arts plastiques accaparés
et plasticiens tutellisés

La situation actuelle est frappante en ce qu'elle continue d'entériner une marginalisation du pouvoir de l'artiste dans le monde de l'art.

Ceci est symptomatique d'une hiérarchisation bien particulière des circuits de reconnaissance. En France, la renommée d'un artiste professionnel passe prioritairement par l'institution et/ou le marché tous deux "naturellement" relayés par les médias (en fait, en raison de leurs conditions d'existence, les médias servent essentiellement de caisse de résonnance publicitaire aux manifestations organisées par l'institution, par l'industrie culturelle ou par les médias elles-mêmes). Ces trois instances de légitimation institution-marché-média fonctionnent avec un degré de collusion non négligeable peut-être pour mieux faire oublier l'évincement des professionnels - les artistes - dans les choix esthétiques qui sont opérés.

Evincement qui pose le problème de la légitimité des circuits dominants de légitimation... D'autant que ceux qui opèrent ces choix - donc ceux qui font la pluie et le beau temps dans le monde de l'art - sont très peu nombreux et que leur pouvoir est proportionnel à leur pouvoir politique et/ou économique et non fonction de leur compétence en matière d'art. Dans ce petit circuit fermé d'experts auto-nommés, si compétence il y a, c'est un hasard, un heureux accident, une sorte de cadeau Bonux pour les amateurs..

Dans ce système la reconnaissance entre pairs est occultée, marginalisée. Ceux qui s'occupent de l'art ont éclipsé ceux qui le font. Ainsi, dans ce petit monde de l'art qui exclut les artistes, chacun rêve d'être le super-commissaire d'exposition qui fera pâlir de jalousie le voisin. L'objectif ici n'est pas tant de faire voir des oeuvres que de le faire savoir pour se faire valoir soi-même afin de gravir les échelons d'une carrière bien menée ou de récolter les fruits d'une spéculation bien orchestrée. Que l'artiste soit mort ou vif, aujourd'hui qu'importe, puisque dans les deux cas l'artiste est dépossédé de son oeuvre, oeuvre que d'autres choisissent d'utiliser ou non, et ce, à des fins qui leur sont propres..

Ainsi l'art n'est plus défini par les artistes eux-mêmes parce que sa diffusion est monopolisée par des réseaux infiniment plus puissants. Premiers concernés, derniers consultés, les artistes ont tout simplement perdu le pouvoir de s'occuper de leurs affaires.

De l'artiste muet à l'oeuvre muette, il n'y a qu'un pas!

Les facteurs exogènes qui président à la circulation des oeuvres, font que ces oeuvres tendent à devenir de pauvres objets coupés des conditions de leur existence comme si elles n'avaient ni auteur, ni contexte, ni intention originelle etc., bref comme si elles n'avaient pas de sens, comme si elles tombaient du ciel.

Cette appréhension de l'art relève du fétichisme et de la religiosité, elle nourrit l'illusion que les oeuvres ont un caractère mystique, elle leur attribue implicitement une valeur immanente alors que cette valeur n'appartient qu'au travail humain qui la produit. A l'aube du XXIème siècle, nous restons visiblement prisonniers d'une mentalité digne du XIXème !

Artefacts par excellence, les oeuvres ne sortent pas de terre comme des champignons! Humains parmi les humains, les artistes ne sortent pas de la cuisse de Jupiter!

L'artiste doit être remis à sa place

A sa place c'est-à-dire au coeur du monde de l'art et non à sa périphérie.

A sa place c'est-à-dire aussi : ni sur un piédestal, ni dans le ruisseau.

Mythification et mystification sont les deux faces d'une même pièce.

Chacun sait que le romantisme de bas étage associe allègrement le "génie" à la marginalité et la pauvreté.
Crever la dalle serait le prix de notre futur piédestal! Comme c'est pratique !

