pour Scandal

à propos du Factice

D'oeuvrer dans la rue à faire oeuvre d'exposition, il n'y a qu'un pas, vite franchi quand les galeries se disputent les sauvageons de l'art-crime perpétré à la bombe, à la photocopie et à la colle sur les murs des villes!

'Le Factice' a été l'occasion, pour Scandal, de faire ce pas, ou plutôt, ce saut!

'Stickers sur la Ville': les murs de 'la Loge de la Concierge' sont offerts aux graphistes de rue par le truchement d'un minuscule autocollant noir et blanc, apposé sur les murs de différents quartiers de Paris. Tout l'été 2002, La Loge accueille des prêts de collectionneurs sous forme de books à feuilleter tandis que le résultat de cueillettes dans la rue est disposé 'muséalement' sous des plaques de verre et que les libres contributions prennent place au fur et à mesure sur de grands cartons gris cloués au mur. Scandal propose, ainsi que d'autres comme 'Monsieur', 'Nowart', 'Corbeau', 'Diz' ou 'Parapluie', de s'emparer d'un de ces cartons pour le travailler en atelier et de le rapporter avant le vernissage en Octobre.

Ne pouvant, sur ce carton, plaquer son intervention comme il le fait habituellement en résonance à des éléments existants dans la rue ou le métro, le voilà parti sur la fabrication d'un volume: un morceau de façade de rue, minutieusement reconstitué, retour de vitrine, mur d'immeuble, boîte EDF, tuyau, flyer de parti politique, papiers publicitaires grattés, recouverts, tout y est, signé Scandal! Cette reconstitution ne représente pas pour son auteur une uvre en soi, mais ce qu'on pourrait définir comme un contexte portatif pour présenter son échantillon d'intervention sans déperdition de sens.

Cependant, accroché au mur, 'le Factice' prend inévitablement valeur d'uvre. L'ambiguïté de son statut se révèle quand on l'installe à sa place initiale, parmi les autres cartons constituant le work-in-progress. Scandal voulant garder l'exclusivité de ce territoire qu'il s'est spécialement aménagé en interdisant d'y coller quoi que ce soit d'autre, on l'accroche ailleurs, ce qui ne résoud rien, et il se retrouve plongé dans des abîmes de questions pour toute la durée de l'exposition. Le 'Factice' posait en effet, tel un manifeste, la question cruciale du changement de statut : un élément créé dans un contexte précis, perdra immanquablement tout ou partie de son sens et de son éventuelle charge de subversion lorsqu'il sera placé dans un lieu de monstration, à moins de lui créer, par quelque artifice, un contexte équivalent.

De nombreux graphistes ou peintres débutants considèrent la rue comme leur première cimaise et l'exploitent, quelquefois avec grande virtuosité, pour offrir à leur nom visibilité et notoriété. Le 'passage' de la rue au lieu d'exposition, voire la mise 'en galerie', n'est ensuite pour eux que la formalité de la consécration, l'aboutissement auquel tend globalement, de façon notoire ou masquée, leur action dans l'espace public.

Celle de Scandal étant basée complètement sur la subversion et ne procédant pas au départ d'une démarche artistique en voie de professionnalisation ou de célébrité, ce 'passage', au lieu de valider sa démarche, risquait de la neutraliser. L'ayant pressenti, il avait spontanément inventé quelque chose. Le 'Factice', portant haut son refus d'amalgame avec l'ensemble d'une activité artistique 'officielle' qu'il récusait, était aussi, indubitablement et dans le même mouvement, l'affirmation d'une véritable démarche artistique où l'uvre et son contexte ne font qu'un!

May Livory

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