Claude CHANAUD
à May et Bruno Livory, Recteurs de l'Université des Bardes Lézardés. Avec les pieuses dévotions du signataire, thésard en voie d'impétration, promotion Bobby Lapointe, 2009

Chers Maîtres,
Le philosophe français Henri BERGSON -1859/1941- qui élabora une conception hautement élitiste de l'humain tout en lui consacrant une introduction pragmatique, écrivit sur le RIRE des choses assez pointues, notamment cette théorie expliquant que si nous rions de quelqu'un, c'est que cette personne se comporte comme un automate ; d'où la célèbre définition, je cite : d'une mécanique plaquée sur du vivant.
En remerciement de ses prestations plumitives, Henri reçu un prix NOBEL de LITTERATURE qui lui évita la soupe populaire lors des évènements des années trente. Mais avant de fignoler cette introduction prouvant mon embryon de culture, permettez moi de la revoir sous un autre angle consistant à introduire dans un texte sérieux quelques additifs tels que le bien connu «Par devant Par derrière » issu d'une ancienne ritournelle estudiantine.
Il est vrai que la chose est d'essence facile et qu'elle déclenche généralement un RIRE du type potache, mais si vous n'aimez pas ce genre, je vous prie de sauter le présent paragraphe ainsi que le suivant.
Je reviens donc sur cette introduction devenue un court instant : Le philosophe français Henri BERGSON -1859/1941- qui élabora par devant une conception hautement élitiste de l'humain, tout en lui consacrant une introduction fort pragmatique par derrière, écrivit sur le RIRE des choses assez pointues par devant, notamment cette théorie expliquant que si nous rions de quelqu'un par derrière, c'est que cette personne se comporte comme un automate par devant, d'où la fort célèbre définition, je cite : d'une mécanique plaquée sur du vivant par derrière.

Je stoppe maintenant ce dérapage farceur et j'en demande pardon aux gens sérieux, abonnés fidèles aux Essais et Recherches de votre prestigieuse Université. Puis, reprenant la rigueur traditionnelle de votre enseignement, je place cette THèSE sous l'éminent parrainage de Maître BOBBY LAPOINTE, créateur de la légendaire maman des poissons:
LA MAMAN DES POISSONS
ELLE A L'OEIL TOUT ROND
ON NE LA VOIT JAMAIS FRONCER LES SOURCILS
SES PETITS L'AIMENT BIEN
ELLE EST BIEN GENTILLE
ET MOI JE L'AIME BIEN
AVEC DU CITRON !
J'y souscris avec d'autant plus de bonheur que je l'ai rencontré au Port du Salut de la rue Saint Jacques. Ce qui n'est pas rien dans mes souvenirs de jeunesse lors que Bobby Lapointe et Maurice Fanon apportaient leur âme aux cabarets-théâtres de l'époque de la nuit largement tombée aux vins de l'aube.

Lors de votre exposé préliminaire sur le présent sujet, chers pédagogues livoryens, vous avez précisé une structure de thèse en trois interrogations que j'entends bien respecter; tout en me réservant évidemment la manière de traiter chacune d'entre elles. La première question posée concerne les origines du RIRE sur laquelle j'ai des infos indiscutables :
Dans les faits, ça remonte très précisément entre le Big Bang et les Temps Jadis.
Ecrivain chez lequel un humour récurrent convergeait avec une nature profondément modeste et le style d'un lexicologue élégant, Alexandre Vialatte nous aurait sans doute précisé que le RIRE remonte à la plus haute antiquité. Peut-être l'a -t-il fait!
L'hypothèse ci dessus donne à cette expression spécifique des visages humains, voire simiesques, une place enviable dans les valeurs comportementales des bêtes verticales. Bien avant l'éternuement annonçant la différence de température ambiante, le clin d'oeil de connivence, la claudication du boiteux et le ronflement généralement nocturne ; exception faite des commissions sénatoriales de l'après-midi et des siestes de gorilles.

