Expérience
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de journal,

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7 septembre
2001
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SHUKABA
par Isabelle DORMION:

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Paroles
d'Indigènes
Le contexte
de cette
expérience,
où on parle
de label,
de people
et d'indigène:
Des Machines
Célibataires

voir aussi:
des Rumeurs
& de la
Tendance

et
Terminologie
des Rumeurs
Malignes,
par May Livory,
billets de rumeur
&
litanie
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relevées dans la pub
au jour le jour,
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 Isabelle Dormion, mail de loin... mis en ligne 5 Mars 2002

23 février 2002 Ispahan

A la trente-deuxième arche du pont, un enfant sous le regard de son père propose l'avenir, cinq cent tomans.

L'oiseau posé sur la main choisit dans son bec le papier dans une enveloppe scellée.

Présage déplié: le ciel aujourd'hui est protecteur, quelqu'un viendra d'ailleurs (de loin) rendre une visite de "turquoise", traduit pour "courtoisie".

Aucune autre nouvelle du monde et des ondes.


Isabelle Dormion, extrait sans images, mis en ligne 8 mars 2002

24 février 2002 Ispahan

"le camion sous le tunnel trop bas fait jaillir du roc une gerbe d'étincelles pas de témoin sous terre"
Aucune autre image du monde, pas de kiosques, pas de journaux. Pas de voix. Celles des chants dans la nuit sans fin emportent l'âme.

Un cinéaste(?) avec écharpe blanche achetant des nougats aux pistaches. Il se croit dans un film de B.H. Lévy. Où êtes-vous descendue? Descendue, moi? Au Caire, Mena House, ici, que dire, je ne descends pas, Monsieur, je monte et je montre le sommet d'un minaret et le vol d'un oiseau de passage. Je vois, vous allez bientôt retrouver votre petite famille, je lui assène sans anesthésie, en montrant les paquets enveloppés des nougats (au jus de roses). Tapis, nougats, épices, images de pétales à foison, portraits de Mollahs en molosses, épices, étoffes, afghaneries sans guerre, bijoux, envol de femmes en noir sur la place, une vraie valise des routes de la soie, Iran Air via Vienne, Duty Free shop.


Urbanisme, Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne 11 Mars 2002

Au dessus de la Place Royale d'Ispahan désertée, les nuages effilochés se dirigent vers l'Afghanistan. Une pierre à l'angle d'un muret encadrant la vaste pelouse porte des caractères rouges et noirs très soigneusement calligraphiés : "A bas les Etats Unis!". Sur quelques bornes de la place sont reproduits ces mots identiques, peints au pochoir. J'en prends une photo royale. Plus tard, après le départ du bus des fidèles, quelques adolescents échangent des passes de foot, sans un cri, avec quelques noms appelés dont l'écho se répercute sous la voûte et les stalactites bleus de la mosquée. Les nuages ont été balayés.

A Téhéran, précisément devant l'Ambassade des Etats Unis, la sortie d'une ligne de métro en construction. Des milliers de passants, travailleurs et simples habitants de la cité proliférante, vont surgir là quotidiennement, en se bousculant, au nez et à la barbe soigneusement rasée de GI et plantons de la résidence. Est-ce une intervention, de type benoîtement urbain? Quel sens donner à cette sortie sous la clôture, à ce flux populaire, devant l'entrée, la porte, le domicile même des USA? Sur le mur de l'enceinte, les graffiti ont été effacés, me dit-on, ceci compensant cela. Préjudice futur, (30% en +), purement moral et qui relève de la facétie, sans malice, m'assure t-on.


Chinoises, Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne 14 Mars 2002

Portée par la lune pleine l'ombre des branches sur le mur de torchis ne laisse aucune trace de l'arbre : indifférence argentée sur la pellicule.

Le portier de l'église arménienne sort d'une longue sieste. Une quarantaine d'année, long moustachu à bâillements, sorry, dit-il , tenant la lourde porte cloutée et barrée, sorry. Son père n'est pas là, il est seul à garder tout ça. A la mecque, ton père? Un grand garçon comme lui, je ris, pas lui, sous ses moustaches, sorry, une autre fois, un autre jour, une autre année, une autre église, un autre monde. Combien d'Arméniens dans les parages? L'ange de la fresque est bien esquinté. Aznavour! Help!

Jus de grenade. Bon pour la santé. Betteraves, mangées chaudes dans la rue. On les enfile sur des longs pics, chapelets sanguinolents. Good for you, everything, good for me? Best of the world! Les nougats niquent les ratiches et déjà voilà l'espèce de soupe à rillettes haricot/mouton, pilonnée par le génie des montagnes au sourire de traviole, celui du Golestan, celui d'Aziri, le joyeux pilonneur des 1001 nuits, qui rigole, alors, dit-il en son langage rude, raté l'avion, c'est le destin, et ta soeur, lui dis-je, c'est vraiment le hasard? Vous voulez rester avec nous? Et il broie à qui mieux mieux le manger qui se cuit ainsi : vous prenez sur le troupeau 8 jarrets, ou douze, de mouton, concentré de tomates, épices inconnues chez nous, safran, sel poivre, eau, haricots blancs préalablement trempés dans l'eau de la citerne, pluies anciennes, cuisson comme le potofeu habituel de maman, courir dans le crépuscule orangé, quérir derrière le monticule le pain plat avec la longue pelle sur les cailloux chauffés à blanc, rompez-le promptement, émiettez sans hésiter, concassez jarrets et haricots jusqu'à l'obtention d'une pâte idoine, foutez d'un coup la truelle dans le bouillon, parsemez des herbes gazonneuses qui se présentent à vos yeux ovins éblouis, ça se mange volontiers, parcourez trente-deux kilomètres à pied sans halte.
C'est ainsi que les guerriers guerroient.