Très concrètement je crois que nous, artistes, ne méritons ni de crever la dalle, ni d'être mis sur un piédestal. Je crois que nos conditions de vie sont indignes et que pour nous faire passer la pilule on veut nous faire croire qu'en chacun de nous sommeille peut-être le "génie du siècle". Voilà une compensation symbolique qui ne coûte pas cher à la société ! (Ça tombe bien, l'heure est à l'économie... surtout pour les pauvres...)

Je crois qu'il est grand temps de se rendre compte que nos complexes de supériorité - soigneusement entretenus par d'autres et pour cause - sont parfaitement ridicules. Non, l'artiste n'est pas ce dieu vivant dont les pieds, ma chère, touchent à peine terre !

L'injonction implicite est: sois génial(e) et tais toi ! Ne fais pas de peine à tes tuteurs, sois sage comme une image, contente-toi d'en faire, fais des risettes à ceux qui se penchent si obligeamment sur ton berceau et surtout n'oublie jamais que ta seule planche de salut est d'attendre très patiemment ton heure de gloire... la gueule enfarinée et le cul posé sur un strapontin du nébuleux monde de l'art. On se croirait dans un méchant conte pour enfants, genre la chèvre de Monsieur Seguin.

Tant d'images désuètes nous collent à la peau. Certaines pansent agréablement nos blessures narcissiques cependant que d'autres encouragent notre passivité... Il est si commode d'être sous tutelle qu'on ne veut pas en voir les incidences, c'est ainsi que le piège se referme lentement mais sûrement.

En fait, mythification et mystification sont les ingrédients bien connus de toute infériorisation sociale réussie. Car une infériorisation sociale réussie est celle qui crée les conditions matérielles et idéologiques d'une complicité des couillonnés eux-mêmes. Tel est bien le cas aujourd'hui de la communauté artistique.

Si nous voulons y remédier, il nous faut remettre en cause profondément l'état de tutelle qui est le nôtre aujourd'hui. Profondément c'est-à-dire ne pas se contenter de pleurnicher sur les causes externes (la prépondérance du marché, le rôle perverti de l'institution, la vénalité des médias) mais aussi regarder en face les causes internes (notre complicité et nos carences face à une situation inacceptable).

Il ne s'agit pas tant de se lamenter éternellement sur le triste sort qui nous est fait que de trouver nous-mêmes les moyens de faire un sort à cette situation.

"Nous ne nous plaignons pas, nous portons plainte" écrivaient à juste titre les artistes des Etats Généraux de la Culture.

Un drôle de métier

Dans notre société industrielle contemporaine, l'activité artistique est un défi pour les notions communes de "profession" et de "travail", en effet cette activité productive réelle - qui ne peut être qualifiée de "loisir" (et non de "travail") - échappe à la catégorie usuelle du travail rémunéré.

Les arts plastiques tout comme la recherche scientifique pure ne produisent pas nécessairement de valeur marchande immédiate, en ce sens l'exercice de ces activités se distingue des professions appliquées de type classique et pose des problèmes particuliers.

Leur utilité sociale globale, bien que plus ou moins dissociée du marché immédiat, reste difficilement contestable. Il s'agit donc de s'autoriser à penser clairement qu'il peut exister des activités humaines socialement utiles mais économiquement inutiles; des activités dont l'utilité ne se mesure pas à leur rentabilité immédiate ; des activités proprement nécessaires à notre humanité et dont la fin première n'est pas le gain financier.

La pratique artistique est visiblement l'une de ces activités humaines un peu bizarre, une activité rarement vivrière mais curieusement vitale, une activité qui prend beaucoup de temps si l'on veut la mener à bien.

L'activité artistique pose le problème du métier dans toute sa complexité, complexité qui est notamment irréductible à la notion de "source de revenus". Ceux qui se contentent de définir un métier comme activité principale qui assure la subsistance, s'intéressent en fait à la répartition du revenu et non au métier lui-même, ils survalorisent l'importance de la rémunération en occultant les motivations, le rôle, la nature et l'organisation de l'activité exercée.