Dans notre désir d'exhaustivité naturelle pour un chercheur en position assise, il nous faut également mentionner le pet qui intervient en tous temps, généralement de manière inopinée et dont on parle peu dans les milieux "bon chic, bon genre". Concernant ce dernier, généralement pratiqué avec la plus grande discrétion par l'occidental contemporain, pour ne pas dire avec un peu de honte quand il est perçu par un proche environnement, il n'est pas exclu que son expression puisse être provocatrice de RIRES. En conséquence, nous avons consulté ses sources. Si j'ose dire.
Hors des livres de médecine assez rébarbatifs concernant ce phénomène, c'est grâce à L'ART DE SE COMPORTER DANS LE MONDE EN TOUTES CIRCONSTANCES que nous avons compris les conditions lui permettant de mettre en route nos zygomatiques. Encore qu'il ne s'agisse pas du plus noble des éclats, j'en conviens volontiers avant de reproduire ci-dessous le passage intitulé COMMENT ASSUMER UN PET DANS LA SOCIETÉ COMTEMPORAINE ?
« A l'occasion d'un vent inopportun lors d'un dîner en ville ne dites pas après le décollage d'icelui « Veuillez m'excuser, ça m'a glissé des doigts » révélant ainsi l'immature matamore amateur de moches métaphores. Il est également déconseillé d'évoquer le célèbre « A la fin de l'envoi, je touche » réservé à la scène de la Comédie Française. Enfin, si vous donnez un coup de pied à un chien lorsqu'un tel vent vous échappe, sachez que ce comportement à base d'esbroufe canine ne trompe plus personne depuis belle lurette. Surtout si le chien est en porcelaine. »

Préférant de loin les RIRES de MOLIÈRE, BEAUMARCHAIS Roland DUBILLARD, JARRY, Jean TARDIEU, TOPOR, Dario FO, Raymond DEVOS, Emma DANTE, Jean-Michel RIBES et d'autres géniaux assembleurs de mots aux rafales du pétomane, je clos ce chapitre rieur qualifié d'un peu vulgaire par mon éditeur tout en soulignant que le pet classique est inhérent au bon fonctionnement de notre tube digestif et sans aucune prétention métaphysique. Y compris le pet de nonne qui se pratique généralement dans les cuisines mais on a connu des exceptions dans des lieux de prière mal chauffés.


Maintenant, je passe à une réflexion épidémiologique en tentant de répondre à la deuxième question :
DE QUOI LE RIRE EST-IL FAIT ?

Pour initier cette recherche, je suis très normalement parti de la documentation d'anatomie pathologique du musée DUPUYTREN. Ensuite, j'ai longuement compulsé le florilège de BOBBY LAPOINTE, auquel nulles manifestations esclaffantes et désopilantes ne furent étrangères. Notamment la guitare approximative, l'hélicon et l'irremplaçable «à peu près phonétique», forme aboutie d'un humanisme distingué.

Je vous en communique la synthèse: Vecteur commun aux phénomènes de satiété et présenté un peu en vrac quand il s'agit des individus pris dans leur grande diversité, le RIRE participe à la fois de : la gaieté des simples, celle des autres, voire celle des très compliqués, la distanciation vaniteuse, l'ironie de la prétention, la moquerie primaire, l'humour du désespoir, le cynisme n'attendant d'autrui, la condescendance détestable, les bonheurs spontanés ainsi que toutes sortes de réactions connotées humanoïdes en joie hilare ou pavillon de détresse hissé en haut du mat. Et liées à des circonstances variées, ce qui n'est pas le moindre de ses charmes.

Y a -t-il des questions dans la salle ?

Qualité supplémentaire non négligeable, je vous précise que le RIRE est également un excellent thermomètre de notre santé. La "vox populi" prétend qu'un éclat de rire vaut un beefsteak. A la période dite des voeux, on pourrait par conséquent substituer aux traditionnels souhaits de «Bonne année et de bonne santé » la simple formule: MEILLEURS RIRES POUR L'AN NEUF!
Outre une tension aimable du type 13/8 et une heureuse digestion des plats en sauce, on gagnerait aussi avec LE RIRE sur les trois objectifs que notre République peine à réaliser depuis plus de deux siècles :
Etre libre,
Devenir égaux et
Avancer en fraternité
.

Point concernant les syndicats d'enseignants et les Maitres à Penser sachant de toute éternité ce qui est bon pour l'enfant ébaubi, l'adolescent en formatage et l'adulte désorienté : Il apparaît à l'investigateur pratiquant le « CASTIGAT RIDENDI MORES » (voir les pages roses d'un vieux dico) que le possible en éducation qui consiste a rire en formant autrui n'est pas généralisable tous azimuts.
Le RIRE va donc de soi en de très nombreuses circonstances, mais il est à nuancer dans plusieurs domaines. Notamment lors d'adieux définitifs. Exemples: il est sans doute souhaitable pour marquer la fin d'une passion amoureuse, puisqu'en principe on en ressort souvent essoré jusqu'aux rognons de joie, mais guéri d'une sorte de maladie de fixation. Cependant, RIRE lors d'un enterrement est un peu suspect quoique le fou rire devant un caveau de famille puisse devenir un grand moment de bonheur libérateur. Pour les amateurs du genre, revoir ELOGE FUNÈBRE d'Etorre Scola où un RIRE irrépressible dans un cimetière est orchestré par Alberto Sordi. Grand moment Italien !