Iran, Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne 21 Mars 2002

Quelqu'un dans le miroir me regarde fixement, visage sévère, nez long, classique, les yeux sombres, qui est-ce, avec ce regard insistant, indiscret? C'est moi! A côté, le derviche, vieux comme son mystique falzar. Furtif, il enfonce quatre macarons aux noix dans la besace en tissu. C'est curieux mais j'ai l'air un peu moins con avec un foulard, ça donne un je ne sais quoi d'inhabituel, presque une allure, je me redresse, c'est bien ce port de tête, il faudra que je l'essaie à la maison, on me voit moins, c'est vraiment mieux, il faudra aussi que je tente de courir dans le vent, ça va faire des beaux plis et si tout va bien, vent d'Ouest force six, ou vent arrière, gonfler comme une voile de catamaran filant vers l'horizon. Courons donc, fuyons dans la caillasse du désert, je devancerai Norouz. Quant aux talismans, tant pis!

Tarmac, arts islamiques, Isabelle Dormion, mail dominical mis en ligne lundi 25 mars

Ancre marine, or argent et fer ouvragé du XVIème siècle:
"Ne retranche point l'eau ni la juridiction d'un homme de qualité de ta terre ancestrale, car l'un a fait les canaux et l'autre a nourri les âmes."

Flambeau, cuivre ciselé:
"Je vois les flambeaux des mystiques illuminés par ta face. Des clairvoyants, je vois l'âme tournée vers toi. Tu es Toi le but de l'univers. Que nul cheveu de ta tête ne disparaisse de l'univers".

Epée, manche de cristal, lame calligraphiée, incrustations d'ivoire et de turquoises:
"Que le soleil ne se couche pas sur la demeure que tu t'es octroyé. Ton visage, ö Seigneur, est ma suffisance."

Tapis tadjikide, kilim à motifs rouge-orangé, angles effacés, trame usée:
Treize djinns, plusieurs tortues, deux lièvres, l'antilope et l'onagre semblent habités et mus par le dernier souffle de l'hiver qui les quitte un à un dans leur course.


Valse des petits ramoneurs, Isabelle Dormion, reçu & mis en ligne 29 Mars 2002

Un policier de la Brigade criminelle évoquant la garde à vue du forcené défenestré parle pourtant d'un "luxe (velux ?) de précautions prises."
Peut-on interroger la mère d'un forcené (defenestré) par l'interstice d'une boîte à lettres? Débat sur la 2, oui, non, peut-être. Le droit à la vérité. La mère est au rez-de chaussée, elle ne pourra, elle, de désespoir, se défenestrer. Demain, la mère de Zacharias Moussaoui, par la crémone entrouverte, près de son évier, avant, après la condamnation à mort. Verra-t'on couler de vraies larmes, un vrai torrent, au non du droit, boulimique, à l'information?

Plus tard, heureusement, pour se consoler des aléas d'une campagne présidentielle de Foire du Trône, on entend dire de Christine Boutin, dansant comme une goëlette accompagnée de treize cormorans mazoutés, par le présentateur "Elle a toujours eu cette dimension, un peu, elle-même". Quelle dimension? Ridicule? Elle n'a pas eu la chance d'entrer à l'école de danse viennoise, tenue par la main ferme de M.Mayer, depuis dix-neuf-dix-neuf (1999?) comme il l'avoue lui-même, ravi et la mèche blondasse. Là-bas, toutes les corporations peuvent préparer un bal, même celle des ramoneurs. C'est convivial, c'est démocratique, ce n'est pas "Strip-Tease", c'est " Reportages".

En fin de valse, trois temps plus loin, Sissi par ci, Sissi par là, l'Autriche donne aussi Peter Handke, en très mauvais état. Il file un mauvais coton, perlé. Après avoir erré magistralement dans la baie de Personne, défoncé tous les juke-box Catalans et les grolles à lacets ultra-forts du Vieux Campeur, après avoir revendiqué la singularité, l'insularité comme ultime self-salut moderne, athée, le voilà pris d'une forme d'arrogance, d'une frénésie néantisante, retentissante, rendant sa prose péniblement poseuse, laborieuse, égotiste. Ma métamorphose. Mes amis. Des être rares, singuliers, récalcitrants. (Donnent envie de voir Dédé à la cantine, André, le pignouf de la reprographie, l'as de l'anisette et le champion bedonnant du moto-cross). Moi. Ma presque-folie. Moi. Ma totale solitude. Je préfère encore Julien Clerc. Je préfère "sa préférence".

Je préfère encore Mauriac évoquant les fluctuations douloureuses, dyastole et systole d'un coeur contradictoire, les souffles alambiqués, cultivés, grands-bourgeois, déchirés, de l'âme humaine, c'est moins indécent.

