Amalgame,
Isabelle DORMION, par mail, mis en ligne
le 7 septembre 2001
A Monsieur l'Editorialiste du Nouvel
Observateur, par exemple.
Vous qui enfourchez chaque semaine de
nouveaux chevaux emballés et indignés pourquoi
ne pas créer une fois pour toutes une ligue de vertu ou
un cercle de la juste pensée, ré-humanisée
par Guillebaud, notre nouveau mètre étalon du pavillon
de Breteuil?
C'est assez! Trop de loft stories, de
maillons faibles, trop de trottinettes, assez d'untels et trop
de tout. Trop de voyages chics, de dépaysements assurés,
trop de consumérismes exotiques, argiles et déserts
de luxe dans vos pages racoleusement hypocrites.
S'il nous arrive encore de capter des
ondes furtives sur les radios de province, quelques belles voix
modestes et rares dans la quasi-clandestinité audiovisuelle,
c'est qu'une résistance obscure se crée et bientôt
se lèvera, nourrie de refus et de nausée. Ne croyez
pas en être l'initiateur.
Le chroniqueur, chrono en lignes, nique son lectorat. Des idées,
sur commande, libres, à la pelle, fusent hebdomadairement,
et quand ce n'est pas lui, c'est l'autre, l'identique, son frère,
le même, qui raconte depuis toujours comment, fraîchement
enrhumé, il vient de redécouvrir Mauriac par l'enchantement
renouvelable d'une bibliothèque dépoussiérée,
par le chiffon magique de sa femme de ménage ex-yougoslave
ou post-albanaise, une fée mutique efficace, il redécouvre
Morand, d'autres vieux cons, ou Chateaubriand, le type vient
de relire les Mémoires d'Outre-Tombe ou une certaine vieille
édition pile poil de Gide retrouvée dans la doublure
d'un imper anglais décousu mais encore chic, (ces familiarités
d'antichambre et de garde-robe!) ou les Goncourt, ou Rika Zaraï
ou l'autre Jossselin, un enthousiaste rondouillard tous azimuts,
qui a le talent, mine de rien, de complaisamment flatter Sagan,
une grande dame, je rêve, tête d'épagneul
breton, une grande dame, très gentils yeux, c'est vrai,
très drôle, c'est vrai, ou Sollers, très
drôle aussi, si, si, c'est excellent, je rêve, oui,
eh bien finalement, ce n'est pas mal du tout, dit-il au lectorat
consterné, on nous dit aussi comment maigrir, comment,
crétins, manger crétois, comment comprendre la
nouvelle économie, comment penser, comment user son temps
culturellement, comment épargner ses semelles, son individualité,
son cholestérol, sa bonne et sa mauvaise conscience, comment
titiller son âme mais pas trop, jamais jusqu'à la
joie ou la contemplation, attention, on a l'âme un peu
néo-bouddhiste, mince et grise, on apprend comment saluer
un pauvre avec une dignité joviale, sans culpabiliser.
Bonjour Monsieur, comment allez-vous, et le quart monde, ça
marche en ce moment, la précarité, tout ça,
ça va? Des mecs comme Minc, ça existe encore, ça
parle, mais pas là? Aron, non, on n'en a plus. Mort, il
parle mieux, ça passe, comme Morand, on oublie tout, Céline
aussi, ça passe mieux avec le temps qui passe, son génie
inaltérable comme le vieil imper décousu cradingue.
Drieu, aussi, on ose, ça passe, si c'est Sollers qui s'y
colle, c'est mieux, ça passe. Ce type, il peut parler
de tout, il est content, il met la bouche en avant, avec sa bague
et son porte-cigarette, des baffes, il est content, il ronronne
au doux chaud soleil télévisuel. Là, à
la rentrée scolaire on est prévenu assez tôt,
il faudra accepter le passage à l'Euro ou aimer Houellebecq
et sa fiole de fieffé cynique roublard qu'il faut se coltiner
en veux-tu en voilà, en plus il chante, pour élargir
son champ d'expression, là il ressemble à Anne
Sylvestre et à celle qui chantait Melecoton et boule de
gomme, non, boule d'or, Colette Magny, semi-confidentiel? Suscite
la honte, la gêne. Devrait partir en proche banlieue pour
cuver son talent et le laisser décanter dans la grisaille
et l'ennui éthylique ou le no-man's land consensuel. Un
peu d'ascèse dans une maison blême de Dourdan? Une
petite année sabbatique en silence? La paix et que les
chiens enfin n'aboient plus!
Suivent impavides et brillantes les
suites en céramiques de Marakkech l'ensorceleuse et ses
palais pour trois fois rien, le luxe pour tous, pour moi, pour
vous, pour toi et moi, pour lui, avec de la domesticité
conviviale, stylée, mutique soumise, payée et silencieuse.
Il s'appelle Omar? Je rêve.
Accrochons le lectorat. Luxe discret.
Comment s'appelle-t'elle, celle qui transcende la petite lingerie
de Chantal Thomass, un nom qui finit en i, trois fois rien, 2500F,
un petit body de dentelle? Faites-vous plaisir intelligemment.
Suit l'objet du mois. Le minuteur en acier inox pour l'homme
d'affaire précis, pressé, hédoniste et désinvolte.
Il y en a.
La pensée du jour? Implicite, ambiguë, décryptable
au troisème degré du syllogisme. Comment saluer
un torturé de fraîche date, avec une dignité
non dénuée de bonhomie, comment, en trois pages
montre en main, décrypter une photo chelou, horriblement
suspecte, celle d'un enfant agonisant dans les bras de son père
criblé de balles ennemies. Qui est l'ennemi ? Aujourd'hui
qui le dit? Aucun jugement n'est émis, hormis celui du
Juste, Julliard, assis justicier à la droite du Père,
le lecteur a le droit de penser, et s'il en a les moyens, le
devoir. Qui a parlé de moignons?
Autre chose, cher chroniqueur avisé,
autre chose dont personne n'a parlé de peur du ridicule
qui tue. C'est pourtant un fait de société, un
baromètre, un paramètre, un indice, deux petites
choses, je ne sais quoi de furtif et d'énorme dont Jankélévitch
aurait fait une montagne, une tarte à la crème,
une péninsule, une montgolfière, un petit propos
anodin et croustillant du Collège de France pour jeunes
émules zélées vaguement onanistes, portant
haut leur petits magnétos cultureux et besogneux, leurs
petites gueules khâgneuses moites et prédatrices:
vous qui seriez l'aiguilleur zélé des consciences
avachies, pourquoi ne criez-vous pas avec nous, en choeur: "halte
aux burnes!" Dans le métro où nous sommes
tous les jours véhiculés, où nous élevons
nos minuscules esprits en relisant Wittgenstein à la lumière
de Bouveresse, il nous arrive en levant les yeux, aux stations
qui défilent joyeuses illuminées, de se trouver
nez à nez avec de copieuses, tonitruantes, monumentales
paires de testicules dans le calfut immaculé du beauf
assermenté. Non que ce spectacle ne puisse réjouir
un coeur féminin normal, formaté hormonalement,
mais nous avons déjà au foyer cette vision bilatérale
Reiserienne que nous acceptons benoîtement au fil des saisons
à la veillée et les soirs de pleine lune.
Or, si nous sortons de la maison, c'est pour visiter le vaste
monde et élargir une perception obtuse, tronquée
et toute domestique de la vie. Ce spectacle quotidien, navrant,
avantageux, vantard et bassement triomphal attise en nous, ménagères
de plus de cinquante ans, grisonnantes et placides, des agacements.
Pourquoi les éditorialistes poids
léger et poids lourds ne se commettent-ils jamais dans
la réflexion qui friserait le grotesque sans le flatter?
Personne ne réagit plus à l'étalement ostentatoire
de ces prunes facétieuses et familières. A part
Delfeil de Ton, je ne vois pas qui se commettrait, si, l'autre,
celui qui fait l'apologie des nanars, il a un style mordeur,
les autres c'est de la camomille en tube pour endormir l'aïeule.
Et le grand Autre, pontifical, qui nous explique Camus depuis
trente ans, ça va, le radotage, l'indignation en pullman,
revue et corrigée par l'économie libérale,
décorée par Andrée Putman.
Faut-il faire une grève de la
faim pour endiguer la déferlante parisienne (combien dans
Paris?) des gonades en vadrouille, gonflées et gonflantes,
et celles, italiennes, de l'Endimanché triomphal? Faut-il
rejoindre le rang des prudes blêmes, cantiques et drapeaux,
ou se lancer, grisonnantes, dans la révolte situ-pubertaire?
On va rire une fois de plus, débonnaires, indulgentes,
insultées. Bigard, Benetton, Nike, Danone, Michelin, demain,
on passe à l'attaque citoyenne en règle.
Vous me dites de nous adresser aux éditorialistes du Monde?
La triste précision, la réalité; notre pitance,
le brouet du crépuscule, la neutralité quasi objectivante,
note pain quotidien, quelle corvée, cette précision
obsessionnelle, cette bonne foi quasi suisse, ce sérieux
pontifiant, horloger, pédagogique, ces truismes de rouleaux
compresseurs pour diplomates paraplégiques !
Nous savons qu'à Gênes,
le G7 (jet set) / G8 a eu, par la bouche de Busch ces concises
paroles "nous ne laisserons pas quelques perturbateurs troubler
les entretiens". L'un d'eux est abattu, une balle dans la
tête, à bout portant. Or, il aurait été,
il a été le premier innocent alerté, le
dernier militant à sourire de tout, à se payer
la tête de Berlusconi, le bouffon médiatisé
grand annonciateur d'un sinistre avenir dans l'économie
mondialisée.
Mêmes effets de sidération.
On n'en croit pas ses yeux. Bigard, Berlusconi, la vulgarité,
la vraie, intolérable, étalée partout, inévitable
anodine prolifération mollement digérée.
Digestion, fusion, déni des différences,
nivellements, systématisation. Globaliser, le mot est
rond, rassurant, mou, il a le vitreux des cauchemars de science
fiction. Le globuleux horrifiant.
Balises. Mers. Océans, fuites ou refus.
Vivendi absorbe qui déjà? L'Olympia? Les Coquatrix?
Mais quel âge ont-ils donc?
On a encore le cirque Zavatta et ses otaries pour le soir, ou
le joueur de luth clandestin de nos amis.
Sommes-nous si fatiguées que
nous nous habituions au pire quotidien? Est-ce le début,
est-ce la fin?
Méfiez-vous de nous, ménagères
bonasses, nous nous repérons, nous faisons nombre, nous
faisons masse, nous entrons armées et initiées
dans une clandestinité souriante, organisée, subversive,
décidée, cohérente, déniaisée,
anonyme, désintéressée, théorique,
active, passionnée, paradoxale, méditative, politique,
sans filiation, sans délégation, sans recommandation,
illettrée, cultivée, pragmatique, sans référence,
sans savoir, sans université, humanisée, sans foi
ni loi.
L'arrêt
des images, Isabelle DORMION,
mail reçu & mis en ligne le 8 septembre 2001
A peine ai-je terminé ce réquisitoire
excessif qu'une émission de Durand avec Houellebecq, Guillebaud
et Breaudau me plonge dans la perplexité. Que d'erreurs
commises dans la hâte de l'ouvrage bâclé.
Que de jugements erronés engendrés par le dépit
de ne pas être là sur le plateau tournant, caméra
au poing. Reste le regard. Quand ils vont parler, ils se montrent,
ils s'exposent, ils vont se faire voir là, dans nos foyers.
Je dis à mon mari, après avoir dégagé
de la toile cirée les pelures translucides de pommes vapeur
à la chair exquise "branche donc le magnétoscope".
Que vois-je? Du bleu. Panneau outre-mer,
lunettes de Durand volées à sa jeune nièce
du CE2, tout est assorti aux yeux de Houellebecq, d'une eau limpide.
L'autre porte une grande cravate bleue. Déjà les
requins attaquent. Le premier marque un point. Avantage du service.Très
bonne impression: l'impétrant ressemble à Tintin
revenu de tout. Il connaît et décrypte les codes
du jeu télévisuel auquel il se prête avec
une sorte d'élégance distraite et fatiguée,
paupières fugaces. Chemise a carreaux consternante, la
même portée en taille là-bas, aucun souci
d'effet vestimentaire, aucun narcissisme. Ton plat, propos plats.
Une fausse immaturité.
Sur les faces crispées des autres, on peut lire l'heure
du dernier rasage, la stratégie promotionnelle, l'angle
choisi, l'image d'eux-mêmes, publique, travaillée
avec une feinte désinvolture, tout se lit sur les images
que l'on fixe, bloque, fragmente, associe, avance, anticipe,
retourne en arrière. Dichotomie regard/voix, retraits,
affirmation, agressivité.Quelque chose leur échappe,
une vérité, cette violence des joutes aux lois
fluctuantes, aux coups bas permis, sollicités, encouragés.
Mouvements des mains, gros plans indiscrets sur le medium nicotiné
de l'un, machoires de l'autre, Guillebaud, magnanime, crispé,
contradictoire: "pourtant j'aime bien Houellebecq, il me
cite, il me met avec F. Giroud". Le vis-à-vis lève
un oeil devenu torve, bref éclair, je m'en tape de ton
amour, il replonge dans une sorte de malaise, aux aguets, dans
l'arène. Guillebaud, penalty. Coup dans les tibias, plaqué
au sol: "vous n'avez sans doute pas lu ceci, etc... musulman,
sensualité, etc soufisme?" avec le ton condescendant
d'un enseignant du secondaire, celui que pourrait prendre Maggiori
annonçant une nouvelle traduction de Djalal-ud-Din Rûmî,
avec cette suffisance pédagogique de ceux qui n'ont jamais
été vraiment initiés aux rigueurs nocturnes
d'une montagne de glace et de vent.
L'autre lève l'oeil. Il se marre et la vengeance sera
terrible, on voit se profiler le prochain ouvrage, on en devine
le thème. Quand un livre est fini, on pourrait mourir.
Tintin vieilli le dit, il ose dire ça. Silence sur le
plateau. Là, je remarque tous ces jeunes gens littérophiles
autour, très en forme, comme nourris de vache-qui-rit
depuis toujours, les mêmes qu'on pourrait voir à
Roland-Garros, ou à Saint-Jean-de-Luz.
Josiane Rastigneau, la bouche ouverte,
quoi, quoi quoi, que veut-il dire, il se paie notre tronche!
Yeux écarquillés de celle qui n'est jamais dupe.
Je fixe l'image. Petit collier de pierres, comme ceux qu'on pourrait
voir à Nature et Découverte. Ils vendent aussi
du faux ivoire, des fausses senteurs d'arbres, des bruits de
cascades.
Analyse. Geste, image, son, scansion des mots, insistance des
questions.
Retour à celui qui pourrait crever après ça.
Timidités.
Non. Il dit vrai. On repasse l'image. La bouche ouverte de la
femme, le reste du temps, elle prend des notes d'un air affairé,
préparant les menus de la semaine, penser aux impôts,
acheter de l'arnica, je ne sais quoi. Aucune tenue. Quand quelqu'un
parle, on écoute, quand on est invité, on pose
des questions, on fait un minimum de travail : faisait-il si
chaud là-bas? Pourquoi les filles rigolent-elles? Pourquoi
là-bas, est-ce mieux qu'ici? Pourquoi ici les gens sont-ils
comme ça? Comme vous et moi. Ces têtes qu'on a !
