Turbulences, du 9 janvier au 28 novembre 2005
expérience en forme de journal, débutée le 7 septembre 2001
par Isabelle DORMION, dans le cadre de Paroles d'Indigènes sur Shukaba.org .
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La mort amateur, la mort à mater, Isabelle Dormion, dimanche 9 janvier 2005

Combien de fois aura-t-il fallu entendre, en boucle sur les chaînes de télévision, «nous recevons juste à l'instant les dernières images de vidéo amateur». En quoi une image professionnelle pourrait différer, fatidique, l'instant où l'eau emporte, engloutit, roule, charrie, violente, démembre, défigure, décapite et tue les victimes en masse? Le cataclysme n'a rien à voir avec le professionnalisme de l'audiovisuel. La réalité est là contingente. Horreur. Les images en boucle ne parviennent pas à signaler. Plus rien à signaler. Tout est emporté. Hormis ceci, à propos d'un immeuble, en France, soufflé «On n'avait pas vu une telle explosion depuis trente ans» (cercueils alignés dans une chapelle ardente). Depuis trente ans, on n'aurait rien vu. Surenchère du pire encore à venir (cercueils alignés dans une chapelle, un gymnase, en Chine). Demain, encore pire qu'hier (cercueils alignés dans un entrepôt de Rungis). Des images encore plus terribles nous sont promises, au train où vont les images (blocs de glace s'évaporant au dessus des corps alignés en plein soleil). Rien n'est dit, en dehors de la boursouflure obscène de cadavres violacés montrés poussés dans l'eau et la boue d'un charnier par les engins de chantier requis pour la circonstance.

Ces images-là ne sont pas celles de ces gentils rescapés «vidéo-amateurs», elles proviennent de sources journalistiques. Il faudrait préciser que les professionnels de l'équipe rédactionnelle, qui souhaitons-le, les visionnent, ces fameuses images en profusion, cette manne quotidienne, avant le journal, c'est le métier qui l'exigerait, ce fameux professionnalisme bassiné à longueur de temps en gargarisme - pourraient décider de les montrer dans leur intégralité crue (opposé de cuit et non participe passé de croire, on ne croit, on ne gobe rien de tout ça, nada), d'y ajouter un commentaire écrit, c'est-à-dire analysé, réfléchi, concocté et soumis à la stricte critique collégiale, de les couper, de les monter, bref de penser un peu à ça, en dehors d'un processus invariable de répétition, un défilement successif, dénégatif, du trauma initial, le fameux tsunami gargarisé, alors que le mot vague est quand même celui qui convient le mieux dans nos latitudes. La vague. La grande vague. La vague pernicieuse. La vague traîtresse. La vague tue. La mer tue. Le mot tsunami n'est pas utilisé par hasard. Tsunami, c'est vague. Ce n'est pas précis. Il faut encore des professionnels pour expliquer tsunami. Des géographes. L'institut de physique du globe. Il faut des experts pour dire tsunami. On ne comprend pas. Ce n'est pas, pour les esprits français, très familier. Personne n'en avait jamais vu de telles. Une, puis une autre, ça avale tout, ça happe, ça détruit, il n'y a que Duras pour parler d'un tel Hiroshima, avec une telle impudeur, oui, c'est ça. Une vague énorme, pire que les dents de la mer.

Les Américains nous ont pourtant montré ça à tout bout de champ, la catastrophe en chaîne, mais pré-emballée, assimilable, consommable par lambda. De celle-ci, nous n'en avons pas l'usage. Nous n'y sommes pas accoutumés. Nous n'en voulons pas. Ce n'est pas le retour du refoulé, c'est le retour en boucle des rescapés, qui font le même récit en boucle. Ils répondent tous aux mêmes questions, en boucle. «Vous êtes soulagé? vous êtes traumatisé? vous allez réveillonner? vous allez faire votre deuil? A part ça, ça va? vous n'avez plus que des tongs? Et le cocotier? Les Thaïlandais, gentils, à ce point, ah, très pauvres, tout perdu, ah, toute la famille, ah, vraiment, ils vous ont donné leur chemise, c'est incroyable, des gens vraiment?

C'est une catastrophe planétaire mais de type exotique, un événement que nous ne pouvons réaliser, que nous ne pouvons ni intégrer ni repousser dans le déni. Le18 décembre, j'ai vu, sidérée, lors de la tempête, à Paris même, s'envoler sur une trentaine de mètres, un poteau lesté d'un bloc de béton de cent kilos, j'ai vu une femme se détourner pour éviter le choc, mais elle n'a pas ralenti sa marche vers la sortie, elle ne s'est pas retournée pour constater le phénomène, elle n'a pas compris qu'elle venait d'échapper à la mort, personne n'a vu que les tôles volant horizontalement pouvaient en une seconde décapiter et il a fallu installer immédiatement là-dedans un périmètre de sécurité. Personne ne pouvait «réaliser» ni comprendre le danger. C'est en ça que nous sommes dégénérés, au sens littéral.

Combien de fois a-t-on subi la même rengaine douceâtre et stridente susurrée d'une voix néanmoins rassurante de fausset, «dol, donnez, ding dingue, dong, dignes d'un don, dol, donnons, dis, dur dab donnes dix dindes et dindonneaux d'un don dû : Défi, dégâts du débit d'eau, début du débat». C'est la chanson pour nous, enfants attardés. On entend ça à longueurs d'informations. Les douze coups de minuit. Feux d'artifice. On leur coupe le sifflet. On leur ferme le clapet. On ferme. On appuie sur le bouton. On dégage le terrain. Basta. On s'aère. Débattre, faut-il ou non aller se bronzer asiatiquement, ça les aide, mis à part le Sras démodé et la grippe aviaire hors propos et dans quelles limites de la bienséance, alors que Houellebecq a déjà taillé le vaste costard du touriste hexagonal en maillot de bain et ceci hors cataclysme. Qu'on rameute les spécialistes de l'éthique en urgence et qu'ils se pressent en choeur, où sont-ils, où est Michel Serres*, où Julliard, où Edgar Morin, Kouchner, Dominique Desanti, Lustiger, pourquoi pas? Iacub, en canon, presto, juridique et provo, que sais-je, où est Mondzain, qui va bientôt diriger moderato cantabile la chorale avec voix acerbes et goût bulgaro-byzantin, Marc Augé*, l'Abbé Pierre, que sais-je, au moins sacramentel, pourquoi pas péremptoire et chapitrant, n'importe qui, mais où sont-ils tous donc? Ils cherchent les mots. Ils se dérobent. Les mots manquent ou vont bientôt venir à manquer. Il ne s'agit pas de dire une seule connerie qui prêterait à conséquences professionnelles. On est grillé pour moins que ça. Ne s'avancent pas. Ne se risquent pas en ces terrains innommés des bourbeuses, fangeuses annonces télévisuelles depuis quinze jours. Depuis quand la bonne conscience consensuelle se goberge-t-elle à ce point ignominieuse de ce terrible ragoût-là. Sont ajoutés pour corser le bouillon les commentaires des inévitables spécialistes de la chose enfantine psychologique, les donneurs de très bons conseils à nos chérubins chéris quand ils daignent émerger des jeux vidéo pour avaler, monstres gavés pré-obèses, oui, c'est là le débat, leur pizza-nuggets, «oui, il faut montrer les images de l'Asie, mais non, pas à table». Merci, on avait déjà perdu l'appétit et le sommeil sans ces conseils frappés au coin de l'exception française.

*faux, à «Ripostes» sur la 5, dimanche 9 janvier, débat et gloses sur la conscience planétaire, au moment où j'écris.


Une mort professionnelle, Isabelle Dormion, 10 janvier 2005

Une journaliste à Libération, Florence Aubenas, ne donne plus de nouvelles depuis mercredi dernier. Elle est correspondante du Journal en Irak, c'est une grande professionnelle, elle est très expérimentée, elle a la prudence du serpent et la blancheur de la colombe, elle est intelligente, elle est avisée, elle est belle, malgré son grand courage, elle est féminine, elle est sympathique, elle témoigne pour nous, pour notre information, pour votre information **, il faut souhaiter qu'il n'y aura pas pour elle le même compte à rebours, tant qu'elle est disparue, nous sommes disparus, tant qu'elle ne donne pas de nouvelle, nous ne donnons pas de nouvelles et autres impératifs arbitraires auxquels nous ne souscrivons pas. Au professionnel, disparition professionnelle. C'est juridiquement un accident du travail, un accident sur le parcours du lieu du travail (la rédaction du journal) au lieu du travail (l'Irak), le bureau. C'est comme l'employé qui glisse sur le quai du métro Chatelet en se rendant à son travail, la caisse à Carrefour-Massena à l'ouverture des soldes. C'est la même chose ailleurs. C'est la même chose partout. Une employée est décédée hier de mort naturelle sur les lieux de son travail, prise en otage par la mort même, aux couleurs mêmes de la France. Le Samu appelé n'a rien pu faire. Les pompiers sur les lieux de la profession rapidement n'ont rien pu faire. Personne n'a pu la ranimer. Il y avait sur les lieux au moment du constat du décès non seulement un étudiant Irakien, un exilé qui n'a rien pu faire, qui n'a rien fait, mais aussi un autre, tenu à l'extérieur, membre de l'Association Averoes, il n'a rien pu faire, il n'a rien fait, il y avait là un beur de la deuxième génération, il n'a rien pu faire, il n'a rien fait, un ingénieur algérois, qui n'a rien pu faire, qui n'a rien fait, qui est allé saluer en file indienne avec les collègues la personne décédée abruptement, il y avait aussi des Français de la centième génération ils n'ont rien pu faire, ils n'ont rien fait, un échantillonnage représentatif, employés, cadres, des Français, gens de la Direction, et en ligne, une représentante du personnel, téléphonant partout. Elle n'a rien pu faire, elle n'a rien dit, elle n'a rien fait. C'était trop tard, la personne est décédée d'un collapsus, cyanosée, visage bleu, méconnaissable et totalement méconnue, inconnue même, anonyme aussi, bien que «très appréciée par ses collègues»,
dans l'exercice plénier, matinal, de sa profession. C'est donc une mort professionnelle, sans autre appréciation, sans autre cause apparente que la seule cessation de la vie. Le coeur lâche. La vie se retire. Le sang afflue comme le tsunami, reflue et voilà. Clac! La mort entre comme un voleur, vous ne savez ni le jour ni l'heure. C'est un décès professionnel et tant que la mort l'a prise en otage, nous sommes tous otages. Tous presque morts. Il ne manquerait plus que ça. Pourrait bien obtenir les palmes académiques à titre posthume sur les lieux mêmes du travail. Personne ne se risquerait à dire, dans ce cas précis, que c'est le travail qui l'a tuée et c'est pourtant une mort très professionnelle.

Pour en revenir au professionnalisme qui est un titre de distinction à géométrie variable, rien ne permet d'affirmer qu'une disparition en vaut une autre, si l'on ne cesse de considérer le caractère élitiste, hiérarchisé, remarquable, notifié, notable, comptable de nozélites* professionnalisées.
Si je vais au Darfour pour réveillonner, si (moi) je suis enlevée, c'est une idiotie. Si je vais au Darfour réveillonner, si je gère un camp de MSF, c'est fâcheux. Si je suis enlevée, c'est un acte héroïque. J'ai reçu un e-mail de cette sorte, de MSF/Soudan, «on s'amuse bien à tel endroit», on a tort de s'indigner. On a tort de moraliser. Même les héros sont fatigués. Tous les héros peuvent rigoler un 31 décembre 2004. Quelques héros doivent s'amuser. L'amusement est compatible avec le professionnalisme. Tous les héros qui s'amusent ne se font pas enlever. Quelques héros seulement, qui ne s'amusent pas. Tous les héros professionnels ne s'amusent pas. Quelques uns se font enlever. Se faire enlever n'est pas un acte d'héroïsme. C'est parfois une négligence. C'est souvent une imprudence. C'est quelquefois une faute professionnelle. C'est toujours regrettable. C'est parfois mortel. Mourir n'est pas pour tous héroïque. Pour quelques uns, si. Surtout l'Etranger de Camus, lu par Jean Daniel. Etre professionnel de la guerre, c'est guerrier. Etre professionnel de la guerre, c'est risqué. Le risque n'est pas toujours un héroïsme. La mort est toujours professionnelle. Très professionnelle.

Elle ne rate jamais son train Elle ne loupe jamais son coup. Précise?
Jamais hasardeuse. Plus décapité, plus héroïque? C'est faux. Plus mort, assurément. Plus survivant, plus héroïque, plus survivant, plus chanceux ? L'arbitraire. Comme un voleur.

Quelques vidéo-amateurs témoignent. Certains sont des héros. D'autres, non*. Certains meurent. D'autres, non. Certains sont courageux, d'autres, non. Il n'y a pas de désir d'héroïsme. Il n'y a qu'un désir d'information.**
Quelques uns sont lâches. Ils meurent aussi. Les lâches meurent. Les héros meurent. Pour l'exemple. Les héros sont exemplaires. Des héros vivent. Des héros anonymes. Les lâches ne sont pas exemplaires. Les lâches meurent-ils lâchement? Non. Un lâche peut mourir courageusement. Lui seul le sait. C'est un héros. Personne n'en saura rien. Un lâche anonyme peut mourir héroïquement, personne n'en saura rien. Le héros disparu lâchement. La personne enlevée. La personne anonyme enlevée, la personne dont personne ne sait qu'elle est enlevée, disparue, battue, violentée, humiliée, battue, anonyme, souillée, battue à mort, souillée, humiliée, anonyme, effacée, rayée des vivants, effacée, rayée des morts, la personne qui n'a pas de nom, la personne qui n'est plus, qui n'est pas, qui n'est rien sur la terre, rien, personne, humiliée et poussière dans la terre et dans la boue.

?*Marco Ferreri «Yabon les Blancs» -1987
? **«Nouvelle histoire de Mouchette» Georges Bernanos
? ***JT(3) 10/01 Raffarin : «Nous ne souhaitons pas que les journalistes exposent leur vie, malgré votre (notre) désir d'information». «A propos de Chesnot et Malbrunot, nous sommes paradoxal (sic)»


Place aux héros, Isabelle Dormion, 17 janvier 2005

On m'avait parlé d'un type, un chômeur, qui n'ayant plus rien à perdre et pas grand chose à gagner, était parti, sans Assedic, sans oxygène, accompagné d'un sherpa, escalader quelque sommet himalayen. Le sherpa décéda et le chômeur s'allongea quelques secondes dans la froideur éthérée, tenté par le dernier sommeil du juste. Il survécut, on ne sait comment, dépassant sa condition dite humaine et de chômeur, sans une particule d'oxygène et délesté de ses bagages. C'est un exemple, c'est un héros. Il accéda par ce haut fait à une gloire toute relative, avec un parcours obligé des conférences dans l'hexagone, le Valais, le Tessin, l'Argovie et l'Appenzell. En nous somnolent les dernières ressources, sachons les utiliser à bon escient. Dans quelles conditions survivre? Passons sur le sherpa.
Oublions le sherpa. Disparu. Il en faut, il en fallu, il chut, emportant le fardeau des grimpeurs fous.

J'ai entendu dire ce matin tout le bien possible, inimaginable, sur Thomas Bernhardt, du dernier corrosif aux avant-premières en cours de promotion. J'attends de le voir surgir de sa tombe pour opposer un démenti catégorique à ce danseur de claquettes. Ce n'est pas ainsi qu'il faut parler de lui. Un type, oublions son nom, qui pour nommer sa compagnie de théâtre a utilisé le matricule de son grand-père. On le laissait dire, on laisse faire, avec ce nombre maudit qui garantit de son poids de souffrance sa généalogie théâtrale, il se déployait en un discours à la fois serein et violent, dans une posture d'avidité scripturaire, on l'a laissé dire «il touche là à l'épique, au mythe etc etc». Je n'irai certainement pas voir sa mise en scène. Curieux cette façon qu'ont ces types-là de s'identifier à leurs héros littéraires dont, impudents, ils prennent la place en les statufiant sur France-Culture. C'est un contresens insistant que tous applaudissent en choeur.

Quelqu'un dans la rue parlait en marchant d'Amos Gitaï. Je le suivis quelques minutes malgré le froid pour en savoir plus. C'est violent. Le bruit des pas dans le désert. Le bruit des pas quand les filles dévalent les escaliers métalliques du club délabré battu par les vagues. Le bruit du bois dans les flammes qui crépitent, le bruit du vent, de la pluie, les moteurs qui tournent dans la nuit, le bruit qu'on imagine des pas dans la neige, si loin d'Eilat, le bruit de la douche glaciale sur la peau des filles vendues, le bruit des corps brinquebalants sur la tôle. «Ne fronce pas les sourcils», c'est tout ce que dit l'ange salvateur à l'autre fille perdue.


L'an neuf. Quoi de neuf? Isabelle Dormion, 23 janvier 2005

Il est encore temps de présenter des voeux ou d'y répondre poliment sans encore et toujours surseoir. En dehors des conséquences du tsunami, et des déclarations diplomatique de Candy Rice, sur-réelles, tout va bien. Rien à signaler qui prête à la critique. 2005 sera une année remarquable, mieux, remarquée, si l'on accepte de marquer, heure par heure, sans désemparer, sur un carnet, tout ce qu'il faut noter chaque jour, petits et grands faits soulignés. La lecture a posteriori régurgitera sur la grève ses héros ordinaires et ses personnages de seconde main, des hommes et des femmes comme on en voit dans les journaux, certains cygnes* altiers survolant l'avenir, d'autres canards à la vilenie roublarde, souillée des eaux passées, fangeuses.*

Les films animaliers sur l'instinct merveilleux des manchots en groupe, les films sur la pureté intangible du dernier trappeur dans l'espace immaculé, donnent la mesure d'un monde de merveilles ouatées et neigeuses, nuageuses, il suffit, candide, de le contempler virginal, si l'on déleste un certain regard vers les cieux où passent en V les oiseaux si élégants. Leurs plumes lissées. Il suffit de prendre la loupe et vers la terre, observer le vermisseau glisser dans sa splendide et modeste reptation. Les yeux minuscules du vermisseau, sa petite bouche. On arrivera ainsi très vite à quelque métaphysique du lieu commun, ah que la terre est belle*, petites et grandes créatures! ah que Titan est titanesque! ah, cette crème brûlée dont l'incandescence caramélisée brûle l'imagination! ah, que l'homme est petit face à ces infinis inexplorés!