Le soutien aux Serbes est insupportable. C'est son droit absolu rétorque t-on. Tolérance. Créons des nouvelles maison pour ça. Il y a bien des maisons de la poésie, des journées aussi. Dans le métro, j'ai entendu "Horizon lointain". J'ai eu peur. Je préfère les joueurs de bandonéon roumains.
L'écrivain n'engage que lui. On doit comprendre, admettre. Devrait donc aller à l'émission "C'est mon choix". S'il est, comme on le croyait, rétif à toute forme d'institution, le soutien d'Handke à Milosevic invalide l'ensemble de son oeuvre, sa personne même et sa parole. La marche en forêt, depuis, me paraît suspecte, le bruit de mes propres pas inopportun, le son de la voix, superflu, le vol d'une abeille superfétatoire, son élitisme, vulgaire. Il ne lui reste plus qu'à rentrer à la Trappe pour qu'il soit enfin relégué par une cause justifiable et nécessaire à l'exploration de sa misérable personne. La quatrième de couverture invoque Pessoa. C'est une imposture de Gallimard, qui utilise Pessoa comme un slogan publicitaire sur papier glacé d'Hermès, sellier de la rue Saint-Honoré depuis plus d'un siècle et grand faiseur dans la Futilité chic. Rilke ou Pessoa-de-couverture ne parviendront pas à conférer à Handke la moindre valeur-surajoutée, un à-valoir sur la poésie posthume. C'est le placer vivant dans la postérité et demain dans la Pléïade, dont les couvertures et les reliures ne tiennent plus le coup trois mois : c'est fabriqué n'importe comment. Jamais Handke n'a été aussi imbu de lui-même, dans une fausse modestie qui imprègne chaque mot de "Mon année dans la Baie de Personne".

Dans la même rubrique, celle des dupés, Bernard Noël, qui a longtemps été l'hermite récalcitrant
des milieux littéraires, se fourvoie dans un ouvrage de photos "Euphrate, le pays perdu" d'Hugues Fontaine, chez Actes Sud. Le photograhe remercie Leïla Munif de sa présence auprès du poète lors de son voyage en Syrie. Malaise. On relit attentivement les remerciements, qui permettent de comprendre le montage financier du livre, on relit les commentaires, et on ira voir soi-même sur place Alep, la cause est entendue. "Chaussures abandonnées" dit B. Noël. Non, une femme s'est déchaussée comme on le fait là-bas près du seuil. C'est dit par quelqu'un qui n'a pas l'habitude d'enlever ses souliers, ni de battre les tapis, ni de pétrir la pâte, ni de voir la poule traverser, hésitante. Le mot "abandonnées" n'est pas le mot juste. C'est pénible. On n'y croit plus. L'hermitage de B. Noël ayant cessé avec sa fatigue, légitime, il est trop sollicité, il répond à trop d'invitations, il écrit dans trop de revues, il écrit trop, il est littéralement arraché à son travail, il ne refuse plus assez le jeu éditorial, l'âge venant. Ce qui manque aujourd'hui à ce qu'il dit, c'est l'essentiel, c'est le manque. Il y a trop de "perpétuel présent" et ça ne veut plus rien dire. Il y a une nouvelle fausse profondeur dûe à l'excessif crédit que sa nouvelle popularité impose, à une nouvelle profusion, une excessive production. Un pas de plus et c'est le cliché lisse du poète professionnel. Les Belges ont Goffette. Je préfère J. Monod quand il se tait. Non que je préfère Monod, je préfère le silence à la poésie et le silence aux poètes:

Le vent dément
La plainte d'une flûte
Qu'une main anonyme
Vient de poser là.


L'aveugle et l'entendement,
Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne nuit du 3 au 4 Avril 2002

Procréation assistée sur FR3 "Vie privée, vie publique". On voit des gens affligés d'un désir d'enfant, inassouvi. Pourquoi, comme pour les alcoolico-dépendants ou les irresponsables de la conduite routière, ne les décondionne-t-on pas en leur montrant des documentaires sur les joies substantielles et quotidiennes de la maternité, tirés du Festival du Réel, avant le passage en pilotage semi-automatique et semi-assisté à la banque du sperme: insomnies, couches-culottes, fièvres puériles à 40° et nocturnes avec récidives, SOS medecins, vaccins, bronchiolites, petits pots carottes-petits-pois, le carotène ne part pas avec la nouvelle lessive bleue, poussettes-tanks avec sacs à provisions incorporés, arrivée impromptue de la varicelle un jour de départ à Viareggio, crèches bondées, journées triples, doubles cernes sous les yeux, seins flapis, séduction partie, achats de matériel informatique pour stimuler les jeunes capacités intellectuelles des surdoués en puissance, crétinisme des programmes de mangas, acnés rétifs et réactifs, premières fugues, derniers bulletins nuls, adolescences attardéees, Sciences-Po à trente ans après 7 ans d'archi. etc?