Vous vous êtes regardés?
Plan sur la défenseuse , vêtue de bleu encore, des
prostituées. Petit scandale. Souffrances, de qui se moque-t'on?
Là, on rigole.Plan sur le recteur de la Mosquée
qui n'est pourtant pas le premier représentant du fanatisme
et de l'intolérance. Fausse discussion, faux débat.
Tintin se justifie mollement, il a même signé je
ne sais quoi contre la pédophilie. On rigole. A la fin
on aura Bataille, on rigolera aussi.
Durand: Ne craignez-vous pas que l'époque
que vous attaquez vous saute au visage? Non, il ne croit pas,
il s'en fout, c'est comme ça. Il n'y a rien à faire,
il sourit, hébété solitaire, ne sollicitant
ni la sympathie ni la connivence du téléspectateur.
On lira son livre d'une traite.
Un autre, parfait, le troisième. Un record, pas une seule
bêtise proférée malgré lui. Impeccable.
Comment s'appelle-t'il, lisse et sans aspérité,
intelligent, ne parlant pas de lui? Cette retenue parle pour
lui.
Plan
americain, Isabelle Dormion,
reçu et mis en ligne le 16 septembre 2001
La Visitation de Liexerinxe (actif probablement
entre 1493 et 1505) sur un panneau qui porte au verso Sainte
Lucie tronquée. Sur un plat, deux yeux, ouvrant, aveugles,
sur un tableau de Chirico.
La lumière entre à flot dans la salle désertée.
Plus loin, une femme enceinte assise, espagnole, pose une main,
puis l'autre, sur la chemise tendue qui tressaille. Derrière
le tableau de Jean le Bon, le premier portrait de profil dans
le clair obsur contrasté : celui d'un jeune père
en visite qui retrouve l'épouse égarée.
Donde esta?
La ligne allongée du manteau, le revers d'un blanc lumineux,
l'élégance du trait, le rouge, les deux mains fines
tendues vers celle d'Elisabeth. Cachée dans l'ombre du
vêtement, l'autre main tient un ouvrage, un livre relié,
anachronique ?
L'espagnole suit fatiguée.
L'Enorme grappe des vendanges de Poussin est portée par
deux hommes.
Les mains de Ruth près de Booz
sont trop grandes, ce sont celles d'un homme, pas d'une femme
qui aurait fauché seule depuis l'aube les blés
à l'arrière plan nés d'un été
torride.
Le combat de Saint Michel contre les
diables voletant dans un ciel déjà vu en Normandie
en plein mois d'Août, près de Honfleur.
Si Elton John sort des éboulis,
indemne, chapeau de paillettes et croix à l'oreille, avec
un nouvel hymne pianistique au sirop d'érable, Tears,
Peace, candles in the dust, God bless this messcries in sky-scrapers
je me tire tranquille, au Club-Med, à Kaboul.
Gare, Isabelle Dormion,
mis en ligne 18-19 septembre 2001 dans la nuit
Depuis que mes trains portent des noms de chien, je ne fais plus
rien. Qui a fermé les portes de la gare? Massena, je n'avais
que ça, et pour cause. Un monde a disparu. Collisions
et fumées. Romi, Nora, Ribe, Tube, Sima, Gota, Funi, Rexo,
Benl, Aden, j'attends l'omnibus du RER qui s'appellerait enfin
Robert ou Marcelle comme vous et moi, c'est peu dire. Celui qui
absout ne serait pas encore né? Pourtant de loin en loin,
un murmure, un espoir..Absoudre, dissoudre, résoudre,
en découdre, recoudre. Aqua Selzer, gueule de bois après
le désastre, à quoi bon? Qu'on passe à autre
chose, les mots, juste, le verbe qui tue quoi? Indigestion verbeuse,
profusion d'images, collusion, coalition, langue de bois.Les
mots, le discours des politiques, les informations sélectives,
surinterprétées, gavantes, boulimiques, des médias.
Faramineux, j'aime bien, c'est un mot peu utilisé en temps
normal, désuet. Temporiser, c'est un mot qui vaut son
pesant d'or. Que faites vous, Monsieur ? Moi, rien, je ne dors
pas, je temporise en cherchant l'objectif. Une cible, précise,
le centre de ce qui est fluctuant, volatile, nomade, souterrain,
bunkerisé, disséminé, ailleurs, caché?
J'espère que soient assis à l'OTAN des hommes qui
dorment assez et savent gagner du temps sans perdre la face!
Décision, fermeté, ruse, un vrai talent. Aucun
n'avait assez d'imagination pour visualiser, anticiper un tel
plan. C'est l'Amiral Lacoste qui avoue ça, pas assez d'imagination
pour sonder un esprit retors! Qu'ils fassent donc travailler
l'autre partie du cerveau, ils découvriront un monde qu'ils
ignorent ou nient. Passions et haines religieuses. Antagonismes
ancestraux. L'histoire en est pourtant remplie. Génocides,
exterminations, invasions, décapitations, massacres, victoires,
défaites, rémissions, armistices ad libitum. C'est
A. Adler qui utilise le mot "Califat ", rendant à
l'événement la distance objective, historienne,
qui permet d'analyser la répétition dans une logique
du temps. L'autre répond "Croisade ". Ils croient
encore que tout pourrait rester gentil, ou au moins dans les
limites admissibles et normales de la méchanceté,
sans préjudice pour l'attaquant, zéro mort. Le
sang, normal, un ennemi gentil, une bonne bombe bénie
par Dieu, une guerre juste, propre! Le napalm, hier, enfant courant
nue, demain on aura Depardon, notre citoyen sur le terrain du
monde, un vrai professionnel qui avoue devoir faire une bonne
photo, la meilleure n'étant pas celle qui contient le
plus de vérité, ou le plus d'informations sur la
réalité, mais la plus "forte", celle
qui touche par ce supplément d'âme arraché
par l'objectif. Je ne retiens, moi, que l'image sélectionnée
des trois fillettes en bleu, à suivre.
Impossible. C'est là qu'on renonce.
Tant de gens. Qu'on apprenne le nom de l'une d'entre elles, l'image
s'individualise, quelqu'un existe, sort de la pure-représentation,
fictive, impossible ensuite de dormir. L'imagination supplée.
Qu'on recommence à citer Bernanos et L.Bloy, c'est vraiment
mauvais signe! Demain Peguy, Claudel, dans les grands champs
d'une horreur qu'on veut à tout prix dicible. Ils n'auront
que le sang et les cris.
B.H Levy, oeil noir, mèche calmée, bouche rageuse,
pour une fois convainquant: "ils sont créé
un Golem (Ben Laden) qui maintenant leur revient dans la gueule".
Pas de manichéisme, nous sommes des Américains
nuancés par l'esprit critique spécifiquement français,
ce mauvais esprit discutailleur. Susan Sontag, dans le Monde,
restrictive, mesurée, inquiète: "réfléchissons,
réfléchissons encore!"
Une dette? Oui. Carte blanche à
la Maison Blanche? Non. C'est encore A. Adler qui nous fait craindre
le pire en comparant Bush à George VI, l'Anglais, un scout
en culotte courte, très gentil, très aimé
de tous, très proche du peuple, yeux très rapprochés,
un peu enfoncés dans les orbites, un brave garçon
en quelque sorte, blouson de simili sport et chaussures montantes
pour le monticule de gravats, les bras autour d'un sauveteur,
frère citoyen de bonne volonté, notre nouveau héros,
en voie de béatification. La lutte du bien contre le mal!
Saint Georges! L'ennui, pour eux, c'est qu'ils ont voté
pour lui. Pas nous. Jusqu'où faut-il le suivre? Doutes.
Leurs Services n'avaient rien vu venir. Effrayant. Ils n'avaient
pas prévu cette agression. Effrayant. Il leur manque des
joueurs d'échecs russes ou des stratèges joueurs
d'échecs, ou des géomanciens prophétisant
selon une logique arithmétique*.
L'enfant veut pour la rentrée
un petit Robert. Le sens des mots. Que les mots retrouvent leur
sens. Pour quoi faire? L'enfant a des yeux, qu'il les garde.
Des images innombrables, dont l'une, trois fillettes entre 3
et 8 ans, vêtues de robes bleues à fleurs, identiques,
les soeurs du camp afghan. Ne pas savoir. Ne pas être prévenues,
ignorer, minimiser. Loin, ailleurs, les autres. Ils n'auront
pas le moindre scrupule. Les mères, les épouses,
les filles des Talibans trouveraient peut-être quelque
consolation dans un néant de pierres et de cendres plus
douces que la vie déshonorée aux humiliations mortelles.
J'ai entendu dire ça autour de moi, quelque chose comme
ça, de toutes façons, au point où elles
en sont! Qu'on les achève, en quelque sorte si la paix
du monde, le nôtre, occidental - légitimisé
par Dieu en personne? - est à ce prix, ils n'auront pas
d'hésitation, en termes comptables. ONG parties, exodes
habituelles qui là, ne font pleurer personne, pas de photos
collées sur les boîtes de pizza pour retrouver les
disparus.
Quant à moi aujourd'hui malgré tout je suis fringuée
comme une princesse, on me dit mais dites-donc d'où tenez
vous votre somptueuse vêture? Je dis Emmaüs, mais
attention, que du chic, sobre, la houppelande de vieille en cachemire
mité, attention de la flanelle de Nicolas Flamel estampillée,
pas n'importe quoi, pas du faux usé d'usine, du véritable
rétamé en cuir et tannage ancestral, privilège
de l'échec, du temps, et des années passées
à rien, l'habit ironico-beckettien nul d'avant Arditti
et Maréchal. En Saint Laurent noir, il avait une redingote
déchirée à cru, sans cette longue détérioration
esthétisante du temps et de la pauvreté temporo-spatiale
de hall de gare, du mec urbain qui n'en mène pas large,
le froid aux fesses pointues. Pas de froid, pas de fesses, pas
d'os, pas de vie, pas de mort, pasd'attente, pas de magnifique
vêture laminée par l'authenticité.
Toutes américaines et afghanes? Schizophrénique
empathie. Hystérique sympathie. Ils demandent que la vie
reprenne son cours normal, on va leur montrer, le monde entier
verra ça, le moral n'est pas entamé, on est très
fort, on est les meilleurs, on donne de la pasta sauce tomate
à nos sauveteurs, on a préparé sur le parvis
des tours un petit en-cas, des boissons fraiches vitaminées.
Comment se galvanisent-ils de compagnie, convaincus de leur supériorité,
en circuit fermé sur CNN? Ce qui vient d'arriver est pourtant
décryptable et lisible. On ferme tout, plus d'info, plus
de perf, il faut respirer seule débranchée. Un
peu d'air, cubage individuel, pour reprendre souffle. Avant de
fermer, une autre information arrive, déconcertante, ils
auraient prévu du gaz sarin à Strasbourg. Je sors
un peu. J'entends siffler le train et les serins des voisins.
Ma gare, un monde. A Massena des gens
normaux, comme vous, Robert. Ils guettaient aussi le bon train,
la belle vie, l'appelaient, l'honoraient, la fêtaient,
aujourd'hui ils ne regardent même plus leur montre, pas
de montre, plus d'heure, des gens qui la semaine dernière
avaient de l'allant, une étincelle ferroviaire encore
coincée dans le regard.
*Robert Jaulin - Geomancie et Islam
- Ch Bourgois 1991
Europe et psoriasis, reçu
par mail et mis en ligne le 25 septembre 2001
Monsieur,
Je demande le remboursement d'un article
défectueux acheté la semaine dernière dans
votre magasin.
En effet, m' a été fournie,
pour une somme de 180F TTC (facture jointe portant votre cachet
et la date de l'achat) une maisonnette de bois pour les cochons
d'Inde non conforme aux règles européennes de sécurité
en vigueur. Je communique à la SPA un double de ma correspondance
(recommandée avec AR).
Aujourd'hui, à 8h20, précisément,
à l'heure où mon mari s'apprête à
partir travailler, il entend dans la cage un brouhaha indescriptible.
Il crut d'abord à un jeu, certes matinal mais bien légitime,
de nos jeunes amis. Il était prêt, quant à
lui, à sacrifier quelques minutes de son précieux
temps pour se réjouir de ce spectacle familier. Mon mari,
qui avait lâché son attaché case en veau
souple, m'appela à la rescousse. Or, mon bras gauche accidenté,
je ne savais que faire: la tête du mâle, gonflé
par l'effort qu'il avait fourni pour attirer l'attention de la
femelle, était coincée dans la fenêtre. Il
fallait rapidement trouver une solution, tant la situation était
critique. L'animal sautait dans tous les sens en poussant des
cris pitoyables et ses efforts pour sortir par la fenêtre
ne faisaient que l'enfoncer d'avantage dans son terrible carcan.
La femelle tapie dans un coin dans les copeaux ne semblait ni
séduite ni résignée au veuvage prématuré.
Elle fermait les yeux, sans doute pour échapper à
l'horreur d'une issue fatale. Le pauvre animal avait donc la
maison sur le dos, il fallut le calmer, l'allonger, chantonner
des berceuses, évoquer certaine fable de La Fontaine avec
tact et lui parler encore, improviser une petite cellule de crise,
raisonner; le caresser pour l'allonger encore et pouvoir ainsi
dégager la tête sans scier quoi que ce soit.
Quand mon propre mari regarde par la fenêtre, si je suis
à l'extérieur, passante toujours sémillante,
même s'il siffle dans ma direction, il sait d'avance de
façon certaine qu'il pourra rentrer sa tête, qui
garde, dans des conditions météorologiques normales,
les mêmes dimensions. Il faudrait un événement
considérable pour qu'il ne puisse pas la rentrer comme
il l'a sortie, par exemple le port intempestif, toujours déplacé,
d'un chapeau mexicain de grande envergure et de taille excessive
rapporté d'un récent voyage par quelque ami ufologue,
ou la perspective d'être très bientôt sélectionné
à une émission animée par Delarue sur les
familles recomposées ou demain sur l'eczéma et
le psoriasis.
Le cochon d'Inde qui regarde par la fenêtre pour attirer
l'attention de sa compagne, ne sait pas, lui, dans une
ignorance tenue génétiquement pour une sorte d'inconscience
ludique et non préjudiciable, que sa tête va enfler.
Les poils gonflent le cou. Je demande donc aux constructeurs
de ces cabanes pseudo-canadiennes en petits rondins de pacotille
de merde un minuscule effort, celui de mesurer sérieusement
le diamètre d'un cou de cochon d'Inde après son
déjeuner, composé de graines, concombre et batavia,
avant et après le rut; et que ne soit pas apposé
le label "mis aux normes européennes" si l'article
n'a pas été testé normalement, c'est-à-dire
avec une crédibilité plus grande et un sens critique
plus aiguisé*
Je fais appel ici à votre sens des responsabilités,
au sérieux de votre label, à votre technicité
éprouvée, à la reconnaissance de mes droits
d'adhérente à une Association Nationale des Consommateurs.
Je rappelle que vos articles seront désormais boycottés.
J'alerte qui de droit.
Je vous prie d'agréer , Monsieur,
l'expression de mes salutations distinguées.
Isabelle Dormion
* Ceci implique évidemment la
reconnaissance des disparités identitaires et comportementales
entre les animaux domestiques des différents pays d'Europe
et l'étude complexe de leurs relations non similaires
avec les propriétaires, de cultures non homogènes.
