parole d'indigène ! on a vu !

voir la dernière: Vu, 12 décembre 2008, en actionnant le curseur vers le bas


BUZZ...
L'épidémie déjà pandémique de rumeurs malignes s'envenime encore à l'approche de l'hiver: certains mots vous raclent la gorge, le gargarisme est démodé, trouvons vite un petit terme peps pour enrober fashion des rumeurs dures à avaler! Pour faire mouche, pubons pudique en base-line!
BUUUZZZZ! L'expression téléphone arabe* ne peut décemment plus avoir cours! Surtout à l'instant de caler le poussiéreux teasing au ras du bitume des addicts en multipliant les petits signes urbains autour des lieux tendance où sera servie leur daube favorite. Il suffit pour ça de sponsoriser (= fournir les armes à) quelques jeunes artistes anonymes naïfs, ignorants, et trop contents "d'en être". Se fondant parfaitement dans la faune trendy junior, très réactifs, ils se prendront facilement au jeu de la guérilla de l'art en milieu urbain. BUUUZZZZ! dansez, joyeux vibrions! Petites abeilles low tech du label-sous-le-manteau! Semez la graine transgénique! Graffitez bitch partout! Petits insolents lourdés de chez les grands couturiers, n'hésitez pas, griffez vos noms propres, devenez locomotive chez Taddaeus Ropac! Les aficionados seront au rendez-vous pour votre mise en orbite, ils pin-upperont porno chic dans vos faux vintages, vos tee-shirts gore à même la peau!
Faux vrais innocents aux mains pleines... de quoi?

May Livory, mis en ligne lundi 1er Octobre 2001, (quand passait l'interview consentie sur la mode de cet hiver à Elodie Touchard sur RTL entre 5h et 8h30, et pour faire suite au vernissage de vendredi chez Agnès B et à Culture Pub dimanche soir sur M6).
*
Définitions in Terminologie des Rumeurs Malignes


too Goude, écrit dans le métro* station Montparnasse, vu et mis en ligne le 1er décembre 2001
"Quand Ben écrit des conneries sur des affiches, on le paie. Quand moi je m'exprime on m'efface. Jean-Luc."
*à la craie sur le fond noir de l'affiche où Laetita Casta, déguisée en sapin de Noël, dit "J'ai toujours envie d'aller aux Galeries Lafayette", voisine avec l'affiche pour les surgelés "Envie d'Envie", beau fond noir où figure, en blanc: "J'ai envie d'avoir envie, Ben".
rendez-nous la momie de maman!... réminiscence d'il y a 30 ans, émise par mégarde dans l'espace media de la nébuleuse Nova, captée en infra par May Livory à travers le télescope portatif vivant modèle Taddeï de Paris Dernière, 21 novembre, mise en ligne après décryptage, grille Libération du 23 novembre ("Tu vois ce que je veux dire", interview avec photo de Jean-François Bizot*) et Nouvel Observateur n°1932, le 3 décembre 2001:
"
Rendez-nous la momie de maman... " gros titre en couverture d'Actuel, dans ces années où on oubliait déjà les tabliers à fleurs et cabas en toile cirée assortie Ter & Bantine, les jacquards roses trémières de Rykiel et les tifs longs sur col fleuri, au profit du fluo Warhol-Marilyn, du dripping à la qui vous savez et des nouilles à la Keith Haring. A l'intérieur, on n'était pas déçu: double page panoramique, ouvrir en grand, au fond du pli, la momie, petit gnome marron ciré parfaitement recroquevillé en position foetale comme on en voit dans les reportages du National Geographic. Tout autour une somptueuse caverne illustrée, voûte formée de stalactites de cartes postales comme autant d'ex-votos. Au sol, tout ce qu'il faut de tapis, corbillons d'offrandes, encens et bougies. En lisant avidement article et légende, on apprend que les deux soeurs ont momifié leur mère pour continuer à toucher la pension. On reste sur sa faim, c'est un peu mince comme motif à un pareil ouvrage, dont on ne trouve pas la recette dans le premier Larousse Ménager ou fascicule de "do it yourself" venu. D'après leurs allégations, et tous les rituels mentionnés le confirment, c'était pour la garder avec elles pour toujours à la maison. On leur a cependant confisqué leur oeuvre, minutieux et magistral travail de piété journalière, et aussi ce qui leur restait de raison. Choc des civilisations? Non, deux soeurs parfaitement anodines, comme leur pavillon et leur vie, pas d'excuse de religion ou d'origines étrangères, pas d'antécédent à ce crime sans précédent. Le poids des photos, la légèreté des mots!... Après ce n'était plus actuel, on n'a pas eu la suite. Un boulot de reporter, scoop-toujours-prêt, parmi d'autres, un point c'est tout.

C'est cependant ce qui me revient en underground, à la vue de cette fête chez Nova où une zouzette mignonne genre bonne fille se métamorphose en petit caniche rose vêtu-dévêtu pour un strip "entre amis" où on entrechoque les verres en plastique plutôt que de lui accorder un regard (elle dit s'appeller Mélodie et demande "Venez pétrir avec moi, mettez la main à la pâte!"). Fête qui m'en rappelle une autre, géante, et vachement plus déjantée chez Publicis, au temps glorieux de la pub-couilles-en-or, où il y avait des oeufs teints de toutes les couleurs, des filles à poil entièrement peintes, des montreurs d'ours et des télés dans tous les coins.

Comme quoi la barbarie, ce n'est pas nouveau, mais on ne sait vraiment pas où ça va se nicher.

*Dis, papy Nova, manque la capuche au T shirt en dessous la chemise imprimée couvercle de confitures bonne maman, ça fait Star Trek oversized ou marmotte à la fin de l'hiver, pardon de le dire, mais ça reste entre nous, grands parents! A force de couvrir l'actualité, on en oublierait d'élever ses petits.


couples, sur "somewhere over the rainbow", air jazzé par deux engins à vent, à bouche et à mains, vu dans le métro:
accroche1, (image: instruments de musique, fond chaud et couleurs épicées) "L'Orient de mon père est aussi magique que l'Orient de mon petit frère".
accroche 2, (image: boucles d'oreilles ciselées en gros plan, fond rouge) "L'Orient de ma mère est aussi précieux que l'Orient de ma petite soeur".
base line commune aux 2 affiches pour une radio: "Le lien entre l'Orient et l'Occident."

accroche, (image: radiographie d'un soutien-gorge, tons bleutés) "Parce qu'il ne vous en coûtera rien, soyez attentive à l'avenir de vos seins."
base line: "Plus on fait pour la santé mieux vous vous portez. Prévenir. Conseiller. Faciliter. Financer."

accroche, (image: une nana la tête en bas, les jambes en l'air) "Gérer son argent devient facile".
(base line) "La banque d'un monde qui change".

accroche, (image: une voiture) "See the change".
(base line) "Xtreme life".*

May Livory 23 Mars 2002
*voir XXL: oversized, king size... ou X comme les films? (Quand la pub se met au teXto...) Terminologie des Rumeurs Malignes et Litanie de base lines


l'air du temps Vu, arpenté, butiné, décortiqué l'exposition "La Peinture comme Crime, ou la part maudite de la modernité", organisée au Louvre fin 2001. Lumière parcimonieuse, ambiance feutrée en sous-sol, quelquefois dramaturgique, en discrets tons camaïeux de gris. Etonnée de l'importance des textes mis en regard des oeuvres et choquée du ton de ce qui s'y trouvait à lire, pour en avoir le coeur net, j'avais acheté le catalogue*.

Concocté et écrit exclusivement par le conservateur-commissaire d'exposition-critique lui-même, cet ouvrage semble à la lecture un monument à la gloire de sa propre névrose, assénée sans nuance et injurieuse pour les artistes décrits, à longueur de paraphrases obsessionnelles, comme des êtres infantiles hantés par des fantasmes qu'ils ne maîtrisent pas! Heureusement, cet homme du verbe culturel dont le livre de chevet est la psychanalyse en quinze leçons, est là pour tout analyser, des actionnistes Viennois à Odilon Redon, en passant par Pollock, Klein ou Blake. On ne s'en doutait pas, mais ce sont tous des obsédés sexuels angoissés de la castration!

Les oeuvres, finalement, n'avaient d'importance que d'illustration de ce propos mis en tartines à lire à longueur de murs dans l'exposition, et repris, complété sous forme de dictionnaire dans ce catalogue, où notre homme redéfinit les mots, retitre les oeuvres, et va jusqu'à trahir les quelques propos d'artistes cités, en retournant contre eux leurs contestations, dérisions, parodies et rituels, décontexte-tués et recontextués par lui.

Il ne prétend que les artistes ont perpétré le crime de confisquer l'imaginaire de la peinture durant des siècles que pour mieux les nier dans leur compétence et leur expertise à penser leur oeuvre et à manier des concepts. C'est de la prise en otage des idées, du vol (à commencer par le titre de l'expo) et de la trahison. Et ce, commis impunément sous label culturel irréprochable. Exemple malheureusement symptomatique de l'air** du temps, dominé par le ton** culturel employé à longueur de textes critiques et d'articles de presse, mettant à la mode le déni agressif de "l'autre" et sa ridiculisation par l'arrogance et la méchanceté.

May Livory, 30 Avril 2002
* je suis prête à partager mon investissement avec quiconque aurait envie de le consulter gratuitement sur rendez-vous: mail à "la concierge" (en page d'accueil).
** si c'est l'air qui fait la chanson, il faut toutefois y mettre le ton, c'est de bon ton, surtout si c'est ton sur ton.


la fringale des uns fringue les autres, vernissage très chic, musée de la Mode et du Costume, Palais Galliera, d'une expo regroupant un "vivier de jeunes créateurs", sous la houlette de Laurent Cotta, commissaire, et sous le titre "Mode à suivre".

"L'art c'est faire du beau avec du moche", et "Là, t'as l'air riche, mais de l'intérieur", de petites phrases relayées par les media pour la monstration d'un ensemble et d'une robe taillés à vif par les blanches mains d'Edith et Raphaël dans un tissu imprimé d'une photo: femme et enfant faméliques en train de crever de faim quelque part en Afrique. Décidément la frontière entre civilisation et barbarie, entre riches et pauvres, entre beau et moche, n'est qu'une question de point de vue et d'images, même quand on parle chiffon au musée en faisant du vieux avec du jeûne.
Qui fait le beau, qui est le moche? Achetez pour crâner, c'est un acte d'une modernité absolue, bonus, les quelques euro de la vente iront à un organisme comtre la faim, promis juré, B.A garantie, bifidus actif de la digestion morale facile.
Pourquoi pas alors, avec l'art consommé du morphing stylistique qu'ont si bien intégré nos chères têtes blondes technoïdes, faire du riche avec du pauvre, du bonheur avec le malheur, de l'art avec du cochon? Lancer, estampillée musée, pour la rentrée, LA collection complète: des hommes qui tombent des twin towers le11 septembre 2001 en motif placé sur des chemises fil à fil, des manteaux arborant à fond perdu un choix de clichés de napalmés du Vietnam sur fond vert, des caracos avec des victimes des camps nazis sur fond de rayures noir et blanc, des tee-shirts imprimés d'enfants palestiniens kamikazes, des sarouels sérigraphiés sur cachemire de vues des charniers de Srebrenica, des foulards ornés en frise des morts Afghans en containers dans des tons sable et rocher de saison?
Avons-nous raté l'éducation du goût de nos bambins créatifs pour qu'ils amalgament sans nuance le kitsch (mauvais goût avec humour baroque), le trash (mauvais goût sanglant, gore, sex, hard) avec l'indécence? Il n'y a donc personne pour dire que le roi est nu et sa pudeur contestable?

May Livory, 11 septembre 2002


brève de jet, ou fringale de fringues... suite et faim?
Dans la série voir et revoir -voir plus haut- on ne s'en lasse pas!... Quand tombe la dernière feuille d'automne des bonnes intentions prêtes à porter, sur ceux qui n'ont plus rien à se mettre sur le dos (pas sous la dent), Modzik, gratuit de novembre 2002, publie en page 42, en illustration du titre "Agenda-Clubbing", la robe copiée-collée de mères et enfants africains faméliques.
Portée cette fois par une personne de jet set, de chair et d'os.
En légende on peut lire: "Soirée bohême à la coupole du Printemps".

