Ce n'est pas d'amour que nous nous consumions, chers Breachers, mais, dans la niche où le monde nous jeta, d'en avoir fait si vilain usage. Disons qu'on n'avait pas encore la main... Nous combattions certes avec poigne nos adversaires, mais avec quelle pusillanimité nous caressions ceux qui ne l'étaient pas ! Des innombrables outils que nous inventions pour nos dix doigts avides - des pierres taillées aux machines numériques -, il ne reste que celui (car c'en est un !) de notre langage, et que seule la poésie sauva du déshonneur. C'est donc au moyen d'elle que nous exprimerons nos voeux en la tâche qui vous attend : être shukabien ou shukabienne en toute circonstance. Cette grâce unique conservez-la comme le plus précieux héritage de vos pauvres prédécesseurs, puisque, si nous sommes vos arrogants manufacturiers, nous demeurons vos ancêtres et, à ce titre, votre charnelle filiation, partant votre brûlante mémoire ! Bientôt la belle mais par nous éprouvée
Gaïa, la niche "terre" de l'hominienne espèce
sera donc vôtre. Les hasards de la spéciation vous
ont collé des ailes, comme aux mythiques anges de nos
meilleures fables. Elles bonifieront l'oeuvre des dix doigts
de vos pognes que vous avez héritées des nôtres,
accapareurs et touche-à-tout, c'est-à-dire imparfaits.
Lors, que vos ailes vous servent à vous élever,
à l'occasion, de nos terres dévastées (après
les avoir refécondées) et, libres comme l'air,
à vous rapprocher des étoiles, ces bergères
dont nous étions le trop nombreux et le peu fraternel
troupeau. Soyez vigilants quand même: tout au plaisir de
vous caresser les uns les autres dans le sens de vos plumes,
gardez-vous, par intempérance ou par zèle, de vous
les arracher. Car c'est ainsi, comme dit le dicton, que l'oiseau
bariolé finit en brochette. On vous aime déjà. John Gelder |