Enfin, précision remarquable et peut-être essentielle, le RIRE intervient très rarement lorsque l'homme fait l'amour à une autre créature ou, dans des cas bien spécifiques, à un cactus dont il a, au préalable, enlevé quelques piquants. Aux lecteurs curieux de cette dernière technologie plus africaine qu'auvergnate et généralement ignorée des éditions récentes du Kama Sutra, je conseille de demander des informations au Ministère des Armées, Section des Pratiques en Campagne dans l'ancien Empire Colonial Français. Précisez le chapitre intitulé «LEGION ÉTRANGÈRE & OPPORTUNITÉS VÉGÉTALES». Vous êtes priés de faire vos demandes par écrit en trois exemplaires accompagnés d'un extrait du casier judiciaire. Vous pouvez également demander le mode d'emploi de ces plantes grasses munies de tiges charnues aux archives du Vatican, notamment le texte mis au point par le Bureau concernant la Propagation de la Foi par les moyens du bord. Spécifiez l'article intitulé «POSITIONS MISSIONNAIRES ÉQUATORIALES ET TROPICALES». Ces documents jadis interdits au grand public vous seront envoyés en échange d'un chèque compréhensif aux oeuvres de la Sainte Eglise Apostolique et Romaine. Les ensoutanés sont longtemps restés très discrets sur ces comportements. Mais ils ne peuvent plus cacher les prurits missionnaires et leurs solutions opportunistes dans certains pays à température élevée car les médias ne respectent plus les pieuses hiérarchies. Y compris le Figaro Magazine où il arrive que des libre penseurs décrivent leur indifférence aux Dieux encore en exercice.
Pourtant, dans nos régions tempérées, quelques prêtres continuent à demander sans rire dans le clair obscur du confessionnal: «Avez vous des pensées impures? - Oui mon père, quand je veux faire l'amour à mon épouse, je pense à la femme du boucher » , répondait jadis un héros du romancier Gabriel Chevalier. Ce confesseur connaissant également la bouchère avait approuvé «Evidemment, ça peut aider ».
Refermons l'épisode «ça les travaille dans la soutane» et celui du «cactus charitable» qui me sera reproché par des hypocrites insensibles aux fantaisies charnelles pour arriver à la conclusion qui s'impose :
RIRE et COÏTER se pratiquent rarement en même temps

Cependant, distingo subtil, le premier se place souvent avant l'acte sexuel comme instrument de séduction, du moins pour les garçons. Très rarement après. En effet, les mâles s'endorment généralement lors que le rut passe de l'épectase, chère au cardinal DANIELOU, à la phase terminale supposée orgasmique. Phénomène que les épidémiologistes distingués identifient sous le concept de rituel endogène. Soulignons que cette pratique n'est pas dénuée d'onomatopées encourageantes. Ce constat fut vérifié "in vivo" par le signataire lors de la perte d'une vertu du type fragile et, ce qui apparaît beaucoup plus scientifique, par des sociologues spécialisés dans les secrets d'alcôve. L'histoire des religions, elles aussi très mobilisée par la sexualité, recoupe d'ailleurs ces expériences contemporaines.