Si le métier n'était qu'une source de revenus, être chômeur ou rentier serait un métier! Or, il est clair que ce n'est pas le cas. En fait on ne devient pas artiste pour gagner sa vie, on essaie de gagner sa vie en étant artiste. C'est très différent. Ainsi la réalité est que la profession d'artiste est un drôle de métier dont on peut aisément ne pas vivre.
Mais paradoxalement, nombreux sont ceux qui vivent de nos charmes.

l'art rapporte rarement à ceux qui le font.

En fait, ce que l'on apporte et rapporte à la société est à la fois indéniable et incommensurable. Les retombées de la pratique artistique sont nombreuses même en termes purement économiques. L'art nourrit rarement l'artiste, en revanche il fait vivre de nombreux autres corps de métier en amont et en aval, à court terme et à long terme. Un drôle de métier dont on ne vit pas mais qui est lui-même créateur de métiers particuliers dont d'autres peuvent vivre. L'art rapporte. Incidemment, il peut même rapporter gros mais rarement à ceux qui le font. Ceux qui s'occupent de l'art en vivent mieux que ceux qui le font.

Soit dit en passant chacun sait qu'un "bon artiste" est un artiste mort. Ceux qui parmi les artistes ont la chance post mortem d'être extirpés des grandes poubelles de l'histoire de l'art rapportent gros mais ils rapportent gros à d'autres, eux-mêmes ne sont plus là pour le voir. En s'obstinant à être contemporain de son uvre, l'artiste rate souvent une occasion d'être riche! c'est bête ! non?

Penseur en acte, l'artiste est à la fois chercheur et praticien. "Arte e cosa mentale" disait le vieux Léonard. Or notre statut aujourd'hui est celui de petits-producteurs-d'objets-qui-se-vendent-mal et pour cause puisque la finalité est autre et infiniment plus complexe.

le doute des artistes et la certitude des experts

La pratique artistique est une activité expérimentale avec ses échecs et ses réussites, échecs et réussites dont l'artiste est d'abord seul juge. Un juge qui a la particularité de douter toute sa vie. Dans le fond, l'artiste reste toujours seul face à l'exigence de justification de ses recherches et de leurs résultats, seul face à son propre travail et à son exigence interne. Reste que comme tout professionnel, l'artiste plasticien est fondé à considérer avec une attention particulière l'avis de ses confrères, confrères qui comme lui connaissent les venues du doute et la difficulté de créer.

Difficulté et jubilation de créer à une époque qui a vu la disparition de toute idée normative de l'art, de toute conception d'un "art à faire". Difficulté et jubilation d'essayer de s'y retrouver quand même et de jouir d'une liberté qui à mon sens donne une responsabilité encore plus grande à l'artiste. Celle de définir et de redéfinir sans cesse ce qu'est l'art. Celle de définir et de redéfinir sans cesse son rôle dans une société qui bouge. L'art en train de se faire répond à des critères profanes et mouvants. D'où une pluralité qui en fait la richesse.

Face à ce devenir permanent de l'art et à ses manifestations multiformes, l'expertise est en crise, l'expertise s'entre-dévore, l'expertise s'essouffle. Les uns s'accrochent désespérément au concept désuet d'avant-garde tandis que les autres prônent un retour à la tradition et au métier. Pourtant ça fait un bout de temps que les artistes ont dépassé dans leur pratique les fausses problématiques de ce débat médiatique. Débat médiatique dont ils ont été exclus bien sûr puisqu'en matière d'art ils restent les derniers consultés. Mais aussi débat médiatique dont ils se sont exclus eux-mêmes car finalement peu concernés par ce brouhaha où la suffisance le disputait au ridicule.

Car s'il est vrai que les complexes de supériorité des artistes sont ridicules, il en est a fortiori de même pour les experts et de ce point de vue je crois même qu'ils nous battent à plates coutures!