May Livory, 29 novembre 2002.
téléphagie, nuit sur Paris Première, puis quelques jours plus tard, en direct sur TF1, concert de Johnny Halliday au Parc des Princes.
Vu sans le vouloir le film "Irréversible", fin de soirée affalée, les amis partis, pas le courage d'aller dormir tout de suite. Tournis comme au manège, long travelling en spirale, vision nocturne, on est allongé quelque part d'où on voit tout ça, on se fait transporter, brinqueballer. Dans l'ambulance? Stupéfaction. C'est long. Vue d'avion. On descend. Rester. Voir jusqu'où ça va dans l'horreur. Bien filmé, esthétique et profond malaise. On comprend chemin faisant qu'on prend l'histoire à rebours. On assiste aux premières loges, impuissant, scotché, à des choses atroces (viol et autres), encore et encore, trop longuement jusqu'au dégoût, qui peuvent arriver à n'importe qui, et à des choses qui peuvent se passer chez n'importe qui et finir bien, ou mal, ce qui est le cas. Restent des images obsédantes qui ont un drôle de goût.

Lookée par Jean-Paul Gauthier, sous sa cape de cuir noir, l'idole des jeunes descend lentement vers le parterre de ses fans extasiés qui brandissent des pancartes où on peut lire "bon anniversaire Johnny" ou "Johnny t'es le plus fort" ou "Johnny on t'aime". Tout le monde sait que Johnny prépare cela pour ses 60 ans depuis des mois sur la côte Ouest outre atlantique. Il est prêt, il touche terre, rejette sa cape, apparaît dans son habit de lumière, spencer et pantalon pattes d'eph' taille haute. Commence par "Que je t'aime". Cette chanson, ils la connaissent par coeur, comme toutes les autres dont ils mâcheront les mots en cadence sous des pluies d'artifice et des neiges de confetti. Ils prennent ça pour eux. On oublie le texte, enfin son sens véritable: il s'agit d'amour vache, limite viol, sado ou maso. Qu'importe, du moment qu'on parle d'amour... Des mots simples, proférés à grand spectacle. "Qu'est-ce qu'elle a ma gueule?" C'est pour eux aussi, ça. Combien sont-ils? 50 ou 60 000 gueules? Ils gueulent pour Johnny, d'une seule voix qui monte comme la marée. Il leur donne les mots comme des chewing-gums, qu'ils prennent et reprennent comme des mantras. La transe monte. Tout est parfait, réglé au métronome, les choristes se déhanchent au bon moment, les solos de guitare sont sublimes, les cuivres étincelants, le piano cristallin, les cadrages adéquats. Au final, éjaculation géante avec feu mis tous azimuts sur l'ovoïde du Parc des Princes vu d'avion. Trop de tout. Combien de caméras? Régie d'enfer, tout ça formidable, démesuré, parfait. Rien à redire. Pourtant, reste un drôle de goût.

La nuit dernière, j'ai vomi sans raison. Vomi les images.
May Livory, 18 juin 2003


"M'as-tu vue", Sophie Calle à Beaubourg, 19 novembre, soirée de vernissage tout parisianesque où devoir être vu, et, reconnaissable entre mille, dévisager à l'aise un anonymat de très bon aloi. Escouade officielle menée d'un bon pas par Monsieur Aillagon, avec pour satellite Madame Pompidou, très classe et attentive, bien qu'avec un air de se demander "mais qu'est-ce que je fais là?" Surtout lorsque deux intermittents du spectacle, sur un ton assez bon enfant, interpellèrent notre ministre sur des promesses et autres effets de manches dont il se lava tranquillement sur le dos de l'Unedic et des syndicats. Violence des appariteurs se saisissant des deux importuns pour arracher leur maigre banderole, à peine brandie. Dans cette grande pièce muséale aux murs garnis de 84 panneaux de toile de lin sous verre, brodés mécaniquement de textes ressassant une histoire qui ne prend pas aux tripes, sous un même nombre de photos -dont une sur deux montre le même téléphone rouge (sous le même angle, sur ce plumard banal déjà vu sur le mur précédent). Trop de pas grand chose à voir, à lire, à penser, rien à en dire, tout le monde est donc ravi d'un break, pierre bienvenue dans le jardin de cette indécence mondainement dispendieuse. Dix minutes de joute verbale polie, applaudissements sans frénésie et masques mutiques revenus dans la seconde suivante sur tous les visages. Absence remarquable de l'artiste dont l'implication, en robe de demoiselle d'honneur et sandales pointues hors saison, se bornait à biser dans la pièce contiguë ses connaissances, au milieu du ronron de conversations creuses reprises avec soulagement, de caméras et de lits et colifichets de l'artiste exhibés. Près de là, les paroles encadrées, sur ce qu'ils pensaient être la beauté, d'aveugles dont on voyait en noir et blanc, encadrés aussi, les visages aux yeux creux. Mais cela ne nous regardait pas...

Je repense à ces choses bizarrement délectables à situer entre la joie dûe au consumérisme profiteur du meilleur prix au supermarché et celle d'avoir bien perdu son temps en loisirs idiots, simples, vrais, pas chers, en parfait badaud parmi les badauds. L'entre-deux de ces joies-là n'est possible qu'à la condition de n'être pas 'nouveau célibataire' pourvu-revenu-de-tout.
Le(la) solitaire branché(e), nouveau (pseudo) dandy malthusien(ne) en diable, réclame le luxe, non l'ascèse: il(elle) achète, il(elle) ne bricole pas; il(elle) ne lave pas, il(elle) met au nettoyage; il(elle) n'invite pas à la maison mais à la cantine, petit resto d'initiés, plats de pauvre en échantillons, on paie son écot, on en laisse la moitié, on écrase son mégot dedans avec désinvolture; il(elle) ne répare ni ne recycle, mais jette; il(elle) gâche plutôt que de partager ou donner. Sa justification réside dans un égoïsme malin et revendiqué, le dégoût affiché des enfants (des vieux, des chiens, des chats...), du faire soi-même, de la main à la pâte, de l'amour, de l'implication auprès d'autrui, bref, de tout ce qui ne donne pas de cette sorte de célibat lourd, vécu dans la souffrance de l'identité, monacal, tout d'apparence et de distance, une image de truc chic, intelligent, artistique, littéraire, contemporain, luxueux et supérieur.
Vus de cette tour d'ivoire, les "normaux", ceux qui font, produisent, usinent, cousent, souffrent dans leur chair, ceux qui procréent, élèvent des enfants, vivent en famille, sont évidemment des bas-de-classe, incapables de se retenir de baiser comme des lapins, évidemment dans la position du missionnaire, se reproduisant sans imagination, évidemment sans fantasmes ni vie sexuelle intéressante*, bordéliques, ne lisant jamais, vivant en horde devant la télé, adeptes du sac plastique, trimballant des poussettes, des chariots, des marmites. Bêtes, moches, poilus, pleins de mamelles**, de ventres, entassés dans les voitures dominicales, puant le lait, la bière, cuculs, bruyants, riant pour rien, bon public, "ravis de la crèche"***, incapables de 'goûter' un bon vin, de 'ressentir' le beau, de parler d'art, d'éprouver un sentiment délicat, beauf, carrefour, en short, naïfs, barbares, feu d'artifice, vulgaires, interville, miss France, castorama, catch, football, mariage, barbecue merguez, camping, toile cirée, plage à Trifouillis les oies et pétanque.

Que faire? Ils ont un peu raison, même si on n'approuve pas leur snobisme, au fond, on est un peu atteints aussi de dandysme... mais il n'est point nécessaire d'être malthusien, ancien potache nostalgique des grands dortoirs pleins d'adolescents impubères** ou encombré de son être au point de ne vivre que pour se raconter sa propre histoire en devenant célèbre avec, pour savoir ce que c'est que la futilité et la manier avec dextérité.

Et la jubilation dans tout ça?

May Livory, 20 novembre 2003

*contrairement à Catherine M.
**Michel Tournier, "Les Météores"
***Pierre Jourde qualifiant Christian Bobin in "La Littérature sans estomac"
Voir Dandy sur
Terminologie des Rumeurs Malignes


Blanc sur lie, tout sourit, à Lille comme à Roubaix, Tourcoing, Bruxelles, Paris, Rome... on mise sur le blanc! Foin des gueules noires, des corons, de la nuit souterraine, du travail, du pétrole, des boulettes, du cirage, du coaltar, on blanchit tout dans la grande lessiveuse culturelle actionnée par des robots artistiques qui ont loupé les star gates pour rester sous la gouttière de nos villes pavées de bonnes intentions populistes. Mieux que les villes fleuries, les corsos et autres carnavals, après les villes Olympistes aux budgets colossaux, voici les villes Culturistes! Pour dorer le blason européen, rien de tel qu'une carte blanche pour nuit blanche, bal blanc, foule blanche servant d'écran de projection de festivités virtuelles, servies gratuitement comme la soupe populaire!
May Livory, 13 décembre 2003

Epreuves d'artistes
Les preuves de l'art mettent cruellement l'artiste à l'épreuve. André François, assis avec sa femme, lumineux, neigeux, signait à Beaubourg le 17 mars, affiches, catalogues, édition spéciale du Nouvel Obs et réédition de "Larmes de crocodile"... larmes dérisoires, intense émotion, parmi une centaine d'oeuvres faites des restes de la dévoration par le feu de son atelier en 2002, bois calcinés faisant chevaux à croupes dodues, danseurs funambules de métal fondu sur ciels d'aquarelle, "bête d'Ecalgrain", racine de naufrage, le feu appelle l'eau, la grande, son apaisement salé de violence contenue. Culture sur brûlis, alchimie d'oeuvres portées au rouge et réduites à leur extrême cendre, aux côtés des petits pastels campagnards d'un été de fournaise caniculaire. Des photos de quelques unes des oeuvres disparues à jamais, ex-votos un peu idiots mis là pour preuve que c'était "un grand", et sur un grand cartel, une épitaphe à l'oeuvre défunte, par François Barré. Perte irrémédiable! Il aura fallu cette épreuve ultime et radicale pour que l'on porte aux nues, grâce à la mobilisation de ceux dont il a nourri l'imaginaire, un artiste de 90 ans, qui aurait mérité une grande exposition en ces lieux avant que l'oeuvre de sa vie parte en fumée, circonstance qui s'est révélée être une chance pour que cela ait lieu de son vivant. (l'expo dure jusqu'au 7 juin)

Couturier, sculpteur, a subi, lui, l'épreuve d'un vernissage au Meurice le 25, parmi dorures, bergères, lambris chargés, vieux artistes un peu perdus, chanteur célèbre et chenu, Dina Vierny et collectionneurs esbaubis au champagne tout l'après-midi. Assis devant le beau film fait sur lui, qui passait en boucle sur un téléviseur, lui présentant son image devenue inaltérable, fatigué mais faisant bonne figure à ce défilé ininterrompu de gens qui voulaient à tout prix se rappeller à son bon souvenir, comme pour des condoléances: "c'est fini tout ça".

