Label, banque de données et droit d'auteur (2)
le label remplace les auteurs, ceux qui s'occupent de l'art éclipsent ceux qui le font
De nombreux organismes institutionnels ou marchands vivant de la création artistique refusent de le reconnaître à travers les auteurs des créations et des originaux vendus-montrés-reproduits par eux
. Les artistes plasticiens sont les seuls créateurs du monde artistique à ne pas être rémunérés pour la présentation de leurs oeuvres.

Droit d'auteur et artistes plasticiens, actualité brûlante
Rappel: Le droit d'auteur est un contrat entre l'auteur et le diffuseur d'une oeuvre, acquise ou commandée. Il prévoit le mode de rétribution de "l'auteur" par le "diffuseur", rétribution progressive dans un temps défini, limité, et au prorata prédéfini des bénéfices générés par les ventes (reproductions ou reventes de droits à d'autres entités ou revente de l'oeuvre "physique" selon le cas), avec ou sans "avance sur droits" à la commande de l'oeuvre (ou achat "physique" s'il s'agit d'une oeuvre plastique). Ce mode de rétribution n'exclut en rien le respect du droit moral, 2e volet du contrat: la reconnaissance de la paternité de l'oeuvre à travers la mention du nom de l'auteur et son autorisation, associées à toute reproduction, représentation, exposition de l'oeuvre. Ce contrat moral, financier et social qui lie le "diffuseur" à "l'auteur" est souvent et impunément bafoué, dans l'une de ses composantes voire toutes, d'autant plus facilement qu'il n'y a d'autre moyen pour l'auteur lésé que le procès pour faire respecter le contrat.

Gratuité
L'ambiguïté ambiante, l'hostilité au droit d'auteur et son actualité par rapport aux nouvelles technologies, sont très justement soulignés par Lucie WALKER et David FOREST, avocats à la cour, dans Libération du 30 mai 2005: "Tout ce qui fait droit aux revendications contre la propriété intellectuelle est désormais marqué du sceau du progressisme tandis que tout ce qui respecte ses règles est réactionnaire". La notion même de gratuité semble introduire une dimension morale: "L'hostilité croissante au droit d'auteur qui sévit dans certains milieux depuis quelques années affiche une bonne conscience qui la fait ressembler à une croisade", disent encore Lucie Walker et David Forest.

Le débat sur la gratuité confine à une croisade générale en faveur du "don"** qui masque le véritable mode de financement des opérations culturelles dans leur ensemble, qu'elles soient marchandes, mécénales, médiatiques ou institutionnelles, voire tout à la fois. L'internet, qui fait en ce moment l'actualité, donne encore prétexte à amalgamer la cause des organismes marchands à celle des auteurs en général et de ceux dont ils "gèrent les droits", diffusent, exposent ou commercialisent les oeuvres en particulier: n'oublions pas que l'exploitant (ou diffuseur) défend avant tout la marque, le label, qu'il a apposés sur des copyrights, et prétend être le seul à tirer bénéfice de cette mine dont il se proclame propriétaire.

On parle surtout bien sûr de la musique et du cinéma, pratiquement jamais des arts plastiques, secteur méconnu qui pourtant fabrique tout un pan important de la culture. Pour en rajouter dans la non reconnaissance, les artistes plasticiens, en particulier, sont les seuls créateurs du monde artistique à ne pas être rémunérés lorsqu'ils présentent leurs oeuvres. Cette gratuité se voit quasiment exigée de leur part, (voir l'art de la rue et sa récupération événementielle), alors qu'ils sont à l'origine d'une production de culture, d'objets de patrimoine, de nouveaux concepts, pour la production desquels on n'aura pas prévu de budget, non plus que pour l'achat, mais qu'on utilisera sans se priver et sans arrière-pensée pour des événements culturels, festivals, symposiums, fêtes gratuites, valorisation de sites naturels ou historiques, iconographie, fonds de photo de mode ou de décoration etc. Alors que d'autre part la gratuité suscite crainte et suspicion sur le marché, notamment de l'internet (téléchargements "illégaux") où prédomine la voix des grands labels et autres banques de données et d'information.****

La gratuité ou le faible coût sont non seulement acceptés, mais voulus et moralement promus dans le système actuel, en tant que réponse unilatérale à des objectifs sociaux de démocratisation, d'information et de "libre accès" à la culture; ils doivent cependant impérativement rester "rentables" c'est-à-dire profiter au système de la culture quoi qu'il arrive, et seront instrumentalisés en ce sens. Pour y parvenir on met en place des textes qui stigmatisent le banditisme de la copie, mettant en péril la diversité des moyens de production de contenu et de diffusion, à commencer ceux qui restent à la portée des concepteurs et des créateurs eux-mêmes. Dans le même temps des aides sont dévolues à des secteurs patrimoniaux comme les musées, des subventions corrigent des coûts d'exploitation trop élevés pour les "gros porteurs" d'événementiel culturel, et l'on pense ainsi réduire les inégalités sociales sans léser ni mécontenter les secteurs qui vivent de l'art. Cette gratuité, finalement, ce sont les artistes qui en font les frais, la supportent seuls, même, par ricochet pervers, dans le cadre de la politique de subvention des lieux d'art, subventions utilisées de préférence pour faire fonctionner le lieu de diffusion et permettre "un prix bas" pour la billetterie.