Car les experts, contrairement aux artistes, sont interdits de doute. Un expert qui doute est-il encore un expert ? et sur quoi pourrait-il fonder le pouvoir absolu qui est le sien aujourd'hui ? Ne pouvant exprimer ses doutes (quand il a l'honnêteté intellectuelle d'en avoir), l'expert - critique, journaliste, commissaire d'exposition, institutionnel -manifeste ses certitudes. Certitudes absolues mais éventuellement en parfaite contradiction avec celles du voisin. Ce faisant, il tente désespérément de maintenir ses prérogatives et d'être le premier au hit parade de ceux qui savent mieux que tout le monde. Et la preuve qu'ils savent mieux que tout le monde c'est qu'ils le disent eux-mêmes!

le public aveuglé

Cette suffisance tellement insuffisante du monde de l'art crée les conditions d'un divorce toujours plus grand entre l'art et ses spectateurs au sens large. Avec leur langue de bois et leur attitude condescendante, les super-stars de l'expertise en mettent plein la vue au public qui en reste hélas tout aveuglé.

L'expert masque ses abus de pouvoir derrière un dispositif du type poudre aux yeux, paillettes et perlimpinpin. La perversité de ce système est que pour maintenir ses exorbitantes prérogatives, l'expert a besoin de cultiver un sentiment de culpabilité des non-initiés.

Or un spectateur culpabilisé d'avance est un aveugle-sourd-muet en puissance.
On laisse ainsi sur le bord du chemin un nombre non négligeable de spectateurs.

Le spectateur idéal est sans certitude mais de bonne volonté.

Le spectateur de mauvaise volonté, lui, a la certitude que l'art d'aujourd'hui est sans intérêt parce qu'il diffère sensiblement de la "belle peinture" à laquelle il s'attend et ce, par référence à un code esthétique non spécifié, sorte de B.A. BA traditionnel, à la fois minime et commun. Ce spectateur là ne veut pas se départir de ses pré-jugés, il choisit de rater son époque. Tant pis pour lui ! Tant pis pour nous ! Le prosélytisme a ses limites.

D'ailleurs indépendamment des singeries du monde de l'art et de ses grimaces médiatiques, reconnaissons au passage qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que le public manifeste souvent un désintérêt diffus pour une production perturbante dont les enjeux lui échappent et dont l'absence de hiérarchie objective jette un doute sur tout. C'est un fait, que rien n'oblige le spectateur à adhérer aux visions des oeuvres d'art désormais privées de leur fonction sacrée et d'une tradition "traditionaliste".

L'art ne caresse pas toujours dans le sens du poil de la bête et c'est tant mieux!

Artistes, experts, spectateurs : nous avons tous à gagner en faisant preuve d'un modeste esprit d'ouverture à l'égard des pratiques artistiques vivantes. Les uvres sont intrigantes par leur complexité. Elles titillent nos pupilles et nos neurones; elles ont souvent appris à mettre le doigt sur les aspects les plus vulnérables et les plus contestables de notre société humaine, à nous montrer ce que, dans notre réalité intime ou publique, nous évitons de voir en face.

Reste qu'aucune oeuvre d'art n'existe seule, elle en interprète toujours au moins une autre, et ce qui fait de Cézanne, Monnet, Picasso ou Duchamp des figures clés est aussi ce qui les lie ensemble. L'ensemble de toutes les oeuvres déjà existantes constitue le matériel des ateliers, au même titre que les pinceaux ou la couleur; les artistes y puisent pour affirmer la singularité de leur réponse mais aussi leur connivence avec leurs prédécesseurs.

Hors de toute définition restrictive, l'oeuvre réussie reste à la fois vecteur d'émotion, objet et sujet de réflexion. Apprendre à voir et à penser, sans maître, ni filet: c'est le jeu - sans règle préétablie - de l'art dit contemporain, à mon sens, il vaut bien la chandelle.

impuissance et vitalité des circuits parallèles

En fait, les circuits parallèles ont peu les moyens de faire et encore moins ceux de faire savoir qu'ils font.