(voir travaux Paris 7 / double sceau Paris 8 : Les animaux
domestiques en Toscane et en Ombrie -1991 ethnologie du monde
moderne et de l'Europe-, par ex)
Retour
en arrière, Isabelle
Dormion, mail reçu & mis en ligne samedi 29 septembre
2001 13h 30
Il y aurait un temps pour tout, le temps
de la destruction et le temps de la reconstruction, le temps
pour dire et le temps pour comprendre, le temps pour sentir et
le temps pour discourir ?
Le Maire de NY : maintenant, ça suffit, plus de chandelles,
plus de reposoirs, plus de prières, plus d'affliction,
on travaille, on est positif, on recontruit un beau mémorial
ou deux tours encore plus hautes, symboles encore plus hénaurmes
(= hors normes) de la puissance et de la gloire.
En quoi le discours ambiant est-il pléthorique ? Il suscite
un phénomène d'addiction chez le lecteur ou le
téléspectateur comparable au symptôme essentiel
de la boulimie. On engloutit encore une dose mais l'angoisse
ne rétrocède pas. La dépendance entraîne
une augmentation de l'angoisse puis de la dépendance.
Plus on se nourrit des discours ambiants, plus le besoin d'en
avoir d'autres, meilleurs, performants, plus fins, plus actuels,
plus analytiques, plus synthétiques, plus sérieux,
plus audacieux, plus cette faim de savoir et de comprendre augmente.
Je pose enfin une limite à la faculté de tout absorber.
Je suis bornée. A une chimiste, je pose une question directe
: quelles sont les combinaisons chimiques et les conditions d'échauffement
pour que se produise l'explosion du nitrate ? C'est là
qu'un ingénieur donne la réponse, précise.
Le procureur de la République, utilise aussi la précision
: 99% de chances pour que ce ne soit à Toulouse qu'un
accident. Pourquoi pas 99,2% ?, ou 88,7%. Il pouvait dire : l'hypothèse
d'un accident est la seule retenue et la seule étudiée.
Nous aurions compris que d'autres hypotèses ne sont pas
recevables. Les pourcentages confèrent à n'importe
quel propos le bénéfice chiffré de la crédibilité.
Il y a une seule restriction à sa démonstration:
1%, c'est assez pour faire sauter Paris. La probabilité
la plus minuscule suffit. Quelles probabilités avaient
donc envisagé le FBI et le Pentagone pour que tout saute.
Aucune. 0 c'est encore moins que 1%. La réalité
a donc donné tort aux calculs prévisionnels où
le risque était considéré comme nul.
Nous avions traduit et collationné
il y a quelques temps tout ce qui avait été écrit
aux Etats-Unis sur la boulimie, ceci jusqu'à la nausée.Tous
les comportements, y compris les plus fréquents comme
les plus aberrants étaient décrits avec le plus
grand sérieux , la plus grande précision scientifique
par les chercheurs qui analysaient ce problème préoccupant
dans ces années de surabondance bénie et de blés
à foison, les sillons croulant sous les hamburgers dorés
et les maïs grillés ruisselants de graisses que des
machines rutilantes moissonnent jour et nuit.
Regardant un film atroce d'un autre
monde, l'enfer, où jamais la sécheresse ne s'est
révélée aussi mortelle, un reportage sur
les Afghans du Nord, se nourrissant de chardons et de galettes
d'herbes, on ne peut s'empêcher d'établir une relation
entre ceci et cela, sans qu'il y ait nécesssairement un
lien de cause à effet. On ne peut s'empêcher de
poser la question idiote qui tarraude les esprits simples et
simplistes. Un peu d'herbe en palets diététiques
pour les uns, les obèses, quelques pizzas et hamburgers
pour les autres, les sombres nomades faméliques des frontières
et des camps ? On me dit : non ! Tu n'y penses pas, il y a déjà
un marché mondial équilibrant ces forces. Tout
ceci est déjà inéluctablement pensé,
réfléchi et prévu. Il n'y a pas d'opposition
entre ceci et cela. Il n'y a aucun rapport. Pas de candeur, pas
de fausse naïveté, pas de comparaison stupide, pas
de culpabilité, pas de raccourci stérile, pas de
raisonnement absurde, pas de militantisme Attac, pas d'angélisme
humanitaire. Ah bon, pas de raisonnement par l'absurde ? Mais
les analyses géopolitiques de nos experts sont unanimes
: ou il se passe ceci ou dans la deuxième hypothèse,
cela. Dans l'un ou l'autre cas, c'est absurde. Ce n'est pas forcément
la meilleure solution. C'est dire que ce n'est pas la pire. Il
y aurait encore pire que ça, suggère-t-on. Bruits
et rumeurs sur les menaces terroristes d'attaques bactériologiques.
Les Américains achètent n'importe quel masque à
gaz, qu'ils posent à côté du téléphone.
Les voilà rassurés. Nous, non. Nous aurions pu
sacrifier le vieux pape fatigué par son voyage, nous en
aurions fait un vrai martyr gagnant les causes perdues d'avance,
s'il faut à tout prix un sacrifice. Encore faut-il savoir
qu'un pape ne vaut pas forcément 7000 vies américaines.
Ou moi, comme bouc émissaire exemplaire, à la place
de n'importe qui, j'aurais à payer moins d'impôts.
Qu'a t-il dit, notre pape ? Dans certains cas, on a le droit
de tuer. Dans ce cas là, avec ou sans preuves irréfutables,
on a le droit, donc le devoir, de tuer Ben Laden. Si c'est lui
le seul, le premier et le dernier coupable.Ma vie ne vaut peut-être
même pas celle d'un nain américain . Il faut se
renseigner sur les équivalences en cours actuellement,
un homme/10 hommes, une femme avec téléphone portable
/100 femmes irakiennes sans téléhone cellulaire
?
Jusqu'à satiété,
nous avons vu l'avion calamiteux foncer sur les tours, nous avons
clairement entendu le pompier chargé de vérifier
à l'extérieur la canalisation de gaz dire "
shit ! ". On a entendu les traductions et les non-traductions.
Jésus, " doux Jésus ". J'avais entendu
autre chose, je n'ai vu et retenu que ce que je pouvais assimiler.
Cette consternation abêtie ne peut autoriser à discourir.
Certains recueillent les témoignages, d'autres les commentent,
certains pensent en public, d'autres analysent, certains s'indignent,
d'autres proclament, certains prophétisent, d'autres citent
Anatole France, comme Jean Daniel, qui parle toujours ex cathedra.
A quoi donc s'abreuvent les dieux ! Au sang des impies ? Dans
ce cas, c'est une ânerie. S'il faut en proférer
une autre, s'il faut vraiment un sacrifice, si toute attaque
nécessite une vengeance, que le sang soit versé
coûte que coûte ! Je saigne mes cochons d'Inde ou
ma modeste personne et qu'on n'en parle plus. Je connais encore
les rites propitiatoires et je sais verser les libations à
bon escient. Bidon d'essence, assise en tailleur dans une robe
safran, le barbecue devant chez Tang ou Paris Store, à
côté des vendeuses de petits pâtés
farcis et des bonzes déglingués du 13ème?
Offrant du café à des
ouvriers perchés sur un échaffaudage, ils m'ont
dit: "Que Dieu t'abreuve éternellement". J'en
ai conclu que leur Dieu était dispensateur et non prédateur
assoiffé.
Depuis, j'ai en surabondance pluies de septembre, eaux grandes
et petites versées à profusion, nectar et ambroisie.
Depuis quand leur Dieu s'abreuve-t-il de sang? Qui a dit ça?
Où est le coupable? Qu'il soit poursuivi, confondu et
puni.
Je me suis enveloppée d'un
manteau de lainage souple et j'ai veillé une partie de
la nuit en contemplant le ciel. Là, je n'ai pu trouver
une seule étoile dans le ciel assombri et jusqu'au matin
rien n'est venu réjouir mon âme.
Opération
Liberté immuable, Isabelle Dormion, par mail, reçu &
mis en ligne le 2 Octobre 21h16
Emission de France Culture, aujourd'hui,
sur Yves Bonnefoy, le poète à la voix d'or. Aujourd'hui
il dit: l'immédiateté de l'arbre, l'intériorité,
le regard, Giacometti. On entend la voix du sculpteur en 53.
On se dit que la voix captive non seulement ne vieillit pas un
homme mort mais encore le rajeunit. En 53, on pouvait toujours
acheter des gâteaux secs en miettes avec des pièces
de cinq centimes grosses comme la paume de la main, oui; Madame,
vous n'étiez même pas au monde, taisez-vous donc
!
Dans le fil de l'émission on
entend des mots extrêmes: le poète dit "problématise"
et plus tard j'entends "poète nobellisable".
Où va-t'on? J'avais cru entendre "poètes mobilisables",
les mots en marche! Si les poètes néologisent dans
ce format là, je néantise Le championnat de la
poésie. J'aime bien Cavafy, rasant les murs et gravant
sur la pierre au burin ces obtus épitaphes. Quand j'entends
"problématise", je sors de mes gonds. Pourquoi
je ne sortirais pas de mes gonds vertigineux dans la nuit étoilée
poétiquement, bordel des mots?
La veille, la vieille voix aveugle de
Sartre. L'interviewer, quel effet, ça vous fait, de ne
point voir. Sartre, avant j'étais, maintenant je ne suis
plus. L'autre insiste, mais comment faites-vous pour lire. Sartre,
c'est Simone, elle lit bien, vite, de gros livres. L'autre, oui
mais quand même, ce n'est pareil, Sartre, constant, poli,
stoïque, curieusement, dit-il, je devrais être désespéré
et je ne le suis pas, sans que je puisse me l'expliquer, parfois
je délire légèrement, je crois que j'ai
un rendez-vous avec une jeune fille sur un banc, mais ce n'est
pas vrai; ça l'aurait intéressé, Sartre,
la Liberté Immuable, c'est un nouveau concept. Il serait
monté sur un tonneau pour dire deux trois trucs avec un
porte-voix, accompagné des siens à Billancourt.
Pourquoi ne prennent-ils pas Y. Bonnefoy
en très-intense, très-nocturne brain-storming d'état-major,
pré nobellisable, une autorité verbale. Le maître
aux trémolos, aux vibratos d'un professionnalisme immuable,
respectable, leur donnerait des idées de mots assez musicaux
pour que les trompettes de cavalerie, les cornemuses ou les olifants
mettent en branle les GI en rangs serrés?
L'immédiateté de la guerre; ça colle. Liberté
inchangeable, Liberté inaltérable, Liberté
Inoxydable, non, Liberté intangible, Liberté irréfractable,
Liberté-Pérenne- liberté? Liberté
intérieure, hors sujets, l'arbre de la liberté,
1789, ça colle, le regard de la liberté, Liberté
statufiée, liberté vertigineuse, paix-pérenne,
non, horrible, Bonnefoy, lui, aurait trouvé le mot juste:
La liberté, vertige, dans l'instantanéité
du peuple assemblé. Sinon, qu'on fasse appel aux bons
soins d'Alain Foix : "la poésie après le chaos",
Libération du 1er octobre. Peut-on écrire après
Auschwitz ? Oui, Monsieur, on le peut, on le doit. Comment s'appelait-il,
celui que nous aimions tant, qui a perdu ses lunettes cerclées
de fer dans un fossé? Comment s'appelait-elle, l'autre,
à Ravensbrück, ailleurs aussi, Milena. On peut tout.
La liberté survit à tout, notre seule dignité
dans les culs de basse fosse : Crachez donc ! Aux pieds, la poésie
!
"
Kandahar ", Isabelle Dormion,
mail reçu 4 Octobre 20h 30 & mis en ligne 22h
30
Bousculades aux portes de l'Unesco.
On attend cinq mille personnes pour deux mille invitations. Grilles
prises d'assaut. Les entrées sont closes. Quelqu'un aurait
glissé sur le parvis, on l'aurait emmené, on l'aurait
soigné. Plus tard, certains journalistes ne veulent pas
laisser leur matériel sur le tapis roulant du contrôle
aux rayons x. On a pourtant vu Massoud se faire tirer par une
camera. Des objectifs peuvent atteindre leur objectif. Les gens
sont habillés élégamment. Majorité
de Français. Peu d'Afghans. Il n'y aura pas de caviar
mais il y aura Marisa Berenson, "venue à quel titre,
représentant quoi?", demande un Américain
derrière mon siège à une iranienne d'Ambassade?
L'Iranienne au foulard ne lui répond pas. Elle applaudit
le discours convenu de son ambassadeur, à tout rompre.
Il récite un poème ancien, qu'il traduit ensuite.
Marisa Berenson a perdu sa soeur dans l'un des avions et c'est
au titre de pleureuse, vêtue de noir, qu'elle est debout,
aux côtés de Mohsen Makhmalbaf.
On attend. La tension monte. Les places sont disputées
et investies, jeux du cirque, à quel spectacle se prépare-t-on?
La date retenue dès le mois de juillet pour la remise
du Prix Fellini au réalisateur doit tout à un hasard
malheureux.
"Kandahar", on n'y va, on ne s'en approche, on n'y
arrive jamais. Si on y parvient, dans quel état! On a
pourtant déjà vu à la télévision
ces images dans un stade d'une femme vêtue de bleu, agenouillée
aux pieds de ses bourreaux, exécutée à bout
portant, on a vu une autre femme, une auxiliaire des bourreaux,
venir tirer l'étoffe chaste de l'habit, son linceul, sur
les jambes sans vie. On avait vu ça, attérré:
obscénité et pudibonderie des assassins barbus.
On verra "Kandahar", on n'est
pas près de s'en remettre. C'est sur ces gens qu'on va
tirer? Des hommes sans jambes qui courent haletants, troupeaux
de damnés aux béquilles taillées dans le
bois, clopinant dans le désert, vers les petits parachutes
déployés, translucides, qui leur adressent, venues
du ciel, de nouvelles, de meilleures jambes articulées
en plastique. Un homme a perdu une main. Il est venu à
pied, mais il réclame pourtant des jambes, pour sa mère
on sait qu'il ment - ou en prévision d'autres mines.
Il vaut mieux en avoir une paire de rechange. Non, en fait, il
veut les vendre. Makhmalbaf ne connaît pas l'oeuvre de
Pasolini? L'intensité à chaque image, l'ellipse,
la provocation efficace à l'adresse de chaque spectateur.
Un personnage, le médecin sans médecine, qui reçoit
tout le monde, examine les patientes par le trou taillé
dans un rideau et donne du pain pour cette maladie du ventre
qui est la faim sans remède? Il faut manger trois fois
par jour. Comble de l'ironie, c'est un noir Américain,
déguisé, portant une fausse barbe, installé
dans des contradictions insolubles et capable de les résoudre,
qui avait déjà vu ça? Il cherchait Dieu
dans ce pays, s'excuse-t-il et ne l'a pas trouvé. Est-ce
ce soleil implacable ou la sécheresse mortelle qui lui
a enseigné le pouvoir de redonner l'espoir, à défaut
de remède. Il n'y a rien et la terreur en plus. Là,
c'est la pitié, le chagrin et la lumière retrouvés.
Une compassion en forme de quête, un conte oriental, dénué
de tout sentimentalisme. C'est le souffle qui soulève
le tchadri des femmes.
Un homme essaie les jambes de sa femme mutilée. Il les
trouve trop grandes. Il sort l'habit de sa femme. Il essaie.