En réalité, on peut dire que la gratuité est une illusion, un mythe. C'est juste un mode ou des modes de financement opaques (ou plutôt transparents, dans le sens d'invisible, incolore, indolore), qui ne sont pas forcément supportés par les entités mises en avant, bref c'est une "gratuité marchande", très efficace économiquement parlant, et qui se distingue nettement du mécénat autant dans l'intention que dans l'effet.

A ce titre, l'interview du week-end 28-29 mai 2005 dans Libération, de Joëlle FARCHY, économiste et chercheuse, qui "se penche sur les modes de rétribution des artistes sur internet", est très pertinente malgré son titre ambigu et peut-être trompeur "il faut apprivoiser la gratuité sur internet". Quelques passages sont à souligner: "Plus psychologique que réelle, la gratuité doit cohabiter avec d'autres financements afin de respecter une diversité des productions. Seul moyen de ne pas dévaluer dans l'esprit du public la création artistique***." Et plus loin, parlant de media et spécialement de télévision et de "vente de cerveaux disponibles" aux annonceurs: "Le financement publicitaire des médias est un modèle marchand, qui permet la gratuité pour le consommateur". En finale, le moyen de financement de la culture influence plus que fortement ce qui est produit, diffusé, "offert": "La culture devient un produit d'appel pour vendre tout et n'importe quoi", j'ajouterais, avec la permission du lecteur: sauf de l'art.

May Livory 30 mai 2005

*voir:
Machines Célibataires

** voir l'édito "le don de l'art" du tiré à part de Journal d'un Jour de Barde la Lézarde à l'occasion des Premières Rencontres d'Artistes Plasticiens organisées par la FRAAP en 2003 à la grande halle de La Villette: Le Petit L'art-don

*** ce qui est déjà le cas! c'est pourquoi la pente est très difficile à remonter dans le sens d'une gratuité intellectuelle de l'art, c'est-à-dire dans le sens que l'art n'a pas de prix. Nous sommes dans une autre acception de la gratuité qui, avec une logique implacable, appelle le mépris pour ce qui, n'ayant pas de prix, sera réputé inutile, sans valeur (marchande) non rentable, non désirable: on ne revend que ce que l'on a acheté, ce sur quoi on a investi.

****Actu 23 Août 2005, rapportée par Marc Rees sur pcinpact.com:
"
Comme nous vous l'annoncions ce matin,
le Tribunal de Grande instance de Paris, réuni en section correctionnelle déclarait un internaute coupable de contrefaçon. L'individu avait été surpris les mains dans le sac en pleine "diffusion ou représentation" de bandes dessinées sur le Net, depuis un ordinateur "monté en serveur". Attrapé alors qu'il diffusait près de 2300 BD, il a été condamné à verser 1 euro symbolique au Syndicat national de l'édition, qui vient de communiquer sur cette affaire."

Interview de Bruno BELLAMY, auteur de BD, en réaction à cette affaire


pétition émise en mai 2005 par la FRAAP, Fédération des Réseaux et Associations d'Artistes Plasticiens:

NON au démantèlement des droits d'auteurs des artistes plasticiens

La reconnaissance sociale du travail des créateurs passe par le respect scrupuleux de leurs droits patrimoniaux. Cette juste rétribution soutient la création vivante. Dans les faits, les multiples cas de
non-respect des droits d'auteur dus aux artistes plasticiens les plonge dans une précarité structurelle permanente; l'Etat et les collectivités territoriales sont souvent les premiers à donner le mauvais exemple. Ce scandale est aujourd'hui aggravé par une tentative de démantèlement sans précédent.

NON à la disparition du droit de reproduction dans la presse.

M. Vanneste, député (UMP), sous la pression du SPMI (Syndicat de la Presse Magazine et d'Information) présentera à l'Assemblée Nationale le 6 juin 2005 un projet d'amendement portant exception aux droits d'auteur pour les oeuvres graphiques, plastiques ou architecturales diffusées par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne.

Il s'agit en fait d'abolir le droit de reproduction au nom de «l'information». Les oeuvres, «placées en permanence dans l'espace public ou dans tout lieu accessible au public», ne seraient également plus soumises au droit de reproduction. Reproduire n1est pas informer, n'en déplaise à M. Vanneste, qui privilégie les profits de la presse quitte à accentuer inéluctablement la précarisation des créateurs.

