Bienvenue au pays des Engoulevents, des Vaches Volantes,
des Arbres à Chevelure, des Guetteurs Futiles et des Aggraveurs

SHUKABA
Shukaba tente un break dans les milieux d'art et de modes de pensée en Occident: opéré par des membres de ses "villages", il met en évidence les concepts véhiculés par eux ou avec leur complicité, dont la pratique a érodé, voire occulté le sens.
Moyen d'observation, et pourquoi pas, mode de pensée et de création? Loin de n'être qu'observatoire, Shukaba se sert des outils technologiques, sociologiques, anthropologiques, culturels, et des concepts mis en évidence par un breaching permanent, pour pratiquer l'invention de la vie dans une marge de liberté sans cesse remise à l'épreuve.
Shukaba, Rumeurs et Costumes, la thèse

Shukaba étudie les rumeurs en tant que vaguelettes de la Tendance. Shukaba étudie le terrain sous l'angle des émergences de la Tendance avec un grand T, ainsi nommée car elle fédère en lame de fond toutes les rumeurs que sont les modes avérées, et qui constituent l'ensemble des choix de société.
Rumeurs, actrices vêtues de la Tendance nue

De l'observation de comportements de type machine célibataire, résulte une sociologie profane, point de départ d'une nouvelle sorte de philosophie non séparée de la vie et par là même capable d'engendrer de nouvelles pistes créatives. Machines Célibataires

Shukaba, une archéologie vivante où les démarches de création, stigmatisées par des mots-clés, redéfinies en rituels, obsessions, fictions narratives, gestes simples, sont accessibles par des liens transversaux... La découverte de ce qui est laissé en friches sur les berges du grand fleuve culturel, en faisant des fouilles parmi les jachères de "non-choix" qui germent malgré tout dans les failles de son estran limoneux, c'est son terrain favori, son terreau, son engrais, son or noir fertilisant.

Shukaba redéfinit la notion d'indigène en faisant un minutieux travail d'l'ethnographie de notre culture par ce que chacun peut en percevoir chaque jour s'il veut bien s'en donner la peine et même s'en amuser, en faire un jeu. Shukaba occupe le poste d'observation de "l'indigène" et raconte ce qu'on voit ainsi, entend, comprend, au jour le jour:
Paroles d'Indigènes:
- Billets de Rumeur (archive 2001-2005) des fragments trouvés dans le casier à courrier de "la concierge" ou reçus par presse quotidienne, publicités ou spots télé, qui sont cités, soulignés, commentés en billets
- Terminologie des Rumeurs malignes
: glossaire in progress par May LIVORY
- Litanie de Base Lines:
une collection unique, rassemblée au jour le jour, depuis 2001, des slogans de base des marques qui intègrent à la publicité classique une contamination "douce", anodine, à travers de petites phrases qui sont souvent des injonctions à peine déguisées, des ordres à se conformer, à se fier, à se confier, à un ordre qui ne veut que notre bien.
En forme de conseils malins, d'affirmations d'altruisme de la marque vis-à-vis de vous, de son omniscience à régler votre vie, la sécuriser, lui donner tout son sel, son relief, son intérêt. Secrets de beauté, de philosophie, de sagesse, de plaisir, d'épicurisme, sont donnés pour / rendus absolument nécessaires pour tous d'une manière quasi subliminale. On ne les remarque même pas, alors qu'en les relisant bout à bout, on se rend compte qu'on les "sait" par coeur tant on les a lus, vus, entendus par inadvertance! Pour exemple, tout le monde se souvient de "Parce que je le vaux bien" ou de "Think different". Si on se met à y prêter attention, l'effroi vous prend de constater à quel point le marketing viral distillé par "la grande machine" s'insinue dans nos imaginaires sans coup férir. Pour s'en convaincre, il n'est que d'examiner ses propres réactions face à ces phrases à quatre sous qui semblent à première vue presque vides de sens, mais se révèlent en seconde lecture et par accumulation, très lourdes de conséquences sur l'individu, ses attentes, ses rêves de réalisation, ses ambitions, ses projets de vie et sa vision de la société: Live the game - Entrez dans la légende - Just do it - Fais-le! - Espress yourself - Inventez-vous! - Choose Freedom - J'ai toujours envie d'aller aux Galeries - Connecting people - Partez sans payer - Vous le valez bien - Jouez avec vos émotions - Autant d'injonctions dont le caractère péremptoire vous prend en défaut si vous vous n'y conformez pas votre vie. Des impératifs qui placent une exigence globale de vie individuelle, à la fois au-delà des capacités ou des compétences de la personne moyenne, et en-deçà de ses aspirations profondes. Une lecture qui laisse un arrière-goût de malaise indéfinissable derrière le sourire qu'elle suscite parfois, car il y a des trouvailles et même quelquefois de jolies choses, des tournures bien venues ou des idées très justes. Accompagnant de leurs formules lapidaires nos "actes d'achat", nos peurs, nos tristesses, nos culpabilités sur le bien-fondé de nos décisions face à l'avenir, à la sécurité des nôtres, confortant notre cupidité, nos lâchetés, notre besoin de reconnaissance, ou stimulant nos penchants égocentriques, ces "petites phrases" sous-titrent en permanence notre vie quotidienne pour en faire le film parfait dont nous serions les héros.