Rien de neuf? Un épidémiologue-psy-extralucide anglais annonce ce lundi-là une attaque magistrale de gueule de bois, sous forme de suicides et de dépressions réactionnelles. L'année nouvelle et ses pétards n'aurait pas été suivie des promesses en guirlande. Les espérances seraient déçues. On s'attendait à la nouveauté et les soldes des collections stockées se liquident sans grand enthousiasme: BHL est bazardé. J'ai trouvé avenue d'Ivry, les enfants en rient, certains gloussent, un habit élastique en Prince de Galles, le canapé de Thierry Lhermite dans le père Noël est une ordure, tout semble de droite, le Touquet avec vestes de week-end molletonnées, sur les dunes l'Enduro des sables en jeu, toujours Léonce Desprès, aussi loin que je m'en souvienne, de l'autre côté, sur les ondes Antoinette Foulque se compromet avec Finkielkraut dans je ne sais quelle apologie réactionnaire du «ventre», quel mot, quel titre, sans vergogne, verbeux et tonitruant, sur l'autre rive, Baudis livre son coeur à nu palpitant dans le Nouvel Observateur, c'est répugnant, on voit les larmes, la justicière sentimentalité, l'aorte et les pulsations d'un homme qui pleure, un vrai chagrin, comme tout le monde, ni pire, ni meilleur mais si humain, c'est un livre, Patrice Alègre est une ordure, c'est vrai, c'est un droit, c'est une vérité et c'est légitime, on aperçoit plus tard ailleurs en loucedé Bedos servant Bedos junior, on voit la paternité, là, dégoulinante, en jappements sur les planches acquises de plein droit, lui barbu, attendri, c'est humain, vitupérant sec dans les stucs et les faux plafonds d'une charge lasse et décourageante, on est gêné, puis peiné, puis on appuie sur l'interrupteur pour sauvegarder un reste de pudeur: on voit en songe une femme de soixante ans passés accoucher (d'un bébé, c'est humain) sous nos yeux attendris, les pires.

Le mieux.
On a ce gros avion à nous. C'est bien.
On a ce gros Raffarin à nous. C'est bien. Molletonné. Deux points en moins à l'audimat sur l'échelle de Richter de l'année nouvelle. Arc-bouté les pieds sur terre dans les sondages. Sa femme en sus. Elle chante avec Yves Duteil.
C'est bien. Bel organe. Pas fière avec ça pour deux sous.

On a le petit Prouteau, Ménage et le grand déballage. C'est bien. Krivine avait un pistolet? Incroyable. Quand je le croisais sur le campus, il avait un pistolet dans le sac avec les polycopiés? Les mathématiques! Et il n'a pas tiré? A quoi sert-il donc? La politique! Incroyable! Prouteau aussi, un pistolet, et même un révolver, paraît-il, dans l'autre poche. Dans quelques années, nous aurons un nouvel ouvrage illisible, soldable et pilonnable dans les deux mois sur l'imbroglio sans intérêt et le droit affirmé de dire au téléphone des imbécillités plé(y)nières. C'est humain. C'est idiot. J'en dis moi-même et pas seulement au téléphone. Quand je veux, partout, dans la rue, sous la douche et dans les salons. Hier j'ai dit sans rire Merleau-Ponty, oui, mais c'est quand même la phénoménologie du pauvre. C'est navrant. Se citer! utiliser des citations! Grotesque! Merleau-Ponty hier, demain pourquoi pas Pasolini et tout ça en pure perte, après demain Dante dans le texte**.

Tout est humain. Tout ce qui est humain nous concerne. Ce qui est humainement admis est excusable. Ce qui est humain est répertorié. L'indignité est humaine. Elle est excusable. On peut excuser ce qu'il faut comprendre. On doit comprendre l'indignité. Il faut entendre l'indignité. Tout ce qui est dit peut être entendu. Tout ce qui est entendu doit être
compris. Ai-je bien entendu «c'est une merveilleuse opportunité (ce tsunami?)». C'est nouveau. De l'inaudible. C'est neuf. Bush 2005, happy new year.

Enfin sourdingue? «Again?» Just «a gun!»

* «en fait dans ces autres animaux et plantes et minéraux l'on ne note ni bassesse ni hautesse: car ils sont naturés en un seul état, égal en tous), il s'ensuivrait que chez eux ne peut avoir engendrement de noblesse. Ni davantage de vileté, vu qu'elles doivent être regardées, l'une comme manière d'être, et l'autre comme privation d'icelle: l'une et l'autre possibles à un même sujet. Adonc, il ne pourrait en eux y avoir distinction de l'une et de l'autre. Et si l'adversaire voulait dire que dans les autres choses noblesse s'entend comme la bonté de la chose, mais que chez les hommes elle s'entend comme la perte de toute mémoire de leur basse condition, ce n'est pas en paroles, mais à coups de couteau que l'on voudrait répondre à une bestiauté aussi grande que de donner pour cause à la noblesse de toutes autres créatures leur bonté, et à la noblesse des hommes, un principe d'oubli». (Banquet, IV XIV)

** «è'l sol segno di foco;// lo qual a lui non dà nè to'virtute,// ma falo in alto loco // ne l'efetto parer di piu salute». (passage obscur, difficultés de traduire L'an neuf. Quoi de neuf?)


Lorie ou Denis? Isabelle Dormion, 24 janvier 2004

Il faut savoir que Diderot a été fiché à l'âge de trente-six ans. Esprit dangereusement brillant. Ceux qui l'ignorent l'apprennent en oyant France Culture, la radio (que chacune peut, indigène), que tous peuvent écouter en passant l'aspirateur. La désinvolture, non, la négligence est requise dans l'exercice. Laisser la poussière et s'envoler les mots en surabondance qui toujours retombent à leur juste place en l'esgourde. Ainsi à peine s'achève le repos dominical où repus des repas en famille on encape une nouvelle semaine, il est asséné, sous forme de débonnaire encouragement, à nous, citoyennes et pré-retraitées calamiteuses, la chanson-Duteil qui suit ce conseil au premier degré, en prime-time, de la bouche même du premier ministre, le chef du gouvernement et pour ainsi dire notre grand berger du terroir à tous. Il faut «positiver» comme Lorie. Qui est Lorie? Je ne sais pas. Je ne veux pas le savoir. On me montre d'autorité une petite personne frénétique qui beugle et mugit «Je serai là toujours pour toi!», encore une menace, en agitant autant que faire se peut les membres inférieurs et supérieurs, dans la série des modèles, nos héros nos héroïnes, à ça s'identifier, en pointant le bras puis l'index vers la caméra comme un éplucheur à légumes, c'est ça Lorie, celle par qui arrive le positivisme.

Cette attitude est médusante qui, du berger, fera de ses moutons bêlants des électeurs cytoplasmiques, une seule cellule animée de mouvements mitochondriaques vers la relance de la consommation des ménages, une cellule vivante certes positive, non rétive, dénuée d'arrière-pensées, dénuée de tout, une cellule réactivée d'un grand corps de gouvernance absolue. La pensée totalitaire n'est pas loin derrière ce petit slogan anodin, sous forme de paternelle boutade du dimanche, allez ne faites pas la tronche, souriez à la vie, allez, du nerf, allez, confiance, elle vous le rendra au centuple, cette putasserie, cette proximité, cette familiarité gouailleuse, l'épouse appuyant le propos par une chansonnette concédée au peuple abruti du dimanche en famille.

Il faut savoir qu'à Paris 7, quelque esprit subtil distille sur le site de l'Université la citation quotidienne de Denis Diderot. Le choix est judicieusement fait. Ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre entière de notre encyplopédiste adulé ont la joie de la découvrir proposée sans excès, ceux qui la connaissent partiellement ont le devoir et le plaisir de situer la phrase ou le morceau choisi dans l'oeuvre entière. Il faut ensuite la décrypter dans le contexte, cette contrainte des informations calendaires dispensées par l'institution. C'est une initiative qui peut être lue à différents niveaux d'interprétation. Cette citation discrète est un appel incessant à la réflexion, elle sonne à l'heure dite, ponctuelle et légère, comme le cuivre affiné d'une petite clochette de sacristain au moment de l'élévation. Les informations concernant toutes les strates de la connaissance, colloques des sciences physiques aux débats des sciences dites humaines, sont alors soumises à ce rappel à l'ordre ironique et furtif, la parole désacralisée de Diderot qui invite à l'individuelle critique de la pensée collective.

On ne peut ignorer l'effet des citations gouvernementales, maladroites et démagogiquement désastreuses, comme l'a dit Lorie, comme l'a dit René Char, plus Closerie des Lilas. La référence à René Char, elle, tombe *comme un paveton dans la tisanière. Pourquoi ne pas citer André Breton, ce tyran libertaire qui savait pontifier mieux que personne? René Char, lui, n'a pas dit que des imbécillités, il en a aussi écrit, unanimement ovationnées chez Gallimard, comme celle-ci :
Tel l'épileptique sur le parapet
Je ne me blesse pas si je tombe.
»
Ou celle-là, très terroir mon pays:
«O charrue sans oreilles, ritte!
Couvre nous d'une housse de dettes
Après nous avoir augmentés
» («Fumeron» dans «l'Accalmie»)
Ou ces n'importe-quoi non relus, ou si relus, inexcusables maniérismes, dans une «virtuose sécheresse»: «Il reste à irriter l'étoile ophidienne /où l'archimage dort enroulé».

Alors qu'il suffit de s'interroger: «Des paroles inconnues chantèrent-elles sur vos lèvres, lambeaux maudits d'une phrase absurde?» (Début du «démon de l'analogie» de Mallarmé)


Intellectuels et non-intellectuels. Pourquoi opposer les deux? Isabelle Dormion, 1er février 2005

Les non-intellectuels ne sont pas tous des prolétaires. Le prolétariat est en voie de disparition, qui a une culture. Certains des employés du secteur tertiaire sont des intellectuels, dont certains s'ignorent. Ils pensent comme ils respirent, ils pensent en marchant, ils ont de larges fronts, parfois l'estomac fragile, des écharpes qu'ils perdent dans la rue, ils font de grands pas le long de la Seine, ils ont des yeux, ils s'en servent mieux que personne, quelques uns versifient dans le plus grand secret, ne s'autorisant pas plus de mots qu'il en faut à leur vie pour s'en dédire.

J'ai vu samedi un type assez goguenard, celui qui ne se regarde pas vieillir.

On voit les manchots empereurs marcher à la queue leu-leu au MK2. Banquise. Reste à s'abstraire de la bande son, une musique bêtifiante, un texte pénible dit par une actrice qui parle les mains dans les poches, laissant aux autres le soin de couver debout face à l'immensité. Il semble qu'à la fin, tous les poussinets manchots, supportant des voix de garçonnets du CP, vont s'engouffrer en file indienne chez Mac-Do un mercredi glacial.

L'oubli de la Silésie
- Tu te souviens, nous sommes allées à Auschwitz?
- Non, à ce moment-là, je n'ai pas voulu
- Pourtant, nous n'étions pas si loin
- A Cracovie, mais c'est moi qui ne voulais pas voir les tas de cheveux et les lunettes
- Le ghetto, oui, on l'a vu
- Le rabbin, je me souviens de lui, oui, tu lui as parlé, les rues vides et un mur, pas grand chose
- Les grands-parents eux, ne voulaient pas partir, ils sont morts, on ne les a pas revus, on est parti, L., lui, s'est trompé de chemin
- Il s'est trompé?
- Ils se sont perdus, ils sont allés dans l'autre sens
- ...
- c'était confus, on ne comprenait pas ce qui se passait, mais les parents, cette lucidité! Ils nous ont sauvés. Les grands-parents, non, juste ne pas bouger, trop vieux, fatigués, rester là, ils sont morts
- où?
- je ne sais pas, comme tout le monde, dans un ghetto
- W., à quel moment il est revenu en Pologne?
- L, à quel moment il est revenu de Vitebks?
- En même temps que les autres, après. L, en quelle année? en 46, oui, ils allaient à l'école ensemble
- Toi, d'où es-tu partie?
- De Silésie, avec les autres, dans un wagon à bestiaux, mais j'étais petite, j'ai oublié, je crois, on a tout laissé comme ça
- Certains sont partis, d'autres sont restés
- On ne les a jamais revus, on ne sait pas.
- W. n'a pas de cousin
- Non, plus personne, il y avait des photos par terre.


Branchés, Isabelle Dormion, 7 février 2005

A l'heure éclatante où ce dimanche printanier les familles entières se retrouvent rue des Rosiers, un rabbin, à l'angle d'une ruelle, face à la pâtisserie, le dos à un poste de télévision branché dans une maison amie, exhorte les passants «Les hommes, sauvez Israël, allez, mettez les téfilin, sauvez Israël!». Des jeunes gens descendent du scooter, l'un le garde jambes écartées sur le trottoir, casque intégral enfoncé, l'autre dénude son bras et le présente poing fermé au rabbin, comme pour une divine transfusion.

En face, Pierre Assouline vient de dédicacer son livre, la rue est noire de monde. Les filles qui s'attardent près des vespas noires et brillantes mangent un petit pain au pavot, regards en coulisses.

Quand je pense, aucun rapport avec ce qui précède, que Condoleeza Rice va profiter de cette journée magnifique à Paris, la Seine étincelante, la rue de Rivoli royale, j'enrage! Fautes d'orthographe récurrentes, Condo avec un a, comme la candeur et Averroes avec un seul r, ce salmigondis arabo-andalou actuel, lieu de tous les glissements philosophiques, ces dérapages non contrôlés, sous couvert d'érudition directive.

Lestée de deux livres pesant au moins trois livres chacun, je rentre à pied de Palais Royal au Triangle d'Or, traversant cette ville qui m'appartient depuis longtemps, éblouie.

Devant moi, un rasta, paupières closes, écoute Bob Marley en glissant sur le bitume qui emporte ses pas vers les rives, Quai Malaquais.


Comme un Manche, Donkichotte ou la culture vue de l'intérieur, à l'espagnole,
Isabelle Dormion, 15 février 2005

Les blogs d'aujourd'hui universalisent une mutation orthographique, simplification phonétique où s'économise le recours au Dictionnaire Robert.
Qui donc hors ici s'en plaindrait?

Dans «Cent minutes pour convaincre», Villepin vante une politique et présente, droit comme un i, un plan de carrière propulsive, en pure perte. Derrière lui, décor manifeste, un panneau promotionnel, grandes figures de la littérature et de l'histoire, Victor Hugo en médaillon à gauche, le regard cherche Chateaubriand. Les yeux se fixent et s'arrêtent, égarés par les ailes d'un moulin à vent fou broyant toute raison, sur Cervantes en haut, à droite et là depuis lors s'interrogent et s'amusent d'une telle fantaisie, d'un tel abus de pouvoir, d'une si arrogante, d'une si folle prérogative: Cervantes n'est pas une figure nationale. Tel est cependant son bon plaisir. C'est dans cette représentation inadéquate que gît, au demeurant, l'ineptie voulue et le contresens délibérément aristocratique.

Dominique de Villepin est l'archétype nobiliaire de la France d'en bas, télévisuelle -Lorie le vaut bien, Lorie le fait si bien- l'équivalence, tout se vaut, tout se vaudrait? Dominique de Villepin s'afficherait comme une synthèse moderne du «jeune Chevalier dans un paysage» pour la cuirasse métallique articulée, tableau de Carpaccio en 1510, Collection
Thyssen-Bornemizza exposée à Madrid, fleur de lys au premier plan, en bas à droite près des éperons, et du portrait en pied de Philippe II, par le Titien (1551), qui associe la ruse, l'ambition, la dureté du regard (quand il s'anime et perd le "contrôle de soi", à la fin de l'émission, trahissant la rage de vaincre à défaut de convaincre). Il faut savoir que Philippe II, fatigué du pouvoir, est allé, lui, dans la méditation, finir ses jours dans un monastère. Villepin doit savoir, à son tour divisé, que la poésie est incompatible avec le plein exercice de la royauté.

Le ministre convainqueur, Villepin doit savoir aussi qu'une certaine distorsion entre les éclats, les éclairs du regard, les mouvements labiaux d'une bouche énervée qui aux quatre vingt dix minutes du round oublie un instant de sourire ou sourit à côté, se voient à l'oeil nu par quiconque regarde l'écran et capte cette mimétique. La hâte qui anticipe un accord
avoue son contraire. A un rappeur furieux, filmé le nez dans le dictionnaire à la grande bibliothèque, disant vrai: «comme toujours peuvent seulement, exclusivement, s'exprimer quelques uns, les dés sont pipés», il répond, coupant court à la colère pré-enregistrée, en différé, le type n'est pas là, prudence et langue de bois, sur le plateau, souriant, un temps trop tôt, souriant toujours, stratège* une seconde trop tôt, opinant du chef, toujours dix mille sourires, pas dans le tempo, ma non troppo, oeil d'acier, «tout à fait d'accord, bien entendu» ( Ok Mec!?) ce qui signifie évidemment l'opposé.

*moderato, andante, largo, andantino, allegro, comodo. Haganera, huella?