Il esquisse une sorte de marche, nuptiale, atroce, il enfile
les chaussures de mariage aux pieds, ces prothèses beiges,
ils veut ces jambes-là, ces pieds-là, ils sont
parfaits, les fins souliers brodés s'y ajustent à
la perfection. Là, personne ne rit. On est glacé
d'horreur. Ce n'est pas l'humour salvateur de Tadovic dans "No
man's land". Là, rien ne peut être sauvé.
Aujourd'hui, les gens déplacés se massent aux frontières,
les plus pauvres, les plus malades restent, demain, on tire,
on bombarde, on fait tout sauter? Personne ne pourra dire demain
qu'on ne savait pas. Dans la salle comble, dans les salles annexes
en retransmission simultanée, combien étaient là,
que j'ai regardés et bien vus. Ils étaient là,
very important persons ou n'importe qui, indigènes, vous
et moi, en avant-première, et aux premières
loges, sur invitation ou par faveur exceptionnelle. Nous devrons
en rendre compte.
Le Médecin, le dernier homme dans cet enfer, offre un
pistolet à l'héroïne, qui le refuse. Quelle
est son arme? Yeux, oreilles, c'est tout, elle témoignera.
Au risque de sa vie, elle garde sur elle, avec elle, presque
incorporé à son corps, épousant ses moindres
gestes, le magneto qui capte tout pour retransmettre la vérité.
Elle n'aura pas besoin d'autre chose, comme Makhmalaf et sa caméra
solitaire, solidaire, compassionnelle. Ellle continue son initiation
vers l'horreur .De cette vaste salle internationale, culturelle,
on sort anéanti. Quelques pas dans la nuit, bouffée
de cigarette, volutes.
On guette dans le ciel le mouvement
lent des nuages, on décrypte, on accompagne leur marche,
on espère qu'il iront loin, là-bas vers l'Est,
désaltérer les hommes et abreuver les terres asséchées.
Dieu, que cette malédiction cesse et qu'enfin les cieux
rassemblés, apaisés soient magnanimes !
Principe
de précaution, Isabelle
Dormion, mail reçu et mis en ligne le 6 octobre
2001, 20h50
Quand deux invités sont mis face à face dans un
débat minuté sur un thème défini,
on compte les mots, on compte les morts. A France-Culture, aujourd'hui,
ils sont deux invités sur le round de "Réplique"
: Progrès, oui, Progrès, non: G.Sorman et JJ Salomon,
qui vient de publier quelque chose sur la science et la guerre.
Il y a un tiers, l'arbitre, qui veille, les cinq dernières
minutes du duel, à rendre l'antenne au bon moment. Dans
ces media chauds, la couleur de la cravate n'intervient pas,
mais plutôt la tessiture, le rythme de la voix, le souffle,
les silences, la précipitation, la façon offensive
d'être bien élevé, culturel en diable, à
la limite du coup de poing dans la gueule. A la minute précise
où l'on ramasse les cadavres, l'animateur regrette déjà
la brièveté du temps. Il passe trop vite, c'est
ce que je me disais devant mon miroir : Qué tal ? Je vais
courir au magasin voir de quoi il s'agit, encore un ouvrage,
le scientifique et le guerrier. S'il parle des manipulations
génétiques à des fins de guerre bactériologique,
je n'ai plus qu'à me consacrer à la confection
des baklavas, c'est Mon sujet de préoccupation essentiel,
le feuilletage, l'épistémologie, cet à peu
près de l'hypothèse scientifique.
Ce qui est prioritaire dans le bien-feuilleté
de cette pâtisserie particulière, c'est le principe
de sérieux. On doit alterner les couches. La difficulté
est de bien séparer les feuilles de philo. Il ne pourrait
s'agir, en aucun cas, de les sortir congelées. Pour le
sirop, miel, citron, fleur d'oranger. Qu'à ce moment une
seule mouche se mette à vrombir près de l'ampoule,
et le principe de sérieux s'en trouve compromis.
Quand je dis à un architecte "tu sais, chez Hegel,
la forme est le symbole", il rit bruyamment. Il a raison.
Quand je dis à une cuisinière, sépare bien
les feuilles de philo, elle ne rit pas, elle sait de quoi je
parle. Nous ne plaisantons pas avec ça. Un moment de distraction,
la main qui erre et folâtre, tout est raté, tout
est jeté. Où? Aux ordures triées à
côté des verres et des journaux, des piles entières
dans les poubelles vertes, milliers de nouvelles assimilées.
Déchets.
Quand je dis combien de temps il faut pour confectionner des
medze, personne ne me croit. On a tort. Il faut un certain temps,
variable selon la farce appropriée, variable selon des
critères émminemment fluctuants, hautement culturels.
Quand j'entends deux hommes assoiffés de sérieux
et de crédibilité médiatisée, s'insulter
en se traitant réciproquement de pas-sérieux
jusqu'à ce que l'animateur se fâche et sépare
les deux gesticulateurs, j'alterne consciencieusement les feuilles
et je hoche la tête en direction des cochons d'Inde. Pistaches?
Noix? Amandes? Tsss, Tss,Tsss ! Sourires, rires.
Ils s'étripent poliment. "Pardonnez moi, Monsieur,
je ne peux tolérer de tels propos, c'est inadmissible"
dit Sorman. "Si Monsieur, je maintiens le qualificatif,
léger, je trouve vos commentaires légers,
quand vous dites ceci, et croyez moi, je ne suis pas un écologiste
(je ne suis pas un fantaisiste je ne suis pas croyez-moi, un
plaisantin, je tiens à le préciser, chiffres à
l'appui). Trier les graines, comparer les textures, émonder,
éplucher, distraite par le bourdonnement incessant de
leurs paroles, c'est une opération difficile. J'ai en
main des lames et des hachoirs, j'ai des ciseaux et des cisailles,
des broyeurs et des moulinets effroyables, acérés,
pointus. J'ai une moulinette à purée, munie de
pales, dans mon propre placard, à portée de main,
ce que je fais est une opération dangereuse.
"Que voulez-vous dit l'un, la vache est un herbivore, si
le principe de calcul impose qu'elle devienne un carnivore".
OGM, réchauffement de la planète, nucléaire,
combien de gens, demain, milliards d'individus le siècle
prochain, effet de serre, famines, sécheresse, que dire,
que faire? Si je faisais un granité pour accompagner le
dessert ou un sorbet de poires fraichement cueillies? Le scientifique,
le guerrier? Un type, un Américain, vient de mourir d'antrax,
pulmonaire, en outre, aucune relation avec la guerre bactériologique
en intox constante sur les media, pour justifier a priori toute
attaque, toute intervention sur le terrain. Que voulez-vous,
ils se préparaient à nous empoisonner, nous en
avons la preuve. Nous tenons prêts, pour les populations
civiles, quelques millions de vaccins contre la variole. La peste
du Moyen Age, que nous avons éradiquée, reviendrait?
Et Sorman parle de progrès! Une vie sauvée par
les miracles de la télémédecine, des millions
perdues faute d'antibotique, par indifférence et
cynisme. Et l'on parle d'intelligence!
Ils sont là, les deux protagonistes,
l'un citant Popper, l'autre frappé par la grâce
du bon sens commun, élaborant des principes matutinaux
parce que c'est avec des principes que sont établis les
systèmes. C'est avec un système qu'on entre dans
la Pensée, pas le prêt à porter de la pensée
courante, j'entends la Haute Pensée, celle que suit la
masse, le peuple, celle qui influence les politiques. Entre deux
feuilles de philo, je vais consulter Clausewitz comme tout le
monde mais après la fonte du sirop, Lucrèce, Epicure,
Héraclite et le chinois Sun-Tse, qui raconte une histoire
amusante et subtile. Comment former des femmes à la guerre?
Il dit au Roi, allez donc chercher vos deux favorites. Elles
lui rient au nez. Là desssus, Sun Tse les décapite.
Le roi est furieux. Plus tard il rapelle le génie parce
que c'est un as de la topologie, un as de la statégie,
et que c'est comme ça qu'on forme les femmes à
la guerre : on ne rit pas. Trop tard, l'émission va s'achever
et la perfection de ma pâtisserie est désormais
compromise.
En 1946, Gertrude Stein, à qui
il était demandé, non pas ce qu'elle pensait de
la bombe atomique mais en quelque sorte ses impressions, répondait
ceci : "Je ne pourrais jamais m'intéresser à
la bombe atomique, je ne le pourrais pas plus que l'arme secrète
de n'importe qui . Ce sont les vivants qui sont intéressants,
pas la façon de les tuer. Si vous n'avez pas peur la bombe
n'a aucun intérêt. Tout le monde reçoit tellement
d'information à longueur de journée qu'on en perd
le sens commun. Ils sont si attentifs qu'ils en oublient d'être
naturels."
Non pas que la guerre ne mérite
pas quelque sérieux, mais pas une femme de mes connaissances,
sachant ce qu'elle sait sur la vie ordinaire et la mort extraordinaire
ne peut sans rire écouter les arguments justifiant quelque
principe édificateur d'une imposture ou d'une catastrophe.
Le principe peut être religieux, philosophique, éthique.
On peut expliquer et justifier un geste de guerre, on ne peut
jamais en prévoir le préjudice et les effets pervers
à long terme. "S'enliser" n'est pas un terme
trouvé dans les manuels des stratèges. Dans les
récits anciens, les troupes entières s'enlisaient
dans les marais. Il fallait du bois et des bras en arrière-garde
pour sortir de ce marasme. Force ou ruse palliatives. Génie,
parfois. Bêtise, souvent. Horreur, toujours.
Comment approcher une autre notion du
temps,un autre aspect de la non-rentabilité, si l'on ne
sait pas rouler sérieusement un kibbeh? Il y aurait un
discours du savoir ou la connaissance? Comprendre? L'entendement,
lentement retirée de tous les bruits.
Cuisinières et pleureuses antiques. Juchées sur
un piédestal, nos pythies, que décryptent-elles?
Oiseaux, allez vous à main droite? Et les entrailles?
Correction,
Isabelle Dormion par mail le 9, mis en
ligne nuit 10-11 Octobre 2001
C'est curieux, cette manie de vouloir toujours rester correct
et jovial dans les pires moments. Les Américains envoient
du ciel le mal et le remède, bombes et nourriture. Double
bind.Y a-t-il aussi des pansements adhésifs dans les paquets,
des housses en plastique? Dans la gamelle, près des cookies,
une petite lettre, en Anglais, pour les affamés non-tués
mais anglophones. La plupart ne savent pas lire. De la part du
Peuple Américain, qui vous aime. La bonne volonté
a des limites. Encore faut-il avoir une bouche pour pouvoir se
nourrir! On vous tue d'abord et on vous nourrit ensuite Ils sont
vraiment curieux, ces gens-là, à tel point qu'on
se demande de quoi ils sont faits, de quelle humanité,
de quel terreau ils sont issus? D'argile, de bois, de plâtre,
de dollars, d'acier, de chewing-gum? La même côté
d'Adam? A chaque nouvelle trouvaille, l'étonnement. Ils
dépassent toujours, haut la main, la frontière
de l'ineffable. Tout est correct, de très mauvais goût.
Tout se veut très généreux, sympathique.
On lit la lettre d'une petite fille sacrifiant son papa."C'est
le plus beau des cadeaux, mon papa", dit la future orpheline.
Manque de sensibilité, manque d'imagination, manque d'intelligence.
On croit rêver.
J'ai gardé une photo des tours. Demain, ce sera introuvable.
Ils vont les faire disparaître de toutes les archives,
des films, pour ne pas réveiller le traumatisme chez leurs
concitoyens? Sont-ils à ce point immatures qu'il faut
laisser les gens dans le déni des faits, les protéger
d'une réalité devenue intolérable? Quelle
sorte de sociologues travaillent à cette surprotection
en masse?
Demain, je me réveille du cauchemar.
La Croix Rouge,
interrogée dès les premières frappes suivies
de colis-surprises, embarrassée. "Ce n'est pas sérieux,
aucune coordination avec les équipes humanitaires qui
sont encore là. Comment sera distribuée cette nourriture,
à qui et par qui?"
A Noël, ils enverront des
chocolats pour le réveillon
afghan? Merry Christmass et meilleurs voeux 2002, sur carte de
visite, de la part du Service de Communication, qui pétille
d'idées excellentes pour sa promotion immuable dans le
monde, qui travaille à une excellente image de l'Amérique,
jour après jour et sans discontinuer. Solidaires, lucides
et critiques, est-ce encore possible? Une réserve. En
comparaison, Alain Richard paraît le phénix des
hôtes de la patrie et de nos bois.
J'entends, au hasard d'une radio
jeune,
après les premiers bombardements dans la nuit à
Kaboul, "c'est beau, c'est une oeuvre d'art, c'est beau,
tout ce vert flou, avec ces petites lumières", suivi
d'un grand silence. Il est devenu fou? Il a ingurgité
une pillule d'ectasy? En direct, à la radio?
C'est curieux, cette voix, comme surajoutée
à celle de Ben-Laden. Sourds arabisants, que disent les lèvres? La
traduction est-elle juste au mot près? Nul doute que l'esprit
en a été gardé, mais pourquoi ne peut-on
entendre la voix d'origine, en Arabe? Sur les radios afghanes,
rediffusant l'allocution, pas de traduction simultanée
me dit-on. Rappellons-nous la traduction catastrophique d'un
texte japonais au moment d'un certain anéantissement nucléaire
et l'erreur d'interprétation possible. Ceci ne dédouane
en rien le machiavélisme de Ben Laden. L'information ne
restitue pas strictement la réalité pour des raisons
évidentes.
Petites lumières
dans la nuit. Puisqu'il n'y
avait plus d'électricité, dans une cave, une bougie,
une lampe, permettait d'éclairer le visage magnifique
d'un homme cachant sa famille. On voyait son regard, on ne pouvait
plus voir que ces yeux-là. Le commentateur, le jeune amateur
d'art de la radio un peu allumé, aurait dit qu'il semblait
sortir d'un tableau de Rembrandt, le Rescapé de Massada,
peut-être.
Plus d'objectif!
Chef, que faire ? Il nous
reste des bombes!
1 - ne pas les gâcher, ça coûte cher
.2 - stand by
Il n'y a déjà plus rien
à atteindre. C'est vrai qu'il y avait déjà
peu.
Sur le site afghan, un clignotant rouge : plus d'objectif.
Rentrer à la maison (go home?).
la petite fille qui avait déjà offert son papa
au Président pourrait le récupérer, photo
du papa retrouvé, embrassades, larmes de joie, photo etc
Happy end, bouquet de fleurs...
Se promener en attendant, air pur des montagnes, respirer largement.
Chanter en choeur , éventuellement, pour garder le moral
et l'esprit d'équipe.
Aller récupérer notre journaliste de Paris Match
déguisé en femme, pour occuper le temps et se sentir
utile.
Rasez-vous
Si par malheur, vous ressemblez
à Ben Laden, (les oreilles, les yeux?) surtout sans hésiter,
rasez vous, Gillette double action, et portez un T.shirt "je
ne suis pas Ben Laden". Un homme (grand) a été
arrêté, battu grièvement, tant sa ressemblance
avec le terroriste était manifeste. Portez une casquette
rouge, comme celles qu'on porte parfois à la chasse, faites
des signes, dites souvent, sans ambiguïté, "Je
sais, je lui ressemble, mais ce n'est pas moi". Ainsi, vous
aurez droit à des excuses et à toute la considération
de vos voisins.