Turbulences: sitôt pondu par Isabelle DORMION, sitôt mis en ligne, un hyper journal à suivre: Le monde tel qu'il est "reçu", quelquefois comme une gifle violente, d'autres fois d'une façon très insidieuse, insistante, récurrente, invisible, anodine, par une "indigène", c'est-à-dire quelqu'un qui se trouve "backstage", sur l'envers du décor et regarde les choses par le petit bout, les bouts de ficelle du spectacle, les arrière-plans, les choses infimes auxquelles personne ne prête attention, qui n'intéressent personne et restent de ce fait ignorées. Jusqu'à ce qu'on les débusque avec de petites pinces très fines, comme on attrapperait de très petites petites perles coincées dans les rainures du parquet, des épingles ou des boutons de culotte embusqués dans les creux des fauteuils, ce que notre chroniqueuse fait avec un art consommé de ménagère avertie, doublée cependant d'une ethnologue implacable que ne rebute point l'observation de terrains réputés incongrus, partant fort négligés des ténors de la profession.

Shukaba fait du breaching un sport intellectuel agréable permettant de littéralement rendre étrange ce monde ethnocentré dans lequel nous vivons.
**Breaching, provocation expérimentale « Il s'agit d'introduire une "logique folle" dans un système apparemment parfaitement logique et cohérent et d'en observer les effets. Les règles du groupe ainsi violées, bouleversées, vont rapidement s'expliciter. Interrompre l'un de ses systèmes est un moyen redoutablement efficace pour comprendre quelle en est la marche "normale". », selon Harold Garfinkel (fondateur de l'ethnométhodologie)
Le "breacher": celui qui ferait de par sa nature même la coupure, le choc. Il va plus loin que le breaching tel que décrit comme ci-dessus, poussant au paroxysme la notion de breaching mise en oeuvre dans Shukaba en tant que mode d'observation-outil de création.
Comment repérer le "breacher"?
Par le fait qu'il "dérange", non pas tant par la provocation que par la nouveauté de son attitude dans la vie, adoptée naturellement au mépris des modes et des tabous ambiants. Le break, par exemple, est le nom d'une danse contemporaine née aux mêmes sources qui ont nourri le hip hop, de "breakers" qui se sont mis à faire autre chose, à casser les règles et les cloisons entre différentes disciplines. Les breachers sont aussi bien professionnels qu'autodidactes, jeunes que vieux, musiciens que danseurs, scientifiques, grapheurs ou graphistes, informaticiens, muralistes, DJ ou stylistes de mode, philosophes, écrivains, poètes ou peintres, à leurs heures ou à temps complet. Leurs émergences sont multiples et variées, et pas toujours dans leur domaine d'origine. Ils font feu de tout bois, du low tech au high tech. Ils ont en commun que rien ne leur fait peur: le tout est de trouver ou de faire la brèche et de s'y engouffrer à la vitesse de l'éclair.
May Livory, été 2000

Autour des breachers,
par John Gelder: Lettre aux breachers (parue dans Journal d'un Jour du 5 5 2000, Barde la Lézarde), sur lacunar.org (Langages Anthropologiques, Culturels, Narratifs) et Parc Edition, suites et fictions "Emergence, émurgence... les breachers, nouveaux rites et légendes?... initiation... mouvement évolutif?... le fondement d'une épopée?", in Emurgence des Breachers, commentaires et témoignages, Prosthesis & Futilis, Initiatio, L'après Prosthésis, Miscellanées, musical breaching et Acta est Fabula

Shukaba pratique l'exposition comme un autre regard sur l'art, une ethnologie de la communication et de l'émergence de nouveaux comportements réactifs, une étude des communautés virtuelles, et des réponses de résistance au "branding" omniprésent par l'art du "self-branding" ou l'occupation de l'espace urbain laissé en friche, la conquête par la bande des territoires culturels confisqués par le grand commerce et le management institutionnel.

