNET ET LE DROIT D'AUTEUR, CNRS Editions, 2003
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