Quelques textes autour de May LIVORY

May Livory n'est intéressée que par l'invention de ses propres moyens de production. Quel que soit le domaine qu'elle investit (stylisme, design, couture, graphisme, édition, cuisine, arts plastiques) sa seule préoccupation est : comment créer une pièce (logo, robe, plat, livre, peinture, sculpture) qui ne sera singulière et désirable qu'à être unique dans un univers collectif traversé par des segments de sexualité, d'Histoire(s), de mode, etc.
Pour ce faire elle se sert de deux méthodes simples : le pick-up et l'assemblage. Dans ce sens, on pourrait dire qu'elle continue les traditions dadaïste et surréaliste qui consistent à détextualiser l'écrit et déconstruire le visuel pour en prélever des fragments réorganisés dans des montages de signes et d'images en apparence incohérents.
Ainsi dans les séquences de Tipi réalisées à partir de la notion d'enregistrement et suivant la méthode décrite (pick-up et assemblage), May Livory nous propose de sortir de l'écran de la photocopieuse, de la télé ou de l'ordinateur, qui ne renvoient et n'illuminent à l'infini que ce que leurs processeurs ont enregistré : une copie de la copie d'un monde, non pas absolu, mais absolument correct.

Au dehors des boîtes électroniques, il y a le monde, tel que décrit par Leibniz et repris, puis poussé dans ses plis et replis par Deleuze. Monde fait « d'une infinité de séries convergentes, prolongeables les unes dans les autres, autour de points singuliers » (Gilles Deleuze, Le Pli, éd. de Minuit). Les Tipis sont autant de représentations de ce monde-là. Mais aussi autant d'inventions d'autres mondes, si on considère que « chaque individu exprime le même monde dans son ensemble bien qu'il n'en exprime clairement qu'une partie () et qu'il en résulte qu'un autre monde apparaît quand les séries obtenues divergent au voisinage de singularités. » (ibid)
Cette manière avec laquelle May Livory traite l'art -et le lard- non pas en le pratiquant, mais en l'actant, ainsi que dit, appelez-le maniériste et baroque saupoudré de dadaïsme. Appelez-le comme vous voudrez, mais n'oubliez pas d'enregistrer, de vous protéger derrière vos écrans : l'artiste n'en a cure. Elle aurait simplement souhaité que vous retrouviez un peu de votre fraîcheur, de cette souplesse Mais qu'importe, si vous ne savez pas, d'un savoir physique, animal, que le nomadisme ne commence pas au comptoir d'une agence de voyages (Tipi 1 : Tapis Volant pour Voyage Immobile), ou si vous n'avez pas appris du savoir savant qu'un reliquaire enferme des fragments de vêtement et des objets ayant appartenu à un(e) saint(e), parce que vous ne pourrez saisir combien vous sanctifiez La Grande Enregistreuse (Tipi 5 : Reliquaire de la Grande Enregistreuse), ou encore ce qu'un cossuaire a à voir avec une cosse organique monumentale et un suaire qui, cousus ensemble de manière à pouvoir à pouvoir y glisser du corps, nous rappelle les momies égyptiennes, et déjà la mort à l'oeuvre - dont l'écran nous détourne, sans nous en protéger (Tipi 4 : Quatrain des cossuaires).

Catherine Cazalé
pour May Livory, Les Tipis, séquences-enregistrement et installations textilographiques,


page du catalogue de l'exposition "Monumentoiles" à Allones et à St Jean de Monts
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