Hier, 31 mars, au Grand Palais, plongée en apnée dans les longs rouleaux chinois faits de brumes méditatives, de traits d'empilements, quinconces, écailles délavées au pinceau, lignes de crêtes pointillées de petits pins noirs, croupes posées sur un sol hypothétique de soie et de papier, architectures de pics suspendus, eaux de vides scintillants, morceaux de montagne posés sur des jardins, des mers de nuages, enserrant un espace scénique où se joue la pensée, tout en force et en apesanteur.
"Le saint, portant en lui la voie, répond aux êtres et aux choses et le sage apprécie leurs images en purifiant son coeur. Quant aux montagnes et aux rivières, ces intangibles, leur charme est spirituel" (Zong Bing, fin IVe-début Ve "Introduction à la peinture de paysage")

May Livory, 1er avril 2004


chou vert, plat de saison pour têtes blanches et nuit blanche, hé oui, rebelotte, le patrimoine grand ouvert, les lieux "insolites" introuvables et les "artistes animateurs" en gais lurons:
Pour finir l'hiver en potée,
chou vert, chou blanc bien effeuillés!
May Livory, 11 octobre 2004
sac, objet culte depuis que les nomades sont devenus sédentaires et qu'ils ont troqué l'arme contondante contre l'escarcelle bedonnante.
Fait l'objet de toutes les convoitises, de toutes les futilités, les ingéniosités, les luxuriances, du sac à tout au sac à rien, du filet à provisions au "bag" publicitaire, du sac plastique au sac papier de marque "arty", du sac à main du soir au sac à dos urbain, du sachet couture à la sacoche de plombier, en passant par la commune panse artificielle portée en sous-ventrière, pour dériver en holster à portable, nouvelle arme portée sous le bras, à dégainer très vite, et la boucle est bouclée. Beau et chic vernissage au Musée de la Mode d'une exposition superbe, l'affaire est dans le sac avec 'le cas du sac', en ce mois d'octobre 2004.
vu & entendu en différents lieux...
Pour finir une journée "de gardienne", hier, à La Loge de la Concierge, marathon à Paris Photo, au Carrousel du Louvre. Public d'initiés, people de vernissage au menton haut, men in black gardant l'accès de la mezzanine où les happy few s'empiffrent une coupe de champagne à la main, regard au balcon. Dans la foule, on entend "Quelle réussite! C'est formidable!". Lesquels sont les photographes, lesquels sont tenanciers de galerie, lesquels sont à proprement parler le public? Peut-on les aborder? Sont-ils abordables? Tout le monde semble harrassé, trop de monde, trop de choses à regarder, de femmes sur échasses de couleur, épaules nues, alanguies dans les stands ou surexcitées dans les allées. Regard peu complice sur ces grands tirages modernes pleins de couleur et de perfection, plus que glacés, dont on se repose malgré soi sur le velouté des miniatures anciennes, si voluptueuses dans le grain, la texture, les nuances, et même l'imperfection, si touchantes, souvent, dans leur sujet, immédiatement perceptible. Quelques hybrides de reportage et de fiction, comme il y en a tant à présent, retiennent l'attention par leur forte ethnicité, d'autres obligent à lire la légende, sans quoi la représentation offerte manque son but.

On s'éjecte éreinté rue de Rivoli, la fraîcheur du pavé nocturne, luisant, fait du bien.

Chez la concierge, aujourd'hui, public attentif, détailleur, venu, comme chaque jour, vérifier la légende colportée par Laurence Le Saux dans le guide Télérama, voire plus "si affinités" avec l'art. Oui, il y a bien eu une vraie concierge ici, 50 ans de vie, voilà l'emplacement de son lit, de son évier, de son casier à courrier, et l'étiquette en plastique pieusement conservée: "la concierge est dans les escaliers, revient de suite". Le fenestron par lequel elle surveillait la montée de l'escalier, le volet de bois ajustable au carreau de la porte derrière lequel elle se calfeutrait la nuit venue, la fenêtre d'où elle épiait la rue, les entrées, les sorties. Oui elle est partie en 93, hospitalisée par ses enfants le soir de Noël par ce qu'elle "s'était mise à manger du papier", oui l'art est à sa place en ce lieu si particulier. "Quelle imagination dans ces collages!", "quelle bonne idée le papier mâché", "moi aussi je fais des collages", "qu'est-ce que c'est une base line?", "merci, j'ai appris des choses, je regarderai la publicité différemment", "vous ne donnez pas des conférences?", "je peux prendre des photos, c'est notre enseignante qui nous envoie, étudiantes en architecture?", "je sors de Beaubourg, je peux m'asseoir?", "c'est calme chez vous, on peut
tourner les galettes?".

May Livory, 12 novembre 2004
Yes Men "Bonjour les français! Selon notre base de données, vous habitez en France. C'est pour ça nous vous informons que le film sur nos aventures, mystérieusement intitulé 'The Yes Men' (http://www.theyesmen.org/film/), est actuellement en salle à Paris, au MK2 Hautefeuille (métro St. Michel/ Odéon, tel. 08 92 69 84 84), tous les jours13h30,15h40,17h30,19h40 sauf vendredi et 21h30 sauf vendredi
(http://www.mk2.com/new/films/Fichefilm.asp?ID=2608).
Il sort aussi en province; dès qu'on aura des infos plus précises on les mettra sur le site. Merci d'avoir lu jusqu'ici! "
Andy et Mike, Sat, 2 Apr 2005 15:12:07 +0200
NB. un livre aussi vient de sortir, sur les Yes Men et leurs happennings politiques médiatisés parce que crédibles, canulars très bien ficelés et autres "corrections d'identité"*, et également une interview chez Karl Zéro dimanche dernier et un portrait de Andy en dernière de couv de Libération du 28 mars 2005. (site internet: theyesmen.org)
*
"Se glisser dans le costume de ses cibles pour outrer leur discours et user des médias pour les ridiculiser", propos rapportés par Florent Latrive et Christian Losson.
Qui aide qui... à accoucher de sa douleur? Vu hier soir sur Canal+, pas encore projeté en salle, le film sur "my country" de John Boorman où Juliette Binoche, interviewée en entrée, madonise en actrice journaliste (film dans le film, action dans l'action dans l'action), sur fond de post apartheid et de grands pardons collectifs auxquels on assiste entre des trajets en bus et des discussions en famille ou entre journalistes au bar de l'hôtel. Comme suite, le "vrai" reportage de sa soeur, en guise de "making of". De très belles figures d'hommes et femmes, la compassion à l'africaine (le bountou) expliquée, comme enseignée, la beauté du pays en toile de fond à la souffrance, la joie, la terre remuée rendant des corps, des os, qui met les âmes à nu... la joute entre la blanche afrikaner et le grand reporter noir américain aurait été beaucoup plus puissante sans cette bluette amoureuse qui met les acteurs dans un jeu de people sexy discutable. La trop grande présence de ces deux personnages et l'enquillage du film reportage-fiction et du reportage-making-of du film diluent dans la redondance et affaiblissent le sujet principal, grave et beau. L'esquisse, à base d'interviews des figurants locaux, qui brosse la réelle toile de fond du tournage, plus forte qu'une reconstitution devenue happening, laisse sur sa faim.

Ainsi font, font, font, aller voir vite avant le 5 juin, les marionnettes en biennale internationale au parc de la Villette, Noisy le Sec, Cergy-Pontoise, Pantin et Aubervilliers depuis le 12 mai! Que des merveilles, de la force, de la beauté, de l'intelligence, des arts en symphonie d'imaginaire, films d'animation, univers plastiques modestes, luxuriants, "p'tites maisons", "fonds de tiroir", "Clasticages", "armoires sensibles", petites "baraques" habitées d'animalcules qu'on regarde du dessus, personnages ciselés, stylisés, absurdes, capables d'aborder avec une force inouïe les sujets les plus graves, difficiles, délicats à manipuler, ténus comme les fils de ces personnages virtuels qui forcent à un autre regard et dévoilent nos ressorts secrets autant que la poésie du monde! Ce soir, je vais voir Jean-Pierre Larroche, "artisan explorateur", manipuler des objets "A distance" au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers. Il reste aussi quelques séances pour son spectacle "Prolixe", sainte à la tête coupée en morceaux après une décollation, qui continua à parler mais dont on ne retrouvera jamais tous les morceaux. (01 48 33 95 23).
Et tant d'autres encore... à suivre absolument sur www.biam2005.com
May Livory, 2 juin 2005
7 à Paris, espace Blancs Manteaux: Street art Exhibiton, avec, entre autres oeuvres collées in situ de bons artistes de rue qui se sont déchaînés, les portraits géants de jeunes gens de Montfermeil et ailleurs bien cadrés par JR et marouflés sur les murs extérieurs et ceux de la Maison Européenne de La Photographie, jusqu'au dimanche 22 avril 2006.
Auz TV SHOW: Vincent Cassel présente JR dans l'émission AUZ d'Aline Dimanche 22 avril sur France 5 à 19 h.
EVERY DAY A NEW PICS ON: HTTP://WWW.JR-ART.NET - Clocheman: Homeless read the story on http://www.clocheman.com

Vu
Pas grand chose. Rien.
Autisme délibéré.
Retrait au boudoir. Rejet de ce qui est vu, trop à voir, trop bavoir?
Vu, bu, beau, bis. Béant. Lacunaire/excédentaire?

Fermer les écoutilles et les mirettes. Entrée consentie. Coin du feu. Verrouillage rétro-actif. Ingres, non, pas ces mains molles. Pas d'odalisque à l'épine dorsale. Pas de musée. Pas de sortie. Aucune exposition. Masques de jour comme de nuit.
Plus de films. Les heures concédées à la somnolence? Moins de sommeil. Réveil tôt. Moins d'appétence. Moins de visite, moins d'appels, aucune demande, plus une sonneries. Des merles, sans plus.
Rentrée au cabinet de réflexion. Fléchissement de l'activité rétinienne. Double flexion du nerf optique avant droit. Remuer lobe oreille gauche.Lever sourcil. Faire sourdre des pins les résines et des thérébentes les sucs.¨Pas un café qui sur les murs ne donne à voir les images. Aucune distraction.

Oui, cette caméra et les rires devant l'écran en miroir aveuglant!

Isabelle Dormion, 24 avril 2006
*en fait j'ai revu cinq fois Ingres, que je connaissais bien pour l'avoir découpé dans tous les sens.


Violons Ingres et poussons Bellmer dans le désordre
Moi aussi, j'ai vu Ingres au Louvre*, son violon, ses velours et ses dentelles si bien léchés; le flou de ses chairs nacrées, de ses gorges rengorgées, cernées d'un rang de perles, d'un petit voile blanc plissé, de ces visages émergeant d'un lourd damas sinople, d'un bourrelet de fourrure sombre; les mains, qu'il fait sortir de manches, d'écharpes ou de manchons de vison, comme des lapins, les mêmes mains dirait-on, pour les hommes ou les jeunes filles, trop énormes pour les carrures, les épaules qui les portent et qu'elles prolongent; les figures semblent de celles composées en cadavres exquis et raccordées, voire recollées, de textiles ouvragés. Les portraits à la mine de plomb délicatement campés d'un trait sensible et assuré, sont mille fois plus vivants que les grandes huiles, dont le "rendu" d'ornements bien tournés forme une enveloppe de lisse pérennité, tue l'expression, mais rassure sans doute l'oeil et l'esprit du commanditaire en suscitant son admiration. Malgré tout, cette perfection, miracle, irradie d'une présence immanente.

Vu aussi Bellmer à Beaubourg. Ses poupées bien sûr, un épisode somme toute isolé dans son oeuvre, qui semble tourner court dans des photos-souvenir de bondages, cruels ficelages qui découpent les chairs en successions de surfaces courbes exacerbées. Ses dessins un peu crapoteux des débuts, à la noirceur titubante, aux tourments intéressants avec des géométries emboitées sans fin à la spatialité étrange, opposant pointes et courbes, angles et lignes d'arabesques. Eux aussi, se sont lissés, aplatis, coloriés-pastellisés, pour esbaubir le collectionneur de leurs très finement sinueuses prouesses esthétiques gravées.

Vu Nova Italia, une aventure de l'art italien 1900-1950 au Grand Palais**. Le qualificatif "nouveau", surtout pour l'ordre, sonne les cloches à la volée dans un ciel métaphysique plombé. Celles dont le son, qui se voudrait clair, brillant, plein de la vie bambine moderne d'un univers reconstruit à coups de manifestes aux joues roses comme ces clowns géométriques, ces danseuses robotes facettées en toupie, se fêle de sourdes inquiétudes existen-ciel(les) en gris pâteux dans les places d'Italie peintes par Chirico, mélancolie des signes, prémices des glas futuristes.
En point d'orgue, hommage circulaire à la beauté monacale et intemporelle de Morandi.