Un homo-parent psychologue raconte comment il a failli devenir papa avec les moyens du bord, classiques -homme chevauchant femme consentie- comment la future mère bio n'a pas gardé l'enfant, le laissant dans une frustration que viendra réparer plus tard, après quelques années de thérapie, une paternité précocement cocufiée: rapt de son enfant par l'autre couple homo-lesbien qui le dénie, lui, comme père. On compatit. On arrose brièvement les plantes, on donne deux branches de persil aux cochons d'Inde qui restent simples et sourient sans manière, avec leurs grandes dents jaunes et leurs mirettes sans rouerie. A l'écran, crescendo, l'émotion atteint des hauteurs incommensurables, on voit le plus jeune grand père hexagonal, trente deux ans, on voit une mère qui a eu des jumeaux puis des triplés, qui en est fière, on voit la fratrie dans le bain, on est ému, en rang d'oignons, ne faisant pas un geste, mutiques devant la caméra de FR3, mignons, ainsi immobilisés, on en voudrait chacun treize à la douzaine. On apprend que le papa est parti. On comprend sa lâcheté. On sympathise à tout. M. Dumas dit "entendable" alors qu'on devrait dire "écoutible". Néanmoins, on sympathise, sans ironie.

On s'aperçoit des hasards de programmation."Happiness" le même jour sur une chaîne câblée, vient mettre un bémol à tout ce bonheur qui suinte de l'écran, dans un langage psychologisant assez abruti: projet d'enfant, gestion relative des sentiments mal vécus, émission financée par Guigoz-Lactafiole et les balancelles Jumpy-Free. Dans "Hapiness", le psychiatre est pédophile, il sodomise les petits camarades de son fils qui viennent jouer à la maison bien rangée, en leur donnant des somnifères dans le sandwich au thon. Ce n'est pas bien. Le conformisme explose. C'est très bien: on alterne la cassette d'Hapiness et Mireille Dumas, on se sent déjà mieux, avant la fin, qui achève d'ulcérer les meilleures volontés, les potentialités les plus entendabilisantes et les plus sympathisables. On voit la suprise du soir: seule, la femme qui a défrayé la chronique, celle qui monologue dans le déni et la toute-puissance dévoratrice, celle qui refuse toute idée de début de débat, la sexagénaire qui a porté deux enfants nés des spermatozoïdes (de son frère) pailletés et enfournés aux Etats Unis sur deux gros ovocytes frais et dodus de femmes jeunes. Elles ressemblaient vaguement à la vieille institurice forcenée, bouche pincée, oeil terne, heureuse, épanouie à mort, taraudée d'un désir insatiable d'enfants "en famille". Quoi de plus sûr que le bi-sperme de son frère? Rien. On reste entre soi. C'est comme, avoue-elle, les enfants d'un "père inconnu". C'est la forclusion, doublement assignée à résidence, à demeure, volets fermés. "Ce sont mes enfants!" hulule-t'elle pathétique. La chair de sa chair? Le frère dans cette horreur est évacué, il n'existe même plus comme père et encore moins comme frère. Pas d'oncle-père. Rien. Personne. Le voilà d'un coup qui devient aveugle. On n'a vu pire réalité que chez Sophocle. Pas le choix. La prohibition de l'inceste. Le frère incestueux aura donc un enfant, et un autre de l'autre côté, bâton de veillesse géméllaire, clonesque, qui le conduira par les chemins caillouteux vers l'exil intérieur, la déflagration de toute parole, la mort psychique.

On retourne à la cassette enregistrée qui met les pendules à l'heure et diffuse dans une jubilation noire de profondes horreurs à mourir de rire.

Cour carrée, Isabelle Dormion, mail reçu le 8 & mis en ligne le 10 avril 2002

Les seuls endroit à Paris où les gens gardent une relative humanité et ne nous sautent pas à la gorge: Parvis de Notre-Dame, Louvre, vers16h30, près du bassin. Ils cherchent en vain des poissons rouges. Ils ont vu tout ce qu'il y avait à voir, ils sont flasques, hébétés. Tant de beauté. Syndrome de Stendhal. Ils sont trop saturés d'esthétique pour être agressifs. Ils parlent d'autres langues, qu'on ne comprend pas. Ne les entendant pas, on n'en mesure pas toute l'inanité. Le lingala, le farsi, le vogul, le basque. Près du Pavillon Richelieu, on entend des merveilles in extenso: "Zerua sariszat Nola ez Bozkaria Dugu sarri guetzat, Zeruko loria." Les épouses sont alanguies, les plus lourdes avachies sur l'épaule des maris à gilets beiges multi-poches, qui consultent des plans nains du Métro avec des yeux presbytes, elles grignotent une barre énergitico-céréalière aux noix de cajou, venues des Balkans par autobus entiers, elles ont perdu la housse de l'appareil photo, elles n'ont plus un radis, elles trouvent la ville grandiose, les Françaises charmantes et tout ça grâce à moi. Depuis des lustres, je suis toujours là pour leur indiquer le chemin, le meilleur parcours Alma-Moulin Rouge, via Versailles Rer C, je ne rechigne jamais à déniaiser le sinistre crétin qui veut tout voir sans trop se fatiguer, je lui montre mes pagodes à l'oeil et je ne dirai pas ça de tout le monde. J'ai repéré dans le quartier un individu louche qui fait visiter mes rues et mes trottoirs avec des prétentions de pute, conférencières, qui commencent à m'irriter les terminaisons nerveuses. La dernière fois, j'ai écouté de loin, il parlait de Bouddha et Confucius devant mon boucher, celui qui pas plus tard qu'hier vendait encore du chien. J'ai pris la parole, j'ai dit, excusez moi, mais jeudi dernier, il vendait encore du chien, des cuisses de pitbull, des jarrets de lévrier, la SPA s'en est mêlée, terminé, finies les agapes, on mangera du cheval. J'ai précisé qu'on pouvait acheter des pièges à cafards pour trois fois rien, pensant capter et détourner son auditoire culturophile, lui, hautain, abordait la réincarnation, la criminalité, les Triades, les salles de jeux clandestines. J'ai dit excusez-moi, mais même Johnny ne mettra plus jamais les pieds ici, la communauté est agacée par l'usage abusif de cette image fallacieuse, Karaté, Kung-Fu, qui nuit au zèle industrieux de nos asiatiques coutumiers, nos voisins préférés, au sourire ironique.