Indien vaut mieux, Isabelle Dormion, 21 février 2005

Elisabeth est un personnage issu des albums du Père Castor. Nous retenons des gens que nous côtoyons une image caricaturée qui nous épargne souvent de les connaître davantage, à nos risques et périls. Le talon de sa chaussure italienne s'était cassé. Réparé professionnellement à l'atelier de mécanique de Jussieu. Les véhicules en deuxième sous-sol. Derrière nous marche l'homme au manteau de bure, d'un marron prune, d'une coupe démodée. Quelques minutes plus tard, au croisement de la rue du Cardinal Lemoine, nous voilà dépassées, le manteau prune devant, les pas errants. Quand à la maison, je revois ce cortège indien, les larmes, je ne sais pourquoi, affluent. Qui dois-je pleurer? Quelle mémoire, déjà hier, ai-je du, mais à mon insu, honorer?

Quelqu'un m'apporte, à des fins de découpage dévastateur, et pour flatter une manie ancienne, un an de revue «Télérama». Maudit soit-il! Je lis tout ce qui est dépassé, interview de David Lynch jusqu'à deux heures du matin, Bergman dont je n'ai même pas, honte à moi, vu le film, jusqu'à l'aurore. Je ne découpe qu'un chat, un demi-centimètre de long, queue incluse. Pas, peu d'images à garder et tout le reste épuise en vain.

Je rencontre dans la rue une amie d'enfance. Sa mère est très malade. Me considère comme sa fille. Voudrait me voir. Je propose d'aller ce lundi la voir dans la maison de retraite, Meudon-bois-joyeux, libérant les rendez-vous de la journée. A quelle heure? Où? Comment? Après la sieste? Qu'à cela ne tienne, vers15 heures, rendez-vous porte de Saint-Cloud! Non, un autre jour, pas maintenant, pas ce lundi, le seul disponible Je m'entends répondre sèchement «j'ai compris!». Plus jamais ça, ces faux-semblants. Je ne rappellerai plus jamais. Toute une vie, on accepte ces misérables tricheries. Mettre les gens au pied du mur. C'est ça ou mourir, de toute manière.

A une autre, qui voudrait, je ne sais pas filmer, faire, dire des choses intéressantes: Et Téchiné, tu y vas, et Depardon, là, tu y vas? Non, surtout pas le colloque, tu prends n'importe quelle caméra numérique et si tu dois voir quelque chose, tu le dis en ce bas-monde et pas dans l'autre. Tu le fais. Personne jamais ne te tiendra la main. Maria Koleva l'a fait, elle le montre jusqu'au bout, en appartement, avec ou sans l'approbation de tous et sous le regard sévère et défunt de Serge Daney.

Pour la Saint-Valentin, quelqu'un m'a offert trente kilos de pommes de terre en sac de jute et quinze kilos de poireaux. Je ne laisserai jamais dire qu'un diamant eût été de loin mille fois préférable.

Un blog! C'est le premier et ce sera le dernier. Si c'était ça.


Le terrain vague, Isabelle Dormion, 28 février 2005

Je viens d'apprendre que Jean Rolin est né dans la même clinique après la guerre, le Belvédère, ce qui m'a toujours fait croire, enfant, qu'un Réverbère avait éclairé étrangement la venue en ce monde, jusqu'à l'Avenue Paul Doumer. Puis la rue Faustin-Hélie. L'amour des zones intermédiaires, comme une naissance dans les beaux quartiers, n'est sans doute qu'amateurisme compensatoire. Chez autrui, il est nécessaire de vérifier, à l'usure des semelles, aux ridules creusées par l'air frais, si le parcours est valide. Sinon, le terrain vague entre dans la précision d'une critique journalistique, d'une reconnaissance mondaine, par le milieu littéraire qui lui accorde créance et droit de cité, le terrain se voit distribué en parcelles d'une topographie capitalisées, celles d'un rêve rimbaldien erroné, de quelques tziganeries salonnardes. Qui voudrait connaître, au mot près, le parcours vraisemblablement fictif de Blaise Cendrars.

Utiles mensonges où les mots taillent.

Je parviens sans hâte à me détacher de tout ce qui viendrait encombrer le travail. Résistances des dernières vanités. Allant «au cinéma des cinéastes», avenue de Clichy, voir «Transit», de Bani Koshnudi, jeune femme défricheuse, je rentre à pied. Awa Flarang, l'actrice, joue comme elle vit, d'une façon essentielle, sans un regard inutile, sans la sale connivence. Dans cet excellent court-métrage, réalisé sans un sou, on voit un jeune garçon partager avec la fille non pas un morceau de pain, mais une orange. Le pain se rompt d'un geste. L'orange s'épluche, les doigts fins détachent la peau sans la déchirer. Les quartiers, autant de lunules. C'est peu et c'est tout. C'est bien. Ce n'est pas une demi-baguette française pas trop cuite. Le verre de thé, rien, de l'eau bouillante sur des feuilles émiettées, offert en partage aux exilés, sauve la piaule cradingue du déshonneur obligatoire. La France, terre d'accueil. Quelques secondes, les gens en transit accueillent le nouveau venu comme un seigneur afghan, l'invité de la nuit. Ils chantent pour lui. Le passeur fait cesser tout ce bordel en glapissant. Tout se termine à la foire du Trône, dans cette fête triste des terrains vagues: séduction fallacieuse des ritournelles.

L'actrice, après avoir tourné, non maquillée, est partie danser au Yémen, terres lointaines et vagues encore non défrichées. Qu'elle ne se fasse pas enlever, avec ou sans les douze voiles d'apparat, c'est tout ce qu'il faut lui souhaiter demain.

Les absences.

J'aime beaucoup le mot «dispense» dont j'abuse tous les jours. Je me dispense de nombreuses obligations. Faudrait-il envoyer les cartons? Oui. Pourrait-on s'épargner le vernissage et ces singeries? Non. Doit-on être présent? Absolument. On ne peut s'en dispenser.

Tata-Jésus, religieuse, devra, quant à elle, éplucher tous les légumes: l'after rue du Pont-Neuf.

Toujours le rêve et les autres suivent sur la terre découverte.


C'est Logos, Isabelle Dormion, 7 mars 2005

Dans le contexte syrien qui nous relativise aujourd'hui les propos, je suis allée voir le buste taillé dans le marbre et de Selokos 1er Nikator, non loin d'un stoïcien de nos amis (Chrysippe), qui contemple sévère, regard impitoyable, le troupeau flappi des hordes assoiffées de culture et de Seven Up en canettes métalliques sur les banquettes. Nike et numérique, barres chocolatées, on s'affale mollement en tas dans les encoignures. Le premier des Seleucides a instauré la dynastie en soumettant la Mésopotamie, l'Asie Mineure, la Bastriane, la Sogdiane et la Parthie. C'est davantage que le Président Bush à qui manque l'Iran. A Sélokos 1er, il lui manque le nez mais non la gloire. Bush, lui, n'a pas de pif, mais rien d'un pif, hormis le bout, n'est d'un nez, qu'il porte trop court, presque retroussé, à l'américaine. Le satrape de Baylonie fait face au buste d'Alexandre mais il faut aller jusqu'à Delos ou Pella, vieille cité macédonienne pour reconstituer le puzzle. Il chevauche la panthère et vainc le lion. Il faut analyser la bataille contre Darius, mosaïque d'une maison de Pompeï, pour apprécier l'acuité des pointes de lances ouvragées en bronze, l'envergure des casques, la hauteur des cimiers, dressés comme des arbres vers les dieux. Le plus glorieux des peintres de cet âge révolu est Apelle, ce peintre d'Ephèse qui était assigné, par ordonnance, exclusivement, à fixer pour l'éternité la grandeur réelle d'un chef qui succède aux héros mythologiques de l'âge classique.

MK2 avenue de France, c'est près de la très grande réalisation de Mitterrand, la Bibliothèque, qu'il faut admirer les facettes changeantes d'une gloire pharaonique édifiée. J'ai bien vu en traînant des pieds «le promeneur du Champ de Mars» et le jeune Benamou qui chante la grandeur présidentielle. Induisant une forme singulière de complicité avec le spectateur, l'électeur, le lecteur, il dévoile la nudité du roi, l'extirpe pitoyable du bain où la majesté patauge, la soupèse, la soulève et l'exhibe. C'est triste et bas. Rien qu'on n'ait déjà su, hormis la métaphore, prise dans la bobine au pied de la lettre. On détourne le regard, gêné d'une intimité qu'on nous impose, pas ces familiarités de populace, ces bisous de collégiennes dans les allées gravillonneuses du pouvoir, ces mille petits aveux d'office et de valetaille, qui offensent et ne disent rien de nouveau. Ce tombeau, un tertre en terre glaise aurait pu être bâclé à la bêche de jardin par Duras.
Yourcenar n'était, elle, pas là, depuis toujours marmoréenne dans l'impériale éternité. Attali s'occupe des horloges. René Char est déjà pris par Villepin, et déjà mort. Il y a Benamou, très correctement habillé dans le film, qui s'interroge maladroitement, indifférent aux lambris. On aura aujourd'hui Mazarine, consternante. Il reste Benamou. Pourquoi moi? dit l'auteur Pourquoi moi? dit la fille, illisible. Un tel honneur, un tel devoir à charge, posthume. Le réalisateur fait le reste devant les vitrages éclatés de l'usine de Lievain, le socialisme vole en éclats. Ruines, froid mortel, désillusions, vanités, l'implacable méchanceté, aucune grandeur d'âme, les courtisaneries, ce mépris, la suffisance, mille petitesses, les petites phrases assassines, les mots sentencieux, les reliures couteuses, Chardonne, Jacques Boutelleau, ressorti du grenier et tout ragaillardi, retrouvant des lettres de noblesse, sinistre, ce goût morbide des marbreries et des gisants, ce quant à soi petit bourgeois, provincial, cette captation fausse du sacré, sans aucun risque, assurance intellectuelle comprise. Péguy en hélicoptère, c'est encore pire que Léon Bloy en TGV, Claudel en première classe, un wagon hier classe affaires, la vitesse, l'envol, l'arrivée et l'atterrissage en appareil hautement sécurisé, la compromission permanente.
Ces médecins comme des chiens, aux pieds, apportant la tisane tiède. Ce souci de la vérité est ennuyeux, parcimonieux et méchant. Il n'est ni l'oeuvre vraisemblable d'un historien, ni celle, affabulatrice, d'un artiste.
Je suis sortie de la salle de très mauvaise humeur, me demandant comment Bouquet, ce grand acteur, avait réussi à incarner un tel personnage, ce menteur vaniteux, aussi retors, aussi déplaisant, celui pour lequel nous avions voté une rose à la main .Ne restent que les visages des gens de Liévain, levés vers la tribune, des gens trahis, des figurants, les gens intransigeants, amers et désenchantés en qui nous pouvons nous reconnaître.


L'éthique du tocard, Isabelle Dormion, 21 mars 2005

Quand donc les comateux se donneront-ils rendez-vous à l'unanimité? Place de la Bastille, la République vers l'avenue de Ségur, tous poussés par les équipes de réanimation, les bras levés vers la victoire et la perfusion de glucose? Quand peut-on dire que la limite est atteinte? C'est le même homme qui régit, règne et régente. D'un côté, il brandit la seringue du concentré assassin, dit cocktail létal, de l'autre, il empêche une comateuse en voie de longévité assistée de fermer les paupières une fois pour toutes. Qu'expie-t-elle? Peut-on en matière d'euthanasie exiger non pas la loi -ici grotesque, le mari presque veuf est bien las, le moral bas- mais le feeling, ce doigté de jazzman qui emporte l'âme? Il n'y a plus d'hommes de l'art?

Etrange comme le ridicule aujourd'hui tue peu, ou pas assez. C'est le même homme, Bush, qui chaque matin est l'os à ronger, celui sur qui se faire les dents, tant ses idées sidèrent. Dans le pire des cauchemar il aurait été impossible d'imaginer de telles initiatives politiques. Il pourrait décider d'assécher les océans pour mieux marcher, sans discontinuer, d'un continent à l'autre.

En face de la maison, une trentaine de jeunes garçons tapent sur une balle en s'interpellant. Le fait, le jeu admis par les voisins, est assez rare pour qu'on s'en étonne.

A Jussieu, pas un banc, pas une chaise où l'étudiant peut s'asseoir cinq minutes au soleil. Ils errent, solitaires et certains sombrent, mutiques. D'autres déambulent en bandes bruyantes jusqu'à la Seine et les quais sans plonger. Ils ont l'échine souple, ce n'est pas une chambre sous les combles qui les abrite. Ils cohabitent dans des lieux qu'ils partagent et disputent aux écrans plats.


La limite des Vosges, Isabelle Dormion, 28 mars 2005

Bush n'a pas loué les services de Clint Eastwood. Il a eu tort. C'est l'homme de l'art appelé hier à la rescousse. Il sait débrancher l'oxygène. Il sait ôter sans trembler la canule. Il connaît la vie. Il sait vivre. Adrénaline en triple injection. Il galvanise à mort. On sort de là monté sur ressorts, plusieurs jours à s'en remettre, réconcilié avec tout ce qui bouge
et ressemble à ça, on reconnaît la musique et ce n'est pas de l'épinette des Vosges. Voilà les cornemuses en marche à deux pas de chez soi, gare Massena, à cinq euros le matin. Et ces paroles kafkaïennes dans une église moderne anonyme «Si je la laisse vivre, je la tue». Grandeur et décadence, l'élégance des chaussettes aérées, les champions déclassés n'ont rien oublié, ils peuvent tout se permettre et ce sont les héros Eastwoodiens qui ce matin rendent les jours invincibles.110 rounds bien comptés. Retenir la musique, quelques notes sur une guitare folk.

Pourquoi l'église entretient-elle avec obstination les chansons insipides et mornes? Lundi de Pâques, une fervente assidue fête en communauté la Résurrection. Dans une abbaye, les fidèles aménagent les lieux et la cérémonie bientôt se termine. Une exaltée partage son allégresse et dit aux sourds et malentendants que nous sommes sa conviction indiscrète: «c'est une thalasso de l'âme! oui, c'est une thalasso de l'âme! ». Voix aiguë, on reconnaît l'air, de l'épinette des Vosges.

Dimanche, sur la cinq, une voix dans la nuit appelle des écoutants, liaison assurée, comme on dit les écorchés ou les orants. SOS dépression. Proche de l'oreille réceptive, un souffleur adéquatement chuchote pour que jamais le propos dérape. Surseoir. La nuit solitaire. «Vous ne pouvez pas faire ça, m'appeler et me dire que c'est votre dernier appel». La voix désespérée: «mais vous ne me connaissez pas». Le souffleur à côté retourne dans le silence crucifié. On raccroche.

On voit, toujours à la télévision, des protestants joyeux débouler en tricycle dans un choeur en fête en criant des inepties de supermarché, selon les idiotes techniques d'animation positivée.

Comment s'appelle en Judée l'ange qui a roulé la lourde pierre du tombeau? Trouvé nulle part son nom.

Mais mieux que Zitrone:

Gare du Nord salle des pas perdus
J'ai trouvé à l'envers et décousu
Feuilles d'or et les ancres croisées
L'écusson déchu de la Royal Navy


Les discours contre la croyance, Isabelle Dormion, 4 avril 2005

On peut voir à la biliothèque de la Sorbonne un manuscrit montrant un auteur, un carme écrivant sous la dictée de Dieu, un analyste de l'oeuvre capitale de Pierre de Lombard, qui a écrit les «sentences» en 1150. C'est la base de toute théologie. De nombreux commentateurs, Jean Baconthorp, Paul de la Pérouse, Jean Bramart, des carmes sévères dont l'habit, le scapulaire barré, est l'objet de moqueries de la part des universitaires.

Une miniature, copie par Henri de Trevou d'un texte fait à l'intention de Louis, fils de Philippe le Hardi, montre un prieur agenouillé présentant au roi assis «l'information des rois et des princes» pour l'excellence de leur gouvernement. Sous le texte deux anges supportent l'écusson royal, fleurs de lys dorées.

Ce matin les commentateurs invités de France Culture glosaient à perdre haleine. S'il faut surseoir à l'enterrement fastueux du Pape ou se hâter, c'est que le plus grand des royaumes d'outre Atlantique doit arriver en grandes pompes. C'est donc lui encore qui aura le choix de la date, et les grands de ce monde, en nos affaires temporelles, s'inclineront sans rechigner, unanimes. La sépulture attendra le bon vouloir sérénissime sans le Prince Rainier, retenu par d'ultimes obligations.

La vaste grotte d'El Khader à Rosh Kadish, près du Sinaï, a protégé les premiers ermites dans une nature magnifique, en surplomb de la baie d'Haïfa. Leur style de vie est emprunté à la vie des moines orientaux. A l'heure d'une scission violente entre les églises et l'Orient, la mort du pape, délibérément livrée en pâture aux médias, a été commentée comme on bavarde au Parc des Princes, en termes performatifs. Les enjeux d'un match désacralisé. Ouais, quoi de neuf sur la place Saint-Pierre, ils sont des milliers, ouais, alors, il est mort ou pas, plat, l'électroencéphalogramme ou on attend encore le dernier souffle? La nécrologie est prête depuis trop longtemps. L'espace d'une apparition surréaliste, Arielle Dombasle nous livre à chaud ses impressions, excellentes, rieuses, profanes et d'un beau rose vif, fleurs à l'oreille, sur le pape défunt, mais que dirait-elle de plus sur l'autorité spirituelle du Dalaï-Lama?