J'avais vu, et cela me le rappelle, Mélancolie, Génie et folie en occident au Grand Palais***, où Jean Clair présentait un gigantesque et luxueux cabinet de curiosités gainé de camaïeux de gris et verts-de-gris veloutés, arpenté de maint visiteur, dont la dégaine, bercée d'un choix musical sur mesure, laissait à deviner certaines accointances recherchées, feintes, toutes faites d'attitude ou naturelles, on ne sait, avec le sujet, arborant des mines de circonstance pour preuve, enfin éclatante, que la déprime est toujours aussi bien portée. A-quoi-bonisme élégant? Justification d'un lâche abandon au destin? Posture-manifeste hautaine d'un certain célibat élitiste? Entretien soigneux d'un dandysme, parfois pseudo scientifique ou religieux, toujours extrêmement malthusien? L'humeur noire, morose, est délectativement narcissique. Elle se nourrit de sa propre contemplation bileuse, s'hypnotise de son petit abîme, résumé au miroir de sorcière. Je ne laisse pas de n'y trouver profond que le ridicule achevé du poseur. Et de me souvenir in petto, en m'engouffrant dans la bouche du métro Champs-Elysées Clémenceau, du proverbe shukaba: "Le trou du cul qui se prend pour le nombril du monde fait une erreur grossière d'anatomie". Pris en notes: pensée stupéfaite - vertige de la folie - inaction morbide - pâleur maladive - romantisme du Dieu absent - tourment ostentatoire - beauté hébétée du désespoir sans fin - solitude massive comme le roc nu, figée comme l'eau-miroir, les flammes noires des ifs de L'île des morts d'Arnold Böcklin (1883), fragile et exaltée comme Le Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich (1808-1810) -
"Ils ne pensent qu'à leur retraite (...). Leur idéal d'hôpital d'Etat, une immense maison finale et mortuaire (...) comme un chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à la retraite. C'est une mentalité de pensionnaires et de pensionnés. Toute la question est de savoir si le monde est destiné à devenir un immense asile de vieillards." Charles Péguy, vers 1900

May Livory, 2 mai 2006
*Février-mai 06, Hall Napoléon
** 5 Avril - 3 juillet 06
*** 13 octobre 05 - 16 janvier 06, et aussi Vienne 1900


Odeurs & humeurs arts déco
Rentrée. Un mot gris sentant la blouse, le couloir, le matin bleu after shave et noir comptoir. Pourtant Paris affiche une fin d'été qui s'étire sur les trottoirs, féline, en robette de mousseline et espadrilles. Dans son sillage, des effluves de fleurs coupées, de pluie sur une terre chaude, pas encore la moindre de ces senteurs lourdes d'humus des feuilles d'automne. La rumeur aussi, émet une odeur, voire plus puisque c'est un parfum, comme l'a décrété Lanvin sur une affiche, vue en passant rue de Rivoli.

Au Musée des Arts Déco*, réarchitecturé de frais dans une splendeur retrouvée, ça sentait le neuf du vernis sage sur neuf étages et le champagne dans la grande nef claire, tamisée d'écrans ovales zénithaux. La presse se pressait autour des hôtes, hôtesses, conférenciers et conférencières, circulait recueillie dans les galeries comme en un immense cloître, le plan à la main. Neuf étages à monter -et à redescendre- en toute chronologie de notre prestigieux art de vivre français, cy montré bien astiqué, bichonné, redoré, retissé, remarouflé, rebrodé, retapissé.
Partout la recherche de la beauté dans l'utile oscille, dans un concours de matériaux plus "nobles" les uns que les autres et de "grands noms" de créateurs ou de collectionneurs, du baroque le plus frénétiquement maniériste à l'épure la plus minimaliste. On chercherait en vain l'objet modeste, ici tout est superfluxueux, que du "must", même dans la galerie des jouets! Les reconstitutions d'intérieurs, notamment le boudoir, la chambre et la salle de bains de Jeanne Lanvin, entre autres bibliothèques, salles à manger ou riches salons d'hôtels particuliers, obligent à s'agglutiner pour jouer les voyeurs aux divers points de vue vitrés, à moins d'entrer un peu jusqu'aux cordes, limites permises, dans des intimités intimidantes à la lumière parcimonieuse, conservation oblige.
Un chemin de traverse est offert: le siège à travers les âges, comme "fil rouge" à suivre dans ce dédale, du Moyen-Age à nos jours; les représentants de ces derniers siègent au poulailler, dont la vue sur Paris et le jardin-tapis des Tuileries n'est pas le moindre des attraits: plus d'un visiteur se laisse choir, contemplatif, sur les quelques marches offrant en embrasure de fenêtre le mini amphithéâtre adéquat. Quelques sièges extraordinaires sont mis à disposition pour regarder une projection, allongé, en balançoire ou accroupi. Autres gestes, d'assise ou de passant, face aux sièges vides et aux objets, montrés cette fois sans chronologie mais en de pertinents rapprochements, dans les "galeries d'études" thématiques, où des pointes d'humour en clins d'oeil ethnographiques sont à noter comme nouveauté d'orientation sur les cartels. Une démarche pluridisciplinaire humaniste s'annoncerait-elle au sein de cette aile du Palais du Louvre, fréquentée surtout, jusque là, pour sa bibliothèque, par les étudiants ornemanistes, décorateurs et stylistes? Ouf! la mission de monstration patrimoniale orientée tourisme ne sera peut-être pas tout à fait exclusive en ce musée! Le discours des conférenciers qui ont participé à l'élaboration des galeries d'étude évoque enfin, au-delà de l'appellation savoureuse des objets et de leur description, au-delà des illusions du bon goût et des utopies du design, ce dont ils témoignent, ce que recherche l'être humain dans un meuble, un ensemble, un décor, pour siéger, trôner, exposer des trésors, collectionner, faire sous lui, basculer, somnoler, dormir, lire, travailler, parader, s'asseoir sans froisser son habit, voyager, manger, se divertir: la fonctionnalité, certes, mais si peu! Alors, quoi d'autre?

May Livory, 14 septembre 2006
*Les Arts Décoratifs 107 rue de Rivoli, 75001 Paris - M° Palais-Royal, Pyramides, Tuileries - mardi - vendredi 11h - 18h , samedi et dimanche 10h - 18h , nocturne jeudi jusqu'à 21h


Glyptique- trucs et trocs
Au Musée du Louvre, le vestibule de la salle des Archers abrite une copie en grec d'une lettre de Darius aux Galates. L'angle formé par les pavillons Colbert et Richelieu permet de voir s'écouler dehors le flot des visiteurs et celui des promeneurs, de distinguer ceux d'entre eux qui ne font que traverser pour se rendre à un rendez-vous, déjeûner sur le pouce dans un café du coin, acheter un journal, s'engouffrer dans la station la plus proche ou retirer in extremis deux billets simples pour les Cyclades métro Pyramides. Quelques uns, jambes nues, courent en nage d'un point W à l'autre, Y, selon un itinéraire subjectif-variable I f (X-A-Z), d'autres courent d'un temps horaire à sa perte, d'un temps (t) de liberté à la fraction de seconde qui l'annule (-l).

Dans une vitrine, deux sceaux épistolaires portent l'enseigne d'Ahura Mazda, le dieu solaire aux larges ailes, inséré dans l'ample globe d'or. Plus loin, la pierre de fondation du palais «je suis Darius, le grand roi, le roi des rois, le roi des nations, roi sur toute la terre, fils d'Histaspès, un Achéménide».
En face, provenant des fouilles palatiales, un sceau en marbre jaune est exposé à côté d'un même sceau en jaspe brun, de diamètre identique, à quelques microns près. L'un est une «scène érotique», l'autre, paraît-il, un «personnage royal maîtrisant des bouquetins», un troisième (n°18) serait une «scène composite»(?). Une erreur de présentation inverse l'ordre des sceaux et compromet la lecture des moulages d'argile déroulant le dessin cylindrique: une femme de quelques millimètres, portant une coiffure en chignon lilliputien, tient à la main une coupe haute (0,50mm), elle est couchée sur un lit-table sans linge ni drap, accoudée sur le bras gauche. Lui fait face un tout petit personnage (fier) chevauchant une sorte de dauphin (ou de grosse morue), rien dans la légende, hormis la proximité d'un hibou juché dans les airs, et quelques algues adéquates, n'indique un quelconque dieu-de-la-mer. Le petit bonhomme plein d'initiative maritime est armé d'un trident qu'il pointe sans coup férir vers l'hôtesse péri-urbaine bien allongée sur son séant, une loupe permettrait de visualiser l'ébauche d'un sourire d'avant-boire, de stupre (ou de pure expectative) - nous tombons là dans l'interprétation aléatoire, le commentaire muséographique (l'art comme déviance, l'artiste comme criminel). Sur l'autre pierre (faussement étiquetée n°17), deux animaux à cornes torsadées, profilés vers la gauche, sont maintenus par un type, nez camus coiffé d'une énorme couronne à trois étages (1,5mm), qui bande les triceps pour assurer la représentation du pouvoir Achéménide et ceci à perpétuité.

Madame la Conservatrice, je vous serais donc très reconnaissante de veiller à l'excellence des indications étiquetées (à caractère essentiellement didactique) dans les vitrines et avec mes salutations, veuillez... etc, etc...,

Isabelle Dormion, vendredi 13 octobre 2006


Session reportée
La visite du pavillon des Sessions implique d'entrer au Louvre par la porte des Lions ou de revisiter l'intégralité de la peinture française, la galerie espagnole, et de traverser ensuite l'exposition Nouvelle intitulée "Corps écrits".
Derrière la Sainte Apolline de Zurbaran, une petite salle de repos abrite un buste esseulé de Murillo. Quelques marches permettent d'accéder à une baie vitrée donnant sur le Carrousel et les statues de Maillol, assaillies par un groupe d'adolescentes anglaises. Il n'y a que trois pas à faire pour retrouver derrière une petite esquisse de Giovanni Battista Tiepolo "Le triomphe de David" (1716) faite pour une commande du "Premier Livre de Samuel" qui ne s'est pas réalisée. Le jeune berger, appelé à devenir le second roi d'Israël est fêté par une musicienne jouant du tambourin.
La salle des dessins de l'école de Rembrandt expose un panneau mural qui insiste sur l'obligation, l'expertise, le travail analytique (grand panneaux de 3mx1,5m), celui, muséographique de distinguer parmi les croquis les copies, comme "Tobie et l'Ange", de ceux qui sont authentifiés, exposés sur le premier pan de mur: "Le repas d'Emmaüs", "Booz rencontre Ruth dans son champ" et surtout "Le lion auprès du prophète désobéissant" qui attendrait un visiteur solitaire et critique pour le dévorer.

La salle des "corps écrits" est laissée dans le noir, éclairée par des lumières artificielles venant du plafond en spots montés sur une rampe. Est éclairée en priorité une grande table centrale qui scinde en deux le flux des visiteurs, créant un désordre apparent, un embouteillage vers les deux installations vidéo: sous la dictature militaire au Brésil Sonia Andrade (1977) a réalisé une performance où elle est filmée s'enfilant un fil de fer et l'enroulant autour de sa tête. Les textes centraux, traduits en plusieurs langues disent "que la violence graphique, porteuse d'une déflagration d'un sujet passe tant par le traitement imposé à la figure que par la mise en page contrainte de celle-ci dans le cadre de l'image".
L'obscurité, le grincement des pas sur le parquet, le va et vient des visiteurs, le passage obligé dans un couloir réduit après les salles spacieuses de peinture espagnole créent une agitation que rien ne permettrait de qualifier d'"événement" au Musée, sauf l'intention, manifeste. En effet, les systèmes vidéo installés au fond de la salle gênent l'observation attentive des dessins de Degas, des études de modèle vivant comme les "jeunes filles provoquant les garçons à la lutte" (1860).