Pour en revenir aux sources faisant preuve, vous pouvez lire la Bible, le Coran ainsi que toutes les élucubrations religieuses en provenance des lieux où l'homme se désole en attendant la mort. Notamment au Moyen-Orient. Ces livres annonceurs de bonheurs Post Mortem et de vie éternelle sur un nuage en Dunlopillo sont souvent publiées par des éditeurs en recherche d'un retour sur investissement de 15%.
De plus, ils donnent quelquefois aux pauvres pécheurs des raisons de se dilater la rate, notamment certains concepts tel celui identifié comme Contrition Imparfaite. Ce chef d'oeuvre de machiavélisme chrétien permet en effet au plus pervers des hommes de se retrouver à la droite de Dieu après avoir tué son prochain pour lui voler son bien et sauter comme un voyou le reste de la famille. Ou, dans le pire des cas, pour avoir fait pipi dans une boîte à lettres, un soir de carnaval.
François VILLON qui fut assez performant dans le genre malotru pratiqua beaucoup de ces vilénies mais, paix à son âme, il nous a écrit l'émouvant «FRERES HUMAINS QUI APRES NOUS VIVEZ ». Et vous savez bien que le reste n'est que vers de mirliton et littérature de gare.
Quand aux vieux grecs qui en connaissaient un bout sur ces questions, ils écoutaient Platon en branlant le chef ce qui n'était pas considéré à l'époque comme étant antidémocratique. Cependant, ils pratiquaient volontiers le rire avec Aristophane et la sodomie de proximité en rentrant du théâtre à la maison. C'est dire combien au cinquième siècle avant Jésus Christ, on ne mélangeait déjà pas ces deux genres qui demeurent encore étrangers l'un à l'autre dans les années deux mille, aussi bien dans les familles bien pensantes qu' à la Légion Etrangère. Quelques chèvres extraverties pourront sans doute le confirmer. Lors d'une prestation au théâtre Fontaine, le regretté Pierre Desproges avait expliqué au public qu'il avait un jour été coincé dans un ascenseur étroit auprès d'un inconnu. Et il avait précisé que très heureusement il n'avait pas été saisi d'une érection incontrôlable comme ca arrive quelquefois aux hommes n'ayant pas encore le cancer de la prostate. Confortant une fois de plus la séparation de l'hilarité débridée et de la bandaison au masque angoissé, les rires de la salle accompagnèrent l'épisode desprogien.
On peut donc rire de beaucoup de choses en somme, mais hélas ! ! ! pas avec tout le monde. Et pas de la même façon, ça va de soi. Un camarade d'école, officier supérieur en retraite, n'arrive pas a avoir le moindre rictus compréhensif en regardant des militaires se mettre à genoux pour fusiller un aumônier. Donc le RIRE de BOSC, célèbre ironographe des années soixante ne fait pas partie de son univers. Pas plus d'ailleurs que celui de CHAVAL, seul artiste à nous avoir décrit l'univers angoissant des pharmaciens quand ils fuient l'orage. Pourtant cet étoilé rit aux éclats en reprenant des refrains du type «PRENDS TA BITE A LA MAIN MON COUSIN, NOUS PARTON en GUERRE »...

Conclusion vérifiable : Lors d'un échange avec votre partenaire préféré(e), le RIRE mijote donc toujours en nous sauf quand nous sommes revêtus d'un uniforme ou d'une soutane. Ou quand nous songeons à perpétuer l'espèce.
La fornication du samedi soir relève donc du masque tragique de la Comedia del Arte et le péché loge toujours sous la jupe de Colombine. La permanente dichotomie évoquant le bien et le mal, le péché et la vertu et bien d'autres partages aussi binaires que simplistes permettent, Chers Maîtres bardés en lézardages, d'aborder votre point numéro Trois répondant aux sourcils froncés des hiérarchies pyramidales. Tout en s'y opposant.

Les questionnements interrogeant notre passé néo reptilien pour imaginer un grand dessein ou argumenter un avenir balisé vers le céleste ont été suffisamment malaxés et triturés au cours des millénaires pour que nous nous désolions de leurs réponses logorrhéiques. Et de leurs limites. Quoique prêtre, Rabelais nous avait déjà prévenus que le RIRE est la solution humaniste à notre portée. Le théâtre qui a quitté le parvis des églises depuis belle lurette nous l'a confirmé.

Aujourd'hui, le RIRE de RÉSISTANCE suivi du RIRE d'ABSURDIE conjuguent leurs efforts pour nous libérer de ces survivances médiévales. Ce faisant, ils nous préparent progressivement au RIRE d'APOCALYPSE, un vraisemblable qui ne sera guère facile à vivre, notamment sur la fin.

Néanmoins, les penseurs pontifiants et autres popes, moines, capucins, imans, rabbins, lamas, gardiens du temple, cardinaux bénisseurs, hommes politiques à paroles définitives et discours charismatiques et autres sermonnaires irresponsables, sans oublier certains professeurs HONORIS CAUSA, ne seront pas fusillés pour manque de réponses crédibles car nous sommes opposés à la peine de mort. De plus, ils nous firent croire par moments à des lendemains qui chantent et surtout espérer des surlendemains avec vue sur le Seigneur et son grand Orchestre mélodique d'anges et d'archanges.
Pas très longtemps, c'est vrai !
Jadis dirigés alternativement par un pape appelé ARAIGNÉE par Jacques Prévert ou le menuisier Joseph auquel Marie refusa le lit du conjungo et le contact du derme au profit d'un pigeon, ces emplumés rythment encore des marches humaines, pourtant sans espoir d'un quelconque point d'arrivée. Seul, celui qu'Edmond Rostand posait sur l'I du verbe AIMER nous permet d'attendre Godot.

Claude CHANAUD, mars 2009
droits réservés, édition en ligne Barde la Lézarde dans le cadre d'ANADIPLOSES, décembre 2009
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