A fleur de peau

Troisième procès de Patrick Dils. Sur la deux: "son ton, aujourd'hui est un peu agressif " (isn't ?) Son avocat: "Il a le droit d'être agressif autant qu'il veut". La défense l'autorise. On croit rêver. La moitié de sa vie en prison. Pour un innocent, c'est cher payer. A ce prix là, il devrait avoir le droit d'insulter les jurés des deux procès pendant seize ans gratuitement, et de donner dix petites paires de claques à deux enfants de huit ans choisis au hasard, sur un remblai de voie ferrée pendant
trente deux ans. On devrait lui offrir un espace libre, dans la presse, avec tapis rouge, ad vitam. Nous lui ouvrirons cette rubrique. Cinq minutes de vitupérations quotidiennes laissent l'esprit limpide. Limpiar, en espagnol, nettoyer. Patrick Dils et les qualificatifs. Agressif. Froid. Mystérieux. Impénétrable. Non-coopératif. Enigmatique. Incompris. Taciturne. En plus, il est roux.

* "J'ai mal aux pieds, mais réjouissons nous, une joie éternelle nous attend dans l'au-delà"


Du pareil au même, Isabelle Dormion, reçu & mis en ligne, mail du dimanche 21 Avril

La tentation est là: considérer l'un comme l'autre. Identiques, semblables, interchangeables, gemellaires, substituables, empilables, compactables, éjectables. Scissiparité. L'un et l'autre. L'un ou l'autre. Que rien jamais ne change. Financements de la rue de Solférino contre caisses noires de la droite. Croire Schuller, quand il avoue qu'il est un "bon soldat", croire Le Guen, pourquoi pas, quand il affirme qu'il n'a rien touché de la MNEF. Ce matin, il nous a serré la main au bureau de vote. Les turpitudes de la gauche sont-elles, en poids peccamineux, moindres que celles de la droite? Pour avoir pesé celles de la droite dans les années 80, on doit croire que celles de la gauche sont sensiblement plus légères. Croire exige cette adhésion subjecvive, dénuée de toute rationnalité, de toute objectivité, que Jospin, selon les aveux même de la droite qui lui cherche poux et noises, ne "traîne pas de casseroles." La sincérité, ou l'honnêteté comme garantie d'une meilleure politique. C'est le parer de vertu, au sens etymologique, d'un certain courage. J'ai vu la droite, Schuller, en l'occurrence, à l'oeuvre, en croisade pour piéger la gauche. S'il faut affaiblir la gauche, c'est lui reconnaître une certaine puissance, et l'écarter du pouvoir pour que cette puissance ne devienne agissante. L'éminence grise de Giscard, Stoleru, chargé de ridiculiser les intellectuels de gauche, recrutait Philippe Nemo, adhérent au Club de l'Horloge, proposait une manipulation : contraindre les intellectuels de gauche au vedettariat, à la médiatisation, pour leur ôter toute crédibilité et vider leurs idées de tout contenu, de toute force, de toute validité. C'est admettre l'idée que la télévision vide de sa substance l'idée qui est servie chaude et desservie défraichie, putréfiée, illico. C'est admettre aussi que tout intellectuel honorable se doit de ne point se commettre, se compromettre en déjeûnant avec des gens de pouvoir. Le point faible des penseurs -philosophes, écrivains- étant la vanité, il fallait les faire choir, les faite chuter dans leur soif de reconnaissance, sous les spots et sunlights. C'était facile, ça marchait. Ils se sont tous bousculés au déjeûner de l'Elysée, se disputant, se houspillant, s'agaçant, se menaçant, se provoquant par voie de presse, "Pourquoi j'irai", "pourquoi je n'irai pas.".J'essayais de leur faire passer un message subliminal "n'y allez pas, c'est un piège", rien à faire, pressés de recevoir les honneurs et la gloire, d'y être, d'en être. Clavel au créneau, j'avais écrit "crénom", en grand imprécateur. Personne ne soupçonnant le troisième degré, le quatrièreme degré, machiavélique de la droite. Personne ne va si loin. Schuller revient, hilare, la mine réjouie, vacancier - sa compagne le suivant par l'avion suivant, hilare, la mine réjouie, bronzée, vacancière- ayant largement négocié avec la gauche dont il détenait les dossiers les plus compromettants, se racontant avec complaisance, certain de son impunité, certain de neutraliser, comme il sait le faire, toute velleité de prise de parole. Un des amis de Schuller m'a dit récemment qu'Antoine Schuller, déjà, à sa naissance, était "un sale petit con" ; c'est admettre aujourd'hui que son père, absous, absolvable, a priori et a posteriori, est un père excécrable pour induire de tels jugements chez les proches, c'est aussi m'obliger à être complice des méfaits anciens dont j'ai été le témoin direct. Ce type, à qui je demandais s'il n'allait pas être convoqué devant la Justice, m'a dit, "non, pourquoi?". En effet, il est magistrat.