"Le
brave soldat Chveik",
Joroslav Hasek
"Vous n'auriez pas, par
hasard, une ceinture sur vous pour que j'en finisse?"
"Si et je vous la prêterai volontiers, répondit
Chveïk en quittant sa ceinture, d'autant plus que je n'ai
encore jamais vu comment on fait pour se pendre dans une cellule.
Ce qui est embêtant, continua-t-il en regardant autour
de lui, c'est qu'il n'y a pas un seul piton ici".
Cut & choc,
Isabelle Dormion, par mail reçu
& mis en ligne 19 Octobre 2001
Envoyé spécial: une nouvelle pathologie est née,
avec son florilège de nouveaux symptômes et sa kyrielle
de nouveaux traitements. Où? Là-bas. Le Cutting. Des
femmes aux cuisses monumentales détestent leur image.
On les comprend. Qu'on les achève. Elles vont s'acheter
des lames de rasoir. On tremble. Elles se scarifient, l'une les
jambes, l'autre les avant-bras, se zèbrent, se mutilent
systématiquement et n'en meurent pas. La Thérapeute
explique doctement qu'une petite saignée de temps en temps
soulage l'angoisse et empêche le passage à l'acte
suicidaire : "la mode en est salutaire; et comme on boit
pour la soif à venir, il faut aussi se faire saigner pour
la maladie à venir".*
Que faire de ces jeunes femmes? On les met en tas sur la moquette
d'un appartement confortable, on les traite à loisirs.
Journal de bord, crayons gras et feutres, l'une dessine
sa colère, un ours brun, l'autre sa joie, une fleurette
bleue, on pressure, on extripe leurs chiches émotions,
on sort les mots, il n'y en a point, à défaut,
on sèche les larmes. On se serre mutuellement dans les
bras, on sympathise de concert, on ressemble à une grosse
chose sentimentale et rien ne vient pour mettre une limite à
cette molle horreur là. Aux maux, les mots. Carence.Deux
grosses filles vont de concert acheter des trucs indéfinis,
en sachets, dans un supermarché, elles poussent, en bermuda,
de gros caddies, on voit les jambes
tailladées déambuler,
elles les exposent, elles n'ont plus honte, elles vont mieux?
Devant les lames de rasoir fines sous plastique, tremblements
de convoitise, pulsions de taille, de coupe et d'élagage,
plaisirs inavoués. Maso? Non. Troubles profonds du narcissicisme
de personnalités border-line, séquelles et résurgences
de grande violence archaïque et déni des conflits.
On devine à la fois le manque affectif et le gavage, le
désert et le trop plein de tout et de n'importe quoi.
Comme pour la boulimie, le remède est là-bas comportementaliste.
Il colmate les brèches avec une pâte sucrée
de bons sentiments et répète insidieusement le
processus de gavage. Aucune question sur le sens n'est posée.
Autre film. Caïn
et Abel.
Recrutement de Zacharias Moussaoui, embrigadement dans les factions
armées. Où? Ailleurs? Un autre monde, un choc,
Jihad. Le conditionnement idéologique est montré
par le frère, le bon frère, le gentil, celui qui
jamais n'accomplirait des actions si féroces, terribles,
irrémédiables, comme se jeter en avion sur n'importe
quoi faisant l'Histoire, des tours qui dépassent le ciel,
un grand Pentagone. C'est idiot et c'est très mal. Il
le dit, il le répète, il explique bien le processus,
il parle bien, posément, lentement, raisonnablement, assis
dans une mosquée. Malaise. On baisse les yeux. Mystère
des êtres. Son frère!
Photos de Zacharias Moussaoui, qui, au fil de l'embrigadement,
mute. Son visage change, ses yeux, son regard.se transforment.
Des yeux cipanguës. On le décrit "dissimulé".
Déjà, petit, "dissimulé"? "Sournois"?
"Faux-jeton"? Disons plutôt "clandestin".
Mais qu'allait-il donc chercher dans cette galère? Un
sens?
* Le Malade imaginaire, Molière
Barbarie
Ordinaire,
Isabelle Dormion, mail reçu
et mis en ligne 23 Octobre 2001
Dans cette atmosphère particulière, brumeuse, automnale
dès le 11 septembre, les oeuvres de May Livory prennent
un sens bénédictin. Qui sont les barbares?
Rien d'ordinaire, aucun remugle d'office et de passe-plats dans
l'exposition des mille et une nourritures terrestres, travaillées
au coeur de la matière. C'est la version nettement plus
bovine du Spirituel dans l'Art*. Ce ne sont ni les voiles,
ni les gazes, ni les tarlatanes, ni les enduits, ni les vernis,
qui cachent le travail de la pensée. Rien ne se voit d'une
élaboration complexe. Recto, verso, envers, endroit d'une
démonstration. La matière est étalée,
livrée dans ses brillances de peau écorchée,
ses rugosités de langue songeuse, ses sombres matités,
ses verdures primesautières et jardinières.
La main oeuvre, dissèque, ouvre, interroge, coupe, lacère,
dévoile, offre, montre, désigne et dit, palpe poulpes
et gibiers, indique, évoque, invoque, énonce, dénonce,
l'oeil glisse sur les viscères et les tripes, en capte
les granulosités et les nacres surfaces. De la cuisine
hauturière qui conduit l'esprit vers les terres devenues
aujourd'hui inabordables.
Une visite hâtive, une première lecture appéritive
des oeuvres exposées laisse d'abord enchanté de
l'univers, dans l'innocence gestative du chou , capté
dans les nervures, les fibres, les fils, la trame, l'ourlet,
le point d'épine, les entrelacs ironiques d'un lien végétal
qui conduit vers un deuxième, puis un troisème
temps, initiatique.
Réflexion et culture.
Il n'y a pas d'erreur possible, la dame est savante. Elle le
cache, mais à des signes subtils, à cet envol d'une
aile de faisan, à ces frissons de chair, ces viandes nacrées,
ces dentelles de graisse, ces mouvements de plumes, ces éclats
métalliques, gris et bleutés, cette lumière
vive, ce regard sur la réalité, elle se trahit.
L'ongle, le doigt indiquent, non la chose mais l'esprit qui précède
et préside. L'index, de haut en bas et de bas en haut
dans un geste, une geste accomplie.
Le lit des maquereaux sur un plissé blanc appelle en ligne
les odalisques et convoque tous les nus vainement ressassés
dans la mémoire, le petit grenier culturel portatif.
"L'origine du Monde", est-ce l'oeil du sexe, cette
béance mystérieuse où palpite quelque chose,
la vie étrange accrochée à la matière
animale? Les adhérences du poulpe, mouvements, reptations,
sécrétions brillantes. T 'as vu la langue, Lacan
peut aller se faire rhabiller chez Armani.
C'est la suggestion, la rapidité
de l'ellipse, l'acuité qui restituent l'évidence,
paradoxale, extraordinaire.
*Du spirituel dans l'art et dans
la peinture en particulier,
Kandinsky - Denoël/Mediations :
"La vie spirituelle à laquelle l'art appartient
aussi et dont il est l'un des agents les plus puissants se traduit
par un mouvement en avant et en hauteur, complexe mais net, et
qui peut se réduire à un élément
simple. C'est le mouvement même de la connaissace. Quelque
forme qu'il prenne, il garde le même sens profond et le
même but."
Exposition BARBARIE
ORDINAIRE jusqu'au 30 novembre
à La Loge de la Concierge, 1er étage, 14 rue du
Pont-Neuf, Paris 1er, tous les jours de 16h à ,19h ou
sur rendez-vous (01 42 36 79 60)
Trouille, Isabelle Dormion,
mail reçu et mis en ligne nuit 25-26 octobre 2001
Qu'apprends-je à l'aube? Halloween
est proche, trop proche. Nos têtes blondes d'outre Atlantique
et d'ici vont, unis dans un même élan, avec une
cuillère, creuser la citrouille, les mères récupérer
la pulpe (oignons blondis, faire bouillir, mouliner, persil,
arroser de crème épaisse), si tout va bien, la
semaine prochaine. Le marché des cucurbitacés implique
25 millions de francs. Des milliers de fans c'est trop pour un
légume qui pousse n'importe où et ne demande pratiquement
pas de soins. Les cultivateurs de la chose disent unanimes à
la radio que le "le profit n'est pas négligeable".
On les croit sans peine. On pourrait en faire pousser en Afghanistan,
avec les pavots, ce serait d'un bel effet paysager, entre l'entrelac
des mines.
D'autre part, les laboratoires de l'Université
D'Orsay cultivent, eux, des souches pathogènes, sans aucune
sécurité. Nos journalistes ont testé le
manque de contrôle. Voilà un bon tuyau du jour pour
les malfaisants. La voiture d'FR3 montre le chemin. Pratique,
sympathique, au service de n'importe qui.
La poste du Louvre, objet d'une menace
bioterroriste est évacuée. La postière interviewée,
encore par FR3 ne veut pas porter de gants "on transpire
dedans". Voilà trop de désinvolture hexagonale
pour un bon climat de psychose. Postiers, postières, un
effort, prenez des gants, masquez-vous et paniquez, comme tout
le monde normalement. Encore dans la farine de nos farceurs éhontés?
Qu'on les fustige! Que font ceux qui font l'opinion? Ils sont
perplexes? Un jour pensent ceci, le lendemain cela.
A la Toussaint,, pont, fuite et trêve enfin des morts.
Voyage, Isabelle Dormion, à propos du livre de
John Gelder "La
revanche du Néandertal"
(texte mis en postface, éditions PARC), mis en ligne 30
octobre 2001
Il m'arrive d'entrebâiller la
porte des Sciences et d'y passer la tête L'oreille suit.
Le neurone, s'il fonctionne, se met en branle. Il nous arrive
tous, rétifs à l'effort, distraits, comme par hasard
et par inadvertance de réfléchir aux moutons, aux
agnelles, aux paires de cochons d'Inde à poil court, aux
petits et grands animaux, double-brebis à l'il torve,
aux greffes d'organe, aux clonages,aux manipulations génétiques.
Quand l'image à ce point transgénique nous émeut
et tord nos tripes, nous sortons et déambulons. Où
donc nous mène cette flânerie erratique ? Sur un
banc où l'on réfléchit. Au Musée
de l'Homme. On peut y voir des cavernes reconstituées,
le mausolée fleuri de Leroi-Gourhand, de vraies tombes,
quelques os archaïques, la cousine de Lucy, des vraies traces
de mains, des mandibules d'ancêtres honorables, nos anciens
initiateurs de cueillettes, nos habiles chasseurs, nos futurs
dessinateurs de bisons et de troupeaux de rennes. Nous voilà
devenus sans voix. Que de surprises, que de perplexités!
Issus de ces frustres esquisses humanoïdes, de ces charpentes
simiesques ahanant dans les steppes et les forêts, munis
pour tout instrument que de grattoirs aléatoires, ignorant
tout, méconnaissant alors le Logos, adaptés au
pire, résignés à la mort comme à
la vie, troupeaux glorieux et pathétiques de notre histoire,
horde trébuchant dans les recoins obscurs de la mémoire.
Ontogenèse, phylogenèse.
Il reste un malaise persistant, cette réflexion urbaine,
celle du flâneur bénévole, citoyen ébahi,
individu récalcitrant, perplexe, circonspect. Ce prurit,
cette curiosité insistante oblige à répertorier
non les aléas de la science, mais les certitudes du rêve
et l'inventaire précis de l'imagination. La science et
l'inconscient. Quels sont donc les présupposés
du scientifique? Leurs travaux ne sont pas toujours réalisés
dans les conditions définies par eux, sévèrement
requises, rigoureuses, exigibles, d'asepsie intellectuelle. Le
scientifique pourrait bien diffuser tous azimuts des affections,
des idées nosocomiales, ces oeufs-du-serpent, quelques
proliférantes perversités logiques aux effets imprévisibles.
De l'homo habilis à l'homo mutandis engendré par
les inventions débridées de la biologie, l'histoire
de l'homme est objet d'investigations diversifiées : Le
chercheur, ce décrypteur, le biologiste, le paléontologue,
l'anthropologue, suivis aujourd'hui par le créationniste-intelligent
new age interrogent l'homme, l'ADN : le new age explique divinement
la complexité de la cellule. Rien ne vient jamais démentir
des affirmations assénées comme postulats. Pas
de vérité hors des jeux génétiques.
Qu'est-ce que la nécessité ? Comment expliquer
les combinaisons hasardeuses quand les modèles mathématiques
font loi et obligent à un acte de foi? Croyons au principe
d'intelligence pré-établie. Aucune pierre d'achoppement.
Croyons à Darwin ou soyons blasphématoires.
Avenir? Quel progrès? Pourquoi la science bénéficie
de tels préjugés favorables, d'un tel crédit,
illimité, à fonds perdus? Qui étalonne les
critères de la vérité, de la réalité
fluctuante. Aucune alternative n'est proposée entre les
réactions niaises de l'obscurantisme et les audaces d'une
anthropotechnologie dogmatique à l'oeuvre. S'il y a une
scène où opère la science, d'où vient
le soupçon qu'un nouveau discours est obscène,
littéralement en dehors de toute représentation
humaine cohérente?
Le progrès obligatoire est-il
inéluctable? Quel prix exorbitant l'espèce aura
à verser quand une autre forme d'anthropoïde fictif,
mes arrières arrières petits enfants rejetons d'une
espèce nouvelle, apparaîtront sur terre? Imaginons
la réalité : La moitié de l'humanité
morte de misères endémiques, disettes organisées,
soifs, exodes, maladies nouvelles, épidémies anachroniques,
pestes buboniques, tuberculoses résurgentes, l'autre moitié
encore vivante, que fait-elle de son triomphe? Comment interagissent
nos connaissances accumulées? Les différentes théories
ne sont-elles pas contradictoires? Quels sont les rapports entre
les pouvoirs et les laboratoires qui uvrent, poussés par
le progrès qui engendre de nouvelles expérimentations.
Qui décide? Comment contrôler la fiabilité,
comment évaluer la rigueur, tester, vérifier, authentifier
"l'humanité" des scientifiques? Quelles sont
les perspectives d'avenir, quels sont les risques incalculables
d'anéantissement, nos possibilités de survie
dans une terre mise à mal insidieusement, violentée
chaque jour? Les sciences se sont toujours heurtées aux
résistances, à l'ignorance, à des images
innommables, à nos cauchemars de Golems créés
de toutes pièces, engendrés par de vieilles peurs
réactionnaires : l'ahurissement devient donc un facile
alibi, le confort notre aveuglement consumériste quotidien.
Nous sommes mis devant les hauts faits accomplis par le Saint
Graal retrouvé, l'élixir alchimique des techno-sciences
et crions au miracle quotidien.
Plus de vieillesse, victoire, DHEA, plus de mort, bientôt
plus de procréation naturelle dans des conditions inadmissibles
: coït, grossesse, vagissements dans les eaux et le sang
répandus d'une vie nouvelle. Archaïque!
Un humain d'aujourd'hui ne se reconnaît pas facilement
dans cet être préhistorique aux sourcils proéminents,
dolichocéphale, à demi-érigé, tentant
de survivre et de s'adapter à l'hostilité de la
nature, du froid, de la faim, des maladies et des prédateurs.