Je suis allée voir à la Basilique Saint-Denis la tête du gisant de Charles V. La cathédrale est devenue un musée. On peut visiter le profane et le sacré. Dépliant. Discours. Visites commentées. La racaille (?), assagie, somnole allongée sous la statuaire. Une fille néo-gothique cloutée à mort se roule un joint. A l'ombre d'un chapiteau, un sacré klebs aux pieds, collier d'acier, il s'appelle Georges.

Qu'aurait donc prédit Elie que nous ignorions à ce jour?


Les poudres et les salpêtres, ou la forêt didactique de l'enchanteur, Isabelle Dormion, 11 avril 2005

Feu le pape, homme d'excellence et de volonté, a déserté la poudrière, santo subito, en exhalant devant la foule enfiévrée le dernier souffle. Le premier ou le dernier cierge, allumé de Montevideo à Cracovie, n'a pas depuis fini de brûler.

Quel frelon a donc piqué ce partisan isolé de la fierté en Egypte? On a rassemblé quelques lambeaux du martyr violenté et ses empreintes laissées au sol par inadvertance. Quelques clous, un explosif artisanal, une foule opportune et le souffle de l'explosion mortelle.

Dans la forêt de Sevran, non loin de Roissy - on peut y accéder à pied par le chemin de halage du canal de l'Ourcq, le talus couvert de violettes et jonquilles, un enchantement - le merlon est une butte de terre édifiée qui sert à protéger l'environnement de la poudrerie en cas d'accident. Ce petit musée sans artifice a été créé en 1982. Il est entretenu par le zèle inlassable de bénévoles, démunis de toute subvention du Ministère de la Défense, qui entretiennent ces ateliers désaffectés où perdure encore la mémoire ouvrière. Un ingénieur en carburant, variante placide et retraitée du Capitaine Haddock, raconte de façon très savante la succession des rachats et monopoles des poudreries en France, de la Salpêtrière au SNPE. On peut voir à l'entrée les images d'une dévotion ardente à Sainte-Barbe, grande protectrice des flammes et des pompiers, les petites machines artisanales à cartouches vendues par le catalogue des Armes et Cycles de Saint Etienne, la combustion du bois de bourdaine, l'étoupe, les alambics du laboratoire où l'alchimiste touillait l'appareil, les portraits jaunis de Lavoisier, aristocrate père de la bioénergétique, guillotiné après qu'il se fût constitué prisonnier, les pages de l'Encyplopédiste Denis Diderot, les fragments pulvérulents du soufre, et de l'escopette hasardeuse on passe délicatement d'une porte vitrée à l'autre, du plomb dans l'aile à la tête de missile en omettant la nitroglycérine et le pain de plastique. Ce lieu est autrement moins hautain que la bibliothèque de l'Ecole polytechnique, on voit «Berthold Shwartz, (enchanté) découvrant les effets de la poudre», on apprend sans réticence que la cartouche «Tunet» est la seule cartouche de qualité et nul sans risque avéré ne le contesterait ici. Des jeunes gens du 93 ne résistent pas à la tentation de foutre leur main dans les machines infernales qui applatiraient n'importe quel crétinoïde pubère ricanant en limande sole. Le capitaine Haddock, dans sa grande sagacité d'églefin téléostéen, interrompt une seconde la causerie. Ainsi les différentes phases d'élaboration, semblables à la confection dominicale d'une pâte sablée à la fleur d'oranger sont le malaxage, l'étirage de la pâte en ruban, le calandrage du ruban au laminoir Repiquet, le découpage au massicot des feuilles en paillettes, le séchage de la poudre verte au séchoir à eau chaude, le tamissage de la poudre verte au tamisseur à secousses, le trempage puis le lissage des paillettes, normalement, tu prends ta plombalgine à remiser et tu la mets tranquillement dans la tonne en fer.

«A tout instant une mort effrayante peut partager ton vieux corps en lambeaux ou le ribler** de blessures qui lentement t'ouvriront le tombeau, pauvre ouvrier! voilà donc l'existence que te créa le grand Dieu du destin, et tout cela c'est pour l'heur de la France et le plaisir des rois assassins», «refrain: Mais malgré cela, pour notre patrie, pour ses défenseurs, nos vaillants guerriers, et pour tes enfants, va, risque tes jours, vieux poudrier! »***

* la bourde, de bourdon: erreur (1690) dans la composition. Confusion courante entre l'aulne (alnus) des sols spongieux au bois imputrescible et la bourdaine (Rhamnus frangula), dont le bois réduit à l'état de charbon servait à la confection des poudres explosives.
Bourde: de l'ancien français XIIè s., bihurder, plaisanter.
** du radical riban, frotter. Le riblon est un déchet de fer utilisé comme produit d'addition dans les fours Martin. Sans changer le sens du couplet, on pourrait aussi chanter «cribler de blessures» avec ses vieux camarades en prenant sans vergogne quelque liberté cruciverbiste, droit devant le merlon.
*** paroles de Laporte, musique de A. Gouran.


«c'est la ouate que je préfère», Isabelle Dormion, 16 avril 2005, 17h20

Lisant dans l'ascenseur bloqué de l'Université les 465 pages de la constitution européenne, avant que l'oxygène vienne à manquer, comme dans un songe ancien j'ai entendu «What a question!». Si ce n'était moi, c'était un autre. C'était lui. Celui qui énonce, édicte et dit: le Créon qu'aucun juron, qu'aucune Antigone monoloque jamais n'annihile en nul tombeau parlé.
C'était toujours lui, tel qu'en lui même inchangé. Avant que la logistique vienne de sa clé condescendante débloquer l'appareil aux étages supérieurs, j'avais relevé, survolant les 448 articulets jolis, une colossale faute de syntaxe, une bourde érectile, une virgule fallacieusement foutue, on pourrait le dire, au mauvais endroit du paveton, dans ce bordel de lieu du savoir institué et constituable :
«article III ­ 116: «Pour toutes les actions visées à la présente, l'Union cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l'égalité, entre les femmes et les hommes».
La virgule est en trop. L'égalité entre. Cette césure inutile et surajoutée en dit trop et laisse à méditer. C'est assez.


Coach à l'italienne, Isabelle Dormion, 3 mai 2005

Le fond et la forme. L'art et la manière. La vérité et la rhétorique. Le kilo de plume et le kilo de plomb. Kif-kif. Le bois dont on fait la langue.
Le geste et la parole. Le spot et le tribun.
Une chose est certaine, dans le plus grand doute constitutionnel, c'est une nouvelle chorégraphie des gestes présidentiels qui accompagne ce soir l'argumentaire. Les mains s'élèvent jusqu'à des sommets insoupçonnés d'une confiance, d'une conscience européenne, dressés à la force des avant-bras, gymniques, jusqu'à des hauteurs à nulles autres pareilles. Le stylo bleu, saisi à la seconde opportune, ponctue la phrase, souligne le déni, appuie, tranche, barre, refuse, ouvre les brèches, se pose à droite, se pose à gauche, barre du trapéziste septuagénaire qui le retient en vol plané et dans la majesté. Personne ne voit le filet. Un moment de magie pure, par quelle opération soudainement réalisée, un second stylo, sorti des manches, sorti de rien, sorti des oreilles, du cerveau, des lobes, de l'écran, du tapis ovale, sorti des coulisses, du sous-main de cuir, illusionnisme pur, improvisation, simple distraction, scansion calculée, tour de passe-passe au quart de tour, petit ajout subliminal, un second Bic vient à pic.
A plus d'un tour dans son sac.


L'étal, Isabelle Dormion, 9 Mai 2005

Revenant de Saint-Malo*, je m'assure de la présence dans la bibliothèque d'ombres amies dénombrées.
Une lampe doit rester allumée en permanence, quand bien même le travail se fait dans une pièce voisine.
C'est le mot «achevé» et non «à chevet» qui vient aujourd'hui sur le seuil.

Quand manque à l'appel l'un d'eux, dressé dans la poussière et l'oubli d'une présence silencieuse, c'est une alarme qui ne trouve aucune accalmie. A qui ai-je pu confier «Islam et géomancie»?

Plus jamais ça. Quoi? ça, non, ces regards évidés de poissons sur l'étal. Evités de justesse.

A leur place Francis Carco, Mac Orlan, Stevenson, Nerval, Harry Mathews, qui bénéficie d'un classement itinérant, un jour à côté de Thomas de Quincey, Max Aub, un autre proche de Queneau, et aujourd'hui tombé derrière une petite table des poussières non visitée.

J'ai acheté là-bas le seul premier volume des entretiens de Perec, non dans la fameuse librairie de la ville mais sous une tente dressée près des quais.
Devant nous un homme en bleu, muni de lunettes à verres progressifs, et d'une serviette de type attaché case, ne répond pas, une fraction de seconde, à la consternation. Le fameux libraire conseillait une petite gorgée de bière «c'est une littérature très minimaliste» à un homme assoiffé, un citadin dans ce désert habité par les vents et les peuples de l'ascension.

Appris que Coltrane désenchanté avait rencontré Ravi Shankar. Dans la salle battue par les rafales, des personnes d'Atlantique, le troisième âge attentif.

Revenue de loin, où donc est passé tout le poids, perdu au zénith avec les illusions, s'il en restait. Alléger. En pure perte. Des pas dans le sable.
Aucune trace.

Les cap-horniers dans la Tour Solidor ont laissé derrière eux ces menus objets et les paroles recueillies comme l'ambre et l'or. Creux de la paume, j'écris dans l'obscurité . La souffrance, ce qu'on ne pourrait atteindre. A celui qui ne connaît pas le compas il est déconseillé de prendre la mer.

Le jour même j'achève au retour le livre des miniatures.

*Eugène Delacroix «Lettre sur les concours» - 1831 ­ Revue «l'Artiste» dirigée par Achille Ricourt, nouvelle édition «l'Echoppe» 1985: «Tenez ferme, Monsieur; résistez à ce torrent : parlez-nous de musique, de peinture, de poésie, vous verrez venir à vous toux ceux qui donnent la première place aux plaisirs de l'imagination».

*Harry Mathews «Conversions» - Gallimard :p.162/ «Je ne sais pas ce qui se pratiquait pour les initiés adultes»


La rame, Isabelle Dormion, 16 mai 2005

Un jour, un type qui s'appelait Sepulveda, comme celui qui l'aurait précédé accroché à la barre centrale de la rame, me demanda: «Et la poésie?» tout soudain. Un peu de politesse sied à la jeunesse, avec les places assises et les strapontins qu'elle devrait concéder en vrac.

Tout en haut du Belem, je vois un mec qui agite la main vers moi, sur le quai. Je me retourne. Derrière, Gonzague- Saint-Bris, chemise, noire, aussi, mèche, le vent. Et pourtant l'agitation gentille de la main est pour moi indubitable du haut vers le menu peuple des bardes et bardesses.

Où ai-je déjà vu ce mec? La mèche, la désinvolture, d'un coup je le remets. Rue de Grenelle, c'est ça.127. Couanau. La couane épaisse. Si le Belem au vent mauvais échoue, Michel le Bris, Ouest-France et la Trois le bouffent rosé, l'écharpe au cou. Il a gardé les petits cheveux voletants du premier âge politique.

Devant un étalage de poésie, on me donne un carnet de moleskine noire. Je pourrai le donner aux pauvres, pour qu'ils apprennent à faire leurs économies, entrées, recettes, deux colonnes et jeter leurs petites impressions de la journée. Oui, ou non? C'est déjà un début, d'avoir une petite opinion à soi, sur tout et rien. «Le moustique est revenu dare-dare, je l'attends fièrement campé sur mes positions». C'est déjà un petit début de quelque chose, une amorce, un espoir, je ne sais pas.

J'ai rencontré la voisine au premier, «le temps se radoucit» lui dis-je en descendant vers le jardin. «Non! Il fait très frais» (elle me dit ça, il est vrai, en commençant une journée prometteuse, sur fond d'aspirateur).
Où qu'on va?

(Et avec ça le seringa qui sent. Il faut dire que c'est la saison en plein)


Nausées, Isabelle Dormion, 27 mai 2005

Quitter la France: regagner la Bretagne.

Cesser toute discussion. Non pas en dessous de la ceinture mais en dessous du café du Commerce.

Quitter la salle, le bureau, le restaurant, le café, rompre les ponts.

Partir.

Couper les liens. Arrêter.

Cessation.

Une gueule de bois anticipée, une nausée non de gestation, mais un dégoût sans nuance. Se fermer.

Non une déprime, mais pire que ça, une humeur noire avant les résultats. Et ce temps estival qui nargue les abstentionnistes. Ce temps qui rend frivole n'importe qui. Après eux le Déluge!


Souriceau fabliau, Isabelle Dormion, 29 mai 2005

Il est toujours difficile de ne rien faire, encore faut-il le faire avec promptitude.

Trouvant derrière le PC, attirée par le système de refroidissement de l'ordinateur, une petite souris de type mulot vaticinateur ou musaraigne des greniers, je l'attrapai par la queue et la montrai à ces messieurs qui ne dirent rien d'autre en choeur que «quoi?» d'une voix mutante, les faussets joueurs de Loto. Ce fut assez. J'ai suivi un entraînement de haut niveau pendant des années. Je n'ai jamais raté une seule souris de ma vie. Il y avait dans ce «quoi?!» un je ne sais quoi de veule, quelque chose de désobligeant, une pointe de disqualification insultante, quelque chose de lourd, faussement outré, quelque chose de foncièrement misogyne qui ne me plut pas. Je peux me montrer pouffe mais je suis souvent très courageuse. Un jour j'ai traité Le Pen. J'engouffrai le petit animal dans une boite munie d'un opercule troué, et lui fis prendre l'ascenseur pour une vie meilleure aux abymes et Ciao! Bientôt le salut! Bien le bonjour chez vous! Personne au bas de la Tour 34, hormis Claude Allègre qui déambule d'un pas savant, un pied devant l'autre. Premier Sous-sol. Prévision d'un Tsunami à l'Unesco prospective d'excellent niveau. Il faut nécessairement ajouter que les bureaux de notre étage sont truffés de petits pièges à souris et autres tentations mortelles, petites graines roses empoisonnées, sans compter les laboratoires, qui sont chaque jour les Guantanamo scientifiques de nos sévices animaliers, nécessaires et hautement justifiables.

Penchée vers la liberté promise je fis un adieu succinct au souriceau mon frère en trottinage qui colla au plafond et ne voulut point sortir. Je secouai la boîte, l'animal s'agrippa aux trous du toit, un formulaire tout provisoire et n'écouta pas un seul mot de mon discours assez rasant sur l'aspect métaphorique de toute situation. Julia Kristeva risquait à tout moment de surgir du bas de la Tour 24, avec aux basques et la devançant cinq à sept suédois, non comme des mulots, mais ici de véritables lévriers afghans en visite, pour la course à la respectabilité, beiges de pelage, cheveux crantés, très racés, museaux très pourfendeurs de bises et de glaces et de préjugés, très avenants, de haute tenue, très bien venus: happy to meet you!» dit Sollers mécanisé plus tard debout urbi et orbi face à l'évènementiel et devant la Tour Saint Jacques, revenant de la Mairie de Paris, allant vers la gloire confite et dévote. C'est alors qu'un barbu châtain de type chercheur en laboratoire, la crème, le nec plus ultra, le nectar et l'ambroisie des Olympes de l'Institut Jacques Monod, une sommité, châtain clair tirant sur le roux, grand friand des souris, s'en vint passant par là et par un regard de type inquisiteur me signifia mais enfin madame que faites (bas tour 34) vous donc? (alors, on s'amuse en sous-sol, on expérimente, on marivaude, une petite mutation chromosomique en cours?)


Rêve ou cauchemar? Isabelle Dormion, 30 mai 2005

J'ai fait un rêve étrange, le train cahotant avait laissé tomber sur les bas-côtés des enfants faméliques en haillons braillant, «le cri», visages torturés tendus vers le ciel peints par Münch. Saisie d'effroi je restais dans le train sans rien faire, trouvant antipathiques et hideux ces horribles laissés pour compte aux bras tendus. Puis je me retrouvais marchant en sens inverse du mouvement ­ sans au préalable être descendue du train (le progrès qu'on n'arrête décidément pas d'un coup de corne de brume) essayant de retrouver sur le ballast un unique visage d'enfant entraperçu sur la voie ferrée.

Jamais je n'aurais pu penser avant hier, le 27, que la pitié dépassant la colère (et le chagrin?) réponde à une quelconque nécessité psychique, ce travail oublié de la nuit.

Il faudrait dans un premier temps relire Jules Vallès et aller voir le film des frères Dardenne.

Demain il fera jour.


L'arène, Isabelle Dormion, 5 juin 2005

Vu les «travaux», avec Carole Bouquet. Epatée par le numéro de rap, enchantée de tout et de tous et sortie de là ragaillardie par autant de fraîcheur d'âme, ravie, le teint rose dans la noirceur conjoncturelle, avenue de France.
Quant à Carole Bouquet, je peux témoigner par l'anecdote de son authentique talent à faire se fendre la galerie des chalands. Impasse du Square Rapp, attendant aux toilettes pour «dames» derrière une queue interminable, je pontifiais imperturbable devant ma fille qui feignait poliment de m'écouter, acquiesçant du bonnet les yeux perdus, métronomes cillés des phonèmes en vol, aux moulures du plafond: les avatars du soufisme et les relations perso-arabo-andalouses avec le flamenco dans l'histoire de la transe, mis à pertes et profits. A côté, Carole Bouquet, qui impériale, anonyme, hilare, pouffant, poussant du coude sa copine, une vraie lady rajeunie des corridors, se mit illico, je dirais, dans la queue des toilettes «hommes».
Tête de ceux, hallucinée, qui en sortant impérieux rajustaient le bazar pour longer les loges. La bienséance nous interdit à la fois de la reconnaître et d'applaudir le style et le culot du gag. A la scène comme à la ville, hors caméra. Je ne bougeai pas un cil. Il paraît évident que si un jour elle a été écoutée au téléphone par des sbires poussifs des cellules spéciales c'est par une forme d'indiscrétion malsaine, toute puissante des politiques, ceux qui ne veulent pas que quoi que ce soit, dans ce cas, ou qui que ce soit, dans ce cas particulier et privé, reste en dehors du pouvoir de leur nuisance perverse. La sécurité du territoire est un alibi facile et fallacieux. Leurs actrices hexagonales leur appartiennent, c'est du moins ce qu'ils croient, les pauvres, à qui tout talent ferait cruellement défaut. Puis est distillé le fiel puis la rumeur est lancée, vénéneuse et mortelle.