Les dessins sont exposés sur des pans de mur d'un bois sombre et protégés par une rampe, qui ressemble à une barre de danse, courant sur l'ensemble de la prestation animée.
Un autre exposé horizontal et lumineux intitulé "Plis"* s'impose à la lecture: "Les images s'engendrent et s'habitent l'une l'autre, de l'humain à l'animal et réciproquement, du passé (visible ici dans les résurgences de Goya et de Rubens) au présent de l'acte graphique. Elles laissent affleurer une expérience intime de l'altérité un regard sur la nature intrinsèque de l'art de l'artiste".

Le visiteur poursuivra imperturbable son chemin, une vingtaine de personnes défilant en file indienne pour former un bouchon en faisant de concert grincer le parquet, s'il veut apercevoir une étude de Delacroix pour la mort de Sardanapale, mine de plomb et lavis (25 février 1864).

Isabelle Dormion, 19 octobre 2006
* Tapi dans l'obscurité, le commissaire d'exposition, pas vu, pas-Plis


Bougons, boudons Dogons
Le pavillon des Sessions nous appartient si nous y entrons. On peut refuser d'obtempérer quelques années, contrarié par l'usage imposé, forcené, à ces objets hautement culturels. L'esprit distingué de Robert Jaulin nous visite nuitamment*. Sinon, déjetées, ces statues le soir trépignent, frappent le sol, psalmodient, se réunissent en cercles, forment des bandes jusqu'à Grigny, vont, se vengent et nous transbahutent aux Gémonies -brinquebalant des osselets. Dans une petit cabinet noir destiné à "l'interprétation", on voit donc, hommage lui soit rendu (on a les yeux pour y voir et les esgourdes ici très pavillonnaires), Jacques Kerkache devant une porte de pierre en démolition laissant apparaître en coupe la structure de l'ancien bâtiment, au cours de l'installation des collections, pièce par pièce, que ses mains gantées de blanc inclinent au centième de degré près dans les cages de verre. Jacques Kerkache commente chaque oeuvre (là, rupture, là, un bourrelet, ligne de force, tension, modernité, là, Calder, là, Brancusi, là, Henry Moore, là, Giacometti. Et "la communication entre les artistes" (dans la forêt profonde? Sur le fronton dogon? sur la banquise? Lipschitz//l'Inuit encacoulé? Communication à travers l'ineffable? influences inter-continents? Open/orange/Internet1 megamax? non, ultra galactique? Nokia? suprasensorielle? Inter-temporelles? Delphes/Table du Bénin? Même topo? On plaisante?) là, "venez!" dit l'hôte des bois sacrés (mais vieillis, piqués des vers), celui des statues de l'île de Pâques immémoriales (mais perdues à Paris) "nous allons en Alaska!". On le voit presque sous nos yeux passer la porte béante sous les pierres démolies du chantier, il a une casquette, une tête, humaine, trop humaine, sur l'esprit refermons la page, quelques pas, la voix s'éteint puis il disparaît de l'autre côté, embarqué par les dieux qu'il a domiciliés, vers d'autres lieux encore inconnus.

En effet, l'enseigne Kanak (très ancienne, XVe) dressée vers les cieux, a l'armature d'un grand peigne, dont manquerait une dent que le temps aura d'abord érodée, puis détruite. Peut-on jouer ainsi en toute impunité avec l'un des miroirs tendus aux dieux par malice?

Isabelle Dormion, 26 octobre 2006
* "Par exemple, nous bavardions jadis sur un pied d'égalité; il convenait maintenant que je fusse assis à leurs pieds ou accroupi à même le sol alors qu'ils s'installaient sur une natte ou un tabouret; ceci se passait avec une si joyeuse délicatesse que j'en étais pleinement heureux."
Retour aux sources
Grâce à Boucher de Perthes, l'Académie n'a pas cessé de nous dire combien en nous le singe sévit depuis les temps immémoriaux.
L'homme est une antiquité antédiluvienne.
Le symbole est son partage.
Agricola en 1535 avait déjà inventorié les archaïques «pierres de foudre», accessoires utilisés pour la guerre et non, comme on le pensait, des instruments talismaniques. La religion est le fourre-tout concerté des ignorances disjointes. La pierre de foudre pourrait bien être belle, magique et instrumentale.

Visitant une galerie d'art contemporain, je suis invitée à regarder des trous pratiqués dans une moquette bleue par une machinerie du régisseur à seule fin artistique. Sans spectateur, sans sa présence, sans son corps, reste la béance de la représentation. Dans un angle de la pièce, quelqu'un a déposé 750 grammes de bananes (pesées) dans un sac en plastique. L'autre pièce abrite quelques ouvriers (dont au moins un espagnol) qui édifient une cabane en bois pour artiste/action. Quel serait donc le lien entre les fruits, les ouvriers, les perceuses utilisées pour les trous des panneaux, l'art contemporain, le lieu, le temps?

Météorologie: vents violents, accalmie en fin de journée. Temps: fin 2006. Date vendredi 8 décembre. Le lieu: le Plateau. L'art, pensé par des artistes vivants, oeuvres achetées par la FRAC en vue d'enrichir la collection. Trous: modalités d'installation, trente personnes, trois mois/vernissage trois heures, budget, trois ans de salaire. Quant aux fruits, c'est la question élémentaire. S'agit-il d'une offrande propitiatoire? L'art contemporain est un paramètre d'un jeu sacralisé. Le don est ici anonyme. Qui l'a déposé là? A quelle intention? Peut-on les reproduire en nature morte, les consommer sur place, les emporter, les échanger, les plastifier, les recouvrir de silicone, de mousse à épiler, les jeter sur le mur, comme fait le peintre d'à côté, j'ai oublié le nom de son assistant. Dans l'angle du mur est écrit Hope. Près des trous est laissé un cercle de plastique, Hoola-Hoop, de couleur jaune.
Autant de questions auxquelles répondre en allant aux sources. Les bananes, dans le sac en plastique? Des organes préhensiles nous permettent de les saisir promptement, de nous en emparer dans la cabane de l'artiste mitoyen et de les dévorer seule, accroupie sur un trou du tapis, laissé à cet effet sur le tell, en excluant toute possibilité de partage avec le groupe des jeunes visiteurs.
Le lien anthropologique? Je n'en épargne pas au surfeur l'économie (15 ans d'études) tant la prédation nocturne obsessionnelle le caractérise.
Si le premier lien est établi entre les bananes et les hommes de main*, les ouvriers, serviteurs de l'artiste sinon de l'art, c'est une sur-interprétation.
Si le deuxième lien est établi entre les bananes (Franprix/Champion/Leclerc?) et l'art sacralisé, c'est une interprétation esthétique.
Si le troisième lien est établi entre les bananes (épicerie arabe du coin) et les ouvriers, par l'intermédiaire des agents du Plateau c'est une interprétation politique.
Si le quatrième lien est établi entre les bananes (marché du dimanche) et les spectateurs, c'est une interprétation culturelle. Art interactif.
Moi, spectatrice, je les prends, il est midi, c'est une offrande pour moi, l'hôtesse (mot ambigu), l'invitée des lieux, je sais que j'en suis la destinataire et en ce moment convivial du repas de midi, partageable avec nos commensaux. Je peux envisager de les flamber au rhum de Guadeloupe, arrosées de cassonade du Nord ou de mélasse danubienne (après les avoir épluchées)***, en jouant de la flûte? Non, c'est du pipeau ****.
Grâce à ma sapience, moi, spectatrice cultivée, d'espèce plutôt gracile erecta je saisis délicatement avec les mains ces fruits déposées là (par courtoisie?) je les partage en menus fragments, je les offre aux autres et je rejoins seule ma tribu par delà le fleuve. Mes yeux n'ont rien vu que les gros trous dans la moquette, comme évidée par les flammes d'une torchère.
C'est un contre-sens**. Allons y. Contre-courant. Loin.*

Isabelle Dormion, 12 décembre 2006
*Pointe de la Font-Robert en silex, Laussel, pointe de la Gravette en silex, burin multiple mixte de l'abri Labattut ­ émergence de l'homo sapiens sapiens.
** métro Jourdain
*** Débris culinaires des chasseurs-cueilleurs du site de Pincevent.


Carte blanche pour chambre noire
La salle dans l'obscurité absolue n'est accessible qu'à un nombre restreint de visiteurs. Les autres surnuméraires attendent derrière un rideau noir qui ne laisse filtrer la lumière qu'au moment précis où l'entrant et le sortant peuvent se croiser. Le premier d'un rapide coup d'oeil scrute le visage du second. Dans le noir, à tâtons, il faut quelques secondes pour trouver un repère, un oeil lumineux, puis un autre, comme la nuit, les lumières retrouvées d'un voyageur égaré. S'habituant à l'obscurité, il sent la présence des autres, il croit deviner le contour d'une tête, une épaule le frôle, l'esquive, puis il se cogne à un piédestal surmonté d'un cube percé d'un oeilleton à chaque face. Les photos des lieux de friche, arpentés et retrouvés dans cet itinéraire par Renaud Marot sont données à regarder de façon paradoxale. Anonyme, le paysage apparaît sur papier, en noir et blanc, indécis, projeté mentalement. Il est retenu. Il oblige celui qui scrute l'oeilleton à ciller, cligner de l'oeil, scruter les arêtes du carton pour mieux voir. Quelque chose est dérobé. Le trou de la serrure. Miroir de poche. Rideaux écartés. On regarde. Un talus, le pan d'une maison à demi ruinée, on ne sait quel coin de terrain, ces endroits traversés il y a longtemps. Le crissement assourdi d'une bande magnétique qui défile accentue cette impression d'une projection différée de la mémoire.
Le machiniste a filé par la porte de derrière.

Isabelle Dormion, 15 décembre 2006
Exposition «IN & OUT» Galerie d'Art Paris 8, du 8 au 15 décembre -Michèle JANS commissaire d'exposition-

La pie, 1869
Claude Monet
Huile sur toile 89 x 130 cm
Paris Musée d'Orsay

Ce tableau d'un paysage de neige a été peint en1869 à l'extérieur par une journée ensoleillée, augurant une période de tableaux réalistes dans une recherche formelle qui sera bientôt qualifiée d'"impressionnisme". Les ombres obliques sont allongées à une heure où la lumière est la plus propice et la température moins glaciale. Claude Monet avait passé avec celle qui allait devenir sa femme, Camille et son fils Jean, âgé alors de deux ans l'été et l'automne en Normandie, où il se consacrait exclusivement à la peinture, avant que sa tante ne lui coupe tout subside et qu'il ne soit contraint de trouver refuge avec sa famille chez un ami, le peintre Bazille. C'est l'année qui précède son mariage avec Camille.*
Le Salon de mars 1865 avait accepté deux toiles peintes à Honfleur et à Sainte-Adresse, les critiques enthousiastes ayant reconnu la nouveauté et la force des tableaux, ce qui encourage alors Claude Monet à poursuivre le travail commencé en plein air avec "La route de la ferme St Siméon" (1864), "le Pavé de Chailly", "le Jardin de l'Infante" (1867) et "Les régates à Sainte-Adresse", de la même année.

Le tableau, structuré à partir d'un ligne médiane, une haie sombre recouverte d'une ligne neigeuse où jouent les variations de blanc dans la lumière en touches irisées de gris légers, est construit sur un premier plan blanc, d'ombres et d'éclats travaillés par touches blanc jaspé, jaune, blanc-ivoire, l'espace interrompu sur la gauche par les montants verticaux d'une barrière de cour, celle d'un verger où s'est posé l'oiseau noir. La pie fait face au visiteur.