Aujourd'hui les associations d'artistes atténuent tant bien que mal les carences et les dysfonctionnements des circuits institutionnels et marchands mais elles n'ont pas les moyens d'y remédier véritablement. En ce sens, elles ne jouent bien souvent qu'un rôle purement palliatif à celui de l'État et du secteur commercial. Elles constituent une sorte de contre-pouvoir impuissant.

En effet, sur le terrain, on constate que les associations d'artistes sont plus souvent entravées qu'encouragées dans leur développement. Leur potentiel est sous-estimé voire méprisé, leurs ressources sont faibles, leurs actions dévalorisées.

A croire nos contempteurs, nos uvres seraient de charité ! De "bonnes uvres" en somme, donc très mauvaises en fait. Nous avons la réputation de lieux généreux et sympathiques sous-entendu frappés de nullité, car générosité et qualité - comme chacun sait - sont antinomiques alors que prétention, mépris, suffisance et sectarisme sont bien sûr des gages de qualité incontestables.

Sûrs de leur fait, nos contempteurs n'ont nul besoin de vérifier par eux-mêmes la pertinence de leurs préjugés. C'est pourquoi le "monde de l'art" brille par son absence dans les manifestations auto-organisées par les artistes.

Seul ou en groupe, l'artiste semble aujourd'hui condamné à rester essentiellement passif dans son propre domaine car tout est fait pour que ses actions - outre sa petite production personnelle - soient sans portée réelle.

Et pourtant depuis plus de dix ans les actions initiées par des artistes se sont multipliées sous toutes sortes de formes, et ça continue, et ça s'accélère, tout comme s'accélère l'aggravation de nos conditions de vie. Car les situations qui poussent à l'action sont bien sûr les plus insupportables!

état des lieux et lieu de l'État

L 'État porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle.

Les fonctionnaires de la culture vivent de nos charmes mais nous laissent sur le carreau. Tant il est vrai que de l'Etat-soutien à l'Etat-souteneur, la marge est étroite.

Reste que l'un des rôles fondamentaux de l'État est de voir plus loin que le bout de son portefeuille et de se donner les moyens de défendre les secteurs d'utilité générale sur lesquels le privé ne misera pas (ou peu) faute de rentabilité à court terme. Tel est le cas de la création en arts plastiques et tel est le terrain des associations d'artistes.

Il est urgent d'endiguer le rôle perverti de l'État qui - dans son excès de zèle - s'est substitué aux premiers concernés. Tout à son autosatisfaction, l'État nie magiquement les problèmes qu'il a lui-même engendrés au lieu de s'y atteler et de constater le divorce entre ses déclarations d'intention et la réalité de la situation.

A ce sujet, il est éclairant de relire les déclarations des années 80. Ainsi Michel Troche, père originel de la DAP et des FRAC, DRAC, FNAC, FIACRE etc., déclarait en février 82 dans Connaissance des arts:

"Je suis parti de deux constats et j'ai mis l'accent sur deux écueils.

Le premier constat, c'est la déconsidération généralisée à l'égard des arts plastiques, y compris par rapport aux autres secteurs culturels que sont la musique ou les spectacles. Soit déconsidération budgétaire - c'est toujours le parent pauvre - soit déconsidération dans les emplacements l'art est presque toujours, comme dit Crémonini, l'espace des Esquimaux, la décoration des couloirs. Déconsidération dans la presse hebdomadaire ou quotidienne, vous savez comme moi le peu de place accordée aux arts plastiques dans les journaux. Cette déconsidération généralisée à l'égard des arts plastiques doit nous rendre plus exigeants.