J'ai vu «l'imposture» qui m'a fait dresser la liste non exhaustive de tous ceux, ces enflures littérales et littéraires dont j'ai oublié de me venger, faute de temps et d'un goût prononcé pour la chose vengeresse. Il y a une justice immanente et l'autre, transcendantale, sans les petites accointances nécessaires Je me souviens d'un type qui m'avait proposé un contrat, à l'époque c'était donné, 5000F pour liquider le petit problème, mais je minimisais tout à cet âge désinvolte. Aujourd'hui, je n'ai pas les fonds pour ce poste budgétaire devenu un gouffre padiraccien, inversement pléthorique, mais les idées ne font point défaut s'il est vrai que le ridicule en bastos est d'un rapport non négligeable s'il tue à coup sûr d'un coup. Deux conditionnels non vérifiables.

A défaut, on apprend en famille l'art de l'arc et celui de la flèche attentiste qui toujours atteint le but. Le cas échéant on initiera dans la sérénité de la retraite mon auguste mère à l'art du cyanure minidosé ou de la moustache de tigre zaïroise en gélule.

A défaut, un bon avocat fait toujours l'affaire, là aussi, en famille et strictement.

Je pense à un ethnologue, un petit cinéaste bouffi de suffisance et d'alcool, qui, ivre mort m'avait dit rue Léon, «les gens comme toi, nous, on les met à la trappe». Avec un simple crayon, la mine taillée, non dans l'arène, mais bien cachée, dans la trappe aux oubliettes, je reste, bien entendu, moi, la reine de l'oubli magnanime.


L'indigène (2001) gêne, Isabelle dormion, 13 juin 2005, 12h55

- Ici Turbulences, remous subséquents de paroles dites indigènes par voie de conséquences.
- Agitations (du latin turbulentia, geog.1495) dues aux variations de températures, reliefs consensuels, plaines et conformisme, courants, tendances culturelles, basses pressions politiques etc

- Le phénomène (la turbulence) physique ne peut être confondu avec l'agent générique de sa causalité. Turbulences est un effet (oiseux) de ce qui l'a nécessairement (perversement) provoqué. Générique est à prendre au sens biologique. Generis. Le genre qui n'est pas l'autre genre.

- C'est mon genre.

- La Trappe, fiction, voir «l'imposture», l'invraisemblable ne pourrait être vrai.

- Julia, un imposteur? Un méchant. C'est dit partout ailleurs.

- July, un (invraisemblable) gentil. C'est dit partout ailleurs.

- Méchants, gentils -1OO libérateurs (gentils) de la Nation, masqués. L'invraisemblance faite gentillesse sur un tarmac en un baiser d'accueil national et présidentiel. Les rôles sont clairs comme dans «Buffet froid», comédie surréalisante et noire, n'importe quoi, avec Chirac et la faconde de Bernard Blier enveloppé dans une couverture et dans la brume. On ricane en famille.

- Aubenas appelle Julia (un méchant) au secours. C'est invraisemblable. (Ce n'est pas vrai). C'est là, sous nos yeux, cette évidence, criante, amaigrie, sale, souffrante, vérité hurlante.

- L'évidence toujours demeure difficile à prouver.

- Aubenas est mise à la trappe, c'est invraisemblable. (Ce n'est pas vrai).

- Aubenas n'est jamais tant apparue que lorsqu'elle a disparu, (c'est invraisemblable, ce n'est pas vrai) portraits géants, ballons envolés, messages d'amitié et d'amour renouvelés, tous ensembles soutenant non son être mais sa sur-représentation de diva médiatisée (les portraits souriants gigantesques d'une absente (en larmes cachées) pesant 47 kilos, une quasi sainte de la réalité, cette horreur quotidienne glanée dans un journal édité par un gentil (sous conditions).

- IL y a là comme un trou, une absence qui, massive, est le sens, non l'explication : l'essence de l'absence. Elle n'était pas là (où il aurait fallu qu'elle fût). Rien d'autre. Le reste sera bavardage. Aubenas momentanément retenue. Une retenue. Pas une heure de retenue mais combien de jours? 157? Pas une détenue. On a toujours dit de garder une certaine retenue.

- C'est le genre qu'ils aiment, leur préférence à eux.

- Le prix Nobel de la Trappe journalistique (félonie invraisemblable) pour qu'elle se taise en vie. L'initiative sera prise par Menard, le zélé de Reporters sans frontières. On est dans Turbulences, daube oisive. Pas dans "Libération", daube professionnelle et libertaire relookée dans les années1980, si je me souviens bien.

- Aubenas ne disait pas 80 mots par jour, dans sa rédaction de (gentils) journalistes.

- Aubenas a parlé 4 heures à Serge July, un gentil venu la chercher au sortir de la Trappe.

- Si Aubenas ne dit pas ce qu'elle ne dira pas demain (l'invraisemblable), elle dira vrai (essentiellement) et j'aurai gagné mon pari, une spéculation absurde, kafkaÏenne (une fiction?) sur la vérité.

- Duras dégoupillonnée (vieille et flappie) a bien eu un prix grosso modo pour avoir dit que toutes les femmes qui disaient vrai étaient folles (P.O.L).

- Si Aubenas dit la vérité demain, elle est folle. Si Aubenas ne dit pas la vérité demain, elle sera folle. Aubenas n'est pas folle, elle est, elle était jusqu'en janvier, très intelligente et crue sur parole, ses yeux myosotis, ou sa gentillesse, faisant créance. Là, il lui faudrait une once de génie, qu'elle aura, et si c'est nécessaire, l'auditeur ou la lectrice lambda l'aidera.


De mon père j'ai gardé les mouches et les appeaux. Il savait appeler chaque oiseau et les débusquer d'un simple sifflement. Les mouches sont faites à la main d'un brin de laine de mohair bleu, d'un fragment de plume, d'une aile millimétrée transparente captant la lumière du soir et les reflets dans l'eau.
Il n'y a pas sur le parvis de Saint-Sulpice, ailleurs non plus, un marché parallèle de l'appeau.
On voit parfois sur les trottoirs off d'un festival de théâtre en Avignon les gens qui gesticulent ou jonglent avec un nez rouge. Des femmes déclament à la buvette le décolleté avantageux cheveux teints. C'est la poésie des rues dit-on. Alors circulent de confidentielles missives avant l'embrasement des cellophanes. Sans le moindre regret, derrière les rochers. On rêve...

Trop, Isabelle Dormion, 20 juin 2005, 14h55, mis en ligne tout chaud à 15h17

Florence Aubenas répond à la mobilisation. Une soirée pour le faire. Ils disent "non stop". Elle répond aux questions. Elle répond à l'attente des membres du comité de soutien. Elle répond en direct ad libitum. «Ne pensez-vous pas?». Oui, non, peut-être.

L'animateur: «Dites vos amis! parlez d'eux!». Florence Aubenas, choquée: «Non, pas ça». Les amis sont là. Une ceci, une cela, une autre, très gentille. Trop, c'est trop. Tout est montré. On voit l'amitié dégoulinante de sucrerie, une vraie giclure, ça coule, tiède, ça tache partout, ça colle, ça poisse, «non pas ça! Je refuse!». Les yeux fiévreux deviennent durs comme des têtes d'épingles. Pas les amis. Si, c'est rien, c'est peu de chose, c'est naturel, il faut les sacrifier sur l'autel, il faut deux boucs affrontés, une déesse archaïque couronnée de feuilles d'or, il faut de l'exiguïté tragique en cage, il faut du mystère, il faut des libations quand on est avec les amis, on mange, on boit». Il faut sacrifier, il faut que ça gicle, ça doit passer à l'écran, il faut un couteau, de la viande de boucherie, il faut un billot, ce n'est plus du miel, ce n'est plus du sucre, ce n'est plus du nanan pour les enfants, c'est du bien saignant, il en faut pour fortifier l'audimat, tout ça est trop lisse, il y a trop de retenue, il y a trop de Katherine Hepburn par ci et de grande dame par là, de Lady Di genre honni, l'aorte est tranchée, de l'amitié, en direct, on voit ça, la terre est poisseuse du liquide qui l'a nourrie, il en faut, il y en a, il est minuit, on a vu le coeur de l'amitié, la chose est évidée, on peut aller se coucher.
Trop. Comment disent-ils? La visibilité. La lisibilité.
Georges Moustaki chante l'amitié en direct. Il parle au téléphone. Il dit des trucs. La guimauve couleur pistache en torsade. C'est beau l'amitié quand ça luit non au zénith mais de l'autre côté. Nadir. Trop nuit.
Seul l'enfant de Hussein le "fixeur" dit quelque chose. Il pleure. Il voudrait enfin rentrer à la maison.
Là-bas.

L'autre jour je proclame à 11 heures: «je me damnerais pour du boudin de qualité», à 13h30 et par le seul hasard que j'appelle ici magie, aux petits oignons, je l'avais cet excellent boudin, rue du Pont Neuf, sans que quoi que ce fût sur l'autel de la connerie ne consente au plus infime sacrifice.


La tique ou l'ixode, Isabelle Dormion, 30 juin 2005

La tique résiste à tout. L'eau courante, l'asphyxie, l'eau javellisée, l'écrasement par simple pression entre la pulpe du pouce et l'index, la tique est increvable. Parasite des mammifères, l'acarien peut parasiter l'homme, à fortiori la femme qui tente de se reposer sous la chesnaie. Elle se laisse tomber d'un bond et s'agrippe à la peau. La mienne, arrachée à la jambe, a été mise sous une loupe où rien de sa physionomie répugnante n'a plus le moindre secret. Un microscope électronique a permis d'en dresser le portrait véritable et sans la moindre complaisance. Le temps d'un transfert par le Web permettra d'en diffuser l'image.

Depuis quelque temps, il règne ici un climat détestable qui génère un parasite autrement plus accroché à toute forme de vie étrangère. Ce pré-fascisme bonhomme triomphe au quotidien, dans les propos de la plus simple banalité, entre l'achat d'une nouvelle voiture et le garage. On ne le décroche ni ne l'anéantit. On le subit dans les bureaux quotidiens. On l'observe dans les transports en commun, on le détecte, on l'extirpe dans l'oeuf, on le repousse mais il s'accroche à tout ce qui bouge, à tout ce qui vit. Cet insecte qui prolifère, invisible omniprésent, doit être écrasé plutôt que combattu.

J'ai entendu, la semaine dernière, ahurie par l'apathie bienveillante de la salle: «je ne voudrais pas ça (un noir, un juif) chez moi». C'est comme ça, semblait dire l'entourage dans sa bonhomie border-line, il ne faut pas réagir, ce n'est rien, c'est banal, ce n'est rien, il y en a tellement comme ça, chiens tueurs en bandoulière et gueule de faf rasée.

C'est petit, ça ne se voit pas tant qu'on n'en meurt pas, ça s'accroche et ça survit à tout.

On ne peut, on ne doit accepter de tels propos, simplement délictueux avant d'être déshonorants pour ceux qui en sont les auteurs ordinaires. Je parle là non du cancrelat, la tique déjà enkystée, mais de la bonhommie, cette complicité larvée dans l'ignominie.

Mater ma tique: cliquer ici


Le chemin des Flamands, Isabelle Dormion, 11 juillet 2005

Roses en Tunisie. Nous ne partons que pour les regarder s'en aller. Rien ne pourra chez nous dépasser leur ironique envol. Chez nous, chez eux, encore prendre la route, les pieds lourds collés à la glèbe. Anvers. Breda. Usine de pain d'épices, le turbin, sortie des fours, le factotum gracile brûlé par les vapeurs de gingembre, de miel et de cannelle. Ils sirotent de petites boissons grignotant les speculos en culs de poule.
Foutre créance! Ce bled! le nord, le Sud, j'y perds mon latin! Les marocains en retour, les néerlandais vers la Dordogne, cet exode, ce sempiternel va et vient, les aires d'autoroutes, fritures, frikandel speciaal met mayonnaise, douches pour les routiers, Turcs, Kurdes, un borgne, trois cent sept obèses, un marché aux oiseaux, des cages ouvragées, les frontières ouvertes, les camions, la pluie, les conduites grises rapides identiques, les gens partout ailleurs identiques, où donc aller qui soit enfin ailleurs?
Amsterdam, effets de serre, senteurs de shit, les cycles en cohortes impératives, sûres de leurs droits, allant leur chemin d'enfer, sonnailles agacées, dégagez, allez, dégagez, canaux putrides, hordes potaches, foules affalées bouffant les falafels, graisses recuites, graisses étalées, fesses refaites, tournoyantes des bars bondés, une famille de musulmanes voilées, les trois grâces sidérées devant le musée du sexe, balaient la question d'un geste gracieux de mains en éventail. Quelques phonèmes, Aïe, aïe, aïe!
Ces maisons, ces briques, et on commence encore par le béguinage, maisons de poupées pieuses, jardins botaniques, et toujours ces cent, cinq cents citoyens au kilomètre carré, si urbains, si civils, mit mayonnaise, à l'église Saint Joseph habitée par les vieux beiges, le Salve Regina, un choeur caché par les boiseries en volutes de la tribune baroque. L'un des chanteurs, voix de basse, très jeune, a une jambe à demi paralysée. Il descend à l'aide d'un bâton de ski, my God!
Pas de salut sur l'aire d'autoroute, chacun pour sa couenne aux toilettes pour dames. La route est fermée pour travaux, on ne trouve plus la sortie, trois tours de Ring, tous k.o, avenue d'Ivry, fini le karaoké!


Six berbères si cyber, Isabelle Dormion, 25 Août 2005

Le groupe est fait de quarante-quatre personnes de tous sexes et de tous âges, dont un militaire musculeux de carrière et son épouse grecque de caractère (Salonique). Déjà dans l'avion : le militaire son époux gardait l'accoudoir, les avant-bras arc-boutés dans une quasi-spasmophilie territoriale, quand à la faveur d'une distribution liquide (cherry ou pepsi, thé ou nescafé du cru) ou duty-free, «Opium?», je réussis à réinvestir la place de mes rugueux coudes rusés, faisant l'économie d'un seul mot énoncé media voce.
Quand les hasards de la distribution me placèrent devant eux dans le bus, je pus mesurer la chose militaire et la chose grecque face à l'immensité cappadocienne, dans un mutisme qui confina vite à l'autisme délibéré. Il y avait deux affranchies girondes, bretonnes expérimentales, une sociologue et sa fille délurée majeure, j'en passe, un historien qui bouffa un ver à soie en le mastiquant sept fois au cours d'une démonstration de tapisserie soyeuse dans l'artisanat ancestral, une soeur et son frère, très grand de taille, très petit de cerveau, l'innocence même, musculeuse, la sémioticienne à chapeau rose avide de sens, «c'est manifeste, n'est-ce pas?» prenant les huppes pour des cigognes strasbourgeoises du lac salé, une famille entière, reproduction parfaite de la configuration familiale en voyage, en sus les embarras gastriques infantiles et les ennuis de pancréas dus à la culture excessive ingurgitée, les portugaises ensablées, hittites en bus, cunéiforme, phrygien, Cimmérien, Lycaonie, Lydien, Lysimaque, Séleucos, Laodicée, Apoxyomène de Lysippe (!)*, en sus, demanda l'historien du ver à soie, route de la soie, caravansérail, Attatürk, production de coton, importation, exportation, 1956, conseil de l'Europe, dindon de la farce, dette due, prêt promis non donné, Villepin, reconnaissance de Chypre, et ne parlez pas du problème kurde, vous Français, vous n'avez rien à dire, plus un mot, vous n'êtes plus crédibles, n'oubliez pas le Rwanda, n'oubliez rien de vos hypocrisies diplomatiques et raisonneuses bref les enfants et les quarante personnes de tous âges et de tous bords ingurgitaient en opinant du bonnet, certains baillant à s'en décrocher les mâchoires, je veux du boeuf disait l'un, de Rambouillet, et je ne toucherai plus au mouton, je veux une capsule de pavot, je veux du café turc mais je veux celui de la maison du café, je veux un tapis, je déteste les aubergines, encore de l'ail, toujours la soupe aux lentilles, rien à voir avec celles du Puy, le jambonneau c'est quand même autre chose, je veux rentrer chez moi, je veux d'autres rêves, et je veux moins de distances, moins de turquerie, moins de
trucs, moins de turcs et pour moins cher, plus d'autre chose!
On leur proposa de la hauteur de vue pour une somme dérisoire. Certains et non des moindres, avaient pris l'option «vue du ciel», en ballon dirigeable avec en sus champagne à la clé. Les hasards des courants d'air les placèrent au-dessus de la prison du coin. Si mes supputations sont justes, c'est de là, de cet endroit infâme, qu'a été dirigée la mise en scène de «Yol». Paix à l'exilé dans l'au-delà. Les ballon-dirigés, vociférant dans la nacelle, furieux de survoler une banlieue ni mieux ni pire que Créteil-Village réussirent à se faire rembourser la prestation, le champagne est trop tiède.

Acheté un accordéon russe d'occasion, un diatonique d'un genre cyrillique, à décrypter, près du merveilleux musée des derviches.