L'arrière-plan, longues maisons de plain-pied aux toîts encombrés de neige fraîche, est simplement coupé par les arbres aux branches lumineuses. Le toit des fermes est prolongé de quelques lignes nuageuses parallèles, un stratus dans un ciel d'hiver l'après-midi. On peut remarquer, comme sur la "Cour de ferme en Normandie" (1963), un détail qui intrigue le visiteur et mobilise toute son attention, le tenant ici captif d'une impression: l'oiseau, le calme repos d'un après-midi hivernal. Dans le premier tableau, les reflets d'un pan de maison n'obéissent à aucune vraisemblance des lois optiques. Les traits des poutres n'apparaissent pas inversés dans l'eau de la mare. Ici, les traits gris allongés qui dessinent un mouvement oblique au premier plan ne correspondent pas exactement aux branches de la haie ni aux arbres dénudés et blancs, les ombres ténues scandent le premier plan, le sol proche, rythmé par les touches claires.

L'effet poétique de "la pie" sur le visiteur du Musée d'Orsay est obtenu par une fragmentation de la lumière, art où Claude Monet a cherché à peindre, "non la chose, mais l'effet qu'elle produit" , comme l'édictait avant la lettre Stéphane Mallarmé (en 1864) dans la quête essentielle d'une langue nouvelle.

*19 juillet 1870: déclaration de guerre entre l'Allemagne et la France

Huis-clos
Le flyer exige un rendez-vous personnel, compte tenu du caractère intime de l'oeuvre. Pas de vernissage. Rapport exclusif à l'oeuvre. "Cabinet d'amour" de Frédéric Vaësen ­ J'ai vu ­ Fallait-il regarder? Faut-il montrer ça? Fallait-il absolument montrer ça? C'est trop. Ce n'est pas assez. Trop peu. Très en-deçà du minimum. Des heures frappant à l'huis clos. On n'ose pas insister. On tente de se faire ouvrir la porte en l'absence du commissaire d'exposition. C'est difficile. Ces gens ont d'autres occupations. On appelle un serrurier. En vain. Boîte vocale. On veut soudoyer le gardien des lieux. Incorruptible. C'est ce qu'on dit à sa porte. Il a connu Deleuze*, "l'imperceptible", comme il le qualifie. C'est dire. Les clés, les portes qu'on ouvre, celles que l'on referme, ce n'est pas le problème. Ils vont, quand ils ne viennent pas, d'où la grande difficulté déambulatoire qui en découle. Passant rue de Budapest, rue interlope où pullule, maudit, l'artiste, voulant voir autre chose, le même jour, d'un autre ordre, ni mieux, ni pire, l'index pris dans une porte qui se refermait sur l'appendice. Or l'index désigne. Chez l'humanoïde, c'est un ordre, préhension, démonstration, violence, le doigt désigne quand il ne dénonce pas l'autre. Il subsiste dans le commentaire et l'éloge même un je ne sais quoi de la plus douteuse délation. L'éloge rejoint le blâme. Sans index, que reste-t-il? Rien, pour ainsi dire. La voix pour bramer à la lune pleine près du "cabinet d'amour", laissé dans le noir. Court-circuit. C'est peu, c'est rien. Les électriciens sont requis le 16. Demain les pompiers? De l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas, parfois un trépas. C'est trop dit-on. C'est encore trop. Sans moi! Le papier dit devant la porte close: entrez, c'est ouvert. Circulons. Il reste l'oeil, pour voir, l'oeilleton, le cabinet, fût-il d'amour; l'amour, faut-il le susciter, le dire, le montrer, le désigner, l'évoquer, le représenter, l'invoquer, le provoquer, le manifester? Frederic Vaësen serait en trop de ce qu'il faut cacher, si l'artiste est en trop d'un lieu (privatif?) qu'il occupe, qui l'occulte, l'objet, oeuvre en trop d'un lieu qui l'évide ou le sacralise selon les lois du marché. Qu'en est-il de tout ça?

Un temps différé d'un lieu différent, quelque chose là, oui, s'est passé qu'il faut vraiment avoir vu pour y croire.

Isabelle Dormion, 2 février 2007
"Le cabinet d'amour" de Frédéric Vaësen - galerie de Paris 8 - Commissaire d'exposition Francesco Russo
* Colloque sur Deleuze, Paris 8 ­ le 31 janvier 2007


Mode/modal
Lundi 26 février, les sculptures de Maillol allongées sur les pelouses jardinées à la Française sont surveillées par un bataillon plastifié de mannequins au garde à vous, dressés sur la pointe des pieds, tête baissée, en costumes noirs, de la rue de Rivoli aux espaces lumineux, ouverts par l'arrondi d'une porte vitrée. Après avoir franchi quelques marches perpendiculairement à l'armée futuriste des ombres, "Interior 01", présente la collection austère et libertine de Jens Laugessen. La sévérité apparente du vêtement de ces women in black, qu'on dirait préparées en lignes pour un commando spécial de l'élégance urbaine internationale, cache de somptueuses surprises. Jetant un oeil vers les belles narquoises nues de Maillol, on peut voir, au verso jardin des mannequins, le laçage d'un corset serré au-dessus des jambes artificielles dévoilées. Côté rue, vêtement public, la face Rivoli de la robe est collet-monté puritain jusqu'à la garde, le menton presque caché, structuré et ouvragé dans les moindres détails. Le contraste joue entre la rigueur et l'humour. La forme bouffante d'une jupe noire, structurée comme une fleur hybride, est recouverte d'un voile arrondi de tulle blanc, les bras dénudés et le col cassé net, tenues cérémoniales et passe-partout des villes à venir.
L'ensemble, annoncé (et tenu serré) par la mise en scène des silhouettes en régiment dans le hall, est galvanisant.

Au Louvre proche, la réserve des antiques grecs, entreposés près des Etrusques en prévision d'une inondation, laisse voir des sculptures inconnues, mystérieusement occultées et dévoilées par un vaste emballage de plastique opalin, involontairement moderne.

Isabelle Dormion, 27 février 2007


Pixelmania, pastillages et mutants, c'est tout l'univers d'Yves Yacoël qui est mis en scène tout au long du Mensomadaire d'Avril! En voilà une superbe surprise (voir Pastillage artistique).
Surréalisme désinvolte, recherche graphique, absurde et drôlatique sont comme toujours au rendez-vous dans cette émission, mensuelle comme son nom l'indique, beaucoup trop facile à manquer dans la foisonneuse jungle télévisuelle pleine de récréations superlatives et tromboscopiques! Ce rythme en presque lenteur qui laisse juste voir sans s'attarder les choses qu'on montre et celles qu'on ne montre pas et, pour mieux sauter du coq à l'âne, ce fin bricolage d'idées-images au crayon, au doigt et à la caméra, c'est quelque chose!

May Livory, un soir d'avril 2007
Praxitèle
Le Louvre jouxte une foire alsacienne où se croisent enfin les badauds et les chalands de tous horizons, mus par une même soif, dans un dialogue interculturel situé ce jour béni entre l'héllennisme et la véritable saucisse régionale fumante aux baies de genièvre, tous accompagnés et ravigotés d'une bière fraîche du même tonneau, à deux pas des Rubens en lévitation.
Praxitèle et choucroute? Personne, effarouché par l'ordre hiérarchisé des cultures de la nourriture et de la Culture marmorisée ne ferait le rapprochement malsonnant. Tous affamés pourtant s'y ruent, grands, groupes, gros, gras, maigres et longs néerlandais, vieux Belges assoiffés, retraitées anglaises roses, maris rasés en rang traînés, adolescents saxons et leurs amours de Normandie, venus aux plages du débarquement par cars entiers, espagnols hableurs et groupes sportifs à jambes nues et casquettes à la fois similaires et identifiantes, portant un sigle illisible d'un club de sport transalpin très réputé pour sa dope. Quand ce ne sont pas des défilés de mode dans la cour carrée et les modèles anorexiques et filiformes ce sont des monceaux de charcutaillles appelant à table les zélotes de la culture et des petits pâtés en croûte offerts à la dégustation gastronomique, urbi.
Les sortants, des touristes allemands du Musée et de la Grèce Antique par l'odeur alléchés se dirigent comme un seul homme vers les étalages et choisissent du bout des doigts la plus ancienne moutarde qui sait parler vrai au peuple des jeunes. Sous les tentes dressées, des hôtesses vont et viennent véhiculées sur des petits lutrins motorisés sur lesquels elles restent debout, vêtues de jaune et tournoyant comme dix lutins affolées de diffusion, distribuant une documentation qui ne doit rien à l'art inimitable du grand sculpteur grec. Cette profusion de papier glacé se jette d'un geste de larges semailles dans des corbeilles disposées alentour, sans être lue ni même parcourue. Certes, près du Conseil du Palais Royal, proche des Arcades, un étalage déploie des dentelles d'angelots trompettistes en bois finement évidés, des cuivres et des cors, des orgues et des mandolines à trois euros, des flûtes et des violes de gambe, une véritable philharmonie de l'Est et de Hongrie, un festival de mignardises oubliées des veillées de Noël, des pralinés rances et des fourrés à la crème noisette/schnaps, et ressorties pour la braderie d'été avec des chaussettes de laine tricotées par de vaillantes agricultrices aux cheveux drus.
Bon, sans minauder, rien de tel qu'une bonne choucroute quand il fait trente degrés et de l'humidité comme s'il en pleuvait, je ne sais pourquoi, ça me fait penser à l'idée définitivement ratée d'une Europe unifiée, ça évoque un Noël de vieux entre la Suisse et l'Italie du Nord, atteints d'alzheimer mais friands de curiosités naturelles en groupe et de grottes à visiter dans des mines de sel, ayant confondu les saisons, les cultures, les distinctions culturelles, les époques, et fourguant pêle-mêle à la fête de fin d'année aux hôtes éperdus de la maison de retraite la prétention sans la culture et la satiété sans aucun appétit.

Isabelle Dormion, 8 juin 2007

Lieux persans
Plus rare un art calligraphié que ces musées de l'immigration polémique à Paris, il y a en ce moment rue Tournefort, on ne peut mieux choisir un lieu, le festival de théâtre iranien en exil initié par Djavad et poursuivi je ne sais comment, avec les dernières protections mazdéennes. Vendons ou brûlons donc nos meubles pour alimenter les feux qui s'éteindraient, au cas où Montesquieu ne serait plus lu que par un quarteron invincible des perses disséminés à Paris. Et qu'ils ne tiennent pas vainement les fleurs de pavot vers nos mains fermées.
En effet, droit devant un lutrin, l'acteur Sarkaw, doué d'ubiquïté, lit les pages non sentencieuses d'une proposition venue du siècles des Lumières qui fouetta encore avant-hier les imaginations percluses des lettrés français. Le zèle aujourd'hui ferait-il défaut?
«On les a honorés, pour cet effet, d'une patente au sceau sacré, et c'est pour cet emploi qu'ils voyagent. Il faut donc absolument, que partout où ils arriveront, on leur porte tout respect, et qu'on leur donne toute l'aide raisonnable qu'il sera nécessaire. Il faut absolument encore se bien garder de leur faire de la peine, ni de témoigner, en quelque manière que ce soit, qu'on attende ou qu'on désire des droits d'eux, parce que s'il venait aux oreilles des esclaves du seigneur des humains, qu'on a eu quelques prétentions sur eux, il naîtrait de ce rapport un mauvais fruit. Ecrit au mois de Chaval l'ennobli, 1076 de la Sainte-Fuite*, à laquelle soient honneur et gloire.»
A la marge il y avait:
«L'intention de ce billet est de faire connaître à ceux à qui il s'adresse, qu'il faut en user avec les porteurs selon la teneur de la patente à laquelle le monde doit rendre hommage.
Les mots du sceau signifient Maxud, fils de Caleb, les délices des créatures.
»
Cités par Jean Chardin dans «Le voyage de Paris à Ispahan» - 1686 ­ éd. La Découverte, 1983

Isabelle Dormion, 10 octobre 2007
* L'Hégire selon Chardin
LIENHYPERTEXTE http://www.artenexil.net/A2.htm


Plasma
La suite des écrans montre quatre générations de femmes ne parlant plus la même langue. Tout laisse supposer qu'elles sont arabes. Pas de son dans l'installation. Un Maghrébin, éducateur à Nantes, accompagne sa mère, voile rose. Posés devant les écrans plasma, ils devisent à vois basse, en arabe. La femme sourit.
Nous parlons, longtemps éclairés par la lumière du jour.
Plus loin, un coq en peau de phoque, un mazagran, n'importe quoi touillé par la scénographie, la famille Stakanovitch, et son fameux labeur rue Jean-Pierre Thimbaud, la famille Chen, rue du Temple, la famille Horzüz à Chateeau-Rouge, la famille Bugatti et son honorable bonne fortune, la famille des forains de la grande roue qui tourne n'est pas là, mais la roue s'appelle Campion, même nom que la généalogie de Béthune. La famille Beckett, la famille Ionesco, la famille Stoleru, que sais-je? Pas de nous, pas d'eux. Un coq en peau de fuck, c'est une provocation du rap? Non. Porte Dorée. Chambre immigrée reconstituée. Lits superposés. Où donc aurait-on déjà vu ces images? Pologne? Pas loin de Dachau?