Notre ancêtre, ce misérable prototype approximatif!
Il se transforme. Outils agraires, culture, fresques. Que disait-il?
Il faut attendre les premiers contrats de cession de biens, les
premiers clous de fondation d'une ville, quelque tablette cunéiforme
au contenu élaboré pour s'identifier aux inconnus
d'un autre âge. "Que le couteau du boucher se retourne
contre son enfant" dit la malédiction d'Agade. "
Que l'abattement tombe sur le palais construit pour réjouir
le coeur!" Il faut attendre le langage et l'histoire pour
comprendre la pensée des hommes et se reconnaître
en elle.
Aujourd'hui rêvons éveillés. Interrogeons
le prognate en nous. Demain, imaginons le gnome de fiction, le
surhomme aux pièces interchangeables. Une âme? Qu'est-ce
que c'est que cet appendice non fonctionnel? Plus besoin.
Devenons lucides à défaut d'être éclairés.
J.Gelder sollicite la curiosité et nous invite ironiquement
à penser, nous, promeneurs candides, abêtis par
la télévision, inconscients, saturés d'informations
parcellaires et nourris de confuses rumeurs, penser, si nous
en sommes encore capables, homo urbains-sapiens/s mystifiés.
Sa démonstration maïeutique nous amuse puis dans
un deuxième temps nous provoque. Nous voilà devenus
des esprits prévenus. Nous ne rions plus. Une science
désenchantée. Que l'abattement, la réflexion
habitent un esprit construit pour l'inquiétude et non
pour la désolation.
Rouvrons le dossier Oppenheimer. Hiroshima, histoire déjà
ancienne et tombée dans l'oubli?
Pour trancher le débat, affaiblis par l'excessive confiance,
la naïveté et l'ignorance fatale, faisons appel au
tiers, au juridique, au droit. Que soient convoqués à
Genève comme à Nuremberg, les avocats du diable.
Nous avons dans l'Histoire des précédents fâcheux,
des répétitions sanglantes, certaines barbaries
qui ne disaient pas leurs noms, qui avançaient masquées,
nous avons vu des cerveaux brillants se révéler
après coup de délirants paranoïaques, mus
par une logique irréfutable, hors du champ de toute symbolisation
possible. Les Sciences, dictatoriales? Est-ce possible? La science,
au service d'un pouvoir sans arbitrage? Est-ce vraisemblable?
Qu'on interroge l'histoire, qu'on dresse un inventaire, qu'on
écrive objectivement l'histoire de l'humanité.
Il n'y a pas d'objectivité? Dieu merci! Nous voilà
rassurés.
Quels sont les effets sur plusieurs générations
d'un enfant né de gamètes inconnues et congelées?
Aucun effet. Que ce soit prouvé! Que l'on réalise
des études épidémiologiques. Etudions les
résultats. Il faudrait interroger épistémologiquement
le mythe darwinien, le créationnisme, comme la biologie
sur ses cadres de formalisation. C'est un devoir citoyen. Procès
d'intentions, débat ouvert au néophyte. Vote. Lois.
Limites. Repères historiques. Limites, bornes. Commission
de sages. Des jurés dans ce débat, non experts,
vox populi béotienne requise pour un appel au simple bon-sens,
à la sagesse?
La technologie scientifique s'enferme dans la toute puissance
d'une connaissance discursive enfermée sur elle-même.
On ne peut admettre que la science soit investie d'un pouvoir
tel qu'elle fasse désormais appel à la croyance,
aux superstitions les plus contestables. Il faut croire aux bienfaits
de la science, à ses oeuvres, à ses miracles. Ses
ratages? Il n'y en a pas. L'humanité évolue. Nos
cerveaux n'ont jamais été plus beaux, plus volumineux.
Qu'ils défaillent? Il y aura pour tout un palliatif possible,
une molécule chimiquement réparatrice. Ô
miracles et panacées, bientôt munis d'appendices
hautement préhensibles, nous mesurerons deux mètres
pour attraper les fruits d'une connaissance de plus en plus haut
placée.
Nous admettons tout ce qui flatte la notion d'intelligence, trompés
par ces excès d'une réalité fantasmée,
validée par auto-proclamation Personne ne peut affirmer
que l'homme nouveau, objet et non sujet d'expérimentations
biologiques n'est pas un homme artificialisé par le pragmatisme
effréné des laboratoires. L'humain est traité
comme une production de l'homme, à la fois divinisé
et mis à la poubelle. Enfonçons les portes ouvertes.
Que fera-t-on d'embryons ratés? Pourra-t-on jeter ce déchet
là, qui ne dit rien? L'homme nouveau n'existe pas encore.
Il se fabrique au jour le jour, banque d'organes, phénomène
gémellaire, non individu, bricolage génial, parfait,
chosifié, immortel, déifié et simple déjection
L'homme est en trop d'une humanité qui n'en aurait plus
besoin. Refaisons donc nos humanités. Il faut tout relire
: les textes bibliques, Dürkheim, Darwin, Mauss, Marx, Freud,
les mythologues, les anthropoanalystes, les structuralistes,
assistons aux débats sur les neuro-sciences et, désenchantés,
laissons décanter, sceptiques, ces magnifiques innovations
devant un verre d'excellent Bordeaux. Zenon? Oui! Le stoïcisme
est un remède. Le bouddhisme aussi. Sourires. La pêche
à la ligne?
Enfin, que dit vraiment la théologie?
Qu'est-ce que l'éthique? De façon péremptoire
J.Gelder nous incite, nous oblige à imaginer le meilleur
et le pire des mondes possibles. Mais que fait Dieu? Mais alors?
Livrés à notre seule intelligence, notre seule
bêtise? Mais alors?
John GELDER, "La Revanche du
Néandertal, ou l'odyssée de l'espèce" éditions PARC, Paris 2001
Vieilles et nouvelles,
Isabelle Dormion, mail reçu et mis en ligne le 30 Octobre
2001
Rien de nouveau dans la stratégie de communication américaine.
Vieilles
frappes routinières, neuf jeunes enfants tués par erreur, yeux
clos, alignés assagis, vieux
de la vieille, barbus, passant les
frontières, antiques ruines de Kaboul, vieilles, comme érodées par les malheurs
anciens, la nouvelle malédiction, la nouvelle saison, automne-hiver, neiges et froid nouveaux.
Quoi de neuf? Une nouvelle vague d'attentats est pressentie. Le peuple,
aux USA, doit vaquer à ses occupations coutumières,
rester vigilant, aux aguets tout en faisant les choses normalement,
sans anxiété, sans penser à la nouvelle vague
d'attentats annoncée, en quelque sorte, faire comme si
rien de nouveau
ne puisse arriver qui soit périlleux, c'est à dire
comme si rien de nouveau n'était annoncé. Comme si de
rien n'était.
Que des choses rassurantes, vieilles et connues, de vieilles et encore fumantes ruines à Manhattan,
de vieilles
attaques avec des nouvelles armes, efficaces, les bombes à fragmentation.
Voilà la nouveauté. J'ai donc essayé de creuser hier notre
potiron festif d'Halloween à la cuillère, c'est
aléatoire. Avec une bombe à fragmentation, c'est
un jeu d'enfant, pratiquement la même consistance que tout
ce qui est habituellement fragmentable à la guerre.
Des informations non seulement antiques
mais récidivantes. La vieille colère des agriculteurs
qui voient leurs troupeaux abattus pour un vieux soupçon portant sur une petite probabilité
de transmissibilité et non de contagion. Quelque chose
pourtant a changé : la force de conviction, toute nouvelle, la rage,
renforcée. Comme un nouveau
désespoir qui aura des effets
profonds. Les agriculteurs n'ayant plus rien à perdre
que leur honneur, font savoir qu'ils ne vont pas laisser abattre
leur troupeau en masse sans rien dire, sans rien faire. Ils le
font savoir aux préfets, ils le clament au gouvernement,
ils préviennent, ils veulent être entendus. Ils
exigent un abattage sélectif, plus coûteux. Le Ministre
de l'Agriculture, M.Glavany, est interrogé, il débite
la rengaine avec sa vieille langue de bois, faisons confiance aux scientifiques,
abattage massif, moindre risque, commission scientifique de contrôle,
décision, fiabilité, etc
Et là, incongrus, viennent à
l'esprit, agglutinés, ces mots nouveaux et déjà si vieux, dommages collatéraux, qui sont repoussés
aux confins archaïques des lointaines frontières
de l'esprit, désormais sans âge. Et là, obsolète,
ridicule, morbide, récemment conçue, récemment
usagée, surgit, encore agglutinée, cette trouvaille
ressassée, médiatisée, contradictoire, douteuse:
paix immuable; images juxtaposées comme celles de l'information
"clippable/zappable", dispensée à la
télévision, la guerre et l'abattage des troupeaux:
Paix immuable/ bourbier. Dénégation américaine:
"Non, nous ne sommes pas du tout dans un bourbier".
C'est l'un ou l'autre. L'un des deux termes exclut l'autre. Une alternative,
un troisième terme vient à point qui offre une
issue logique: la nouvelle vague d'attentats.Voilà comment la communication
travaille à l'amélioration de son image. Illusion
de changement, mouvement rapide, illusionnisme des mots nouveaux, vertus
encourageantes de nouveau, nouvelle, new, de l'image trafiquée, pour que surtout
rien ne bouge. Le fond est immuable. Je dirais opération
bêtise-intangible qui ne communique qu'un évidement
du contenu, un évitement de la vérité, comme
celui opéré sur les milliers de citrouilles magiques
en lumignons joyeusement clignotants, éclats trompeurs,
pseudo mythes vides de sens, vides de culture.
Mètis*, Isabelle Dormion, mail reçu et mis
en ligne 8 novembre 2001 15h
Les bombardements s'intensifient. But
: débusquer l'ennemi. Où? dans les coins, les creux,
les trous, les excavations, les caves, caches, grottes, béances,
couloirs, failles, crevasses.
Ruse?
En déclarant fou furieux Ben Laden, Chirac fait-il preuve
de sagesse ou de prudence, de maitrise ou d'intelligence? Aurait
mieux fait de se taire. Il donne son sentiment. A quoi pense
t-il?
Le calme, olympien, l'absence jointe à l'ubiquité
de Ben Laden ne dit rien, ni de la folie ni de la furie. Bien
que criminel resté impuni, Ben laden n'est ni fou ni furieux.
Certes il est le danger omipotent, l'ennemi déclaré.
Il est déterminé. Il a un objectif et une stratégie.
Dans l'hypothèse ou il est mégalomaniaque, paranoïaque,
plus encore, est-ce sage de le provoquer par d'intempestives
déclarations faites en public? A qui s'adressent ces mots?
Curieux liens que ceux de la parole, plus lourds que la pierre,
plus asservissants que les bras d'une pieuvre, plus aliénants
que mille poignards. Qu'a dit Ben Laden? Plus un jour de paix!
Fait souffler vents et tempêtes.
Que dit l'oracle chez Hérodote?
I, 67-68: "Deux vents soufflent sous la contrainte de
la nécessité; il y a coup et contre-coup."
Chirac et le bon sens commun. Simplification: Ben Laden n'a pas
toute sa raison. C'est tout?
Qui déliera les paroles de Ben Laden?
"Frappe plus fort, ordonne Kratos à Héphaistos,
serre, ne laisse pas de jeu: même à l'inextricable
il est capable de trouver une issue." Et Prométhée
déclare: "Après avoir ployé sous
mille douleurs, sous mille calamités, je m'évaderai
de mes liens".
*Detienne et Vernant "Les ruses
de l'intelligence - la mètis des Grecs" Flammarion
Sacrifice
Que le sang coule!
A quelle obscure nécessité répond l'appel
au sacrifice?
Prends un agneau et sur l'autel verse enfin les libations d'usage.
Choisis le plus tendre du troupeau et n'épargne ni la
lame ni la pierre.
Des enfants rassemblés dans la cour, n'espère plus
ce soir en voir un seul d'entre eux vivant.
Des appels! Leur nom, en vain, dans l'espace exigu. J'avais cru
entendre un souffle contre le mur.
De ces hommess éparpillés sur la face de la terre,
millions de grains de poussière, considère ceux-là,
vaquant au marché de Darawet, comme les surnuméraires,
ceux qui doivent être sacrifiés. Chaque cheveu sous
leur turban est comptabilisé de tout temps.
Dans la nuit de Nawar, dites-vous, les
bourrasques couvraient les voix ennemies.
Faut-il que l'obscurité nous rende complices
du sang versé ailleurs?
Xenohematophilie.
Songe d'un sang qui me rend là étrangère.
N'épargne pas une seule de tes
larmes.
Détachement même,
Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne 12 Novembre
2001 à 17h 50
Monsieur Abord de Chatillon, expert*/Airbus , interrogé
peu de temps après le dernier crash du vol N-Y - Saint
Domingue est prudent. Il faut analyser, dit-il tous les éléments
de la nouvelle catastrophe, avant de se prononcer: effectivement
il est très rare qu'un réacteur se détache
de l'appareil. Il est même assez rare que les avions tombent sur des quartiers
habités, même si ça peut arriver.
La nature de l'accident est d'être fortuit. Ce n'est pas
la similitude météorologique qui pourrait conduire
à conclure aujourd'hui hâtivement à un attentat.
Le 11 septembre, très beau temps. Aujourd'hui très
belle journée d'automne. Hier, très mauvais temps
en Algérie, 350 morts, ce n'est quand même
pas Oussama Ben Laden qui gère le climat tous les jours
à travers le monde. Même si c'était lui, je continuerais à
invoquer les saints habituels concernant le vent, le soleil,
la pluie, le gel, le givre et la lumière dorée
du 10 novembre, lumière à laquelle il n'a pris
aucune part personnelle, jusqu'à nouvel ordre.
Même
si c'est accident, disent les premiers commentaires, l'évèvement
est considérable, compte tenu du déroulement des
opérations afghanes des derniers jours. Les B52 s'activent,
les journalistes français (deux) sont tués lors
d'une attaque des Talibans, les troupes américaines vont
au sol, on voit les commandos débarquer, sacs de 20 kilos
attachés au dos, escargots de la gloire. Même
s'il n'y a aucune relation entre cette explosion et la guerre
engagée, Bush dira tout à l'heure ce qu'il faut
dire: "Pas de panique", ou quelque chose comme ça,
"nous sommes là" et les frappes sont au zénith.
Il reçoit Mandela, il ne dit rien, il réfléchit.
On lui dit de bien réfléchir à ce qu'il
ne va pas manquer de dire, parce la moindre de ses paroles aura
une portée statégique à court, moyen et
long terme.
Même
si c'est un attentat, il vaut mieux que ce soit un accident.
Selon le contexte, les commentaires, à peine la catastrophe
annoncée, annotée, épelée, vont leur
train d'enfer. On évoque, de façon détachée,
les nouveaux spots réalisés par des célébrités.
On a même vu Woody Allen se lancer sur une piste, des
patins à glace aux pieds. Il ne nous a pas arraché
un sourire. Il a l'air idiot. Qu'il reprenne son saxo, Minor
Swing et basta, on aime même
Django le 12 novembre, après
tout.