*Sculpteur grec, statue d'Alexandre et l'athlète Agias, en bronSix berbères si cyber


Ros(se) celavy, Isabelle Dormion, 29 août 2005

Les cinq avec les pitbulls ont agressé Lauwie dans la cage d'escalier. Tournante, salope, etc. Elle passait les marches de marbre à la serpillière. L'ont attrapée par la manche. La blouse rose aux armes de la société de nettoyage privée, sous-traitée par l'OPAC, elle leur a laissée en se dégageant sans demander son reste. Clés dans la poche du vêtement de
nylon trop mince et translucide. Virée. Abandon de poste. Quand j'évoque l'éventualité d'un dépôt de plainte «qui va me croire?». Moi.
Quand dans une autre cage d'escalier, sur les marches de marbre de Carrare, un autre voisin exhibe l'attirail sur le paillasson, dans l'exercice de ses fonctions, passer la wassingue vite-fait, remplacement, de l'indien en vacances, trois francs six sous, une ouverture, un espoir de s'en sortir, «mais qui va me croire?». Moi.
Ce silence est délictueux. Honte. Il perpétue le malheur, il l'entretient, il fait éclore dans les recoins les rumeurs infondées qui le nourrissent, il génère les bruits de couloirs et les complicités de palier, il renforce le groupe, il marginalise la victime, il anéantit toute vie possible, ce silence anodin que le conformisme d'un voisinage douteux vivifie est maladif, il gangrène tout, il suscite, il appelle la violence, il répète, il tue. Au nom de la bienséance supposée, le type qui l'agresse, le voisin du bloc le plus proche est père d'une petite fille, et alors? il n'en est pas moins pervers, il se montre, il se dévoile et tout le désigne dans sa nudité, ni plus ni moins. La signature de la perversité est d'inverser les codes. La victime est rejetée. Si elle a été virée c'est une incapable. «Je ne veux plus vous voir ici!» a dit le chef. Les pitbulls aboient.

C'est au nom du conformisme que Pasolini a été tué, non dans l'abjection mais par l'abjection.


Le bras et l'honneur, Isabelle Dormion, 5 septembre, mis en ligne le 16 septembre 2005

On peut voir aux salles du trésor d'Aix-la-Chapelle le reliquaire du chef de Charlemagne, sorte de bel étui à guitare pour tête couronnée. On allait de la sorte aux portes de la ville à la rencontre du nouveau roi, la pièce d'orfèvrerie fixée sur des montants de bois et véhiculée par des porteurs triés sur le volet. Ce buste impérial est en argent repoussé. La couronne a été portée par Charles IV. Ne jamais mettre une caisse de guitare dans la soute à bagages, elle risque de se fracasser. Ne jamais mettre le pouvoir en caisson, il risque de perdre toute considération.

Chirac, lui, est au Val-de-Grâce, jusque là tout va bien.

Quant aux bras, en argent doré à Lyon à l'or fin, il est magnifique et ceci depuis 1481. Par la fenêtre de cristal, le radius et le cubitus de Charlemagne nous regardent, pour ainsi dire, les os dans les os. C'est dire le peu, oxygène exclu, que nous sommes, pauvres humains. Rappelons que Charlemagne a été canonisé. On peut donc attendre de ces deux os moult merveilles. Le petit livre de la visite précise, si besoin en est, que les reliques appartiennent à des morts qui ont du répondant et gardent de l'autre côté un certain entregent, malgré l'extrême ancienneté de leur sainteté. En quoi un saint antique serait moins efficace qu'un saint moderne, comme par exemple l'Abbé Pierre in visu, in situ, en chaise roulante, coeur si vaillant que l'impossible immobilier brûlant, noir, ne le rebute pas. Regardons sur le pont de Bagdad ce qui vient de se passer.1000 sandales abandonnées, des morts en pagaille, et tout ça en vain, pour un cercueil assez ancien recouvert de son catafalque brillant. Pourquoi ne pas défiler chez Charlemagne tous les 12 octobre au pas de charge, passant la Meuse en navire d'époque, chantant des hymnes de louanges au meilleur souvenir de la grandeur carolingienne? Pourquoi en effet? Stupide me répondrait l'esprit cartésien qui domine en nous.

A côté de la pierre de citrine et pas loin du couteau de chasse, l'olifant, comme sa dénomination phonétique pourrait l'indiquer de façon erronée aux gentils petits enfants des écoles, est en défense d'éléphant. «Deyn eyn» signifie «dédié à toi».

Plus près, si on veut voir quelque chose d'historique à moindre frais, sans trop se déplacer, presque sans fatigue, le jardin des plantes voit pousser depuis un certain temps un très beau platane planté par Buffon lui-même. Les feuilles en tombent méthodiquement (au hasard des rafales). Qui dira, aujourd'hui, ce lundi-ci, que pédoncule est un mot ridicule?

Bush, lui, est un nom ridicule. On devrait le destituer. Personne ne songerait à le lyncher. Bientôt le 11 septembre, date sensible. Candy Rice aussi a un nom ridicule. On la voit ranger des choses dans des caisses avec entrain. Elle est utile à la société. Elle joue du piano. Des choses utiles aux réfugiés, à ceux qu'on a pu extirper, noirs, des eaux de Louisiane.
Heureusement, Cuba apporte son soutien et son obole. Le monde, (O, Charlemagne!) va bien à l'envers.

A Spa, ville d'eaux thermales en Belgique, Victor Hugo, s'est reposé. L'hôtel où il a dormi est à vendre. J'aime tout ce qui fait des histoires mais je n'ai pas un sou devant moi et qu'irais-je faire à Spa que d'autres ont fait déjà mieux que moi. Pas trouvé une seule bouteille de Spa. La mise en bouteille laisserait à désirer? Un créneau pour l'emploi. J'ai bu une
bouteille de Perier au prix fort, prestige français non usurpé.

Mais pourquoi Gogol ne s'est pas rendu aux eaux d'Aix-la-Chapelle, voilà depuis hier une question qui me taraude l'esprit, plus que le climat électoral de l'Allemagne en débat.


Rien, Isabelle Dormion, 26 septembre 2005

Née à Hiroshima, la jeune japonaise visite Paris. De Notre Dame aux Champs Elysées, tout est à voir. Paris est une fête, le charme même. Elle glisse dans les rues comme dans un songe, son regard engloutit tout. Le fleuve, les rues et les murs, les péniches à quai, les ponts de Saint-Louis en l'Ile, les sorbets, la nonchalance: badauds et passants innombrables, tout est là, à voir, facile.
Elle ne garde que deux images, «Bambi», les biches du zoo, prises au petit jardin Alpin, et le mémorial Juif. Quelle mémoire? Quels lieux? Après-demain, dit-elle, elle retourne à Osaka.
Pour la première fois de sa vie, elle voit une mosquée. Devant une tasse de thé brûlant et trop sucré, elle s'inquiète: nous aurions là un rendez-vous? l'Islam? Une japonaise ahurie, avisée, lisse comme un mur bétonné.

Lu et relu les sites du journal «Picayune». Rien à dire. Colère froide, qui couve, contagieuse. De mal en pis. Rien à voir? Comment peut-on admettre, sans devenir malade, l'inadmissible? Ces gens parqués dans un stade comme des animaux, ces visages tendus vers des soldats en armes, on peut les regarder encore une fois, avant que le deuxième cyclone chasse le premier, avant que d'autres images, plus lisses, chassent les premières, avant que la conscience, rassurée par ces images recevables, balaient dans l'oubli le silence, les rafales inouïes et la colère.


Valse turque ou les règles du savoir vivre, Isabelle Dormio, 2 octobre 2005

A la fin du mois d'août, ma fille a failli se faire enlever près de Pergame*. Le fait devient anecdotique s'il n'est pas cathodique. Faisons l'économie de l'historiette pour aller vers l'essentiel, sans la provocation, sans les cordes, sans les voitures, sans les complicités probables.
Epargnons les effets de pathos. Deux voitures et ce Turc qui n'a pas fait un geste, n'a rien dit, n'a pas appelé, n'a pas ordonné de courir, de se tirer, de se tailler, de se carapater, ce Turc complice de tout. Postée au dernier étage de l'hôtel, j'ai tout vu. Les voitures, les coffres, les cordes, les hommes, le Turc qui n'esquissait pas un geste, j'ai vu la terreur soudain des deux filles qui se sont enfuies comprenant enfin le danger.

Depuis ce jour, les voyages incessants n'ont rien perdu de leur attrait.
Sortir armée.

Comment dire en Turc de voyage ce truc à la portée de n'importe quel imbécile: "Au secours!" Alors que je sais dire en basque «à mesure que la nuit tombait, les étoiles parurent » : « Iluntzearekin izarrak agertuziren », l'unitif marquant dans l'action lente des étoiles scintilleuses une certaine progression, je ne maiîrise pas en Turc même l'instantanéité impliquant là l'ubiquité. Il fallait voir et faire simultanément, dans l'impossibilité où j'étais d'ouvrir la fenêtre (scellée), de hurler en français et en turc simultanément, «mais cassez vous!»,l'ordre valant pour les deux parties, l'une qui faisait et l'autre qui ne voyait pas, alors qu'en basque «est-ce que?» se dit «Othe», ou «j'ai acheté deux sous de sel»: «bi sosen gatza erosi dut», pourquoi je ne sais pas dire très vite, «mais quels hommes sont-ils?» dans une situation qui exige un jugement sûr, après une perception adéquate, suivis d'un acte adapté, une réponse immédiate.

A Prague je dis «Pomoc!». «Je n'ai pas un rond» se dit «nèmâme agni koronou». Je maîtrise «est-ce qu'on peut jouer aux quilles ici?» , «je mozne tady hrate koujelki».
Je sais qu'à Malte, pour un nettoyage à sec, il faut compter trois jours. A Penmar'ch, l'amidonnage d'une coiffe ordinaire à l'eau de riz n'est pas vraiment un problème. En islandais «je me les gêle» se dit grosso modo et selon les circonstances «kuldi». C'est vite dit et cela ne nécessite aucun effort particulier, la prononciation n'exige aucun stratagème zygomatique hors de portée de n'importe quel néophyte normal, polyglotte de base.

Je sais dire «cric» : martinello, screw-jack, Wagenheber, krik, domkrat, 'afrit, je sais dire «tire-bouchon» : cavaturacci, cork-screw, Propfenzieher, kurketrekker, sacacorchos, ch'opor, barrîma. Je sais dire «aïe!», «pot aux roses», et «vraiment?», regard fixe, ce qui signifie «au fond, savez-vous, je m'en tape!»

En Hindi courant «je suis allergique à la pénicilline» se dit «mujhé penicilin sé élarg'i hai». «Je n'ai pas un rond» se dit, comme dans un songe «méré âs zyada».

En Arménie «soyez les bienvenus» se dit : «Bari galoust».

En Turquie, personne, non plus, n'a pu me dire comment traduire «génocide arménien» dans le contexte. «Pardon?», disaient-ils, ce qui signifie en français: «je n'ai pas entendu, je suis sourd, je n'ai pas encore fait présentement, comme Robert Hossein, l'acquisition d'un sonotone numérisé, ou je n'ai pas compris, ou vous pouvez répéter? ou «surtout ne le répétez pas!».

C'est un manquement à l'élémentaire courtoisie.

*Bergama, ancienne ville de Mysie, sur les rives du Caïcos, capitale d'un royaume puissant au IIIè et Iiè siècle avant JC. Attalos1er y créa une fameuse bibliothèque (200 000 volumes) qui rivalisa avec celle d'Alexandrie. Attalos était l'allié des Romains contre Philippe V de Macédoine. C'est une longue histoire.


Mesure à deux temps, Isabelle Dormion, 3 octobre 2005

Enfin retrouvé ce minuscule fascicule unique de musique et de chant (Editions ouvrières) qui permet de remettre à l'heure les pendules de l'ignorance incommensurablement mienne. Afin d'assurer dans l'exécution du morceau la régularité des durées, on bat la mesure avec la main gauche, la droite (représentée par Alexandre Adler) tenant l'échiquier géostratégique mondial.
«En parle qui voudra, j'aimerai qui m'aime. Je vois là-bas une ronde, je m'en vais m'y présenter. Je connais à votre mine que de moi vous ne voudrez!». C'est la chanson. Sol sol, mi, la, sol, do, ré, mi, fa, mi, ré, do.
Pourquoi viendrait-il, ce Turc Moliéresque d'Ankara faire un petit tour si à notre mine, au ton que nous employons, il sent que de lui nous ne voudrions point sans réticences.

En quelques mois, c'est bien le ton qui a changé là-bas. De l'agacement à notre égard, ils sont passés à l'exaspération. En écoutant dans le bus le discours ô combien insultant du guide, la décence aurait exigé une rébellion immédiate à la Kusturica. Prise en force du véhicule, exclusion immédiate de l'offenseur, relégation des deux Turcs dans un fossé anatolien sans liquide d'aucune nature, monétaire ou aqueuse, dégustation ostensible de saucisson porcin distribué coupé à l'Opinel, avalé à l'aide d'un pikrate caché dans les bagages, un petit Sancerre adéquat, celui qui génère et abreuve notre arrogance coutumière.

Au lieu de quoi, nous eûmes les jérémiades diffuses d'un conflit larvé, grave et différé. «Encore du mouton! » la ritournelle du couple de Rambouillet. Nous eûmes: «Il n'aura pas un rond de pourboire». C'est mesquin, c'est très français. Moi, je l'aurais bâillonné physiquement, c'est le style du pays, et je l'aurais saucissonné de par les pieds jusqu'à l'occiput et je l'aurais relégué dans le fossé nuitamment avec les serpents perfides de l'Anatolie, car à Patmos il n'y en a point, terre chrétienne, c'est ce qui se dit par Saint Jean de l'Apocalypse et par Julliard du Nouvel Obs. Je l'aurais laissé macérer jusqu'à l'aube et nous aurions causé devant un feu joyeux nourri d'espérances et de brindilles glanées par le zèle poussif.

Voilà ce qu'a dit le guide, représentant de la pensée turque: «Vous Français, que croyez-vous? Que nous allons répondre quand vous nous sifflez? Si Villepin pense que la question chypriote est à régler par l'UE, il se fourvoie. Qu'avez-vous fait en ex-Yougoslavie, vous, Français, il y a dix ans à peine? Qu'avez-vous fait au Rwanda? Rien! Vous avez laissé faire. Votre diplomatie à double tranchant est hypocrite et calamiteuse. Vous êtes nuls».

(Là, nous aurions du prendre le bus en otage. Personne n'a bougé. Le déjeûner approchait avec la kyrielle de kebab promise et due, bière en supplément).

«Vous ne savez que parler et vos paroles sont mensongères»

(Là, nous aurions du le prendre à plusieurs, surtout les hommes, s'il en reste, le foutre sur le sol, et enserrer ses mâchoires dans une longue écharpe de cachemire importé. Personne n'a bougé. L'antique caravansérail route-de-la-soie, reconverti en resto-route à la chaîne approchait)

«Dans quelques années, nous serons les premiers. Nous sommes en train d'acquérir une puissance de développement supérieure à la vôtre. Nous sommes un pays jeune. Nous produisons. Dans quelques décennies, vous ne représenterez plus rien. Restera votre verbiage inconséquent!»

J'adore la cuistrerie de France-Culture. Que ce soit par Adler ou Cohen, à partir de jeudi au Collège de France, qui explique la société post-industrielle aux béotiens, il semblerait que tout problème ait sa réponse logique. C'est une erreur. Le débat n'arrange pas les choses. Dans certains cas, il l'envenime.

Manqueraient l'air, le rythme et la musique, ni à deux, ni à trois temps.
Là, sinusoïdale*

Seule la prise en compte d'une (incommensurable) altérité, historique, gé ographique et culturelle, un fossé et le détroit des Dardanelles, peut laisser espérer une mutuelle reconnaissance, littéralement, une entente.

* Dans le genre, le salmigondis Bach/musique du Monde, touillé par ce Courson-là est le signe de notre stupidité arrogante et syncrétique.


Soufflet n'est pas jouet, Isabelle Dormion, 4 octobre 2005

Etonnant, cette manière qu'ont les politiques de traiter les affaires sérieuses avec autant de légèreté (et vice- versa). De passage rue de Rivoli du temps d'Yves Haberer, je me demandais toutes les trois secondes si l'événement observé n'était pas un gag devant une caméra invisible tenue par les anges éplorés de la Finance. Rien d'inventif ne différait jamais d'une imposture de Lafesse. Je me souviens d'un type sérieux, en costume sombre et cravate discrète, qui faisait des propositions insensées, je me souviens de chaque détail, Ribadeau-Dumas, j'étais grave et mutique comme la nuit, consternée, ahurie par l'inanité des propositions, et c'est mon ahurissement, le sérieux en toute chose dont je ne me départis jamais, qui paraissaient suspects et «fun». La pègre est devenue plus honorable. J'aime autant dire aujourd'hui qu'avertie, je plaisante toujours, surtout quand je dis la stricte vérité. Elle est accablante et sinistre.

Que l'Autriche, ce petit pays fasciste en culotte de peau, lodens verts et géraniums aux fenêtres généralisés, aux parts de gâteaux monstrueuses, aux saucisses obligatoires érigées à la hauteur d'une institution, fasse attendre toute une journée un avion décollant d'Ankara, avant-hier, dans le dernier Turbulences, je considérais le fait comme une blague de ma part, inconsidérée comme une valse triste. Le fait est là.

