L'anniversaire des dix ans
de la Loge
Dix ans déjà que l'architecte
Bruno Livory et l'artiste plasticienne May Livory ont ensemble
fondé ce lieu, observatoire urbain et laboratoire d'idées,
la Loge, réactualisant la tradition des Beaux-Arts, s'ouvre
par intermittence à des interventions pluridisciplinaires
-sans hiérarchie des genres, parti-pris ou censure. Plus
de 200 artistes montrés/édités entre 1994
et 2004, soit dans des collectifs thématiquement ordonnés,
soit en loges personnelles : Gérard Gwezenneg, Pierre
Bourgeade, Henri Maccheroni, Gérard Bignolais, Katerine
Louineau, Joachim Pfeufer, Tobias Trutwin, Raom et Loba, Laurie
Karp, Ilias Poulos, Yvon Taillandier, Pierre Cornudet, Corbeau,
Maglione, Vladimir Borensztajn, Nowart, Anne Gateau, Dorothée
Selz, Nebojsa Bezanic, Henri Ughetto, France de Ranchin, Michal
Batory, Delphine Ferré, Marie Schuch, JR, Michelle Herry,
Zlatko Glamoçak, etc.
Cinq Faites d'inutilité publique débordant
sur l'espace de la rue y ont été organisées
(Le Noeuf (99 artistes) en 1999, Faites des Pognes
en mai 2000, Faites de la Lumière en juin 2000,
Fiestalux et l'art sous plastique en décembre 2000,
Empreinte Labyrinthe en mai 2001) donnant chaque fois
lieu à exposition in et hors les murs, performances et
édition du journal-d'un-jour commémorant l'événement.
Si les tensions récentes -Vigipirate oblige !- ainsi que
la récupération abusive qui en était faite
par les responsables culturels, notamment municipaux- ont dissuadé
«la Concierge» d'investir le bitume, elle maintient
envers et contre tous ses propositions contexte-prétexte
: à partir de mots-clés, une exposition/état
des lieux renouvelle par la monstration l'approche et la réflexion
sur l'art et les oeuvres. Ici s'élabore patiemment tout
un travail sur la trace, le signe et la mémoire contemporaines
au fil de thématiques toujours tramées dans «l'air
du temps» et qui se sont peu à peu constituées
en archives confidentielles reflétant une histoire de
notre époque. Ainsi, l'exposition Stickers sur la ville
en juin 2002, la première de ce genre réalisée
à Paris, a généré la création
d'un fonds de stickers (vignettes autocollantes comportant une
intervention graphique originale) récoltés dans
les rues de Paris ou offerts par les grapheurs eux-mêmes.
En 2002, La Loge se dédouble au balcon : c'est l'étrange
lucarne de la Loge branchée, visible uniquement de la
rue, ainsi visuellement investie, présentant au regard
des passants une oeuvre-installation urbaine suspendue, un kakémono
sur la porte en synthétise les enjeux. Ce concept inventé
par May Livory est relayé sur le site de la Loge, le virtuel
renvoyant au réel dans un jeu sans fin...
En mai-juin 2004, une grande exposition de copy-art (des
années 70 à nos jours) donne à voir comment
les artistes détournent la fonction de simple reproduction
de la machine pour produire une représentation entre vérité
et appropriation, qui renvoie aux questions de la restitution
illusoire du réel, de ses métamorphoses ambiguës
et aléatoires. En octobre-novembre, Baselines réunit
dans les murs palimpsestueux de la loge, cent collages surréalisants
d'Isabelle Dormion, minutieusement élaborés à
partir d'images prélevées dans la manne des magazines
et cent « galettes » de May Livory façonnées
dans la pâte quotidienne du journal Libération
-fragments de textes et d'images retravaillées, émouvantes,
grotesques, raffinées ou dérisoires qui s'entrechoquent,
se contredisent et se découvrent comme autant d'éclats
disjoints renvoyant la vision kaléidoscopique mais condensée
de trois ans d'actualités; tandis qu'en surimpression
sonore s'égrenait la suite des base lines dont les outrances
et les contradictions composent un bien étrange poème
: Bienvenue dans la vie.com/ on est mieux quand on a tout/
les temps changent, les références aussi/ le passé
remis au goût du jour/ des femmes qu'on n'oublie pas/ la
beauté n'est pas raisonnable/ par ce que je le vaux bien/
vivre c'est ressentir/ la nature s'en souviendra...
Pour clore avec élégance l'année, Bijoux
d'auteurs découvre des recherches singulières
: sea-glass en reliquaires de Marie Daturi, expressions
textiles talismaniques de May Livory, mobiles arachnéens
d'Anne Claustre et, pour la première fois, les sensuels
bijoux de fer et d'os de Bruno Livory...
Enfin, la Loge présente en permanence les livres d'artistes
édités par Barde la Lézarde : «Un
foL'Ivre n'est pas un livre ni une lettre mais un objet
timbré créé de toutes pièces par
un artiste et un auteur qui n'hésitent pas à intervenir
physiquement sur chacun des exemplaires» -numérotés,
signés et cousus de fil blanc! «Pas de courant ou
de genre spécifiques mais des affinités orchestrées
subjectivement dans un contexte dont le thème donne son
caractère», trempé d'un humour subtil mais
incisif!
Sans doute parce que « le rêve est une des plus belles
formes de la vérité » et que la fiction finit
toujours par rejoindre la connaissance... une aventure à
suivre sur shukaba.org!
Tessa Tristan
* euphémisme désignant la
télévision dans Le Canard enchaîné,
ici simplement une fenêtre ouverte sur la rue!
Art Jonction, le journal N°49 janvier-février
2005
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