La justice jugeant la justice? Ecrira bientôt un quelconque ouvrage sur les financements des partis et les réseaux, en justicier indigné, qui jamais, lui, ne cracherait dans la soupe, le nectar des dieux, des héros et des élus. Quand à l'époque, on cherchait à neutraliser Coluche, ridicule dans sa sincérité, efficace dans son mode opératoire, on cherchait vraiment à le mettre hors jeu, non parce qu'il était dangereux politiquement mais parce qu'il savait ridiculiser les politiques, en stigmatisant leurs travers. Ce n'était pas une plaisanterie. A cette époque lointaine où les oppositions étaient plus tranchées, la gauche n'avait pas encore l'habitude, l'usage des ors et des pompes. Depuis, on sait s'habiller et faire les gestes de la représentation, de la comédie du pouvoir, sans paraître trop parvenus, médiatiques. Strauss-Khan revient en pleine forme, indemne, plein de projets. Je me suis toujours étonnée que Françoise Giroud n'ait pas dénoncé de façon plus acerbe, rigoureuse, ou vigoureuse les méthodes maffieuses du pouvoir, dont elle a été pourtant un témoin et une actrice de premier plan, active. Je me souviens des plans alambiqués pour la circonvenir. Dans les réunions de cabinet, j'ai entendu des propos calomnieux, médisants, bas, abjects, machistes, choquants, touchant à la vie privée, aux travers physiques, aux liftings, aux homosexualités, aux faiblesses secrètes des acteurs politiques. A tel point qu'ils contraignent à la démission. On ne peut pas reprocher à Chevènement d'avoir démissionné si c'est la seule position défendable. Si elle est maladroite en terme de stratégie, elle est honorable en terme de morale. La politique et l'éthique ne font pas bon ménage. C'est pourquoi la droite a toujours cherché une caution intellectuelle. A l'époque, un sociologue "pur", un penseur. On pensait à un type sans défaut, un ascète-caution. Rocard aurait pris Fourquet, qui traînait à Matignon.Ce sont les mêmes qui donnaient à René Char une impasse à son nom, pour, littéralement, le "mettre à sa place". Ce sont les mêmes qui vont cuisiner V. Hugo et Gilbert Bécaud à la même sauce béchamel. Pas une avenue, ni un boulevard, pas une place ou une allée ombragée, pour un poète digne de son oeuvre mais une voie de garage. Une impasse pour les poètes. C'est le lieu où ils veulent acculer les intellectuels susceptibles de dénoncer les impostures, dans cet amour, cette haine, cette ambivalence qui va de l'admiration à la jalousie sans nuances. Or, la place des intellectuels n'est pas de faire de la politique mais d'être le moyen, le lien de transmission, l'outil de parole. On en viendrait à regretter Malraux et ses trémolos grandiloquents. A regretter de Gaulle et ses grandeurs. "Les Français sont des veaux". Des veaux avachis devant la télé.

Je m'étonne que personne ne soit plus scandalisé par ce que François Reynaerd, dans une rubrique blasée, appelle des "friandises". Bounty du Loft ou voyage à l'Île Maurice aux frais du contribuable. Dans un autre pays Chirac ne serait pas éligible mais contraint à la démission. Qu'on en soit venu a regretter le pire, dans une "loftlalgie" bienfaisante, parce qu'il y a encore pire que ne réveille personne. Quand je dénonçais les agissements de Schuller auprès d'une juriste mitterandienne, sans ambiguité, forfaitures, manipulations, détournements, je n'obtenais que des haussements d'épaules, des sourires de connivence de quelqu'un qui connaît vraiment la musique, dénégations qui incitent à la fois au repli et à une résistance plus organisée, plus efficace, stratégique et clandestine.