Je me souviens d'une vieille éditrice, un monument de respectabilité, qui me demanda tout soudain de me départir un instant de ma courtoisie, un masque affirmait-elle, ce que je fis sans me faire prier. Je lui écrasai les orteils, la traitai de pouffe (mal baisée?) et radine, lui piquai son fric et sans pitié, sans épargner ni la pudeur, ni l'honnêteté, ni l'âge, ni
l'expérience, ni la faiblesse, ni la maladie, ni la noblesse des sentiments, ni celle des idées, sans rien épargner, mimant cette débonnaire vulgarité individualiste ambiante, cool, me mis en quelques secondes à adopter des conduites de racaille sans foi ni loi, sans feu ni lieu.

La racaillerie, ce n'est pas très difficile. Laisser-aller. «Il n'y a pas de raison», «qu'est-ce qu'ils croient?» Une veulerie de la pensée, exprimée lippes molles. C'est politique, ça ressemble à une mauvaise blague, c'est pénible. C'est exactement ce qui se passe actuellement avec la Turquie, ce qui ressemble à une farce débile. Où serait l'honneur d'être des nôtres, pour des gens qui, heureusement, manifestement, ne sont pas des nôtres? On le dit, on le fait savoir, on le notifie, on le formalise diplomatiquement. L'avion ne décolle pas d'Ankara. Puis retournement. Peut-être seront-ils des nôtres. Mais qui aurait envie d'appartenir un tel club de racailles? Il faudra demain payer cher ces atermoiements.


Que d'ors, que d'art, que d'ires!*, Isabelle Dormion, 10 octobre 2005

Sans passer le détroit (j'avais écrit dé-droit!) des Dardanelles, il suffit, pour les plus pauvres, de franchir à la hauteur de cette monumentale institution, coupole dorée à la feuille d'or, qu'est l'Institut, le Pont des Arts, pour qu'au Palais du Louvre, en sa royauté, en catimini, en solitaire, en sous-sol, soit contemplée la petite hache ottomane d'un dessin adorable, d'une ciselure incomparable, d'une raffinerie dont les femmes raffolent (quel raffinage! quelle précision! quelles ciselures! ce raffinement décidément j'adore! ces détails, au poinçon, cette finesse, un rêve et l'exotisme en prime!)
Que d'ors, que d'art, que d'ires!
C'est, mémoire oblige, la hache à double tranchant, celle qui décapite ni une ni deux, des Huns à nous, un genou en terre, le temps d'un soupir. Sans passer par là pour constater de visu la différence qui nous opposerait (ou nous réunirait?) il n'est que ce mot divan qui divague. **

Ces mots vagues d'une concertation à double tranchant, contradictoire, malaisée, diplomatique et mensongère qui font que personne ne doit perdre la face, sans compter la décapitation possible (pour une femme normale par les temps révolus).

Personne, jamais, ne décapite plus, objectera-t-on. C'est vrai. C'est désuet, c'est un fait frappé par l'obsolescence. Qui évoque la hache périra par la hache et personne ne lapide plus nulle part, c'est un fait ancien appartenant au folklore du Moyen-Age.
Pourtant le guide, appelons-le ainsi puisque c'est le nom et la fonction qu'il s'octroie, qui véhicule une cinquantaine de bovins, dont nous sommes, une vache et son veau femelle, une fois n'est pas coutume, a cédé deux femmes du groupe à des marchands de tapis, le fait est établi. Tout le groupe a entériné le fait: «elles sont majeures! et qui plus est maghrébines!».
Ce silence massif de bovidés ruminants est la duplicité, la complicité. Qui ne dit mot consent. Deux femmes charmantes ont été cédées, sans aucune réaction, de la part d'un troupeau touristique. "Allez-y les gars, elles sont pas farouches!". Rien ne prouve que les deux femmes aient été consentantes, ni consenties par la force, le charme, la honte ou la persuasion, le silence et leur mine au retour le lendemain laissant deviner le pire. Rien ne prouve non plus que le chauffeur, chemise blanche, regard candide, ait prêté l'arrière de son bus, pour en faire un boxon. Le fait est là. Qui ne dit mot consent. Ces deux femmes cédées ou concédées, sont deux victimes, touristes avouables de notre honte, des femmes consommables, des consommatrices de pays touristiques. Prenantes et prises, surprises. Telle est prise qui croyait prendre.

D'où vient le malaise devant la hache, qui, évidemment porte un autre nom?
De la contradiction non résolue.

Passant du Pont des Arts aux déambulations pédestres, non armée, en Turquie, le fait est là: de l'agacement, ils sont passés à notre égard à l'excécration (en toute amitié!). Bientôt l'U.E! Ainsi, l'amie photographiée avec sa parentèle (ethnograhie oblige) insiste, cette fois-ci, fait nouveau, pour inverser les rôles. Je dois, debout, m'asseoir, elle se tient derrière moi, en position dominante, et me tient les épaules, SORORALE. Un verre de thé offert. Bu jusqu'à la lie. Après quelques années de portraits, elle insiste pour que je ne sois pas l'opératrice de la photo, elle confie l'appareil à un 'serveur'. Il «sert» de photographe mais faut-il laisser un pourboire? La réponse est non. Sans ambiguïté.

Deux Françaises dans le groupe ont eu l'intelligence, doublée d'un immense talent, de donner une leçon de civilisation. Les clichés ont la vie dure. Moulin Rouge, petites femmes de Paris, Folies et Bergères. Elles ont fait le pari de consommer autant de Turcs (avec ou sans moustaches) qu'il est possible de le faire dans une journée (et une nuit) qui n'a que 24 heures, à preuve d'un contraire. Le score est impressionnant, la santé avantageuse. Ces deux femmes sont jolies, saines, drôles et n'ont perdu dans cet exercice de style ni leur classe, ni leur dignité, ni leur drôlerie, ni leur pudeur, ni leur esprit, ni leurs habits, ni leur argent. Les petits gars et les très grands aussi, moustachus et machistes, ce n'est pas incompatible, leur ont payé à boire, ils savent vivre, elles sont pédagogues. Mais s'il faut passer par cette pédagogie, purement expérimentale, à l'échelle d'un pays, la tâche est rude. Tâcherons, tâcheronnes, levez-vous tous et toutes, demain et surtout aujourd'hui, au turbin! Sans moi. Que ce soit là, pour le groupe de ruminants qui a feint de ne rien voir et de ne rien savoir, puis de ne rien dire, un objet de scandale plus qu'un sujet de réflexion ne m'étonne pas.

Ces faits minuscules, non anecdotiques, révélateurs, analyseurs, illustrent cet arrangement avec la vérité qu'on appelle d'un nom venant du grec: hypocrisie.

Pas de vague.

* Que dire? Queues-dards aux Dardanelles, que dalle!
**«le livre noir de la psychanalyse», pas lu tant l'interview, son auteur, sa mauvaise foi, le caractère tonitruant et obtus, la fatuité dont il fait commerce, sont horripilants


De confuses paroles, Isabelle Dormion, 17 octobre 2005

Contraste entre l'alarme planétaire à haut débit, et, des rives voisines, la douceur de vivre en France.

Dans cette ville, non loin de Sens, attendant dans le véhicule précairement garé à la place du mort, celui envoyé quérir le pain, j'ai vu la scène suivante. Sous le porche de l'église, quelques adolescents en survêtement de sports, attendent goguenards la scène «de la fleuriste»: deux vieilles femmes viennent à «Fleurs et Funéraire» choisir le pot de bruyère, à déposer sur la tombe amie. La marchande porte un jean, des talons aiguilles beiges, et quand elle se baisse pour tâter la bruyère et sa fraîcheur violette, estimer le poids du pot, l'arthrose en partage, la route est longue jusqu'aux premières dalles là-bas, un string mauve de mi-deuil, qui, largement découvert par la ceinture complaisamment lâchée, scie la fesse lâche et blême. Les petits mecs, devant le Jugement dernier, l'ogive, la cathédrale: «Eh! Vise la moukère, elle est bonne la fleuriste en string mais j'hallucine»

carcélafé mélusine

Voilà. Cette impuissance demain à suivre l'actualité: l'Irak, pays artificiel, cynisme des Anglais en 1901, vote.

Renvoyée sans pitié à la douce France, au «Palais du goût» de Sens. Les tuiles bourguignonnes vernissées. L'estouffade de pommes de terres et bientôt la truffade si l'on plonge plus au Centre, dans de grande poêlées. La cathédrale. Les griffons et leurs griffes. Dans l'angle caché de la colonne, sur une petite branche de lauriers (?) ce petit griffon là, barbu mais taillé net, ressemblait hier à Strauss-Khan*, s'interrogeant dans le jardin de l'ignorance et des délices, planté là devant Anne Saint-Clair en sphynge déjà très avertie. J'hallucine, si, carcélafémélusine.

Visitons la France pour plus de clairvoyance.

Islamabad. Ce nom, et l'horreur.

Fils de fers barbelés, les damnés de l'Afrique et notre absence de mauvaise conscience.

Faut-il prendre la mesure? Prendre conscience? La perdre? Boire?

Frappé d'inanité, le livre haineux du petit Houellebecq, en minuscules, qui se prendrait enfin sérieusement pour Lichtenberg, en toute ironie, sans un aphorisme, on peut faire plus court, avec la bénédiction douteuse, la complicité de son éditeur, le pactole, oui, mais attention au foie, un peu d'exercice. Du nerf. L'amateur de chien désabusé, un Gorki , non, un corgi, le Steinway des chiens sur plateau télévisuel, cette fausse caninité, cette infra qualité oua-oua, avec ce fallacieux dans le ton, paupières baissées, aisselles moites et branlaisons des chaumières, ce côté braguette adolescente, mes saisons, mes émois tardifs, si je dis bite, si je dis couilles je l'écris sur les murs, oui j'ose, mieux que Mireille Mathieu sa frange, ce kleenex, ce confidentiel bidon, ce chromo deschiens du très pauvre, les seins les touffes, mais encore? Cet à-plat de l'ingénieux ingénieur, ce poète de merde, banlieusard élitiste, intérieur déco chicos et partouzeries molles en clair-obscur, la hargne sans conviction, ce bon gars, le brave mec, je hais les pauvres, glaviotons en choeur, mais un dernier drink au Lutetia, ce baudelaire du RER, mornes rames, ces pantoufles intérieures, cette conduite niaise, cet ultra canigou du roublard blousé, ce pâté d'alouettes, ce miroir tronqué, ce broute-minou de province et d'outre-mer, ce raël de Beauferie, ça lasse, mais passable, ce cynique littéral, un truc, la trouvaille. Vas-y! Tu l'auras! C'est glaçant. Un chien de ma chienne ou rien, pour les gogos ringardisés à la Fnac samedi dernier. Bientôt les lectrices de «Elle». Pour ou contre. Plutôt pour, ma nièce! Parions : quelques pages excellentes.

Pour des prunes. Rangeant des quotidiens, dont «Libération», je tombe sur la «révolte des gays libanais», accompagnée d'une carte. On voit Beyrouth. Je trouve ça grotesque. La ville entourée, pour les lecteurs, qui, dans la confusion, ne peuvent se repérer!** Moyen-Orient, Palestine, que sais-je, pourquoi pas «falafel j'adore?»

Vu «collision». C'est pas fûté mais ça cogne. Tôles froissées. On ne va pas débattre. Un nègre?

Je reste dans la voiture, bloquée près de Sens. Dans le jardin botanique, vu un insecte avec une trompe, comme un éléphant miniature à ultra-sons, qui voletait d'un calice à l'autre sans faire d'histoires.

*Libération 10 octobre 2005 «Les deux sociaux démocrates (Fabius et DSK) ont travaillé leurs profils de présidentiables de gauche».
**Libération 5 octobre «Les gays sortent du placard au Liban», petite carte: un cm = 40km.


Dans quel étal ère?, Isabelle Dormion, 26 octobre 2005

Le 16 octobre Gerard Lefort analyse une image de VUITTON, hautement promotionnelle. Des filles, dont une black lacée aux cuisses les fils en croix tiennent compagnie à une trousse de golf assez chic. Mais dit-on chez Vuitton «trousse»? On dit «étui»? Une canneudgolf chez les chti, vas tial pec? du latin étudier, un estuier, garder avec soin. Le chroniqueur viseur de voltige regarde avec soin. Arbet, fiu! Perspicace!

Ce mot Vuitton, déjà! bref, entre futon et vuitton, je mets les bouts haut la main. Je largue les amarres! Je me casse aussi sec sans rétroviseur. Vuitton! déjà, s'acheter un sac le samedi, j'appelle ma mère, le suicide, ou qu'elle me paie l(e) kilo d(e) berlingots avenue Carnot!
Le golf! «Le micro-climat est du au passage du gulf stream». C'est déjà mieux, plus élégant. On chipote pas. Brandon. Les hortensias énormes dus au gulf stream. Mais des hôtels dans le désert bordés de golfs marocains, arrosés d'eaux rares! J'aurais un fusil, je les tirerais bien dans le mille comme des migrateurs, prétextant les périls aviaires en cours. Je hais les golfeurs et plus encore les golfeuses avec jupettes incorporées, les fioles coinceman/sport qu'elles se trimballent, des chaussures avec des franges de coup-de-pied qui se meuvent au moindre courant d'air, les franges anglaises noires et blanches. J'ai vu hier sur une chaîne caraïbo-malgache un joueur avec une boîte de conserve intégrée à la chausse, du sur-mesure. Une classe, du rythme, pas du tout ramenard, l'harmonica passé au cou comme le boeuf mon frère, un instrument fait dans un placard en contre-plaqué, des cordes à la mords-moi-le-noeud, du nylon de corde à lessive, mais Vuitton, non, pas ça! pas la housse vulgaire! C'est pas le mec à payer l'étui, la trousse, le bag, la housse. C'est le mec à pas confondre du tout les trucs, c'est le genre distingué, avec les dents du bonheur, mais sans excessivement moufter ni la ramener, juste une coquetterie dans l'oeil, rien d'autre, pas d'excès, tout dans la sobriété, la justesse.

On a volé un pneu chez Michelin, depuis le temps que ça me démangeait, la tentation, mais j'en fais pas une maladie. Ce n'est pas moi, sur ma mère!

Rayon geste irréparable
Les parents infanticides
prennent quinze ans, ils s'évanouissent au verdict.
Un acte. L'autopsie de leur fille ne dit rien de plus que ça: ils tuent leurs enfants sages le soir avec le bouillon Knorr. Une civilisation, et c'est sophistiqué. Les gens, ils tombent raides, dans les pommes, sur le carreau. «Les accusés sont pris d'un malaise». Leur fils a compris la chose en lisant le mot dans le dictionnaire: «homicide». Ce que c'est qu'un mot! Le pouvoir des mots. Il ne l'avale pas, «hom» ce phonème, ça lui reste là, ça ne descend pas, ça coince en travers du gosier.
"Filletticide", ça ne se dit pas mais "infanticide", oui. Comme un meurtre et sur sa progéniture. L'insuline, ce mets, ce mot mis au lieu du potage. Les mots tuent. Un acte. L'intention agissante. La mise en oeuvre. Eux, «ils sont pris d'un malaise», «heureusement sans gravité», JT, ce n'est que ça, encore des mots et demain, la tôle pour un bail, c'est infernal. Et que lit-on «les parents sont dans l'affect». Demain le gnouf.
L'affect, c'est le Vuitton, l'emballage ceci explique cela, la housse bidon de la connerie. Ils ont fait la connerie et basta. Ce langage normatif d'une radoteuse psychologie d'étagère! Deuxième année de criminologie, rayon profilage, la fusion et l'affect dans les familles pathogènes de moyenne bourgeoisie, ceci n'excusant pas cela, nous voilà bien. Demain il fera jour.


Eolienne, Isabelle Dormion, 7 Novembre 2005.

Ne rien attendre qui, de tous et de tout, désespère en vain.

Nous allâmes donc considérer la chose allemande pour comprendre ailleurs ce qui s'y passe. C'est un autre monde.

Dans la Forêt Noire, assis sous une éolienne, le vent et les arbres sombres.
Quelques fraises des bois, une deuxième floraison, des marcheuses quinquagénaires tentent de prouver que les fraises de l'Allemagne ne poussent qu'une fois l'an, c'est leur terre et non la nôtre, leur raison fait autorité. Je leur montre le soleil qui luit pour tous et ne peux résister à ramener ici ma fraise. Qu'y aurait-il à observer ici que nous ne connaissions déjà. Tout est différent. Les gens sont étranges, peu semblables, gentils, aimables, cordiaux, différents, les usages, cette salle à manger, ce confort extrême, la propreté en toutes choses, comment jeter les détritus; comment traverser, comment dire bonjour, comment commenter.
Commencer. Au petit déjeuner, derrière moi, une double rangée de petits ours en peluche, les gardiens d'une enfance surfaite.

Baden-Baden, ville d'eau élégante s'allongeant sur une dizaine de kilomètres. J'étais déjà venue plusieurs fois, mon frère accomplissait son service miliaire ici, mon père pêchait la truite ici et plus loin, en Bavière.
Dans une zone piétonne d'Ofenbourg, je trouve une paire de bottines Kenzo, en véritable tapis à chevrons, qui ponctuant la silhouette grise en lainage, vient à parfaire l'invisibilité muraille peaufinée. Triple péril en déambulation. La godasse est doublée d'une luxurieuse peau de chamois mordorée couleur chair ambrée. Elle glisse au premier buté d'orteil et le
dérapage, joint au glissendo progressif des semelles extérieures conduit tout shüss au sol bitumeux qui m'a vue naître.

Les Allemands, eux, sont friands de tout et de rien. Ruines d'une abbaye dans la forêt, près d'une chute d'eau. Calmes, attablés devant les chopes de bière, ils absorbent les rayons du soleil d'automne. C'est en Teutonie le grand mystère, qui sont les Teutons? Déambuler sur le petit chemin des philosophes, plus tard, surplombant Heidelberg, mènera jusqu'où?