Cette surenchère dans le non-respect du droit d'auteur est inacceptable et dangereuse pour l'avenir de la création. Voter cet amendement, c'est tout simplement renoncer à soutenir la création artistique pour céder
à la logique financière des grands groupes de presse ou d'audiovisuel.

Nous souhaitons que le Ministre de la Culture et de la Communication s'oppose fermement à cette modification du droit d'auteur.

OUI à l'application du droit d'exposition.

Les artistes plasticiens sont les seuls créateurs à ne pas être rémunérés lorsqu'ils présentent leurs oeuvres.

Bien que la loi l'exige, le droit d1exposition n'est qu'exceptionnellement appliqué, et le plus souvent par des associations d'artistes ­ c'est-à-dire par un secteur associatif sous financé, qui n'en est pas moins le premier diffuseur de l'art contemporain. Il est ainsi indécent d'entendre des intermédiaires institutionnels, qui eux
sont tous rémunérés, s'opposer à l'application du droit d'exposition.
Précarisés, finançant eux-mêmes la production de leurs oeuvres et leur présentation, les artistes plasticiens auraient-ils vocation à supporter financièrement la chaîne économique qui fait vivre tous les autres intervenants du monde de l'art?

Il faut que cesse l'hypocrisie du Ministère de la Culture, d'un certain nombre de collectivités territoriales et des professions intermédiaires de l'art contemporain: soutenir la création, c'est en premier respecter les droits des artistes et rémunérer leur travail.

Nous souhaitons que le Ministre de la Culture rappelle l'obligation légale du droit d'exposition et demande son application systématique.

OUI à l'application du droit de suite dès un seuil de 150 euros.

Il faut rappeler que le droit de suite a été créé en France en 1920 afin que les artistes puissent recevoir une part de la plus value que leurs oeuvres prennent avec le temps sur le marché. Cette loi est devenue une directive européenne en 2001, qui doit s'appliquer dès 2006.

Pour que la majorité des artistes puissent bénéficier de la reconnaissance de leur travail, le seuil d'application ne doit pas dépasser 15O euros à un taux minimum de 4 %.

Choisir un autre seuil, ouvrir des exonérations, c'est affaiblir le soutien de la création.

Nous souhaitons que le Ministre de la Culture s'engage sans délai sur l'application du droit de suite en faveur des artistes.



FRAAP ­ Fédération des Réseaux et Associations d'Artistes Plasticiens ­ Mail : fraap.action@wanadoo.fr
site : www.fraap.org
Antoine Perrot, le président de la FRAAP, participe avec d'autres invités lundi 6 juin à l'émission "Culture Plus" d'Arnaud Laporte (21h-22h) sur France Culture pour un débat sur les droits d'auteur.

Bibliographie et sources des soulignages

SMIERS Joost: Plaidoyer pour l'abolition du droit d'auteur: La propriété intellectuelle, c'est le vol! Article paru dans Le Monde Diplomatique Septembre 2001 -3- extraits:
"Les grands groupes culturels et d'information couvrent toute la planète avec les satellites et les câbles. Mais posséder les tuyaux de l'information du monde n'a de sens que si l'on détient l'essentiel du contenu, dont le copyright constitue la forme légale de propriété. Nous assistons actuellement à une foire d'empoigne des fusions dans le domaine de la culture, comme celle d'AOL et de Time Warner. Cela risque d'aboutir à ce que, dans un futur proche, seule une poignée de compagnies disposent des droits de la propriété intellectuelle sur presque toute la créatiuon artistique, passée et présente.
(...) Le concept autrefois favorable, de droits d'auteur, devient ainsi un moyen de contrôle du bien commun intellectuel et créatif par un petit nombre d'industries. (...) Les quelques groupes dominant l'industrie culturelle ne diffusent que les oeuvres artistiques oude divertissement dont ils détiennent les droits. (...)
conclusion: "Désormais, l'objectif devrait être de créer un nouveau système qui garantisse aux artistes des pays occidentaux et à ceux du tiers-monde de meilleurs revenus, qui donne toute sa chance au débat public sur la valeur de la création artistique, qui se préoccupe de l'entretien du domaine public culturel, qui brise le monopole des industries de la culture, vivant du système de droits d'auteur."

SOULILLOU Jacques: L'AUTEUR, MODE D'EMPLOI, l'Harmattan, Paris, 1999.

FARCHY Joëlle: travaux sur l'impact des nouvelles technologies sur les modes de financement de la culture
LA FIN DE L'EXCEPTION CULTURELLE, CNRS Editions, 1999
INTERNET ET LE DROIT D'AUTEUR, CNRS Editions, 2003

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