Le deuxième constat, c'est que les arts plastiques sont le secteur culturel où la décentralisation et la régionalisation sont les moins avancées. Ce qui demande la mise en place dans les régions de gens responsables et de structures qui n'existent pas.

Quant aux deux écueils qu'il faut éviter, c'est l'officialité et le corporatisme. Même avec les meilleures intentions du monde, nous devons faire très attention a ne pas créer un art officiel. Le deuxième écueil, c'est le corporatisme. Le corporatisme qu'est-ce que c'est ? C'est simplement un groupe qui ne pense qu'à sa défense professionnelle aux dépens d'un objectif culturel plus large. Le rêve des corporatistes c'est d'être reconnus par les institutions, ils fabriquent eux-mêmes l'officialité."

L'objectif était je cite : "de favoriser un développement plus libre de l'activité artistique, de préparer aussi bien les meilleures conditions d'une liberté de création pour les artistes que celles d'une meilleure liberté d'appréciation pour le public."

Plus de 15 ans après, on constate d'une part l'actualité persistante des deux tristes constats de l'époque et d'autre part que les écueils ont été pleinement atteints contrairement aux objectifs.

Concernant l'écueil du corporatisme, Troche (qui fréquentait les artistes contrairement à beaucoup de ses successeurs) ne pensait qu'au corporatisme des artistes c'est-à-dire au nombrilisme traditionnel des artistes mâtiné d'une bonne dose d'arrivisme et de soif de notabilité. En effet cet écueil là est atteint. Mais que dire du corporatisme des fonctionnaires de la culture eux-mêmes ? Si ce n'est qu'il est encore pire car désormais fort puissant et bien organisé.

Ainsi tout se passe comme si le ver était dans la pomme. La question aujourd'hui est de savoir s'il est possible de l'en extirper et s'il peut exister une volonté en ce sens notamment du côté des pouvoirs publics eux-mêmes.

L'État devrait avoir le courage et la modestie de remettre en cause sa stratégie de type "pousse-toi de là que je m'y mette". Son rôle est de soutenir les artistes et les gens de terrain, non de se substituer à eux pour se faire mousser. Son rôle n'est pas non plus de vouloir nous faire prendre les béquilles du capital pour des lanternes à chaque péripétie de ses amours tumultueuses avec le marché.

L'État devrait être au service des artistes et non l'inverse. L'État devrait laisser le terrain aux gens de terrain et leur donner les moyens de faire ce qu'ils savent faire. Son puissant dispositif de diffusion et d'aide à la création doit être remis en cause dans ses fonctionnements non dans son existence. Car il ne s'agit évidemment pas de jeter l'eau du bain avec le bébé.

Je ne prône pas le désengagement de l'État, au contraire l'État doit s'engager davantage et mieux, c'est-à-dire avec des moyens accrus mais dans une voie nouvelle, une voie qui considère enfin les artistes comme des citoyens à part entière et non plus comme des enfants.

les temps changent mais les archaïsmes ont la vie dure.

N'est-il pas grand temps de déverrouiller un système préjudiciable non seulement pour les artistes mais aussi pour ceux qui aiment vraiment l'art car il en existe quelques-uns disséminés un peu partout ?
Je crois qu'ensemble nous devrions fermement défendre le caractère à la fois ESSENTIEL et MODESTE des expériences artistiques.
Je crois qu'ensemble nous devrions créer de nouveaux réseaux d'informations, d'expositions et d'expérimentations capables de prendre les risques nécessaires au dynamisme d'un développement artistique libre de toute tutelle officielle ou mercantile.

Je crois que l'artiste de demain - donc d'aujourd'hui - devra réinventer son statut dans la société.
Un statut qui lui permettrait de faire ce qu'il a à faire et ce qu'il pense devoir faire en toute indépendance. Un statut qui lui donnerait le droit de vivre, de créer, de montrer et de multiplier les rencontres !

Katerine Louineau

vers Barde la lézarde
vers Machines Célbataires