Un Chevalier de la Barre, en pied, black, jabot de dentelles, se promène du palier à la grande salle centrale.

Hollande parle à la cantonade. Je n'entends ni ne peux même écouter le mot subliminal «réconciliation». Photo, de profil. Mais qu'en faire?

Derrière, les coulisses de la colonisation.

Devant, le nom d'Albert Laprade gravé dans le mur, derrière une poubelle. On a jeté une peau de banane dans le plastique transparent, vérifié par les services de sécurité.

En haut, les combles, des blacks aux étages. «Nous sommes des anonymes» c'est ce qu'il faut entendre. Nous avions compris, s'il fallait encore prêcher la conviction.

Isabelle Dormion, ouverture à Daumesnil, 17 octobre 2007


Sacré (traces du)
Grand déballage melting potes et gloires raccolées sur le thème "traces du sacré" à Beaubourg ce lundi 5 mai*. Jean de Loisy posait ça et là pour des caméras, devant de ces oeuvres qui tentent de faire "face à ce qui se dérobe", selon le titre de son article à l'imposant catalogue par chapîtres où chacun y est allé de son introduction. Un programme touffu de conférences et visites guidées est heureusement offert jusque fin juin autour de cette exposition-dédale. Des oeuvres sont présentées comme emblématiques de chacun des sous-thèmes dans une mise en scène inégale, aux impasses visibles, où se côtoient quelques incontournables, du spirituel au mystique en passant par désespoir, spiritisme, Eros-Thanatos (Molinier, bien sûr, mais placé très haut et difficile à voir avec les reflets, manquent cruellement des artistes ayant travaillé sur le thème de la vanité et du sexe, comme Maccheroni), Pneuma (une très belle installation-projection contemplative: des fumées d'encens verticales ondoyant au souffle de récitants retient l'attention, pas pu noter ni trouver au dossier de presse le nom de l'artiste**), Zen ou magie, parmi lesquels, tentant un "guest geste", des contemporains reconnus n'ayant pas forcément fait oeuvre dans le sacré et de jeunes artistes "émergents".

Beaucoup d'anecdote et peu d'envolées***, mais il s'agit seulement de traces? Mosaïque difficilement 'raccord'! Des ellipses à faire perdre le souffle! Mais de belles suites, certaines sacrificiel-rituellement émouvantes comme les plaques de verre et la recette de boudin au sang de l'artiste de Journiac entre autres actionnistes viennois, et quelques idées à ruminer longtemps ou à agiter bien fort comme le fait Adel Abdessemed propulsé en l'air pour écrire au plafond la phrase-plagiat de Zarathoustra détournée pour Allah... Filliou se retrouve là rattrapé par le fil ténu d'une cosmogonie hasardeuse faite d'un grand cercle de dés, à une encablure de lingams encrés en noir sur blanc, de sagesses chinoises calligraphiées sur des champignons en train de se ratatiner et de projections israëliennes dans une ambiance de ciel de guerre où tombent dans un vide blanc des sihouettes en ombres chinoises.

Des "dieux enfuis" à "l'ombre de Dieu", un parcours, dont on comprend qu'il est le fruit d'un énorme travail... qui reste à poursuivre car il exige celui du spectateur-promeneur, obligé de s'impliquer ou de passer son chemin, et dont la culture est largement mise à contribution pour lire entre les vides.

On ne touche pas impunément à ce qui meut du plus profond celui qui met dans l'art la force de sa vie pour trouver une forme capable de faire face à la vacuité du monde, à l'ineffable et à la mort.

Louise Bourgeois est encore là, juste à côté au même étage: une exposition bien pensée qui dépoussière le petit monde de cette grande dame qui a su pousser très loin, jusqu'au monumental, des chimères de petite fille. Ses derniers grands dessins rehaussés de lavis sont à voir également à la galerie graphique, étonnants et très touchants car leur expression, même d'intériorité viscérale, est étonnament plus extravertie, que la plupart de ses oeuvres en volume, immobiles, encloses malgré fenêtres, guichets, fentes et écoulements.

May Livory, mercredi 7 mai 2008
*Traces du Sacré à Beaubourg, jusqu'au 11 Août, www.centrepompidou.fr
(380 oeuvres réunies par Angela Lampe et Jean de Loisy)
**renseignements pris: "Le souffle du récitant comme signe" de Yazid Oulab (2003)... Captation de l'évanescente immanence, un autre objet de fascination, d'Anish Kapoor, qui enserre en ses transparences un mystérieux bouillonnement critallin: svayambh, principe d'autogenèse hindou.
***L'effort de Bill Viola pour rejoindre St Jean de la Croix était bien parti, sans cette anecdotique cellule centrale dont l'odeur de peinture, les objets, l'éclairage, cassent tout. Davantage d'iconoclastie, de dérision, d'expérience sous stupéfiants ou de spiritisme que de mystique véritable, chez nos "grands noms" occidentaux, à quelques exceptions près (Rouault, Maurice Denis), et ce n'est pas non plus en écrivant en gidouille au néon ce qu'il pense être la mission de l'artiste de révéler les vérités mystiques que Bruce Nauman nous en convaincra. Faire le portrait du doigt qui montre la lune ne permet décidément pas d'entrevoir celle-ci.


D'Hokusaï à Hirayama... contemplations
Des trente-six vues du mont Fuji aux Chemins d'Orients sur la Route de la Soie, du musée Guimet à l'Espace des Arts Mitsukoshi Etoile, l'on retrouve ce soir du 19 mai où la pluie se retient, les mêmes voyageurs pour deux vernissages placés sous le signe du 150e anniversaire des relations franco-japonaises...

Hokusaï, "l'affolé de son art" selon Edmond de Goncourt: émotion de le voir si présent dans son trait, inimitable alors que tant plagié, de pouvoir toucher des yeux des dessins qu'en quelque sorte, l'on re-connaît. La stylisation du mont Fuji ou de la vague est sans cesse renouvelée, les formes réapprises de l'oeil et de la main sans relâche se transforment, fusionnent, éclatent, se réduisent à presque rien, et pourtant tout est toujours là. Les croquis et les carnets fourragent le quotidien, fourmillent d'admiration contemplative, d'humour et de tendresse pour les hommes et pour la nature. La même vigueur dynamique porte le dessin jusque dans les modèles décoratifs pour des peignes ou des éventails. Aucune hiérarchie de valeur entre ce que l'on pourrait qualifier de représentable ou non représentable ne conditionne l'esthétique. La poésie des détails est sidérante, spécialement dans l'audace subtile des accords tissés entre les objets les plus hétérogènes. Crabe et fleur s'accouplent aussi naturellement que vague et barque, ce sont les formes qui s'épousent, tout comme les traits entremêlés des personnages du "monde flottant" rendent présents anatomies, textiles, plis et motifs. Les formes inédites qui en résultent sont si voluptueusement dénuées de préjugé qu'il n'est pas étonnant que nos voyageurs et collectionneurs occidentaux, et maint artiste, en aient été marqués à jamais.

Ikuo Hirayama pousse les anciennes techniques de peinture japonaise au paroxysme de la couleur, la faisant irradier avec une puissance folle au sein d'une étrange matière, épaisse et poudrée. Bien que le parcours d'exposition sur trois étages mélange les lieux, Japon, France, Afghanistan, villes en ruine, déserts..., des cartels et photos montrent une vie de voyages -que l'on pressent passionnés à travers quelques rouleaux aux croquis vifs et enlevés- et l'on comprend les influences picturales glanées en chemin, des icones sur fond d'or aux impressionnistes. Se dégage un grand charme, très loin des dispositifs de "questionnement" que l'art contemporain installe souvent en lieu et place de l'oeuvre. A l'écran, on voit l'artiste se livrer à moult superpositions par frottis de couleur, à genoux devant les grands papiers sur lesquels il campe des caravanes passant devant des ruines au coucher du soleil ou au lever de lune, fonde les strates de villes fantôme, pose au fil des jours les touches de son émotion contenue. Derrière lui, on peut remarquer, rangées avec soin dans de petits flacons, les précieuses poudres de lapis-lazuli, d'or, de malachite ou de nacre qui composent sa palette. Resteront longtemps en mémoire ce panoramique d'arbres en montagne, au ciel si blanc que la brume en est palpable. Et cet écrin d'émeraude où l'eau mousseuse d'un ruisseau enlace d'onirisme laiteux des roches veloutées de vert que des frondaisons enserrent en frémissant.

Leçons de modestie pour traqueurs d'immanence.

May Livory, 20 mai 2008
Hokusaï, "L'affolé de son art", Musée Guimet, 6 place d'Iéna, Paris 16e, 21 mai - 4 août 2008
Ikuo Hirayama, Chemins d'Orients, Espace des Arts Mitsukoshi Etoile, 3 rue de Tilsitt, Paris 8e, 21 mai - 28 juin 2008


Du rouge au bleu
A la Maison Rouge, vu la performance admirable de cette femme calme, Marie Cool, toute de gestes retenus, avec des bureaux, des feuilles de papier blanc, des fils et de petits riens suspendus dans une blanche pièce-cube sans fenêtres*. On y sentait le coeur battre, beaucoup plus qu'à côté, dans la grande pièce noire investie par Boltanski; en cabine, pour 5 euros, vous ajouter à sa collection-oeuvre en faisant enregistrer par de jeunes appariteurs, mâles et femelles aux airs d'infirmiers, vos propres battements de coeur. Seule chose à voir, de cet endroit où la queue se tenait devant l'enregistreuse machine, une cage vitrée enfermant l'air du dehors en cour intérieure, et une seconde cage, de bois, style guérite d'autoroute, accessible par une porte arrière, qui permettait de s'installer à lire ostensiblement son journal en faisant comme si de rien n'était. Entre la vitre et la cabane, des oiseaux de toutes sortes s'occupaient à picorer comme des poules, indifférents à tout ce trèpe de vernissage parisien et ennuyé.

Rouges à choisir, toutes cuvées, toutes nuances, à la fête de l'Humanité, même du bissap... Odeurs de nourritures très terrestres et de terroirs. Temps superbe, musique, pétitions, beaucoup de jeunes au look baba amérindien, post punk ou arty de campagne. Expo sacrifiant à "l'art-crime" devenu l'incontournable relais de l'expression muraliste et baptisé art de la rue, réunissant quelques noms comme Villeglé, Yacoël, Scandal, Miss Tic.

Bleus à choisir, toutes obédiences, toutes nuances, à la fête du pape, même week-end... Odeurs de nourritures très célestes et de cierges. Temps superbe, musique, partitions, beaucoup de jeunes au look baba américain, post boy scout ou arty catholique, chants sacrifiant à "l'art-choral" devenu l'incontournable relais de l'expression ghospel et baptisé ferveur de la foule, réunissant quelques noms du pouvoir temporel autour, en visite à Paris, de Sa Sainteté.

Un grand coup de couleurs chez Emil Nolde** au Grand Palais. Le pinceau en tête, on suit pas à pas le geste, la pensée, qui vous remet l'air de rien les yeux en face des trous et les idées en place!
La polychromie pour transformer le monde?