*Yves Lecerf, E.Parker "Les dictatures
d'intelligensias" Puf Inventaire de l'unanimité, Isabelle Dormion, mail reçu et mis
en ligne 13 novembre 2001, 18h 38
Les débats pemettent aux experts de la sagesse
de répertorier les âneries commises et dites ces
derniers temps. Elles sont légion. L'aéropage se
réunit aujourd'hui à la Porte de la Villette. Je
me souviens encore des abattoirs d'hier. On entend ce matin le
plus triste des sages convoqués, Nobel-de-la-Paix, Elie
Wiesel. Deux minutes de parole, je me rendors déjà
sur France Inter. Il y aura sans doute Marek Halter, sa femme
et son mur. Ce qui caractérise ce boulot, cette fonction,
ce-job-là, de sage nanti d'une carte professionnelle,
c'est cette bonhomie devant la célébrité
acquise par l'humanisme tous terrains. M. Halter accompagne Chirac
et lui fait remarquer, avec sagacité, à l'oreille,
à part, dans l'avion privé qu'il partage - on comprend
l'honneur - avec lui, que Poutine n'aime pas ce geste famillionnaire,
familier, celui de Chirac qui lui passe la main sur l'épaule.
Conseiller électif, électoral, congédiable,
corvéable, des princes? Compromissions. La sagesse est
un travail à temps plein, qui exige
honorabilité, crédibilité, reconnaissances,
exclusions, jalousies, colloques et longues tables de la sagesse
recouvertes de feutre vert, bouteilles d'eau Volcanique, verres
de plastique translucides, pas de cendrier, écouteurs
multilingues mondialistes. Sagesse sans frontière, d'après
le Sage: traduction instantanée, simultanéité
des messages, nouvelle équation des communications, angélisme
triomphant de la bonne conscience, de la mauvaise aussi, qui
trouve là sa travée, son champ, son carré,
sa pitance.
L'intellectuel co-signataire s'affirme avec une ostentation navrée,
triomphale et peccamineuse dans le partage, le débat,
le séminaire, le colloque. Je pense à Danilo Kis
portant le violon dans la nuit, longiligne, un peu ivre, désabusé,
péremptoire, ordonnant (à qui): "il ne faut
s'associer avec personne!". Force de la solitude. Loin de
tout, sans salut possible, sans rémission, sans connivence.
L'un des commentateurs de la radio de 9 h, dans la foulée,
s'indigne de l'usage trop familier, trop "bande dessinée",
du mot "crash" On dit écrasement. Ok, reçu
5/5. L'un des témoins oculaires du premier cercle de l'enfer
a dit "j'ai entendu boum". Quelques secondes plus tard,
Guetta ajoute, à propos d'un mot, "ça fait
une paye qu'on n'utilise plus ce terme". Il parle d'une
époque ou la paye se comptait par quinzaine: "J'ai
perdu ma quinzaine? " Se disait des travailleurs, des mineurs
du Nord, qui avaient bu leur salaire et souffraient d'une gueule
de bois carabinée, dépitée, et peu pressée
de retrouver le chemin infernal, expiatoire, de la maison. D'autres
font des gestes, avec le boum; deux bras partant du plexus vers
les lointains enfumés du Queens.
"Faisez les gestes, taisez-vous!" dit l'enfant qui
voudrait dormir. Quels sont les gestes mondialistes? Pour l'égorgement,
un simple mouvement de la paume mise à plat, au niveau
de la pomme d'Adam. Pour la pistolérisation, l'index,
joint au majeur, le pouce formant canon pointé vers la
victime désignée. Pour le poignard, poing tenant
la lame imaginaire, levé de haut en bas d'un coeur que
l'on va ouvrir. Pour mourir, quel geste?
Près d'un millier de personnes probablement mortes ou
disparues ces derniers jours à Alger. Le Ministre de L'Intérieur
est accueilli sous les huées. Après la longue série
noire des égorgements, celle, sinistre, routinière,
comme banalisée, des massacres, il y a là un motif
légitime, autorisé, pour lancer des pierres et
des invectives au gouvernement. Au bas de la ville, l'égout
a été bouché pour que les terroristes ne
puissent pas y trouver refuge. Les eaux n'ont pas pu se déverser.
Les cabanes construites sauvagement en tôles et parpaings
à flanc de colline n'ont pas pu résitser. Les secours
n'ont pas pu venir tout de suite. Sept heures durant, les gens
ont creusé seuls la boue. Les femmes n'ont pas pu crier;
elles n'ont pas pu pleurer. Depuis si longtemps, elles n'ont
plus de larmes. Elles montrent le seuil d'une maison qui n'existe
plus, bras et main tendus, voilà ce qu'il reste. Mêmes
gestes qu'ailleurs.
Quand un témoin du Queens déclare "je faisais
un sandwich au beurre de cacahouète quand j'ai entendu
boum", on n'en croit pas ses oreilles. Ce n'est pas boum
qui sidère, c'est ce mélange insupportable de bouffe
et de mots et d'éclatement. Des boissons chaudes, encore,
à profusion, près des ruines. En Algérie,
les gens n'ont pas mangé depuis trois jours. Les magasins
sont fermés. Ils creusent et tirent les corps sans dire
un mot, visage fermé, regard dur, bouche amère.
Qu'on ne vienne pas nous dire que c'est le dénuement qui
confère à l'homme sa dignité, son austérité.
Il se trouve que certains hommes, sans rien, gardent une entière
humanité que nous n'avons pas, que nous n'avons plus.
Une intégrité.
Image des combattants de l'Alliance
du Nord, en marche sur Kaboul, tenant contre eux des roquettes,
à mains nues. Image de l'un d'entre eux, riant, en parlant
d'un taliban: il a préféré se faire exploser
plutôt que de se rendre. Les récits anciens sont
remplis de ces hauts faits, d'un autre âge.
Le choc des civilisations, c'est précisément
cette différence, culturelle, des comportements.
Où donc avons-nous déjà vu ça? Il
existe donc une unanimité, une similitude gestuelle, mains
jointes vers le ciel et yeux clos, il existe un gouffre entre
les gens du Queens, très civilisés et bouffis,
gonflés au beurre de cacahouète et ceux d'Alger,
anéantis, mais nantis d'une autre culture et n'ayant que
les mains pour creuser et reconstuire. Le beurre de cacahuète
et la casquette du nouveau maire de New York exaspèrent
en nous l'idée même de la dignité, de la
culture, de la civilisation et de l'humanisme. Le beurre de cacahouète
n'est pas un indice de civilisation. C'est un indice gras, tartinable,
mou, étalable, proliférant, bon marché,
envahissant, hautement lipidique, saturé, overdosé
jusqu'à la nausée.
Je préfère sans.
Un auditeur de France-inter, réservé, presque timide,
ose prononcer ce mot d'une autre nature: "Eschatologique,
l'inondation en Algérie?" Les temps ne sont pas venus.
Il interroge le ciel. Une année calamiteuse. La reine
d'Angleterre aurait dit horribilis, parlant de ses futiles histoires
de famille et de belles filles légères et chapeautées,
décadence des règnes et chute des royautés.
Le palais de la
rigolade,
Isabelle Dormion, mail reçu et mis en ligne 15 novembre
2001 à 23h45
Aux actualités télévisées,
sur la 2, après ces annonces en cascades tragiques, on
entend des mots inusités. Liesse. Un nouveau dictionnaire
Robert vient de sortir. On pourra y trouver la définition
du mot, dont l'ouïe avait perdu jusqu'aux sonorités
féminines, la liesse.
Dans la foulée, l'hilarité gagne, on voit des gens
piétiner gaiement des cadavres mutilés de talibans,
non sur le trottoir, mais sur la chaussée défoncée.
La joie envahit tout: les échoppes des barbiers ne désemplissent
pas. On voit des visages émerger du poil imposé
par les talibans. On avait oublié la variété
des physionomies*, le tranchant d'un sourire, la vivacité
malicieuse des yeux dégagés, la frénésie
des zygomatiques mis en branle par le rasoir du coiffeur-dépoileur,
par les moqueries des voisins et des passants. Commentaires télévisuels:
"ces scènes sont prétexte à rigolade".
Mieux que la liberté, la libération. Ne dure qu'un
moment.
Rires: des hommes montrent des photos d'actrices. Les femmes
sortent enfin de chez elles, font un petit signe des mains. On
se réjouit. On achète des gâteaux espagnols
fourrés d'anis ou parfumés à la cannelle
"Dias felices", on les offre, distraite, malgré
le sucre glace qui en s'éparpillant tache les plis des
étoffes et les mantilles noires.
L'esprit libre, momentanément vacant, on relit, gare d'Austerlitz,
la description du palais de la rigolade.**
*"La métamorphose" Rufolf Kassner - Le Nouveau
Commerce p.39
"La commissure relevée livre difficilement son
secret. Toujours sincère et dissimulée à
la fois. En position de défense et d'attraction. Etrangère
à toute exagération ou surestimation, de soi-même
comme de l'autre, et cela plus par le centre de l'espèce
propre que par le sens du centre. Toute qualité est espèce
et l'espèce, centre. L'espèce est plus que l'individu,
le silence plus que la parole, la voix plus que le mot - dans
le mot à lui seul, il y a déjà exagération.
Toujours chat, jamais chien."
**"Pierrot mon ami" R. Queneau, Poche
Une
raison tellement confuse, Isabelle
Dormion, mail reçu & mis en ligne 21 novembre 2001
"Les femmes retrouvent une raison
de vivre" dit le commentaire* du présentateur** de
la 2. A Kaboul ces mêmes femmes qui ont retrouvé
l'usage de la marche à pied dans la ville déglinguée
vont au marché. L'image les montre avec précision:
l'une d'entre elles palpe un pull-over en acrylique rayé
de rouge, blanc et bleu, taille 16-17 ans, elle cherche donc
un vêtement pour l'un des siens, le froid venant avec l'hiver.
Est-ce une raison de vivre? Une autre plonge la main dans un
tas de savons en vrac et choisit un morceau qui lui convient
au milieu d'autres parallélépipèdes identiques,
d'un brun-kak rude. Elle trouve donc le savon le plus gros, le
plus gras, pour se laver, elle et sa famille, probablement se
laver est nécessaire, surtout en temps de guerre, ça
remonte le moral, c'est hygiénique, ça éloigne
la maladie et les miasmes microbiens. Est-ce une raison de vivre?
Non. Est-ce une finalité? Non. La femme ne se dit pas,
je suis très heureuse, j'ai enfin retrouvé une
vraie raison de vivre, je vais quérir le savon, les enfants,
vous gardez la maison! C'est une condition minimale, pouvoir
sortir et déambuler pour acheter, presque sans argent,
des choses indispensables à la vie quotidienne. Rien dans
l'image n'indique qu'elles gambadent joyeusement vers le marché,
qu'elles y vont d'un pas dansant, agitant leur burqa raidie,
rétive, comme les voiles frémissants de la liberté.
Un fleuriste rouvre son institut de beauté, une femme-esthéticienne,
visage découvert, très fardée, assez rubiconde,
en maquille une autre, assez timide. Tellement confuse qu'elle
s'est fichu du rouge à
lèvres sur les dents:
plan sur la bouche qui s'ouvre, mais ne dit rien. Les soins terminés,
hop, le voile, que sa main, dissimulée dessous, retient
tendu, au niveau de la bouche, pour que le rouge en couche épaisse ne tache pas le
tissu bleu. Est-ce une raison de vivre? C'est surtout une raison
de montrer quelque chose à l'image, à la demande
générale des téléspectateurs. Où
sont les femmes? Que font-elles, que pensent-elles? Certaines,
réservées, montrent une certaine perplexité,
d'autres ouvrent à nouveau les écoles, les dispensaires.
Mais elles ne sont pas toutes institutrices, ni médecins.
Les autres sont chargées de famille, très chargées,
alourdies par cette impérieuse fatalité, celle
de faire vivre tout le monde, avec moins que rien.
Se rassemblent toutes pour pouvoir travailler. C'est enfin espérer
retrouver un moyen de survivre, parfois de vivre avec décence,
plus rarement d'épanouir leurs talents. Quel travail?
Quelles autres raisons de travailler? Sortir du carcan familial?
C'est une raison nécessaire mais non suffisante.
Le Moyen Age ailleurs, la barbarie là-bas est un alibi
pour notre oisiveté fascinée par les autres vies,
violentée par les autres morts, mise à sac par
ces paroles d'un autre âge, ces silences d'un autre temps.
Avec moins que rien elles font des merveilles.
Charles Albert Cingria "La grande
ourse", Gallimard
*"Je me sauve car l'homme a parlé. Je tiens la
porte longtemps n'osant plus respirer. Mes gestes sont ceux d'un
voleur de pendeloques et si l'on m'apercevait l'on pourrait me
tuer. L'homme n'a parlé qu'en rêve. Je tiens toujours
la porte. Doucement je la referme". p. 59
**"Je crois bien qu'un chien a jappé longtemps"
p.60
Lion d'airain
Aux mêmes nouvelles télévisées,
une retransmission d'entrevue avec le Directeur de la DST. Face
à son personnage en buste caché, A. Chabot, qui
ma foi porte un pull rose. Devant l'homme, un lion muni d'une
queue beaucoup trop longue pour être zoomorphiquement vraisemblable,
et d'un métal rutilant pas très franc du collier,
captant la lumière excessive des éclairages. Bureau
vernissé, brillantissime. Je suis tellement absorbée
par l'inventaire exhaustif d'un dessus de meuble, placé
à l'arrière-plan, que je n'entends pas un mot de
ce que murmure à mots couverts l'homme mystérieux
de l'abat-jour. Derrière le pull rose, une bonne vingtaine
de boîtes ouvertes, doublées de satin, exposant
des médailles, des décorations, les exemplaires
numérotés hors commerce de pièces et de
monnaies, frappées au coin du bon sens? A l'angle, encore
un animal contourné, à la position étrange
et menaçante, un Cheval plein de bravoure, cadeau de pré-retraite,
un Minotaure maniéré en cristal ouvragé
d'Arques, la Chose Publique s'apprêtant à bondir,
soufflée en verre de Venise? Que dit enfin l'homme au
visage caché? Soyez vigilants.
Je n'ai pas que ça à foutre.
Fonction
citoyenne, la biométrie,
Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne 22 novembre
2001 17h 45
Il existe, selon Christelle Andres,
captée inopinément sur BFM -alors que je voulais
la fiesta calienda de Radio Latina, ses excessives joyeusetés
maïeutiques et musicales- trois phases dans le captage biométrique:
optique, capacitif, thermique. C'est précisément
la voix de cette dame qui a arrêté ma main indomptable
sur le curseur, une voix positive, une voix retravaillée
par l'usage fréquent de la prise de parole en public avec
monitoring audiovisuel, une voix qui ne connaît pas le
doute, bref une voix féminine de l'avenir comme on le
devine. Nous partons, dit-elle, du fait que l'homme porte sur
lui son identité, son passeport biologique, évidemment
par l'ADN mais aussi par la voix, l'oeil, l'iris et la rétine,
évidemment aussi par ses empreintes digitales*.