Si Dostoievski* a terminé son ouvrage et l'a remis à un officier de police, c'est dire la nécessité où il se trouvait de le rendre à temps, criblé de dettes, échoué dans un pays étranger, veuf, (qui vole un veuf? vole un boeuf?) repoussé par Pauline, qu'il aime. Je pense à Weyergans ne pouvant, honorablement, j'allais dire, normalement, terminer son livre. La nécessité fait loi. La littérature est chose de peu d'importance. A pratiquer cheminant sur son âne, en rentrant fourbu à la maison attiser sous la chaudière les tisons mourants.

J'ai entendu dans la large allée du château du Marais, près de Paris, gémir les grands platanes, ceux-là mêmes qui ont été décrits par Chateaubriand. Je n'ai jamais aimé l'écrivain, mais j'aime l'homme de ces arbres immenses. Peut-être ai-je tort. (Idée de collage "le tort tue") Idiot. Devant l'ancien lavoir du petit moulin, un fauteuil en osier attend que quelqu'un se pose dans la réflexion ou l'oisiveté, comment savoir? Je m'y colle, convaincue de l'urgence d'aller demain découvrir la région de Courland, décrite par Laurent de Commines (2004) et bientôt, la Poméranie, la Lituanie, tant que le désir d'aller ici et là me tient encore en vie. Portée par les éclats trompeurs de la lumière dans l'eau. Fuite des reflets. Les mouvements des branches captent le regard un temps qui paraît infini.

Le guide, imbattable sur Talleyrand, raconte les déboires de son récent voyage en Pologne.

A Baden-Baden, le casino, une fille blonde, cuir clouté, accoudée devant le grand verre blond, ces voitures puissantes, l'argent, les gens qui mangent des plats, sans se presser, attentifs au dimanche qui n'en finit pas. Rentrer chez soi, dans l'urgence (de quelque destin qui accomplirait le seul jour finissant).

Bien sûr, il est parfaitement aristocratique de paraître ignorer la boue et le décor où s'agite toute cette RACAILLE. Pourtant l'attitude contraire est parfois aussi distinguée: remarquer, c'est-à-dire regarder et même observer, fût-ce du bout de la lorgnette, toute cette vermine; mais en considérant toute cette foule et toute cette boue comme une espèce de divertissement, une représentation organisée pour le délassement des gentlemen. On peut se mêler soi-même à cette foule, mais regarder autour de soi avec l'absolue conviction qu'on y est en spectateur et qu'on n'entre pour rien dans sa composition. D'ailleurs, il ne convient pas non plus d'observer avec trop d'insistance: ce serait de nouveau indigne d'un gentleman, car en tout cas, ce spectacle ne mérite pas une attention soutenue».
«Or, j'avais l'impression que tout cela méritait au contraire une attention très soutenue, surtout pour celui qui n'est pas venu seulement observer mais se joindre lui même sincèrement et de bonne foi à toute cette canaille».
«Le joueur», Dostoievski., présenté par Michel Butor.


Paires, impaires, et repères, Isabelle Dormion, 15 novembre 2005

On entend, repris par France-Culture, pour donner un sens aux feux et aux flammes, les mots «perte des repères». Que signifie le mot "repère?". On dit "péter les plombs", "péter les boulons", se faire un keuf, se tirer, se tailler, mettre les bouts, feinter, la ruse (de sioux), nique ta race.
Sur France-Inter ce quatorze novembre, somptuosité de l'automne doré, attisant la rage et soufflant sur le dépit, on dit, on donne, on précise à la radio, en millions d'euros, le chiffre mensuel, qui, multiplié par douze, annuel, distille le nombre d'or d'un salaire ahurissant, celui d'un chef d'entreprise, surréaliste, on assène aux auditeurs, vous et moi, toi et moi, elles, eux, compagnons et compagnes des infortunes, pour disséminer les germes, les termes, par Larousse interposé, les mots qui feront le vent et la révolte future. Le mot "racaille" est déjà largement utilisé au siècle dernier, disant l'injustice du servage, l'opprobre jeté sur les pauvres, sur les humiliés et les offensés. En quoi l'injustice, aujourd'hui seulement, serait-elle l'origine d'un scandale? Pourquoi devrait-on se pencher soudain sur le sort des miséreux, désormais appelés ère-Rmistes ici ou banlieusards ailleurs? Le sort d'un miséreux est devenu un mot, une fonction sociale.
Est-ce mieux ou pire? On est RMiste comme on est rien. Rien est une fonction.
Zéro serait donc fonction de quoi?

Dostoïevski, pour avoir signé sa dissidence, a été mis en réclusion, exclu de la société des vivants, après un simulacre d'exécution mis en scène par ses tortionnaires. Dans une lettre à son frère, du 22 février 1854, adressée une semaine après la sortie du bagne, il évoque ce temps de travaux forcés, ces temps du châtiment exemplaire qui réussit à obtenir l'adhésion totale des victimes à la peine. «J'avais le coeur lourd et un peu vague, troublé par trop d'impressions différentes. Mon coeur plein d'une espèce d'agitation, souffrait et gémissait tout bas, mais l'air frais me vivifiait et, comme à chaque nouveau pas dans la vie on éprouve toujours une sorte de vitalité et d'entrain, j'étais en sorte très tranquille et regardais fixement Petersbourg, les maisons aux lumières de fête devant lesquelles nous passions.»

Autre temps, autre style. Ce n'est pas "la perte des repères", parole vide de sens, le verbiage sociologisant, bon look et ongles nets, costard tweed doucement usagé, péri-universitaire, cultuel, ritualisé, la petite ritournelle de France-Culture, charmeuse.

«A ces moments-là un être est capable d'assassiner pour une pièce de vingt-cinq kopecks, uniquement pour se procurer de l'eau-de-vie» (in «Souvenirs de la maison des morts»).


Isabelle Dormion, un du mercredi 16 Novembre 2005

A quoi servent les sociologues?
Si le principe par lequel le réel n'existe pas (en tant que tel) est admis, ils ne servent à rien. Plaquant une grille de lecture interprétative sur les faits qui se dérobent à toute emprise, ce qui fait à Aulnay-sous-bois symptome et flamme de tout bois rejaillira ailleurs des cendres hâtivement et mal éteintes. Qui trop embrase mal éteint. Mais à quelle aune on mesure
(today?) 1,188 m. Autant mesurer un nain!

A quoi servent les ethnologues?
Si le principe par lequel l'objet (l'homme) n'est pas sujet, est peu entendu, ils ne servent pas à grand chose. A faire joli. A faire des histoires. A les récolter dans de petits paniers, de petits carnets, de petites publications. Qui lit, hormis le comité de lecture de l'Harmattan, Galilée, Métaillié, ces bredouillis? Personne. Les livres se refilent entre initiés ornés de dédicaces ouvragées. «A Bibi pour l'avis». A Saint Malo que dalle!

A quoi servent les journalistes?
Si le principe par lequel la controverse cultivée ici sur papier est valable à Valladolid, reste toléré, à nada. Jactance et parleries, tant et tant. Il en faut. C'est quand il n'y en a plus qu'ils, qu'elles viennent à manquer. C'est ce qui est dit ce jour en Tunisie, où (elles) ils sont soumis à la question.

A quoi servent les artistes?
Si le principe par lequel l'art est un produit coté en bourse n'est pas exclu, il faut les (elles, ils) jeter à la rue, les plaquer au sol comme des blacks*, les garder à vue à l'insu, de tous, les dénigrer, les couvrir de vergogne et de crachats, les soumettre au pilori**, les couvrir d'opprobre avec un R, air d'accordéon diatonique, le temps d'un giton.

*Le Monde aujourd'hui, Alain Badiou, philosophe, raconte l'histoire de son fils. Noir.
**latin médiéval 1165, pilorium, de pila, pilier, pellori.


Plus près, Isabelle Dormion, 21 novembre 2005

Descendant à Beaubourg l'escalier vers une zone fermée, le premier sous-sol d'un parking Défense ou Rivoli/BHV, c'est la culture qui ferme le passage vers la droite du couloir muséal. Dans l'impasse, derrière une rangée d'ordinateurs blafards occupés par des gus en état d'obnubilation avancée, c'est un écran géant qui occulte le reste et semble clôturer la salle. Où sont les issues de secours? les trappes d'aération? un petit signe de vie? un signe des temps? Tel un prie-Dieu devant le tabernacle, ou devant le corps déposé roide dans la monstration du funerarium, un petit banc en simili-bois et de chaque côté des cubes incarnats matelassés, sur lesquels certains n'hésiteraient pas à se reposer, si l'occasion s'y prêtait. Elle s'offre à ce genre d'initiatives elle initie le repos elle encourage le sommeil et pourrait susciter le ronflement hasardeux. Tout est désertique. Tout est obscur. Nous nous asseyons, face à Derrida, qui parle l'air de rien d'outre-tombe devant une grande table vide d'un colloque sur semiologie et media chez soi. Ses cheveux fasseyent au vent joli de la vie d'alors, en toute capillarité, presque osmotiques, dans la communication à fond les manettes (grand Truc sur la Com, affiche rouge dans l'escalier). La métacommunication. Il parle des journaux, du temps différé, d'un événement qui est reproduit, après s'être produit. Je regarde ses boucles encore vives. C'est un mystère. Peut-on différer l'instant? Surseoir? Eviter de se remontrer quand le délai de deuil est largement dépassé. La voix est là, toute-puissante, envahissant le parking de la post-modernité, pas loin, de l'autre côté, à gauche, des toilettes Hommes/Dames. Attirée par l'occupation du banc, indiquant l'intérêt supposé de la parole géante, une femme, appelons-la Terreur, vient s'asseoir â côté. Puis, encouragé par le mouvement fait pour laisser encore une place libre, un pékin en manteau de laine et cachemire bleu marine vient s'insérer face à la vidéo, distante d'une dizaine de mètres. Très vite, une petite assemblée se constitue. L'auditrice est énervée, elle est bien, seule parmi l'assistance, à montrer les signes d'une telle impatience, elle bouge les bras et racle des pieds sur la moquette, ce qui est un signe de carence en magnésium doublée d'une éducation exécrable. Devant l'absence concertée de toute réaction, elle demande d'un coup aux occupants du banc des auditeurs de Derrida de se rapprocher. Je dis à voix haute, «non*, et si je ne me lève pas, je vais tomber». Derrida, pendant ce temps précieux, dit des choses essentielles à la compréhension totale du propos en sous-sol. Il parle toujours d'où il est, à une dizaine de mètres devant et la moitié sous la terre. J'observe du coin de l'oeil la réaction du pékin bleu-marine (s'il y en a, que voulez-vous, des femmes comme ça, c'est qu'il en faut pour faire l'infinie variété d'un monde) nous nous levons ensemble tous les quatre et la quinquagénaire avance le banc de quelques soixante quinze centimètres.

L'écran est à 9 mètres 25 et des poussières.

*se rapprocher de quoi?


l'un du mercredi (linceul), Isabelle Dormion, 23 mis en ligne 24 novembre 2005
Les Habits de l'ombre

Midi. Avertie par Monpif, je passai en diagonale quelques secondes par là. Dans l'obscurité de l'amphi aux trois quarts plein, des étudiantes sages comme des images. Disséminés, des professeurs, des analystes, des gens de lettres et quelque thuriféraire assis, lunettes progressives et calvities raisonnablement réparties sur l'ensemble de l'auditoire avec dissipation progressive d'un pourcentage méridien «de cantine-resto-U», par travées contaminées de bas en haut vers les sortie bi-latérales, donnant sur le terre-plein, niveau J.
Dehors ciel immense.
Sur le petit écran, tracé en rouge, un calque reproduit par le vidéo-projecteur, les mots «el Duende». Tracé à la main, élégant, désinvolte, brouillon scriptural hâtif. Pas un mot d'ordre ni un conseil. Est-ce le dernier avertissement? L'esprit ou la lettre! Sinon? Une note prise pour une validation semestrielle, une note prise pour une notation. Quelques-uns auront 6,5 en Duende, mention passable, c'est peu, mais c'est suffisant. Est-ce seulement nécessaire?

Sur la scène, très bien éclairée par le seul maître et génie des lieux, sagace et furtif solitaire en gilet de cuir, un personnage semblant sorti d'une planche de Chaval*, le vrai toréador tout dépourvu d'animal, mimant les gestes rituels de son art. La muleta tôt remue là. Il me reste une minute accoudée dans l'ombre à la balustrade (descendre et s'il faut que coule sang, offrir à l'épée la dernière oreille, la seule, mais les pleurs de ma soeur! et ceux en choeur de la tribu autour des flammes!). Quelques instants un flamenquiste requis, dans l'ambiance post-mortelle, glaciale, accompagne le toréador pour restituer, comme l'obligé (le contraint par corps, l'invité par obligation) l'évocation en espaces et temps différés. «Otros autores ne dan indicacion alguna del uso de los dedos y se contentan con poner un encima de los sonidos armonicos rodendolos con une lina de puntos. Tambien se hacen sonidos armonicos con doble uso de los dedos como de costumbre. Por desde medio puede hacerse una serie de semi tonos lo cual seria materialmente impossible de la otra manera que hemos indicado».

Décrivant la scène impitoyable à plusieurs de mes amis, s'ensuivit une joute rondement menée sur les aléas de la pédagogie et le cynisme des institutions. «Pourquoi pas?» Personne n'était choqué. Unanimement OK. Minoritaire, je persiste et signe. C'est ainsi qu'on livre non la lettre en pâture mais l'esprit, s'il en reste. Il faut savoir que Francis Marmande aurait subi à Toulouse les attaques conjointes d'un comité anti-tauromachie et qu'il aurait pu subir à cet instant précis non l'insulte, je suis suave, mais les effets d'une douloureuse surprise. On leur donne en pitance, ça, le duende**! Comme ça, entre soi, entre le sandwich et le café, entre la tour 24 et l'ANPE, le duende. Bordel et puteborgne!

A Gonzalo je n'oserais rien dire, accablée, de l'obscénité entrevue. Un colloque sur le geste!
Mon bras d'honneur.

* Chaval : «L'homme», «L'animalier»
** el Duende: la grâce


Ça s'apprend/ça ne s'apprend pas, Isabelle Dormion, 28 novembre 2005

A l'école, à l'IUT, à l'Université, qu'apprend-on aux enfants? A lire, à écrire et les premiers rudiments. Des mots et des nombres. Les apprentissages sont donnés en nourriture aux cerveaux que l'on éduque lorsqu'ils ont la souplesse requise. Il faut prendre en considération l'engouement des Université dites «du troisième âge» pour admettre qu'à tout âge, si l'on exclut les étudiants nécrosés atteints de la maladie d'Alzheimer (quoique, la musique), il est possible «d'investir un champ nouveau». Une amie qui s'adonne à ce sport (Université ouverte) raconte par le menu le déroulement de ses cours (bondés). Ce ne sont que rires, farces et chants, une abbaye de Thélème nomade ou l'ancien boucher-charcutier côtoie l'ex-dame d'oeuvre catho reconvertie aux joies revendiquées de l'épanouissement personnel exponentiel. Joyeux brassage des peuples. Dans le meilleur des cas, le charcutier tissera une romance assez sexe avec l'ex dame d'oeuvre bourge, ils feront ensemble un court métrage sur les rives partagées hors saison d'un Nil rendu accessible «Le vol éternel des ibis à la saison des oeufs».

A l'école, à l'IUT, à l'université que n'apprend-t-on pas aux enfants? La vie. La vraie vie. Pas d'initiation possible. Rien de prévu. Aucun rattrapage. Pas de planche de salut. Pas de branches de raccrochage. Il n'y a pas d'année sabbatique pour l'apprentissage de la vie, damné condamné âne d'année en année à s'adapter coûte que coûte à l'environnement. Haute compétition. Globalisation. Meilleure maternelle, meilleur collège, meilleur lycée. Doctorat, meilleur job, meilleur quartier, meilleur salaire. Pas de pitié pour les chevaux cagneux que l'on achève en route. Ringards unissez-vous, même combat.

A l'école, à l'IUT, à Dauphine, à Saint-Denis, qu'apprend-on aux étudiants? Il y a une dizaine d'années, je suis allée traîner les guêtres de ce côté-là (ravissant) avec Georges Lapassade et j'ai gardé tous mes carnets de banlieue et les cassettes. Ce ne sont que chants et rires, farces et attrapes d'une abbaye de Thélème nomade. Labeur acharné. La conclusion alarmiste (dans dix ans, ils tirent à vue) n'a pas été entendue et n'aurait donc pu être prise en considération par quiconque, sourdingue. Quand on entend ce qu'il faut écouter avec la plus grande attention, ce qu'il faut réécouter, passer en boucle, analyser et souligner aujourd'hui dans nos radios, et les journaux qui titillent nos esprit critiques, il y a de quoi s'énerver. Il faut donc raison garder. On entend l'animateur patenté de France Culture dire que l'événement (aïe-aïe-aïe-voitures-crâment) doit être considéré du point de vue «anthropologique» et non philosophique, non sociologique, non politique, non religieux et certainement pas économique. C'est dit à propos de la polémique Finkielkraut. «Anthropologique» serait donné comme une garantie de scientificité, un surplus attesté de sérieux, une nano-particule d'ojectivité en prime, une contre-expertise de luxe. Appelez les anthropologues à la rescousse. Le CNRS requis. Ils «feraient» les incendies de poubelles et les voitures, première de couverture. Les chercheurs seraient des fonctionnaires, on les ferait fonctionner, ils seraient fonction (f) de la société, et non des moindres, ils seraient les évacuateurs cathartiques à l'antenne sociale de France Culture. Début du débat.

C'est encore tasse de thé, sucrette et bavardage. Une galéjade. Repus et nantis salonnards.


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"Sorties Papier", éditions Barde la Lézarde

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