Dénoncer l'amalgame, cette facilité morale qui rend "pareil, identique et même", un candidat de gauche ou de droite a été le premier souci de cette rubrique. Dénoncer, dénommer, analyser, nommer le déni de sens, où l'indignation est ridiculisée, rendue vaine, ringarde, puritaine, folle, marginale, est le premier devoir qui nous incite à prendre la parole. Dénoncer le jeu médiatique, en le décortiquant, est plus qu'un jeu, c'est une nécessité. C'est une résistance. Ce n'est pas le goût de la polémique qui nous fait agir, j'avais écrit "aigrir", mais l'instinct de survie, élémentaire. Un éditeur m'a dit, pour rendre inefficace, obsolète, vain, dépassé, gratuit, ridicule, le travail que nous faisons, que Jean Pierre Jouve est plus "pointu" que moi, que ses turbulences, à lui, sont plus pertinentes. Il est l'objet d'un procés éditorial, pour avoir insulté Josyane Savigneau. Il est en effet ordurier et mérite le procès qu'on lui intente. Je déteste son style, hystériquement bas. Ce qu'il écrit est gratuitement destructeur. Ce n'est ni une provocation politique, ni une dénonciation. C'est une pierre-ponce dans le marigot. Je me souviens d'une émission où j'avais observé, ponctuellement le comportement, à l'antenne, de Savigneau, qui représente le pouvoir absolu de la critique littéraire dans "Le monde" Ses gestes, que tout le monde peut voir, puisqu'elle se donne à regarder, sont livrés à nos rêveries télévisuelles, nos cogitations, vagues, telles qu'elles sont, bovines, entre vigilance endormie et abrutissement digestif, telles que sont les perceptions d'un téléphage ordinaire, celles d'un citoyen qui ouvre la télévision, innocemment, pour s'informer. Ces perceptions, floues, océanniques, pré-conscientes, où l'acteur du jeu médiatique se livre à nous, permettent de déterminer la confusion qu'engendre un discours contradictoire. Savigneau dans "le Monde", se veut l'étalon, la mesure du jugement. L'image qu'elle offre ingénuement aux spots aveuglants infirme toute idée de sérieux, nous libérant, gavés télévisuels, de toute croyance, de toute obligation de foi, de toute crédulité. Si l'information en appelle à un acte de foi, j'avais écrit "foin", qu'on ingère et digère à satiété, on peut devenir renégat. Ne plus croire à ce qu'on nous donne à voir. On remet en cause, en question. On s'interroge. Si ce n'était pas vrai? Madelin décidant de ne pas se montrer avec sa nouvelle compagne, puis se montrant, croit ajouter un certain "paramètre de charme" à son élgibilité. On est à "Gala". People et charme Canal+ en mimant l'actualité politique n'ébranle pas le pouvoir. L'idée des politiques est de ridiculiser l'ennemi de façon préventive. Avant que quelqu'un devienne dangereux, on lui enlève tout sérieux. Voitures décapotables, pin-ups, rigolades, c'est un programme de diversion, d'agrément, de divertissement, ce n'est pas une attaque qui puisse sérieusement irriter les politiques. Interview de la marionnette de Chirac en quatrième de couverture de Libé. Je me souviens de Libé dans les années 1980. La restructuration de Libération. A quel prix?

Certes, on se s'informe pas en ouvrant la télévision. Ce n'est pas en disant qu'on s'habitue à tout qu'on évitera le pire. Loft Story, me dit une amie sociologue, est l'invention résistante d'une programmation qui se voudrait pédagogique. Cette interprétation, morale, conférerait une intention pédagogique à l'abjection. En présentant ce miroir-là, un stade plus bas, on obtiendrait une réaction. C'est utopique et généreux. Je ne crois pas que la production puisse avoir une stratégie pédagogique. La production fait de l'audimat et de la merde. Loft 1 et Loft 2 ne sont pas pareils et mêmes. Le deuxième, dont je n'ai regardé que la Première, le défilé des candidats, paraît un cran plus lâche, plus mou. Eux, c'est nous? Je suis allée visiter un camp de concentration de vacances, pour me mêler à eux, à nous, je ne me suis pas reconnue. Gras, veules, agressifs, réactionnaires, en shorts, rougeoyant au soleil trop généreux, tapant sur la gamelle avec cuillères et fourchettes, bedonnants, les seins à l'air, cellulites déployées, sexualités surexposées par D.Karlin, échangistes, jeunes, séniles, dans des piscines bleu-lagon? Et on s'étonne que les Brigades Rouges fassent leur réapparition! Pourquoi ne pas virer à l'extrême-droite pour que renaissent les valeurs passéistes!
Le cynisme politique exigerait l'abrutissement, l'asservissement, l'aliénation, la grégarisation, le nivellement culturel par le bas. Il semblerait que le but soit atteint. Pas d'alternative? On ne va quand même pas voter Chevènement, qui ressemble à Don Quichotte. On va voter Jospin, qui n'est quand même pas comme l'autre marionnette, Chirac, au demeurant très sympatique, aussi sympathique que Schuller attablé chez Lipp, bon vivant, joyeux baiseur, connaissant la chanson, poussant la chansonnette au bon moment dans les permanences, aimant la tête de veau, sachant flatter le cul des vaches, sachant chasser.


Toccata mineure, Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne 24 avril 2002

Un rêve puissant conduit ma somnolence, dès le réveil, au jardin public.

Une chinoise lève lentement les bras dans un exercice isolé de Taï Chi. Dans le prolongement d'un câble tenant un poteau, elle semble hisser sans fin la voile d'un navire qui reste à quai. Le cliquetis des pions sur le damier qu'occupent deux filles. Un black en costard, foulard de soie noué au cou, leur apprend la stratégie. Elles sourient, distraites, visage penché sur la table scellée.