May livory, 28 septembre 2008
*Marie Cool et Fabio Balducci (Sans Titre 2004-2008) ou comment faire exister le "presque-rien" par la grâce du "je-ne-sais-quoi"..., 13 septembre-5 octobre 2008, dans le cadre du festival d'automne à Paris. La Maison Rouge, Fondation A. de Galbert, 10 Bd de la Bastille 75012 Paris.
**Emil Nolde, 25 septembre au 19 janvier 2008 aux Galeries Nationales du Grand Palais, entrée Clémenceau, 75008 Paris.


L'art en exil
Le festival d'art en exil s'est clos dimanche par la lecture persane et française de poèmes de Kazem Shahryari.
J'entends: «Je suis de ce monde». L'accompagnement de l'incantation par un saz, un daf et une guimbarde, le temps, l'espace nu et quelques lumières laissent apparaître les deux visages des musiciens et celui du lecteur comme le dessin monochrome d'hommes que la forêt parfois réunit le soir venu. «Je suis de ce monde» n'appellera pas aujourd'hui le commentaire heideggerien, la spécialité linguistique ou philosophique, l'habituel bavardage d'érudits  que Novalis, Goethe, Hölderlin, Hafez et l'être-albatros crapahutant de l'océan poétique opposent en joutes et mises à mort de grand prestige.
Kazem Sharyari, s'il est au monde ce qu'il est sur les planches nues de la rue Tournefort la présence, la voix et la musique de la voix dans ses silences et ses soupirs, représente la voix de l'exil sans insistance, c'est-à-dire sans assistance possible si elle était venue d'une condescendance toute française. La poésie se reconnaît là mise au défi. Au delà ou en deçà d'un refus. Le verre de vin offert aux auditeurs, le partage, l'offrande et la libation aux arbres de la forêt, sans obligation de souscrire à la "convivialité" ou à la mondanité, relègue donc les usages de l'entracte aux incontinents bavardages parisiens. Il y aurait là une exemplaire retenue et stoïque, l'ironie. Buvons ensemble s'il fallait toujours en rire.*
Le passage difficile d'une langue à l'autre s'entend dans l'incompréhension, pour ceux qui ne comprennent ni le persan ni en français le mot "hôte". Les poètes sont là rue Tournefort nos hôtes et nous honorent d'une présence (discrète).
Le mot "Panthère" n'a pas le même pouvoir évocateur, qui invoque la "terre" alors que le poète scande la "mère". De ces malentendus où bute un texte qui ne se soucierait que du sens, découle l'impossible «échange-culturel­donne-moi-ta- chemise-poésies-du-monde-ton âme-ton-cul-aussi-tu-verras-Montmartre». Il faut écouter la langue persane dans ce qu'elle a d'étrangeté lointaine, pour que puissent naitre les images, d'autres formes, d'autres idées. Il y a dans la musique et le temps de la parole, non logiques et non linéaires quelque vide (du sens) où viendrait exister l'art, le reflet rare d'une lumière sur trois acteurs. On dirait d'eux qu'ils officient là mais d'ailleurs. C'est l'évidence, dicible. Dans cet exil, retrait et plénitude, vin bu, coupe vidée, oui, jusqu'à la lie, combien de pas et de passes franchies d'Iran ici, les artistes sur scène se tiennent toujours debout , distants, le souffle amplifié, là, devant, proches et lointains. Avec  le poète, dans la présence, l'absence, l'éloignement, la langue incomprise, le chant  modulé, le chant entendu, la guimbarde des aèdes, l'image revivifiée, l'être en ce monde fait renaître le mot, plus simple, élémentaire: "être". Pas discursifs, cailloux du long chemin.
Aucun retour, pas de recours, être dans ce monde, celui-là ou un autre, par le choix des armes, les mots. Les leurs. 

Isabelle Dormion, 29 octobre 2008
*Faudrait-il ici préciser que Kazem Sharyari s'est vu « accorder une subvention par erreur », qui ne sera donc pas reconduite «s' il n'est pas un artiste » ? S'il y a dans cette forme d'art social une obligation communautariste , une prestation de bas niveau imposée qui ne respecte ni la littérature persane ni les usagers d'un service rendu public, vulgarisé et vulgaire,  il ne faudra donc pas s'étonner que le repli soit la  seule réponse possible. Plus de traduction, moins de rencontres, pas de transmission,  initiation en vase clos, fermeture et refus. C'est la seule défense identitaire aujourd'hui rendue possible.

L'art en croupe et en coupe
Le 23 octobre, anniversaire de ma soeur, on peut voir sur le carton d'invitation en 2 volets, face: La Sphinge, vue de profil, magnifique sur fond bleu de ciel, celle-là même qui me prenait en croupe pour une chevauchée au soleil, lorsque, étudiante à l'Ecole Nationale Supérieure des Métiers d'Art, sise en ce temps-là à l'hôtel Salé, je fuyais le froid des salles où l'on dessinait les doigts gourds, l'escalier magnifique blanchi de la poussière des ateliers de staff ou la charmante salle en hémicycle où le modèle de nu tremblait malgré le petit radiateur placé à ses pieds. Nous étions rois en cet hôtel, investissant des refuges secrets sous les toîts, courant entre les figures de plâtre abandonnées dans les greniers en dédale. MA SPHINGE, dont j'ai caressé le doux grain de pierre, dont j'ai tiré les vers du nez, cramponné la coiffure en ville fortifiée, toi la déesse de la cour, et ce quartier du Marais autour, noir, délabré et fantastique!
Le 23 octobre, retournant le carton d'invitation on peut voir, pile: une diagonale constituée par un triangle noir et un triangle rouge à fonds perdus. A l'intérieur, on peut lire: Daniel Buren "La Coupure", travail in situ.
Picasso, lui, a droit en son musée à un nouvel accrochage, lui qui partout, déconstruit, reconstruit, crié, décrié, recrié, de Paris Grand Palais, Musée d'Orsay et Beaubourg, à Tokyo, National Art Center et Suntory Museum, fait les frais du grand magistral mystery tour culturel de l'hiver 2008.
Le 23 octobre, à 18h30, se rendre compte de la réalité de cette diagonale: «Avec "La Coupure", Daniel Buren réalise un premier "travail in situ" qui propose une relecture du bâtiment. La Coupure est constituée d'un mur bâti dans l'axe de la cour d'honneur et coupant le bâtiment à angle droit sur une hauteur de 16 mètres. Ce mur est maintenu par un échafaudage et une structure en bardeaux et panneaux de bois qui en fait partie intégrante. La surface du mur-écran est à son tour coupée par une diagonale sur toute sa longueur (plus de 35 mètres) délimitant deux grands triangles, l'un recouvert de miroirs et l'autre de panneaux noirs. Les deux matériaux utilisés sont des polycarbonates réfléchissants la lumière. Cette "lame" réfléchissante débute dans la cour sur 11 mètres de long, traverse tout le corps central du bâtiment sur ses trois étages et ressort par les fenêtres dans le jardin pour s'interrompre 11 mètres plus loin dans le jardin. (...) A ce jeu des miroirs, Daniel Buren ajoute la couleur pour traiter les hautes fenêtres en hémicycle sur la façade et la cour d'honneur ainsi qu'un marquage des contremarches du grand escalier.»*
C'est l'explication donnée à cette "entrée en matière", bon, se dit-on alentour, ce n'est donc pas fini! La suite promise s'ajoutera-t-elle ou bien abolira-t-elle cette coupe en règle par un tour de passe-passe plastique? Tout un chacun suppute, par devers lui ou à voix chuchotante, sur le prix de cet échafaudage, la nécessité de "faire vivre" les choses conservées avec l'art contemporain plus ou moins imposé, ici enfoncé comme un coin, cherchant l'ironie ou le décalage qui allègerait cette impression de malaise malgré la magie des reflets. Ici, comme au jeu de cartes, figures en miroir, implication du spectateur et de ses points de vue dans le décor, Buren jour la présence-absence avec une fausse modestie démentie par le gigantisme de son intervention. De ce morceau de patrimoine, coupé comme on dissèque, que dira la tranche révélée si ce n'est ce qu'on sait déjà, que l'envers vaut l'endroit?

Comment interroger ma Sphinge, dorénavant?

May Livory, 31 octobre 2008
*a suivre sur le site du musée: <http://www.musee-picasso.fr/homes/home_id23985_u1l2.htm>


Jeux de mains pas vilains...
au masculin...
Picasso au Grand Palais, grand mâle mêlé à ses mâles maîtres, filiations de pair en fils. Queue gigantesque et piétinante-potinante dans le froid, égayée d'un troubadour guitaresque plus dévoué que doué et dénué de moyens de subsister jusqu'à la saison prochaine... Plus qu'une heure pour arpenter dans le désordre, qu'on a voulu non chronologique, une suite de salles à tentative thématique où le principal et intense plaisir a été de pouvoir contempler côte à côte des chefs d'oeuvres rarement réunis, et de faire de belles (re)découvertes. Voir en vrai des Vélasquez, Goya et Jérôme Bosch sans devoir retourner au Prado, des Douanier Rousseau, que j'aime tant (si peu et si souvent mal reproduits), et des gravures et lithographies de Picasso magnifiques dans des vitrines-pupîtres bien pensées. Tout un Panthéon qui n'est pas que celui de Picasso mais bel et bien le nôtre à tous. Ne boudons pas sur cette occasion de le révéler, soulignons à qui peut l'entendre la force de nouveauté que ces artistes ont eue à leur époque. Qu'on a si bien digérés à satiété en société qu'ils sont devenus "classiques". Au point qu'on n'y cherche plus le secret du geste, "la touche" du pinceau, qui seul, par exemple pour Cézanne, permet de mesurer la distance d'émancipation parcourue sur le registre des préoccupations plastiques, le travail des matières et des manières, la forme sans cesse remise en cause avec un courage radical. L'analyse du point de vue du "rendu" et l'explication par l'appartenance à une "école" ou un mouvement peuvent se révéler réductrices et finalement tuer le regard sur les formes, la force de l'inabouti, de l'esquissé, ce qui est mis en jeu au coeur de la peinture elle-même, enjeu du combat d'une vie d'artiste. La confrontation, entre époques, entre artistes anciens et contemporains... c'est dirait-on une nouvelle mode au musée, mais c'est un exercice difficile pour le(la) béotien(ne), comme le laissent entendre des commentaires, tel celui d'une mère à son fils (grand, 17 ans) qui lui demande "qui c'est les Sabines?, pourquoi on les enlève?", et qui lui répond "des dames d'autrefois, je crois que c'était la guerre, je ne sais plus laquelle". Ou ce monsieur bien mis qui chuchote à sa fringante femme très bijoutée:
"Picasso, il finit pas. Vélasquez, c'est mieux fait, regarde la main, là!".

au féminin... Des Femmes à l'honneur, avec un beau film dimanche matin dernier sur Arte. Les mains d'Antoinette Fouque battent comme des ailes. Son nom m'a toujours évoqué un oiseau de mer. La voilà justement devant la mer, ce jardin, plutôt ce parc, autour d'elle, domine la baie marseillaise. Elle est installée dans un fauteuil en rotin, presque d'Emmanuelle, sur ce vert rayé d'ombres, déjà longues, de grands arbres. Familières, comme peintes par la mémoire. Familières, comme ces choses qu'elle dit autrefois, redit aujourd'hui de sa voix voilée. Des choses soulevées qui sont restées en l'air. Des choses dites très fort sur calicots, scandées en chansons, retombées fanées en lettres mortes. Des choses écrites à plein de mains, des cicatrices douloureuses à réparer, encore, qu'on ne touche que du bout des mots, du bout des doigts. Emancipation des femmes, protection des enfants, respect de l'autre, différence, autonomie de pensée, solidarité, amour de la vie, création, procréation, libération...

Attention, fragile, pas tomber, pas peur, joie d'être ensemble, prends ma main, là.

May Livory, 12 décembre 2008



VU
par Claude CHANAUD: Les Montreurs d'ours & autres gens de théâtre (sur le site d'Encres Vagabondes)

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