Récit ethnographique d'une expérience: Stickers*** sur la Ville
Stickers* sur la Ville, expo #1 & 2
- Le lieu : La Loge de la Concierge
, 24 m2 au premier étage 14 rue du Pont-Neuf, Paris, en plein quartier des Halles, côté Louvre. Work in progress lancé en Juin, l'exposition constituée des premiers apports mis sous plaques de verre, se complète au jour le jour par la cueillette de vignettes sur les murs de Paris.
- Septembre : le buzz (= communication par rumeur) démarre sur les murs de Paris avec un tout petit sticker en papier noir et blanc, et sur le site internet shukaba.org, offrant les murs de la Loge aux graphistes de rue. Installation de l'oeuvre-titre : un grand collage de stickers repeint (2m x 2m environ), de Nowart, et de « Factice » par Scandale. Prêt de books personnels de collectionneurs.
- 2 Octobre, ouverture au public, le mur réservé au work in progress, recouvert de grands cartons, continue de se garnir.
- 5 octobre « La nuit Blanche à Paris », le vernissage bat son plein de 16h jusqu'à plus de 2h du matin. Défilé continu de visiteurs, par vagues d'une vingtaine. Discrets dans la foule, certains collent furtivement leurs stickers, beaucoup signent de leur blaze les stickers blancs de Monsieur : « Hello my name is... ». D'autres reviennent avec 10 personnes, ou passent l'info aux admirateurs. Ces inconnus si mystérieux qu'on ne connaît que par leurs traces urbaines, se dévoilent un peu, beaucoup ou pas du tout. Beaucoup viennent du muralisme, du graphe à la bombe, de la fresque de friches, et ont l'habitude des grands espaces, leurs stickers sont grands et comportent plusieurs modules. Quelques uns dessinent sur place de petits portraits graphiques très délicats, pendant que des arrangements se font en mosaïques aléatoires par superposition de stickers publicitaires utilisés tels quels ou détournés vite fait au flop. On vient de partout, Dunkerque, Lille, Montpellier, de Belgique, de Hollande, par hasard, on échange, on distribue, on « toye » un peu mais pas trop, tout cela dans la bonne humeur même si des différends éclatent entre étudiants et pratiquants de la rue de longue date sur le fait de savoir qui est le plus authentique, le plus vandale, le plus talentueux, « trop fort », « total respect ». Des rumeurs circulent sur le jeune homme qui colle sa photo partout depuis les élections, on dit qu'il est mort et que ce sont ses amis qui collent pour lui, on dit qu'il a complètement changé de look, que c'est la photo d'un inconnu, ou encore on se vante de très bien le connaître, mais qu'on ne vendrait pas la mèche, pas plus que pour celui qui dessine les ombres en blanc, avec un bas panthère sur la tête, ou encore celui qui a kidnappé l'oeil de la bâche Sephora sur la Samaritaine.
- 30 Octobre : fin de l'expo. Pendant tout le mois des visiteurs se sont pressés tous les après-midi, surtout entre 18h et 20h, attirés par le sticker qui continuait d'être collé par ceux qui venaient à l'expo. Beaucoup sont venus plusieurs fois, constater qui était passé en décryptant les graphes, faire des photos ou tourner des mini films de leur intervention. Des étudiants de Paris VIII ont pris comme sujet l'inconnu de la photo et collé un avis de recherche. L'histoire continue: ce fond de stick-art reste consultable sur rendez-vous et on peut continuer à y faire des apports, le work in progress garde la trace de ce premier symposium sur ses grands cartons... jusqu'au prochain! , May Livory, 31 octobre 2002

***Sticker = autocollant
le plus petit support d'art de la rue, miniatures enluminées calligraphies, esquisses de muralisme et manifestes esthétiques humoristiques et poétiques. Vinyl découpé, papier coupé-collé, étiquette autocollante travaillée en atelier au feutre, à l'aérographe, à la bombe ou en copy art, autocollant publicitaire récupéré, ciselé, graphé, bande de scotch signée, sparadrap, photos en mosaïque, tous les supports sont bons pour ces graphes de gouttière, de distributeur de préservatifs, de borne, de rambarde ou de parapet... Offert au passant, il revendique la gratuité de l'acte individuel libre.
Le sticker est un ersatz logique du graphe à la bombe, né dans « l'envers » des villes, il est plus léger et moins vandale, plus adapté à « l'endroit » des villes où les supports disponibles sont plus restreints que dans les friches et très surveillés. Il sert à détourner rapidement des affiches dans le métro ou des 4x3 dans la rue, par un collage de photocopies A3 savamment calculé et ajusté. Ensuite sera collée la photocopie des photos de ce détournement.
Self-branding, buzz élégant colportant sa propre légende, journal intime, photo de soi, logo, marque, signature suivie de « one », accompagnée du nom du crew, qu'il soit gratté à la main, sponsorisé ou imprimé à compte d'auteur en amalgame avec ceux de ses associés, il s'agit toujours d'une prise de territoire, qui a retenu les leçons de la pub et du marketing et qui s'en sert avec naturel, laissant peut-être au second plan les nuances politiques, mais stigmatisant implacablement le cynisme de la publicité en copiant ses méthodes.
La pratique du sticker ou sa collection fait de vous un acteur de la ville, donne accès à une sorte de communauté virtuelle dont on pressent les affinités, l'envie de vivre différemment, de cesser d'être figurant dans une cité-décor qui ne ferait qu'organiser un spectacle pour touristes.

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