Ennui des conclusions, définitives, une catastrophe? Les leçons. Comment survivre à la honte? Pourquoi aurions nous honte d'eux, ils ne sont pas de ma famille. Ah, si! J'oubliais. J'ai pu voir de près trois électeurs de Le Pen, de bien braves gens, à peu de choses près:

1) Petit:chien avec longue laisse rétractable cloutée dans une poignée magique à chromes, elle baguenaude, truffe au vent, chignon teint, roux, mèches folâtres, frange adoucissant le regard, lunettes progressives tenues par un long cordon mercerisé, montures aurifiées, marque de couturier apparente. Je reste quelques secondes les jambes prisonnières de la longe, je vous en prie dit la Lepeniste new-look, elle ne tire pas la chevillette, ni la manette, ni la bobinette, grande tentation de lui flanquer la beigne, la terrifiante mornifle expiatrice qui démange le creux navré des paumes, démonte en kits les deux éléments mobiles, aboyeurs, mordeurs, machouilleurs, ricanneurs, hâbleurs, hurleurs, insinuateurs, délateurs, triomphaux, interdépendants du ratelier de résine Sécu, visible dans les bajoues poudrées à mort. Quand je pense à l'autre, Bernadette Laffont, qui, elle, croque une pomme au caramel, en s'en fichant, en nargant les mémés, nez au vent, qui monte à la grande roue, qui rigole, à l'endroit, à l'envers, en haut, en bas, sans que les dents ne tremblent sur leurs fondations, fixées par super-Glu couleur de gencives. C'était avant le 21, la Grande Roue, la Foire du Trône, tout ça, l'illusion trompeuse, la désinvolture, la grande querelle Campion-Mairie de Paris, Place de la Concorde, les barbes à papa roses et les palais verts de la terreur à deux sous, porte Dorée. A cette époque, on savait plaisanter avec moins que rien. Non, je jugule en moi la réaction primaire-émotionnelle, je luis dis, non mais c'est moi, je m'excuse, et je fais remarquer combien le chien -un petit yorshire assez pute, foutraque, teigneux, avec des rêves de croquettes mi-chair mi-poisson cachés loin en lui, des instincts assez communs, très populo, poujadistes, des jappements d'animalcule en dégénérescence darwinienne assez aigus- est curieux. Curieux? me dit la dame. Oui, bizarre. Bizarre? répète la Lépeniste, comment ça bizarre? Depuis des années que je le croise, je ne l'avais jamais vu, ce chien, c'est-un quoi? Et sans attendre la réponse, je passe mon chemin.Non, mais!

2) Mon beau-frère, un mètre quatre vingt dix sept, content de tout, jogging normal, poutres apparentes façons gentillhommière d'Eu.

3) Un jeune homme, pomme d'Adam après la chute, blouson semi-sport beige élastique à la taille, porte-monnaie écossais clanique à franges, chaussures à fortes semelles, ayant pour les fêtes pascales, recherché vraie jeune fille à forte poitrine.

Il reste encore le cinéma de Jean Eustache. J'ai aussi gardé un vieux quarante cinq tours d'Atahualpa Yupanqui. Ainsi qu'une chanson accompagnée de quelques accords fondamentaux, ré majeur, la, sol, do, "File la laine, file les jours", trente-trois tours, Jacques Douai, triste à mourir, rayé, de l'époque. Signé Furax, Francis Blanche, après, modernes, les Shadoks. Comment disait-il, le grand sifflet, de l'autre côté de la Manche, "Les Français parlent aux Français". Jospin, en exil à l'île de Ré: "Les Français m'entendent-ils? Y a-t'il un médecin dans l'hexagone?"

Depuis j'ai quand même appris quelque chose, la vie, tout ça, la vie normale, j'ai appris à faire la chorba, je sais aussi tailler un costard sans modèle, sans calque. Je sais aussi faire la soupe crème à l'orge iranienne. Je pourrais m'exiler en Iran. Pas de yorkshire, pas de laisse, pas de dame, rien, rocs et sables.



Syndromes* et flore de saison, Isabelle Dormion, mail reçu & mis en ligne 29 avril

Certains pollens à cette saison peuvent provoquer des réactions lacrymales. D'autres des rhinites par crise..Ainsi les cytises en fleurs, les lilas, les seringas: pleurs irépressibles, certains gonflements de paupières, rougeurs et irritations par plaques, spasmes de la glotte et difficultés de la sphère verbale avec léger oedème.

Pire que ça, j'ai entendu Sarkozy dire dans un tic langagier compulsif, dimanche 28 avril dans la soirée, plusieurs fois, comme un marronnier en fleurs suscite l'éternuement:
"Je suis-de-ceux-qui-pensent" ceci ou cela et non pas "je pense" ceci ou cela. Quand je pense à ceux auxquels il pense pour penser, rhinite, gonflements apparaissent, céphalées galopantes, rougeurs, dermites, démangeaisons, difficultés de l'hémisphère pensable.

(Si toutes les clochettes de muguet du 1er Mai en même temps, miracle, tintinnabulaient, pour qui déjà sonnerait le glas?)

* "Il ne vit vraiment que lorsqu'il peut tout traiter de façon rationnelle. Il adopte tous les modes de pensée, toutes les catégories, toutes les méthodes, sans exception, mais il s'en sert uniquement comme forme de discours; il n'en fait pas le contenu d'un mouvement de connaissance. Il adopte un mode de pensée syllogistique pour obtenir, par des moyens logiques connus, un succès momentané; il se sert de la dialectique pour transformer élégamment en leurs contraires toutes les propositions qui viennent à être exprimées, il invoque l'intuition et fait appel aux exemples sans jamais aller aux choses elles-mêmes, il s'en tient aux évidences banales, car il est préoccupé d'effets rhétoriques et non de savoir véritable".
(le sophiste) K JASPERS, "La situation spirituelle de notre époque."