La voix de Christelle Andrès est celle d'une battante,
d'une vraie hôtesse de l'air et des courants porteurs,
qui nous assène en trois coups de cuillère à
pot des vérités effrayantes. On a compris au quart
de tour: voilà de l'anthropologie, de l'anthropométrie,
des choses sérieuses. Adieu salsas matinales et tangos
argentins, je capte, avec mes capteurs non encore identifiés
par "Zéphyr Technology", la Société
"Iridian", américaines, dont une succursale,
"Itiquet" est basée en Angleterre. Par ces temps
troublés, on voit tout l'intérêt des capteurs
biométriques sur un tarmac. Voilà tout l'intérêt
des applications scientifiques. En 1996 dans un bistrot de nous
seuls connus, Yves lecerf, grand prêtre de la science fiction/réelle,
nous mettait en garde contre les effets technologiques de ces
trouvailles: pourquoi ne pas imaginer un numéro, ou une
puce, sous la peau, exactement comme celui des prisonniers des
camps de concentrations, un code, qui permettrait d'identifier
l'individu, comprendrait son numéro de sécurité
sociale, son compte bancaire et ainsi de suite. On passe au péage,
on peut à la fois ponctionner le prix usager de l'autoroute
et connaître votre fond d'oeil et votre casier. C'est épatant.
Voilà le rêve presque réalisé, grâce
à ces nouvelles mesures anthropomorphiques en application,
grâce aux accords passés avec la CNIL. En effet
, il y a là M.Joël Boyer, qui nous dit de bien belles
choses. Il y a là aussi Marc Bouchara, directeur des identifications
à la Mairie de Billancourt, qui nous fait une démonstration.
On entend une voix artificielle, encore mimétique d'un
message virtuel, celle d'une hôtesse de cauchemar fictionnel,
Kubrickophile: la voix dit à l'individu qui va être
reconnu, indentifié, "Veuillez vous avancer",
l'individu, Joseph K. s'éxécute, la machine, très
intelligente travaille, cequi implique qu'elle a déjà
en mémoire ce qu'il faut: un fichier des individus, c'est
à dire un fichier répertoriant, comptabilisant
des masses, des millions d'informations. La voix artificielle,
maternante dit, au cas où l'individu n'aurait pas compris:
"Le système procède à la vérification
de votre identité", puis, avant de le (Jopeh K.)
laisser sortir prendre un cognac au café du coin ou de
l'arrêter pour délit "scientifique" de
sale gueule, ou de sale ADN: "l'identification est maintenant
complète". On imagine le bug informatique. Le fichier
mélange les données. Iris de l'un avec la voix
de l'autre. Traits de l'un avec oeil de l'autre. Cauchemar.
J.Boyer est allé pour nous s'inquiéter, nous n'avons
donc plus le moindre doute sur l'efficacité, la fiabilité
d'un tel système. Un lycée a demandé cette
application pour la cantine. Il n'est pas dit qu'on pourra prendre
ainsi deux fois de la choucroute et du rata. Et ceux qui ne peuvent
pas payer? Ils ne boufferont pas. Certes c'est un peu cher, mais
le conseil régional y pourvoira, certes hyper-moderne,
je dis même que c'est bath, c'est épatant. Bref,
pour reconnaître ceux qui sont inscrits à la cantine,
un moyen, la reconnaissance par ses applications informatiques.
Il suffit d'avoir accepté, au début de l'année
scolaire, le principe même de ce recours à l'identification,
de ce moyen de fichage, qui devrait être interdit. Si je
faisais partie d'une délégation de parents d'élèves,
j'interdirais que mon enfant soit consigné, lui et son
iris, sa voix et son ADN, dans ce type d'identification. On a
bien vu ce qu'avait donné l'identification au faciès,
la présomption de pieds-plats juifs et autres fariboles
de l'anthropométrie, marquées d'un sceau scientiste.
Madame Christelle Kubrick, lyrique, synthétique, en profileuse
taylorienne, rassure. Il ne faut pas avoir peur de Big Brother.
On n'a pas peur, on est là pour ça. On apprend
que Vivendi et Telecom sont parties prenantes dans ces innovations.
C'est rassurant.
Elle cite deux exemple d'erreur, d'excès possibles: un
gamin est arrêté, fiché grâce à
ce système biothechnique, en prenant une pochette de bonbons
au supermarché. Le deuxième exemple, elle n'a pas
le temps de le donner.
Avec ce seul exemple, nous voilà déjà convaincus
du bien fondé de ces applications. Hier, nous avons déjà
eu Juppé nous disant tout le bien de centres en banlieues,
pour les jeunes délictueux, de cet accabit? On craint
les pires excès.
Quand il s'agit de sécuriser les accès aux banques,
aux centrales nucléaires, aux bases sensibles de la Défense
Nationale, aux données confidentielles des laboratoires
de recherche, la CNIL donne son accord, sans admettre qu'un fichier
général, s'il est établi, peu être
détourné pour une finalité qui n'aura pas
été envisagée ni définie. Ce sont
les surprises du terrorisme informatique, non virtuel, déjà
opérant. Rien ne viendra garantir l'inviolabilité
des systèmes, puisqu'il existe des piratages, des prédations,
des actes de malveillance organisés dans n'importe quel
domaine des nouvelles technologies. Quand on voit ce nouveau
gadget truffier, américain, le nez au vent, cet avion,
nommé "Predator" traquer Ben Laden en ses cavernes
et ses couloirs on peut se demander s'il n'y a pas un malentendu,
un gouffre de Padirac, une caverne de Platon, un poil, une philosophie,
une religion, un pic, un Everest, une béance, entre ceci
et cela. Il y a bien longtemps que Ben Laden a trouvé
une solution.
Qu'ils mettent donc leurs vérificateurs d'individus Lambdas
aux frontières, qu'on persifle encore: la chaleur de l'un
et l'iris d'un autre sous la même burqa, clandestine.
Travaillant avec Lecerf sur les subtilités des sciences
cognitives telles qu'elles sont perçues aux Etats-Unis,
on peut se rassurer. L'intelligence artificielle n'a pas encore
réussi a singer les caractéristiques d'un individu,
ses "particules de charme" comme auraient dit Guattari/Oury,
élémentaires. L'intelligence artificielle ignore
l'humour et anéantit le paradoxe. Tout système
globalisant a ses failles, décryptables. Et ce n'est pas
le Panthéonique Bourdieu qui fera cette analyse, nous
ne lui accordons aucun crédit.**
Qu'on se rassure, les diabétiques ont une chance. Le captage
est compromis dans ce cas là. Leur rétine est rétive.
Diabétiques de France, unissez-vous, individus récalcitrants
du fichage!
Demain, je bouffe des bêtises de Cambrai pour faire exploser
mon taux glycémique.
* Bertillon Alphonse (1821-1883) médecin
, créa le " bertillonnage ", méthode
d'identification anthropométrique toujours utilisée
de nos jours.
** "Quels que soient ses mérites,
un bien portant ne présente aucun intérêt.
Impossible d'accorder le moindre crédit à ses dires,
d'y voir autre chose que prétextes ou acrobaties. L'expérience
du terrible, qui seule confère une certaine épaisseur
à nos propos il ne la possède pas, comme il ne
possède pas davantage l'imagination du malheur."
Cioran
Cahier N°2 du Nouveau Commerce - Automne-Hiver 1963 p.37
Microtendances
, Isabelle
Dormion, mail reçu & mis en ligne mardi 28 novembre
2001 à10h 18
"Sniffeur de microtendances", Jean-François
Bizot fait l'éloge silencieusement des surprises de l'andropause,
par la voix du Nouvel Obs et de Libération. Deux photographies
le montrent avec chemise à fleurs, que seul Grapelli à
la veille d'un centenariat dinstingué pouvait se permettre
d'arborer. Grapelli, rondouillard dans une hilarité majeure,
portait les fleurs hawaïennes en bouquets, en rafales, en
fusées, en gerbes swingantes. Rien de tel chez Bizot,
une expression sinistre, le pan droit du tissu, soulevé
par un catalogue avant-gardiste qui lui cale le coude droit,
encore imberbe, les mèches d'un baryton échevelé
rencontrant enfin les beautés austères, inacessibles,
des cantates de Bach. Sur l'autre cliché, que remarque
l'oeil, rompu aux plissés et drapés de Clerambault
ou Grès, aux frusques, frasques et fripes de Gauthier
ou Kenzo? Un sous pull quasi Damart qui dépasse les manches,
la femme en moi s'insurge. Non. Cousteau lui-même portait
des cols montants à longueur d'année, certes les
crabes
ont eu raison de sa longévité médiatique,
Tabarly portait des chemises ad hoc, oui, que les méduses
protègent ses esprits, l'Abbé Pierre en personne
garde la même houppelande jusqu'à ce qu'elle devienne
raide et verdâtre, que Dieu l'absolve et l'accueille en
sainteté. Pourquoi Bizot nous inflige-t-il le spectacle
hargneux de ses lassitudes désabusées?
Dans les années 80 j'ai le souvenir de lieux hantés
par Actuel et la mouvance Kouchner avant conversion humanitaire
où un Hongrois au nom de clebs, Racs, géant grasdubidon,
portant une robe, une tunique blanche en lin tissé par
la grâce des fées de tous pays, une barbe de gourou,
il avait mis en place des stages onéreux de "reconstruction
de ruines", près de la Garde-Freinet. Il pratiquait
un certain druidisme débonnaire, avec un régime
à base de carottes, de choux-raves, de fanes, de blettes
et autres végétaux zen. Il y avait heureusement
des glands et des chênes du côté de chez Rezvani.
On voyait passer Jeanne Moreau. Rezvani, je l'ai vu l'autre jour
dans le métro, les années lumière ne l'ont
point avachi, il garde une figure d'aristo iranien, une posture
filiformique, une chemise sombre, un maintien ferme, des yeux
gris, persans? Tout tient encore debout, la nostalgie et le bonheur
vert de gris. Je parle d'une époque où la plupart
des gens ne sont pas encore nés. Bref, dans ce vieux lieu
utopiste
habité d'ondes furtives, des terrasses permettaient aux
jeunes allemandes et scandinaves de s'initier à la cosmogonie
et pour la somme astronomique d'accès forfaitaire, de
forniquer sous les augustes cieux étoilés, dans
des fumerolles de canabis. Il faut préciser que les nuits
d'alors étaient plus propices, plus chaudes, plus spacieuses,
bien plus vastes, beaucoup plus longues, l'aube n'arrivait jamais
à poindre, dans ce temps-là, rien à voir
avec les nuits estivales des raves extatiques, noires et technos
d'aujourd'hui dans les hangars et les sombres bourbiers champêtres.
On parle d'un âge que Bizot, lui, a connu, ce qui nous
approche inexorablement de la pré-incontinence. Il n'est
pas dit que l'on puisse montrer un chemisier à col pointu
mauve, à sa descendance, quand bien même elle violerait
les malles closes où ces vêtures indianisantes,
les gilets de cuir poli taillés dans la masse au silex
et autres afghaneries macèrent. Je préfère
crever que d'exhiber ma peau de chèvre.
Ce qui fait très peur aux enfants, au crépuscule,
c'est le cou du sexagénaire, plissé et tombant.
Un débat télévisé sur la 3 opposait
lundi les partisans et les ennemis de la chirurgie esthétique.
Un couple assez bien conservé en faisait les frais. Madame
était charmante, Monsieur portait de ces chaussures de
faux sport que je hais, neuves, en cuir, lacées, des espèces
de cyclistes à semelles qui auraient très mal tourné
et n'auraient jamais servi, ni à marcher, ni à
courir, ni à pédaler, à rien. Elles auraient
servi à être au pieds, à être enfilées,
un point c'est tout. Et ça, c'est insupportable. Remontant
le corps, on remarque un ensemble d'un vert pistacheux, hospitalier,
tendance Salpé, avec une sorte de sweat shirt à
col en V, à manches courtes découvrant des bras
jeunistes, dorés aux ultra-violets, en abonnement compétitif
payable à crédit. Et ça, c'est insupportable.
Plus haut, à l'échancrure, on remarque, jouant
avec l'ourlet du V, une chaîne en or, victorieuse, quii
souligne et signale, si on ne l'avait pas vu, le plissé
du cou et ce qu'on pourrait appeler, en notre mansuétude
esthéticienne, la Chaînette aurifiée d'Apollon,
équivalence de notre Collier de Vénus. L'impétrant
est très content. Il est pour. Regardez-moi, dit-il. On
baisse les yeux, on relit la Morale de Kant en douce. Il y a
là une dame en rouge, du Maghreb ou mieux encore, gaie,
affichant son âge et s'en fichant comme d'une gigne. Se
lisent sur ce beau visage des rides de gentillesse, de générosité,
de gaité et plus encore. La dame est contre. Il y a aussi
un jeune type qui ressemble à Tournesol, le professeur,
mais nourri au maïs transgénique et à l'huile.
Il est joyeux. Il est contre. Il porte une boucle à l'oreille.
Il dit à toutes les dames qu'elles sont très bien
comme ça, qu'il ne faut pas les retravailler au sclalpel
et il sous-entend que les maris sont des beaufs, des mufles abrutis,
aveugles aux charmes redondants du délabrement. C'est
leur choix, signifie la présentatrice, assez ronde et
souriante, qui n'est ni pour ni contre. Elle s'en fiche, ce n'est
pas son problème, présentement, elle a un bon job,
elle connaît des trucs, ces gens-là sont ses hôtes,
elle les traite royalement, très au dessus du débat.
Tournesol dit que la dame liftée fait une sale tronche,
qu'elle ne sourit jamais. Le mari, n'est pas content du tout.
Même le mécontement se voit avec un lifting, tout
se voit: on voit les maxilaires se crisper sous la peau tendue,
on devine que si elle ne sourit pas franchement, c'est qu'elle
est furieuse, et qu'en plus, le voudrait-t'elle qu'elle ne le
pourrait pas. Elle doit économiser sa peau. Il n'y a plus
de jeu, plus d'ampleur. C'est juste, ça crispe aux commissures.
On a pitié, la pauvre! Plus jamais de bonnes peaux lâches,
de vrais bedons et de plis amollis, d'authentiques cellulites
glauques, de mollesses indicrètes, de fanons et de bajoues
flasques. Beau, net, tendu. Plus jamais de temps outragés?
On est responsable de son apparence. Pression sociale.
Revenons finalement à Bizot, je préfère
encore son rictus déconvenu de celui à qui on ne
la fait pas, ses bras qui sont comme ils sont, des calissons
d'Aix, ses cheveux à la mords-moi-le-noeud, mais qu'il
ne se fiche pas le doigt dans le nez, les enfants n'aiment pas,
ça ne fait ni punk, ni underground, ça fait vieux
con. Pourquoi n'essaie-t'il pas l'ivrognerie, puisqu'il veut
écrire? Duras buvait parce que Dieu, soi disant, près
de Trouville, n'existait pas ou plus après les âges
révolus du Gange. Duras ne se fichait pas l'index dans
le nez ou l'oreille, elle avait Yann Andréa qui l'aurait
rappelée à l'ordre. Plus personne ne lit quatre
pages, dit Bizot. De qui parle-t'il? Je connais quelqu'un qui
a lu un livre, une biographie sur Rimbaud, plus de1000 pages
remarquables, à l'entendre, dans un hamac, et ne s'en
est pas mal porté. Il est revenu très bronzé
de sa lecture.
Alexandre Adler, par exemple, peut-on l'imaginer une seconde
relooké par Cémonchoix? Impossible. Sa pensée,
son front vaste d'historien télévisuel porte l'ensemble
de son corps et l'installe là; enrobé d'un gilet
de velours, l'oeil de lynx, calé dans le fauteuil crapaud,
entre les certitudes de l'intelligence et les approximations
de la vie sur-exhibée à la TV.
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